LES CONFRÉRIES DE LA CHARITÉ. Organisation et développement de la confrérie de la Charité. — Les domaines du seigneur de Gondi. — Première idée de la congrégation de la Mission. — Vincent de Paul devient aumônier royal des galères et supérieur des religieuses de la Visitation. — Saint François de Sales. — Le cloître et le monde au dix-septième siècle. — Vincent à Marseille. — Son ministère auprès des forçats. — Règlement de la mendicité à Mâcon. — Voyage en Guyenne. — Dernière visite de Vincent à ses parents.
Détaché de tout, même du bien qu’il faisait, Vincent de Paul avait quitté Châtillon pour suivre la volonté de Dieu qui le rappelait à Paris. Simple instrument dans les mains de la Providence, il se laissait diriger par elle, sans rien vouloir ni rien entreprendre de lui-même, et ainsi il se trouva toujours prêt à accomplir l’une après l’autre les œuvres de charité pour lesquelles la divine miséricorde l’avait suscité. À Folleville, à Châtillon, il avait jeté, comme en passant, les fondements de deux institutions qui allaient se développer merveilleusement. Les missions attendirent pour s’organiser l’établissement de l’institut que Vincent de Paul devait créer quelques années plus tard ; mais, dès le premier jour, les confréries de la charité avaient reçu de la sagesse et de la prévoyance de leur fondateur leur constitution définitive.
Rien de plus simple ni de plus admirable à la fois que cette première institution du saint. Réglementer l’aumône et en assurer la perpétuité, c’est tout le problème de l’assistance des pauvres. Vincent de Paul l’a résolu dans ces confréries de la charité qui tiendraient lieu d’administration publique et de toute autre œuvre de bienfaisance, si elles fonctionnaient partout selon l’esprit et les règles de leur saint instituteur. L’initiative privée en est le principe ; l’association en assure l’exercice et la durée. La confrérie prend le riche et le pauvre, elle les rapproche, elle les unit du lien de la charité. La distinction que la société établit entre l’un et l’autre ne subsiste que pour faire du riche le pourvoyeur du pauvre ; ou plutôt, il n’y a plus de riches ni de pauvres, il n’y a, selon l’Évangile, que des frères qui s’entraident. L’amour du prochain, fondé en Jésus-Christ, réalise la merveille vainement rêvée par le socialisme.
Vincent de Paul commença par enrôler les femmes au service des pauvres. L’association des dames de Châtillon-les-Dombes fut l’origine des confréries de la Charité ; les confréries d’hommes ne vinrent qu’après. L’organisation des unes et des autres, tout simple qu’elle soit, est une merveilleuse invention. Partout où il y a des pauvres, les personnes aisées se réunissent en association pour les assister et les servir. La confrérie a ses règles, qui mettent de l’ordre dans l’assistance des pauvres, et ses dignitaires qui assurent l’observation des règles et le recrutement de la compagnie. Chacun des membres pourvoit de son superflu au nécessaire des malheureux, et chacun, à tour de rôle, donne de son loisir pour les servir. Dans la confrérie les pauvres ont une famille qui les aime, un revenu qui suffit à leurs besoins. Tout le génie de saint Vincent de Paul, ce génie fait de bon sens et de bonté, est dans l’établissement de ces confréries de la charité, pour lesquelles il avouait, malgré sa grande humilité, n’avoir pas eu de modèle. Du premier coup il trouva le moyen de tirer le meilleur parti des aumônes et de la bonne volonté des personnes charitables. Les règlements de la première confrérie sont les mêmes qui ont servi depuis à toutes les autres ; ils n’ont eu besoin que d’être modifiés un peu, selon les lieux et les circonstances. Vincent de Paul avait tout prévu, tout réglé, jusqu’à la manière d’apprêter le manger et de servir la table des pauvres.
Que d’autres villes fameuses montrent avec fierté leurs chartes d’affranchissement et les monuments de leur ancienne indépendance ! Châtillon-les-Dombes, la modeste ville de Vincent de Paul, a mieux à offrir au monde que d’orgueilleux témoignages de liberté ; elle possède la première de ces admirables chartes de la charité, qui auraient pu faire de chaque ville et de chaque village comme une seule maison, et de tout l’État une seule grande famille. En voici le préambule :
« Comme ainsy soit que la charité envers le prochain soit une marque infaillible des vrays enfans de Dieu, et qu’ung des principaulx actes d’icelle soit de visitter et nourrir les pauvres malades, cella faict que quelques pieuses damoizelles et quelques vertueuses bourgeoises de la ville de Chastillon-Iez-Dombes, dioceze de Lyon, desireuses d’obtenir ceste misericorde de Dieu d’estre de ses vrayes filles, ont convenu par ensemble d’assister spirituellement et corporellement ceux de leur ville, lesquelz ont parfois beaucoup souffert plustost par faulte d’ordre à les soulager que de personnes charitables. Mais parce qu’il est à craindre qu’ayant commencé ce bon œuvre, il ne deperisse dans peu de temps, sy pour le maintenir elles n’ont quelque union et liaison spirituelles ensemble, elles se sont disposées à se joindre en ung corps qui puisse estre erigé en une confrerie avec les reglements suyvants, le tout néanltmoingts soubs le bon plaisir de monseigneur l’archevesque, leur tres-honoré prélat, auquel cest œuvre est entierement soubmis.
« La dicte confrerie s’appellera la confrerie de la Charité, à l’imitation de l’hospital de la Charité de Rome, et les personnes dont elle sera principalement composée, servantes des pauvres ou de la Charité. »
LECTURE DU FAC-SIMILÉ (de la page 110)
Au nom du Père et du Fils et du Sainct-Esprit, le huitiesme de Décembre jour de Limmaculée Conception1 de la Vierge, Mère de Dieu, lan mil six cent dix sept, dans la Chapelle de l’hospital de la vile de Chastillon-lez-Dombes, le peuple estant assemblé, Nous Vincent Depaul, prestre et curé indigne de ladicte vile, avons exposé comme monsieur de La Faye, grand vicaire de monseigneur larchevesque de Lyon, nostre très digne prélat, a approuvé les articles et Règlements cy dessus contenus, dressés pour Lerection et establissement de la Confrairie de la Charité en la dicte vile et au dedans de Ladicte chapelle. Au moyen de quoy, Nous Curé susdict, en vertu de Ladicte approbation, avons ce jour d’huy érigé et estably Ladicte Confrairie en ladicte Chapelle ayant premiérement fait scavoir au peuple, en quoy Ladicte Confrairie conciste, et quelle est sa fin, qui est, dacister les pauvres malades de Ladicte vile spirituellement et corporellement. Et ayant admonesté ceux qui voudroyent en estre [de] saprocher et de donner Leur nom, se sont présentées: Fransoisse Bachet, Charlotte de Brie, Gasparde Puget, Florence Gomard, femme de monsieur le Chatelain ; Denise Renier, femme du Sire Claude Bouchon ; Philiberte Mulger, femme de Philibert Desigonières ; Catherine Patissier, vefve de feu Elienor Burdilliat, Jehanne Perrier (?), fille de feu Perrier (?); Florence Gomard, fille de feu M. Daniel Gomard ; Benoiste Prost, fille de Emmond Prost ; Thoyne Guay, vefve de feu Pontin Guichenon, qui cest présentée pour estre garde de Pauvres.
Quelque parfait que fût le règlement de la charité de Châtillon-les-Dombes, il n’était pour Vincent de Paul qu’un projet qu’on devait expérimenter. Ce grand esprit, si humble dans toutes ses conceptions, voulait qu’on éprouvât les choses les meilleures avant de s’y arrêter ; car, disait-il avec sa prudence consommée, « ce qui semble fort beau dans la spéculation est souvent inapplicable dans la pratique. » Mais l’essai de Châtillon devint bientôt une grande institution. Vincent de Paul était encore curé que déjà Bourg et les autres lieux voisins avaient adopté la confrérie de la Charité. Encouragé par l’expérience, il devint lui-même le plus actif propagateur de son œuvre. Il disait, cet homme de Dieu, qu’il ne fallait point enjamber sur la Providence ; mais quand la Providence lui avait ouvert la voie, il la suivait à pas de géant.
Son retour dans la maison de Gondi servit providentiellement à l’extension des confréries. Avec le concours de ses généreux patrons il en établit en peu d’années à Villepreux, à Joigny, à Montmirail et dans plus de trente villages relevant de la seigneurie du général des galères. Il compléta l’institution en organisant aussi des confréries d’hommes ; ceux-ci devaient s’occuper commencèrent des pauvres valides, pendant que les femmes prendraient soin des malades. Folleville, où les missions, vit aussi la première confrérie d’hommes, véritable origine de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, qui n’eut qu’à retrouver les règlements donnés par son saint patron à l’association de Folleville pour se reconnaître. Tant il est vrai, comme on l’a dit, qu’il n’est peut-être pas une seule œuvre de charité, en ce temps-ci, qui ne remonte à saint Vincent comme à son auteur et à sa source ! Les deux associations d’hommes et de femmes, quoique séparées, étaient faites pour aller ensemble ; quelquefois elles sont réunies dans la même administration, mais le ministère reste divisé entre les pauvres valides et les pauvres malades. Vincent de Paul étendit la confrérie au patronage des jeunes apprentis ; on les réunissait pour les faire travailler, dans une manufacture, sous la direction d’un ecclésiastique et la conduite d’un maître ouvrier.
Des villages, les confréries de la Charité que Vincent y avait d’abord établies par une sollicitude particulière pour la misère plus abandonnée des champs, se répandirent dans les villes, à la demande de plusieurs dames de qualité qui en avaient apprécié le bienfait durant leur villégiature. De proche en proche, l’institution si secourable aux pauvres gagna tout le royaume. Du vivant même du fondateur elle avait passé de France en Lorraine, en Savoie, en Italie, en Pologne, partout où les enfants de Vincent de Paul étaient allés évangéliser les pauvres.
En reprenant cette condition d’aumônier et de précepteur qui offrait un si vaste champ à son zèle par le nombre de villages et de vassaux sur lesquels régnait la puissante maison de Gondi, Vincent de Paul avait repris aussi ses chères missions rurales. Désormais les deux œuvres de la mission et de la confrérie, si bien unies l’une à l’autre, marchèrent ensemble. Évangéliser et secourir les pauvres, c’était toute la vie de Vincent de Paul. Ses disciples rendirent son cœur présent partout, en propageant son action là où il ne pouvait aller. Par ce double ministère de l’enseignement et de l’assistance, le bien de l’âme et le bien du corps s’opéraient ensemble. La mission avait pour complément la confrérie, et ainsi la France, l’Europe elle-même, virent ce nouvel apostolat de la charité qui apportait au pauvre le pain avec la parole de Dieu. « Chose prodigieuse ! dit le dernier historien de saint Vincent de Paul, toutes ces confréries subsistèrent non seulement pendant la vie du saint, mais après lui et jusqu’à la Révolution, en sorte qu’on ne saurait calculer la multitude de pauvres qui, dans toute l’Europe et même dans les missions d’outre-mer, durent à leur charitable industrie le bien de leur corps et de leur âme. Aucune pourtant n’eut jamais d’autre fonds que le fond, inépuisable, il est vrai, de la Providence divine. Une quête générale dans la paroisse au jour du premier établissement, quelques meubles, un peu de linge, recueillis à la même occasion, en formaient le principal ; les quêtes des dimanches et des fêtes, Dieu plutôt et la charité des fidèles, faisaient le reste ; et cela avec tant de sûreté et d’abondance que jamais les malades ne manquèrent du nécessaire. »
Avec les ressources qu’il trouvait dans la maison de Gondi, Vincent de Paul avait déjà pu jeter les fondements de deux grandes œuvres. La suzeraineté de cette illustre famille, étendue à plusieurs provinces, lui créait une juridiction de charité qu’il exerçait, à l’aide de quelques prêtres et religieux, dans les diocèses de Paris, de Beauvais, de Soissons, de Sens et de Chartres. Madame de Gondi, quoique faible et souvent infirme, le secondait avec un zèle admirable ; elle lui préparait la voie par ses bienfaits, et achevait son œuvre en revenant après lui. Plus Vincent de Paul voyait les nécessités des pauvres gens de la campagne, plus il redoublait d’ardeur pour les travaux de la mission. À Montmirail, un hérétique dont il cherchait la conversion lui avait répondu : « Vous m’avez dit que l’Église de Rome est conduite du Saint-Esprit, mais c’est ce que je ne puis croire, parce que, d’un côté, l’on voit les catholiques de la campagne abandonnés à des pasteurs vicieux et ignorants, sans être instruits de leurs devoirs, sans que la plupart sachent seulement ce que c’est que la religion chrétienne ; et, d’un autre, l’on voit les villes pleines de prêtres et de moines qui ne font rien, et peut-être que dans Paris il s’en trouverait dix mille qui laissent cependant ces pauvres gens des champs dans leur ignorance épouvantable par laquelle ils se perdent. Et vous voudriez me persuader que cela soit conduit du Saint-Esprit ! Je ne le croirai jamais. » Vincent lui montra qu’il exagérait le mal par l’ignorance du bien ; mais en même temps il sentit la force de l’objection, et faisant appel au dévouement de plusieurs prêtres, il se mit avec un nouveau zèle à évangéliser, à leur tête, les bourgs et les villages. Montmirail et toutes les paroisses voisines reçurent leurs prédications. Le peuple revenait en foule à la foi. L’hérétique y vint aussi : « C’est maintenant, dit-il à l’apôtre de Dieu, que je vois que le Saint-Esprit conduit l’Église romaine, puisqu’on y prend soin de l’instruction et du salut des pauvres villageois ; et je suis prêt à y entrer quand il vous plaira de m’y recevoir. »
Dès ce moment-là, l’institut de la Mission fut conçu dans l’esprit du saint. L’objection de l’hérétique et sa conversion soudaine lui firent comprendre la nécessité d’une congrégation spécialement vouée à l’apostolat des campagnes. Lui-même rattachait sa fondation à ce souvenir.
« Oh ! messieurs, disait-il à ses prêtres pour leur faire mieux comprendre leur vocation, quel bonheur à nous missionnaires de vérifier la conduite du Saint-Esprit sur son Église, en travaillant, comme nous faisons, à l’instruction et sanctification des pauvres ! » Quatre ans se passèrent avant que Vincent de Paul fût amené à fonder la congrégation des prêtres de la Mission.
Le saint allait d’une occupation à l’autre avec un zèle toujours nouveau. En rentrant à Paris, il retrouvait les malades des hôpitaux, les malheureux de la rue, les pauvres honteux, cachés dans des grabats, et pour se délasser des travaux de la campagne, il les visitait et les consolait. Avec les missions, la charge de M. de Gondi lui créa bientôt un nouveau ministère. Son grand cœur le portait vers toutes les misères ; il voulut voir les criminels placés sous l’autorité du général des galères.
Les horreurs des cachots de la Conciergerie l’émurent de compassion. Là on enfermait les condamnés avant de les envoyer dans les ports de mer. Ils y croupissaient quelquefois longtemps, mangés de vermine, exténués de langueur et de souffrance, et entièrement négligés pour le corps et pour l’âme. Ces prisons étaient un enfer plein de désespoirs et de blasphèmes. Vincent de Paul donna avis de cette misère au général de Gondi en lui représentant que ces malheureux forçats lui appartenaient, et qu’en attendant qu’on les menât sur les galères, il était de sa charité d’en faire prendre quelque soin. Avec son aide, Vincent, toujours ingénieux à subvenir aux besoins qui se présentaient à lui, loue et fait disposer promptement une grande maison du faubourg Saint-Honoré propre à les recevoir. Il devient tout à la fois l’ami et l’intendant des forçats ; il adoucit leur condition, pourvoit à leurs nécessités, il les instruit, les console, et fait de ces criminels des hommes repentants et dociles. Tout Paris s’entretenait de ce merveilleux changement. Vincent de Paul, toujours modeste, toujours bon, ne s’était occupé que de pourvoir à un besoin immédiat ; mais encore une fois, cet acte de charité envers les misérables rebuts de la société devint une œuvre. L’archevêque de Paris, Henri de Gondi, s’y était intéressé non seulement comme à une entreprise d’humanité et de religion, mais comme à une affaire de famille. Le général des galères, trouvant l’essai heureux, voulut l’appliquer à tous les bagnes. Louis XIII, roi chrétien, zélé pour les choses de la religion, en établissant Vincent de Paul aumônier général de toutes les galères de France, mit sous sa juridiction toute cette population réprouvée que sa tendresse avait acquise.
Presque en même temps, un autre honneur tout différent vint le trouver. À la fin de l’année précédente, 1618, François de Sales, avec le président Favre, avait accompagné en ambassade à Paris le cardinal de Savoie, qui venait demander la main de la princesse Christine de Suède pour son frère aîné, le prince de Piémont, héritier du duché de Savoie. L’Oratoire, dont Vincent de Paul était resté en quelque sorte le disciple par son attachement au P. de Bérulle, mit en rapport l’humble prêtre avec le saint évêque de Genève. Ce siècle incomparable pouvait produire de pareilles rencontres d’hommes ! Avec le haut discernement des âmes qu’ils avaient l’un et l’autre, ils se connurent en se voyant. François de Sales aussi était un grand apôtre, un grand bienfaiteur des peuples. Ses missions dans le Chablais étaient célèbres. Comme Vincent de Paul, il soulageait les malheureux, en même temps qu’il prêchait les ignorants. Il avait une prédilection pour les pauvres, les petits, les délaissés ; il prenait soin des prisonniers et recherchait les pécheurs. Sa charité égalait son savoir. Le docteur de l’Église était aussi le père des pauvres. L’expression de pureté angélique et d’inaltérable douceur répandue sur le noble visage de François de Sales charmait tous ceux que sa renommée amenait auprès de lui. De tous les personnages éminents en piété et en savoir qui recherchaient l’évêque de Genève, nul ne se sentit plus attiré vers lui que son émule en sainteté et en œuvres, l’humble et grand Vincent de Paul. Tout en admiration devant l’auguste pontife, il disait que sa douceur, sa modestie, sa majesté lui retraçaient vivement l’image du Fils de Dieu conversant parmi les hommes, et qu’il ne connaissait personne qui fût aussi capable de gagner à Dieu tous les cœurs. François de Sales, de son côté, vénérait en lui le plus saint et le plus charitable des prêtres, et il publiait qu’il n’en voyait aucun qui possédât au même degré la religion, la prudence et les talents nécessaires pour diriger les âmes dans les voies de la plus haute perfection.
Il y avait déjà huit ans que le doux évêque de Genève avait fondé merveilleusement avec madame de Chantal l’ordre des religieuses de la Visitation, qui s’élevait dans l’Église comme une plante de délicieuse odeur, et qui commençait à embaumer le monde de ses vertus. La révérende mère de Chantal venait même d’établir avec beaucoup de peine une maison de l’ordre à Paris. Dans cette demeure de paix et de sainte ferveur, des veuves, des jeunes filles, doucement attirées par les parfums du cloître, étaient venues en grand nombre vouer à Dieu leur vie. À ces nouvelles épouses de Jésus-Christ il fallait un gardien pour prendre soin de leur vertu, un pieux directeur pour les entretenir dans le premier esprit et dans l’observance des règles de leur sainte communauté. Leur bienheureux père le voulait « homme de grande vertu et de grande charité, et parfait en un si haut point qu’il fût capable de perfectionner les âmes que Dieu appelait à la plus haute perfection. » À quel autre que Vincent de Paul eût-il pu songer d’abord ? Ce fut lui que François de Sales choisit entre tous pour sa chère congrégation naissante. Mais ce choix n’effraya pas moins l’humilité de Vincent de Paul qu’il honorait sa sainteté. Il se refusa d’abord à accepter la direction de ces âmes d’élite, les estimant trop parfaites pour lui, et il fallut les instances du saint évêque de Genève et l’ordre exprès de l’archevêque de Paris pour l’y décider.
Avec un tel père spirituel, les filles de saint François de Sales n’avaient plus rien à envier à leurs sœurs carmélites, placées depuis quelques années sous la conduite du P. de Bérulle. Une sainte émulation de vertus allait s’établir entre les deux maisons du Carmel et de la Visitation. Il y avait plus de force, plus d’énergie dans l’une, plus de douceur et d’amabilité dans l’autre. Chacune avait son attrait. Les femmes du plus grand monde, les filles de la plus haute naissance recherchaient à l’envi, celles-ci les saintes austérités du Carmel, celles-là la tendre dévotion de la Visitation. Le monde se précipitait dans le cloître. Entre eux il s’établissait un admirable échange de vocation et de prières. Ce que le cloître prenait au monde de généreux sang, de noblesse, de beauté, il le lui rendait en vertus et en exemples. Dans cette communication de l’un à l’autre est la véritable cause des grandeurs du dix-septième siècle. Les deux sociétés, en se pénétrant, établissaient comme une haute moyenne de vertus, d’où dérivaient le bon sens, l’énergie des caractères, la noblesse de l’esprit, la force et la beauté de la race. Ces nouvelles sources de prière et de mortification ouvertes sur le monde furent un des plus féconds aliments du génie de ces beaux temps. La politique, la littérature, les arts, l’esprit général, tout procède du cloître à cette époque. Les femmes admirables suscitées de Dieu à côté des François de Sales, des Bérulle et des Vincent de Paul, pour restaurer la vie religieuse en France, et dont l’histoire profane sait à peine les noms, ont été les vraies fondatrices des gloires du siècle de Louis XIV ; en elles il faut saluer le génie des Richelieu, des Bossuet, des Fénelon et des Racine, l’art des Philippe de Champaigne et des Lesueur, la grâce d’une Sévigné, la raison aimable d’une Maintenon, la politesse d’une société élégante et spirituelle, la politique chrétienne de Louis XIII et de Marie de Médicis, d’Anne d’Autriche et de Louis XIV. Il y eut dans le grand siècle un génie, un art, un gouvernement chrétiens, parce que la société touchait alors par ses sommets à un monde supérieur de prières et de pénitence qui l’inspirait et la vivifiait de toutes parts.
Pour Vincent de Paul, placé à la tête des religieuses de la Visitation par le choix de leur vénéré fondateur, il ne vit dans cet honneur qu’un nouveau fardeau pour sa conscience. Lui, si saint déjà et si mortifié, il redoubla de ferveur et d’austérités. « Depuis longtemps, dit un de ses historiens, il avait coutume de porter un rude cilice, de se ceindre les reins de chaînes de fer armées de pointes, de dormir peu et toujours sur la paille, de se donner la discipline jusqu’au sang, d’être de la plus extrême sobriété ; il augmenta ses jeûnes, ses veilles, ses macérations, et se réduisit en toutes choses au plus strict nécessaire. » Du saint évêque de Genève, il emprunta la douceur incomparable. Se trouvant, en comparaison de lui, un certain air de rudesse, dernier vestige d’une nature portée à la colère, il pria instamment le Seigneur Jésus de lui changer cette humeur sèche et de lui donner un esprit doux et bénin. La prière que son humilité lui faisait adresser à Dieu fut si bien exaucée, si elle avait encore besoin de l’être en quelque chose, que sa douceur et son affabilité devinrent aussi célèbres que sa charité. De lui aussi on a dit, ce qu’il disait de saint François de Sales : qu’il était difficile de trouver un homme dont la vertu s’annonçât sous des traits plus aimables, et qui fut plus capable de gagner à Dieu tous les cœurs jusqu’à la foi.
Toute sa vie, Vincent de Paul resta supérieur de la nouvelle communauté de Paris, qu’il dirigea pendant ces trente-huit ans dans les voies de la perfection, étant lui-même l’exemple le plus parfait de la vie religieuse. Saint François de Sales avait pu mourir en paix, peu de temps après avoir légué à ses filles bien-aimées en Jésus-Christ un guide aussi doux et aussi sage que lui. Dans le même temps que Vincent était chargé par le grand évêque de Genève de la direction des Dames de la Visitation, il recevait du supérieur général des Minimes, en considération de son insigne piété et des services qu’il avait rendus aux enfants de Saint-François-de-Paule, des lettres d’association, lui donnant part à toutes les prières et bonnes œuvres de l’ordre.
Supérieur des Visitandines, aumônier général des galères, le saint embrassait dans son ministère les deux extrêmes du bien et du mal ; par un étrange contraste, il avait à la fois sous sa juridiction l’élite des âmes et le rebut de la société. Une charge ne lui fit pas négliger l’autre, et les deux ne l’empêchèrent pas de vaquer à ses travaux auprès des pauvres de la campagne et de la ville. Personne n’eut plus que lui de charges et d’occupations, et personne ne sut faire plus de choses. On a fait remarquer avec raison que la manière dont il savait régler l’emploi de son temps est une des merveilles les plus grandes de sa merveilleuse existence.
Dès qu’il fut assez libre de ses autres occupations, l’aumônier réal des galères s’empressa de quitter Paris pour visiter les malheureux commis à son infatigable charité. Vers le mois de juillet 1622, il arrivait à Marseille ; les galériens s’y trouvaient alors réunis en plus grand nombre qu’ailleurs. Dix-sept ans auparavant, cette ville avait été pour Vincent de Paul l’occasion d’une dure captivité en Barbarie ; il y trouva, cette fois, une captivité volontaire. Pour mieux connaître par lui-même les nécessités de ces misérables forçats, et afin de se dérober aux honneurs, il était venu sans révéler sa qualité et il visitait les galères, selon la coutume chrétienne de ces temps, comme un étranger ordinaire. Ce que son cœur ressentit à la vue de tant d’abjection et de souffrance, il l’a raconté lui-même à un prêtre de sa congrégation qui, par excès de zèle, usait envers les paysans, dans ses prédications, de paroles trop rudes, pour lui montrer que, s’il voulait réussir auprès des pauvres gens, il devait agir et parler avec l’esprit de douceur qui est le véritable esprit de Jésus-Christ. « Je vis en arrivant, dit-il, un spectacle, le plus pitoyable qu’on puisse s’imaginer, des criminels doublement misérables, plus chargés du poids insupportable de leurs péchés que de la pesanteur de leurs chaînes, accablés de misères et de peines, qui leur ôtaient le soin et la pensée de leur salut et les portaient incessamment au blasphème et au désespoir. C’était une vraie image de l’enfer, où l’on n’entendait parler de Dieu que pour le renier et déshonorer, et où la mauvaise disposition de ces misérables enchaînés rendait toutes leurs souffrances inutiles et sans fruits. Étant donc touché d’un sentiment de compassion envers ces pauvres forçats, je me mis en devoir de les consoler et assister le mieux qu’il me fut possible, et surtout j’employai tout ce que la charité put me suggérer pour adoucir leurs esprits et les rendre par ce moyen susceptibles du bien que je désirais procurer à leurs âmes ; j’écoutais leurs plaintes avec patience, je compatissais à leurs peines, j’embrassais leurs fers, pour les rendre plus légers, je m’employais autant que je pouvais par prières et remontrances envers les comites et autres officiers, à ce qu’ils fussent traités plus humainement, m’insinuant ainsi dans leurs cœurs pour les gagner plus facilement à Dieu. »
Dans une de ses visites, l’aumônier remarqua un forçat encore jeune, qu’on venait d’amener à la galère. L’infortuné se livrait au plus violent désespoir, à la pensée de la misère et de la honte dans laquelle il laissait sa femme et ses enfants. Vincent apprend de lui qu’il est plus malheureux que coupable ; ému de compassion, il pleure sur sa captivité, baise tendrement ses chaînes et l’exhorte à la patience. Le désespoir du condamné redoublait. Vincent ayant donné tout son cœur et toutes ses larmes au malheureux, n’avait plus rien à donner que lui-même. Il n’hésite pas ; sans être vu, il détache les fers du galérien, se met à sa place et le renvoie en liberté. « Le voilà donc, s’écrie Maury dans son panégyrique du saint, confondu avec les forçats, chargé de chaînes, une rame à là main, sous les dehors humiliants d’une victime des lois, victime de la charité ! Qu’il est grand, qu’il est auguste dans son abjection ! — Fers honorables, sacrés trophées de la charité, que n’êtes-vous suspendus aux voûtes de ce temple, comme l’un des plus beaux monuments de la gloire du christianisme ! Vous orneriez dignement les autels de Vincent de Paul, en rappelant à la société les citoyens que lui donne la religion de Jésus-Christ ; et la vue de ces chaînes justement révérées comme un objet de culte public, aiderait, de siècle en siècle, notre ministère à lui en former encore de pareils. »
Cet incomparable héroïsme n’était pourtant pas nouveau. « Nous en connaissons plusieurs parmi vous, écrivait le pape saint Clément, qui se sont mis dans les fers pour racheter leurs frères, qui se sont livrés à la servitude pour les nourrir du prix de leur liberté. » Un peu plus tard, saint Paulin de Nole s’était vendu pour racheter de la servitude le fils d’une pauvre veuve. Dans l’ordre de la Merci pour la rédemption des captifs, aux trois vœux ordinaires de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, il s’en ajoutait un quatrième par lequel les frères s’obligeaient à engager jusqu’à leur personne pour la délivrance des esclaves chrétiens. Imitateur de ces magnanimes exemples, Vincent de Paul devenait lui-même un nouveau modèle de l’héroïsme de la charité.
Quoique le gardien retrouvât son compte à cette pieuse substitution, le nouveau galérien ne tarda pas à être reconnu. La fraude était trop admirable pour être reprochée à son auteur et pour que le libéré n’en reçût pas sa grâce. Rendu à ses fonctions, l’aumônier général des galères s’employa avec plus d’autorité au soulagement corporel et spirituel des forçats. Il fit cesser les mauvais traitements qu’on ajoutait à leur supplice, et adoucit, autant qu’il était en son pouvoir, une si dure condition. Aidé par les aumôniers ordinaires, il s’appliquait surtout à inspirer la foi à ces coupables, afin d’alléger leur malheur par la résignation chrétienne. Ayant gagné leurs cœurs à force de tendresse et de dévouement, il les ramena si bien à la religion qu’en peu de temps le bagne de Marseille, comme les cachots de la Conciergerie, devint un lieu d’édification.
Tout entier à chacune des œuvres auxquelles il plaisait à la Providence de l’appliquer, Vincent de Paul ne songeait qu’à poursuivre sa mission auprès des forçats ; mais le transfert des galères l’obligea à revenir à Paris avec le général de Gondi. En route, s’étant arrêté à Mâcon, il trouva la ville remplie d’affreux mendiants, abrutis par l’ivrognerie et la débauche, et aussi ignorants de la religion que dénués de moyens d’existence. Leur nombre inquiétait les habitants, car on n’osait les réprimer dans la crainte d’une sédition. Vincent eut compassion d’eux, et il entreprit d’apporter quelque remède à leur état. « Comme vrai imitateur du bon Samaritain, dit son premier historien, considérant tous ces pauvres comme autant de voyageurs qui avaient été dépouillés et dangereusement navrés par les ennemis de leur salut, il se résolut, au lieu de passer outre, de demeurer quelques jours à Mâcon pour essayer de bander leurs plaies, et leur donner ou procurer quelque assistance. » Personne ne croyait possible de mettre ordre à ce vagabondage. Quand on connut le projet de l’étranger, et qu’on le vit aux prises avec cette troupe déguenillée, chacun le montrait au doigt par les rues, croyant qu’il n’en pourrait jamais venir à bout. Vincent alla trouver d’abord l’évêque et les magistrats de Mâcon, et leur demanda leur assentiment pour un projet de règlement qui divisait les pauvres de la ville en deux classes, les mendiants et les honteux, et pourvoyait à l’assistance des uns et des autres. Les mendiants devaient s’assembler tous les dimanches à l’église pour y entendre la messe et l’instruction, après quoi ils recevaient de l’argent, du pain, des vêtements, du bois en raison de leurs besoins. Défense leur était faite de mendier dans la semaine, sous peine d’être rayés de la liste des distributions. Les pauvres honteux étaient secourus à domicile. Quant aux passants, ils trouvaient un gîte pour la nuit, et le lendemain on les renvoyait avec quelque argent.
Pour la pratique de ce règlement, Vincent établit, à l’imitation des confréries de la Charité, deux associations, l’une d’hommes, l’autre de femmes, chacune pour les pauvres de son sexe, en assignant à leurs membres différents emplois, selon leur aptitude et leur condition. Les uns étaient chargés exclusivement des malades, les autres des valides ; ceux-ci devaient instruire et conseiller les indigents, ceux-là avaient pour tâche de rechercher les pauvres honteux. À l’instigation de Vincent, l’évêque, le doyen de la cathédrale, les principaux fonctionnaires ecclésiastiques et civils, les premières dames de la ville et un grand nombre de bourgeois se mirent de l’association. Les membres des deux confréries s’engageaient à se réunir une fois par semaine pour les affaires de l’œuvre, à visiter deux fois les pauvres honteux du quartier, principalement les malades, à pourvoir à leurs besoins spirituels et temporels, et, en cas de mort, à leur sépulture. Le saint étranger avait si bien parlé des avantages de la nouvelle institution pour la ville, et de la facilité de subvenir aux dépenses de la charité en retranchant du superflu de chaque jour, que tous les habitants s’empressèrent d’y contribuer. Les dons de chacun formèrent le premier fonds de l’association ; les collectes hebdomadaires des membres des deux confréries devaient assurer le fonctionnement de l’œuvre. En moins de trois semaines le plan de Vincent de Paul avait reçu son exécution. L’aspect de la ville était changé. Plus de mendiants dans les rues ; trois cents pauvres étaient logés, nourris, visités, instruits et consolés par la charité publique.
Son œuvre faite, Vincent se disposa à partir. Dès que son intention fut connue, les larmes universelles, les témoignages d’estime les plus empressés déterminèrent le saint à partir secrètement pour échapper à une ovation publique de reconnaissance et d’admiration. Ce fut alors qu’on apprit, au milieu des sanglots du départ, que ce père des pauvres, ce bienfaiteur de la ville, couchait lui-même sur la paille. Les pères oratoriens, dont il était l’hôte à Mâcon, avaient surpris son secret.
L’admirable fécondité des œuvres de saint Vincent de Paul est le signe providentiel de sa mission. L’acte de charité accompli, pour ainsi dire en passant, à Mâcon, fructifie merveilleusement. L’effet s’en étend bientôt au loin, et moins d’un demi-siècle après, l’assemblée du clergé de France exhortait tous les évêques du royaume à établir dans leurs diocèses des confréries sur le plan de celle de Mâcon. En Vincent de Paul la charité n’était pas moins ingénieuse qu’ardente. L’esprit pratique du saint servait merveilleusement son cœur ; avec un zèle incomparable pour la gloire de Dieu et le bien du prochain, il avait un rare génie d’organisation qui a assuré la durée et le développement de toutes ses entreprises.
À peine Vincent de Paul était-il de retour à Paris, qu’il partait pour Bordeaux où un grand nombre de galères se trouvaient réunies à l’occasion de la guerre contre les calvinistes. La paix de Montpellier lui était une occasion favorable de reprendre les missions commencées à Marseille. Avec l’appui du cardinal de Sourdis, que sa piété, sa charité et son zèle pour l’Église faisaient comparer à saint Charles Borromée, le fruit en fut aussi merveilleux que la première fois.
Dans cette capitale de la Guyenne, Vincent de Paul n’était pas loin de son pays natal. À Pouy vivait encore sa vieille mère avec ses frères et ses sœurs, qu’il n’avait pas revus depuis vingt-quatre ans. Vincent se défiait de son cœur ; il savait que les œuvres de Dieu sont incompatibles avec les attaches de famille. Le parfait disciple de l’Évangile n’a plus ni père ni mère ; mais tous les hommes sont ses frères en Jésus-Christ, et il se doit tout à tous. Cependant Vincent se décida à visiter sa famille. Qui pouvait mieux que ce grand cœur accorder la nature avec l’Évangile ? Il revoit les siens, mais pour les fortifier dans la foi, et leur faire aimer leur humble condition. Fils, il donne des baisers à sa mère ; prêtre, il va à l’église du village renouveler les promesses de son baptême ; puis, accompagné de tous ses proches, il se rend en pèlerinage à la petite chapelle de Notre-Dame de Buglose où, jeune pâtre, il allait si souvent prier. Il y célèbre une messe solennelle, à l’édification de tout le pays, et après un modeste repas, qui réunit une dernière fois sa famille, il la bénit en lui recommandant de ne pas sortir de l’état modeste dans lequel la Providence l’avait placée. Plus tard, il répondra à toutes les sollicitations qu’on lui adressera en faveur des siens : « Ils sont heureux dans leur condition de laboureurs, une des plus innocentes et des plus commodes pour le salut. »
Au départ, la nature reprit le dessus. Longtemps après il disait à ses frères en religion : « Le jour que je partis, j’eus tant de peine à quitter mes pauvres parents, que je ne fis que pleurer tout le long du chemin, et pleurer quasi sans cesse. À ces larmes succéda la pensée de les aider et de les mettre en meilleur état ; de donner à tel ceci, à tel cela. Mon esprit attendri leur partageait ainsi ce que j’avais et ce que je n’avais pas. » Pendant trois mois, il fut préoccupé du désir d’avancer ses frères et ses sœurs ; mais « Dieu, continuait le saint, m’ôta ces tendresses pour mes parents ; et quoiqu’ils aient été depuis à l’aumône et le soient encore, il m’a fait la grâce de les commettre à sa Providence et de les estimer plus heureux que s’ils avaient été bien accommodés… Prions Dieu pour nos parents, et si nous les pouvons servir en charité, faisons-le ; mais tenons ferme contre la nature, qui, ayant toujours son inclination de ce côté-là, nous détournera, si elle peut, de l’école de Jésus-Christ. »
Il fallait que Vincent de Paul, qui avait déjà renoncé à tout et à lui-même, se détachât encore de sa famille pour être le parfait serviteur de Jésus-Christ et de ses frères. Son voyage au pays natal lui fut l’occasion de ce suprême renoncement, le plus pénible à la nature. Désormais, libre de tout attachement, n’ayant plus ni famille ni pays selon la nature, mais embrassant tous les hommes dans son cœur et dans ses travaux, le grand laboureur du champ de la charité a mis la main à la charrue et, selon le conseil de l’Évangile, il ne retournera plus la tête.