Prophétisme du charisme vincentien a la lumière de la Doctrine Sociale de l’Église (7)

Francisco Javier Fernández ChentoFormation VincentienneLeave a Comment

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Author: María Pilar López, H.C. · Translator: Yasmine Cajuste Cean. · Year of first publication: 2009.
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7.- SAINT VINCENT ET LA PROMOTION

Nous lisons dans le Compendium de la DSE :

« On doit regarder les pauvres non comme un problème, mais comme ceux qui peuvent arriver à être sujets et protagonistes d’un futur nouveau et plus humain pour tout le monde ». [1]

La perspective de Saint Vincent de Paul est que les pauvres peuvent se faire responsables et acteurs de leur propre promotion. Nous percevons en Saint Vincent une double dimension : une réponse immédiate, on donne la nourriture et les soins, on fournit un toit ; et l’action sur les structures, l’action politique parce que, s’il faut lutter contre la pauvreté pour l’enrayer, il faut en même temps lutter contre ses causes pour la supprimer. Entrons un peu plus en ce thème.

L’aide directe ne peut s’envisager comme une fin en soi ni comme une activité isolée, mais comme un moyen pour réveiller chez les intéressés le désir d’avancer dans leur promotion personnelle et dans l’amélioration de leur situation, à moyen ou à long terme.

Et tout cela, à partir d’attitudes profondes en chacun de nous :

  • La considération du fait que chaque personne sans exception est sujet de droits et de devoirs.
  • La confiance réelle en la capacité de chacun de s’améliorer et de progresser.

Frères et Sœurs, nous devons croire dans les personnes”. Je suis fermement convaincue que c’est une question de vie ou de mort car de cela dépend l’avenir des personnes avec lesquelles nous travaillons, et en disant cela, je me réfère aussi bien aux pauvres qui nous sont confiés qu’à nos collaborateurs, car ils adopteront difficilement cette attitude s’ils ne la voient d’abord en nous, fils et filles de Vincent de Paul.

Le premier critère pour croire dans les personnes est un regard de foi.

J’utiliserai le n° 10 des Constitutions des Filles de la Charité pour insister sur ce que nous sommes en train de traiter : Il dit ceci :

« Les sœurs contemplent et rejoignent le Christ dans le cœur et la vie des pauvres où sa grâce est toujours à l’œuvre pour les sanctifier et les sauver. Elles ont le souci primordial de leur faire connaître Dieu, d’annoncer l’Evangile et de rendre présent le Royaume. Dans un regard de foi, elles voient le Christ dans les Pauvres et les Pauvres dans le Christ »[2].

Arrivées à ce point, vous me permettrez de vous inviter à une question que je me suis faite souvent, surtout dans les situations d’impuissance et devant des réalités de pauvres qui m’ont dépassée :

Suis-je convaincue, en vérité, que dans ces personnes si défigurées, la grâce du Seigneur ne cesse d’agir pour les sanctifier et les sauver ? … Nous devons avoir très présents en nous que la première et meilleure ressource d’une personne est elle-même avec ses capacités, même si elles semblent latentes.

Nous rencontrons la même idée dans les Ecritures, quand l’Apôtre Paul dit aux Ephésiens :

« A Celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à Lui la gloire dans l’Eglise et en Jésus Christ, pour toutes les générations »[3].

A partir de cette vision de la personne humaine, il est impossible de tomber dans les stéréotypes et d’étiqueter les personnes. Des expressions comme “tous sont égaux”, “on ne peut rien faire ”, “il/elle ne veut pas changer”, ne peuvent sortir du cœur d’un fis de Saint Vincent de Paul et j’ajouterai, du cœur d’un chrétien. Si cela m’arrive, je dois m’arrêter et réfléchir ; il se peut qu’avec cette attitude, je nie mon incapacité à agir, en prévoyant l’échec de mon intervention et définissant un projet concret pour cette personne que le Seigneur m’a confiée.

Autre détail à considérer c’est si en vérité nous avons foi dans les personnes. Nous pouvons croire que nous avons une parfaite connaissance du problème de chaque personne et parfois la solution nous apparaît clairement. Admettons que nous comprenions toute la situation et en outre que notre solution soit valable pour lui ou pour elle. Ceci est faux parce que d’entrée nous ne pouvons pas nous situer dans son expérience vitale. Ce qui intéresse la personne lorsqu’elle s’approche de nous, c’est de trouver quelqu’un qui l’accompagne et la soutienne et non quelqu’un qui lui demande de changer. Aider la personne à prendre conscience de sa propre réalité ainsi que des étapes pour la dépasser est une tâche lente qui doit partir du respect de la volonté de chacun à s’organiser comme il l’entend. En ce sens, il ne s’agit pas tant de “résoudre les problèmes” que “d’accompagner le processus”.

Revenons à Saint Vincent. Nous sommes fils et filles d’un père qui fut le premier à organiser la Charité et il le fit avec une finalité très concrète : ne pas doubler les efforts et obtenir un meilleur service pour ces personnes souffrantes. Je me réfère à ce qui est arrivé à Châtillon en 1617 et à sa première Fondation. L’aspect de l’action de Saint Vincent à Châtillon à laquelle nous ne prêtons pas trop attention est peut-être celui-ci : il parvient à susciter une intervention sur les problèmes spécifiques d’un groupe et il le fait à partir du milieu et en son sein, là où les problèmes surviennent, et pour cela il mobilise les actions de la communauté elle-même. Dans le champ du travail social, c’est ce qu’on appelle « développement communautaire ».

Etudier avec profondeur ce qu’a vécu Saint Vincent à Mâcon apporte beaucoup de lumière. Nous avons une lettre de Saint Vincent à Saint Louise dans laquelle il lui explique ce qui est arrivé à Mâcon en l’an 1620. Coste inclut une note, citant Abelly, et il signale qu’il « y avait du bien à faire, il s’arrêta. Les hommes et les femmes de la classe aisée, répondent à son appel, s’associèrent en deux confréries distinctes. Aux premiers il confia l’assistance des pauvres ; aux seconds le soin des malades. L’évêque, les chanoines, le lieutenant général le secondèrent de leur mieux. Un règlement fut fait et appliqué »[4]. Une fois de plus, il engage toutes les forces vives de la cité.

Nous avons la chance de posséder plusieurs textes qui font référence au dit Règlement et le Règlement lui-même[5]. Je vais me limiter à deux articles dans lesquels nous voyons un Monsieur Vincent quelque peu distinct de l’image que nous avons parfois imaginée. Il dit dans le Règlement de la Charité de Mâcon :

« Que tous ceux qu’on trouverait mendier pendant la semaine dans les rues et dans les églises, ou dont les dames se seraient plaintes, n’auraient rien le dimanche suivant ».

« Qu’enfin l’assemblée ne voulant pas fomenter la paresse des pauvres valides, ni de leur famille, on ne leur donnerait que ce qui serait nécessaire pour suppléer aux modiques salaires de leurs travaux »[6].

Saint Vincent complète toujours l’“action d’assistance” avec l’“action promotionnelle” et cherche tous les moyens possibles pour que le pauvre prenne conscience de sa situation, de ses droits, de ses possibilités et puisse arriver à être le protagoniste de son propre développement intégral. En 1651, il écrit au supérieur de Sedan :

« …n’assister que seulement ceux qui ne peuvent travailler, ni chercher leur vie et qui seraient en danger de mourir de faim, si on ne les assistait pas. En effet, dès que quelqu’un a suffisamment de forces pour s’occuper, on lui achète quelques outils conformes à sa profession et on ne lui donne plus rien. Les aumônes ne sont pas pour ceux qui sont capables de travailler aux fortifications ou faire autre chose, mais pour les pauvres malades languissants, pauvres orphelins ou vieilles gens »[7].

En 1659, il écrit au frère Juan Parre, qui parcourt la Picardie et la Champagne, prenant note des nécessités des pauvres et leur cherchant remède :

« On voudrait faire aussi que tous les autres pauvres gens qui n’ont pas de terre gagnassent leur vie, aussi bien les hommes que les femmes, en donnant aux hommes quelques outils pour travailler et aux filles et femmes des rouets, et de la filasse ou de la laine pour filer, et cela aux plus pauvres seulement » [8].

Pardonnez-moi de faire à nouveau référence à nos Constitutions ; je connais peu celles de la Congrégation. Quand elles traitent le thème de la promotion, apparaît la référence à l’Encyclique “Populorum Progressio” au n° 14 :

« Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique : Pour être authentique, le développement doit être intégral, c’est-à-dire, doit promouvoir tous les hommes et tout l’homme »[9].

Dans les Constitutions provisoires de 1975 et dans celles de 1983, on nous parle d’une “inquiétude constante pour tout l’homme”. Dans une formulation plus élaborée prenant en compte la pensée actuelle, les présentes Constitutions nous disent :

« Dans le souci constant d’une promotion plénière de la personne, la Compagnie ne sépare pas le service corporel du service spirituel, l’œuvre d’humanisation de l’œuvre d’évangélisation »[10].

Pour “Evangelium Nuntiandi” l’évangélisation ne se réduit pas à la promotion humaine, mais toute la tradition vincentienne nous dit qu’elle l’inclut nécessairemen et exprime en même temps un refus de la séparation rigide entre évangélisation et promotion humaine que quelques-uns défendent encore aujourd’hui.

Maintenant il serait possible de relier la praxis de Saint Vincent à d’autres aspects de la DSE : “Saint Vincent et les réfugiés” pour rappeler tout ce qu’il souffrit et organisa en faveur des multitudes qui arrivaient sur Paris fuyant la guerre ; “Saint Vincent et le travail” ; “Saint Vincent et l’analyse de la réalité” ; “Saint Vincent et le travail en réseau”, “Saint Vincent et l’inculturation”, mais arrêtons-nous là.

Sœur Suzanne Guillemin, supérieure générale de 1962 à 1968, disait aux sœurs Servantes en 1963 :

« Nous ne connaissons pas suffisamment Saint Vincent de Paul et Sainte Louise de Marillac. Nous nous imaginons les connaître parce que nous avons lu leurs vies, que nous les lisons tous les ans, mais nous ne les connaissons pas dans la profondeur de leurs âmes et nous pouvons dire que ces profondeurs sont vraiment splendides : Plus on fréquente Saint Vincent, plus on fréquente Sainte Louise, plus on est étonné de voir à quel point on trouve tout en eux. C’est toujours une de mes admirations que de découvrir combien la recherche actuelle de l’Eglise est en union profonde avec la pensée de Saint Vincent et de Sainte Louise…Evidemment ils n’ont pu parler qu’avec le langage du XVIIème siècle, mais leur recherche spirituelle est exactement dans le sens de la recherche actuelle de l’Eglise, si bien que nous nous sentons beaucoup plus à l’aise dans la fréquentation de nos Saints Fondateurs que dans les pensées qui ont été émises au cours du XIXème siècle».

Avec les jeunes sœurs, nous avons également étudié Sainte Louise ; il est juste de reconnaître, comme le dit le Père Benito Martinez dans son livre « Engagée dans un paradis pour les pauvres » que « Vincent de Paul et Louise de Marillac furent à part égales fondateurs de la Compagnie. Un seul charisme en deux personnes ou ce qui est la même chose, les deux saints reçurent le même charisme divin, en faveur de la communauté des pauvres ». [11] Personnellement je suis totalement d’accord.

Nous avons ensuite continué avec les premières sœurs, Sœur Rosalie Rendu, Frédéric Ozanam et Sr. Suzanne Guillemin, un vrai prophète de notre temps. Nous pourrions également citer beaucoup d’autres vincentiens qui ont suivi leurs pas et nous verrions comment le charisme se transmet et continue au fil du temps comme un patrimoine vivant et précieux.

[1] Compendium, 449

[2] C.10.

[3] Ep 3,20-21.

[4] Coste I, 240.

[5] Coste XIII, 490 ss

[6] Coste XIII, 493.

[7] Coste IV, 163

[8] Coste VIII,72.

[9] P.P.14

[10] C.14.

[11] B. Martinez, C.M. Engagée dans un paradis pour les pauvres, CEME, 1995, 76

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