Parlant de l’origine de la Compagnie, Monsieur Vincent aimait à dire aux Soeurs au cours des Conférences : « Je n’y pensais pas, Mademoiselle n’y pensait pas, ni Monsieur Portail. » Et Vincent de Paul expliquait aux Soeurs que Dieu seul est l’auteur de la Compagnie.
Mais pour accomplir son oeuvre, Dieu s’est servi d’un instrument : Louise de Marillac.
Au premier regard, rien ne semble à prédisposer Louise à la fondation de la Compagnie : ni son milieu social, ni son éducation. Les premières années de sa vie, Louise les passe au Couvent Royal de Poissy, au milieu d’autres jeunes enfants de la noblesse : elle y est éduquées par les Religieuses Dominicaines.
Ne la prépare pas non plus à la fondation de la Compagnie des Filles de la Charité, son ardent désir d’entrer chez les Religieuses Capucines pour y mener une vie d’austérité et de prière.
Ce sera à travers toute une série d’événements que l’Esprit de Dieu va se révéler à Louise de Marillac. Lentement, cheminant à travers ombres et lumières, elle va percevoir le dessein de Dieu .
Vers 1611 – 1612 : le refus du Père de Champigny
Le premier événement est un événement douloureux. C’est le refus que le Provincial des Capucins, le Père Honoré de Champigny, oppose à sa demande d’entrer chez les Religieuses Capucines installées au faubourg Saint Honoré. Devant l’émoi de la jeune fille, le Père lui dit cette phrase qui reste inscrite au fond de son coeur : « Dieu a d’autres desseins sur vous »
Sans doute pour lui changer les idées, Michel de Marillac, son tuteur, envoie Louise vivre chez ses cousins d’Attichy et, avec le reste de la famille, recherche un mari pour cette nièce pas tout à fait comme les autres.
Dimanche 4 juin 1623 : la Lumière de Pentecôte
Pendant la maladie de son mari, au plus noir de sa nuit, de son état dépressif, Dieu se révèle à Louise, le jour de la Pentecôte 1623. Il lui fait entrevoir l’avenir :
« Je fus avertie … qu’un temps devait venir que je serais en état de faire voeu de pauvreté, chasteté et obéissance (les voeux religieux) et que je serais en une petite communauté où quelques unes feraient le semblable… »
Ce qui suit la surprend. Elle accueille, mais ne comprend pas comment cela se réalisera :
« J’entendais lors être en un lieu pour servir le prochain, mais je ne pouvais entendre comme cela se pourrait faire à cause qu’il devait y avoir allant et venant. « Ecrits 3
Pour mieux se souvenir de cette grâce, Louise la met par écrit. L’autographe, souvent plié et replié, montre qu’elle a souvent relu ce texte au dos duquel elle a inscrit « Lumière ».
1625 : la rencontre avec Vincent de Paul
Jean Pierre Camus, le Directeur spirituel de Louise de Marillac, est Evêque de Belley. Ses séjours à Paris se font de plus en plus rares. Il aimerait confier sa dirigée à un autre prêtre. Au cours de sa Lumière de Pentecôte, Louise entrevoit celui que Dieu lui destine :
« Je fus encore assurée que je devais demeurer en repos sur mon directeur et que Dieu m’en donnerait un qu’il me fit voir, ce me semble, et sentis répugnance d’accepter, néanmoins j’acquiesçai. » E. 3
Cette rencontre avec Vincent de Paul est un jalon important pour l’oeuvre à laquelle Dieu la destine. Malgré la « répugnance » qu’elle a ressenti à l’annonce de ce choix, Louise se soumet et entre en relation avec le Supérieur de la Congrégation de la Mission qui vient d’être fondée.
Cette adhésion à l’Esprit de Dieu entraîne Louise dans une succession d’engagements. Monsieur Vincent l’invite à participer à l’oeuvre des Charités, d’abord petitement, préparant des vêtements pour les pauvres, puis ensuite les visitant.
6 mai 1629 : le premier voyage missionnaire
Quelques années plus tard, Vincent de Paul fait de Louise sa collaboratrice, lui confiant le rôle d’animatrice, de conseillère des Confréries de la Charité. Sous une forme assez solennelle, le 6 mai 1629, Vincent de Paul donne à Louise de Marillac son premier mandat missionnaire :
« Allez donc, Mademoiselle, allez, au nom de Notre-Seigneur. Je prie sa divine bonté qu‘elle vous accompagne, qu’elle soit votre soulas en votre chemin, votre ombre contre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre force en votre travail … Vous honorerez la charité de Notre-Seigneur et les voyages qu’il a faits pour cette même et par la même charité, les peines, les contradictions, les lassitudes et les travaux qu’il y a soufferts » Doc. 27
Les voyages se multiplient : Louise de Marillac visite les Confréries établies sur les terres des Gondi et dans toute l’Ile de France. Elle y rencontre la misère des paysans, la pauvreté des petites filles sans instruction. Son action est si appréciée que les Dames de la Charité la demandent partout, spécialement là où des difficultés apparaissent dans le fonctionnement de la Confrérie.
1630 : l’arrivée de Marguerite Naseau
Le grand mouvement de charité que Vincent de Paul a suscité dans les campagnes gagne bientôt Paris. Toutes les grandes Dames veulent y participer. Des Confréries s’établissent dans les paroisses : Saint Sauveur, Saint Paul, Saint Nicolas, etc… Mais des problèmes vont bientôt apparaître. Ces Dames, pleines d’ardeur, de zèle, sont peu habituées aux tâches basses et humbles : elles ont pour les accomplir de multiples servantes. Ne pouvant porter elles-mêmes la marmite de soupe dans les taudis, ni faire le ménage, elles envoient leurs servantes. Vincent et Louise s’interrogent. Que vont devenir les Confréries, si l’élan primitif de charité se transforme en service commandé ?
C’est alors que Vincent de Paul rencontre Marguerite Naseau. Cette paysanne de Suresnes est prête à quitter l’enseignement qu’elle a entrepris auprès des filles de la campagne et à se consacrer au service des pauvres malades de Paris. Vincent de Paul, tout bouleversé par la générosité de cette femme (elle a alors 36 ans, 3 ans de moins que Louise de Marillac), l’envoie à sa collaboratrice. Ces deux femmes, bien différentes, sont animées d’un même amour : celui de Jésus Christ, homme parmi les hommes, de Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Elles se rencontrent plusieurs fois et échangent sur le service des pauvres auquel elles désirent consacrer toute leur vie.
Peu à peu, d’autres paysannes suivent l’exemple de Marguerite. Le nombre des filles engagées dans les Confréries de la Charité augmentent. Et Louise de Marillac qui les reçoit, leur explique le travail à faire, les aide à résoudre les difficultés qui se présentent, s’interroge : ne faudrait-il pas les réunir dans une sorte de Confrérie, lieu de réflexion et de soutien ? Elle songe à la petite communauté entrevue au jour de la Pentecôte 1623. Ne voulant et ne pouvant rien entreprendre seule (la femme est mineure au XVIIéme siècle), Louise interroge son Directeur. Ses lettres n’ont pas été conservées. Mais les réponses de Monsieur Vincent permettent de comprendre les demandes de sa correspondante. Une première lettre montre la grande réserve de Vincent de Paul :
« Je me réjouis de l’établissement de ces bonnes filles ( dans une Confrérie de Paris) …, mais non pas que vous donniez lieu aux pensées qui vous occupent pour ce sujet. Vous êtes à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère ; tenez-vous à eux et à l’état auquel ils vous ont mise, en attendant qu’ils témoignent qu’ils désirent autre chose de vous » Doc. 86
Louise ne peut se satisfaire de cette réponse. Avec la ténacité qui la caractérise, elles réintervient. Monsieur Vincent ne voit pas la nécessité d’un tel regroupement et s’efforce de l’en dissuader :
« Quant au reste, je vous prie une fois pour toutes de n’y point penser, jusques à ce que Notre-Seigneur fasse paraître qu’il le veut, qui donne maintenant les sentiments contraires à cela. L’on désire plusieurs bonnes choses d’un désir qui semble être selon Dieu, et néanmoins il ne l’est pas toujours. Ains Dieu permet cela pour la préparation de l’esprit à être selon ce qu’on désire. Saül cherchait une ânesse ; il trouva un royaume; saint Louis, la conquête de la terre sainte, et il trouva la conquête de soi-même et de la couronne du ciel. Vous cherchez à devenir la servante de ces pauvres filles (2), et Dieu veut que vous soyez la sienne, et peut-être de plus de personnes que vous ne le seriez en cette façon ; et quand vous ne seriez que la sienne, n’est-ce pas assez pour Dieu que votre cœur honore la tranquillité de celui de Notre-Seigneur ? » Doc. 87
Louise patiente et prie. L’Esprit de Dieu se manifestera à travers un autre événement.
Février 1633 : la mort de Marguerite Naseau
Marguerite qui a accueilli dans sa chambre une femme atteinte de la peste, est contaminée et meurt en quelques jours à l’hôpital Saint Louis. Cet événement qui bouleverse Vincent et Louise apparaît déterminant. A la Pentecôte 1633, Monsieur Vincent écrit à Louise de Marillac :
« Pour le regard de l’affaire de votre emploi, je n’ai pas encore le cœur assez éclairci devant Dieu touchant une difficulté qui m’empêche de voir si c’est la volonté de sa divine Majesté. Je vous supplie, Mademoiselle, de lui recommander cet affaire pendant ces jours auxquels il communique plus abondamment les grâces du Saint- Esprit, et le Saint-Esprit même. » Doc. 96
Ensemble, Vincent et Louise réfléchissent, prient, demandant à Dieu de manifester sa volonté. A la fin de sa retraite annuelle, Vincent de Paul envoie ce billet à sa collaboratrice :
« Je pense que votre bon ange a fait ce que vous me mandez par celle que vous m‘écrivîtes. Il y a quatre ou cinq jours qu’il a communiqué avec le mien touchant la Charité de vos filles ; car il est vrai qu’il m’en a suggéré souvent le ressouvenir et que j’ai pensé sérieusement à ce bon œuvre; nous en parlerons, Dieu aidant, vendredi ou samedi, si vous ne me mandez plus tôt. » Doc. 100
Quelques mois sont encore nécessaires pour bien penser la réalisation. Louise propose aux filles de tenter cette aventure. Certaines s’y engagent avec joie et enthousiasme, d’autres refusent, comme Germaine de Villepreux, l’une des toutes premières maîtresses d’école, qui avait plusieurs fois accompagné Louise de Marillac dans ces tournées missionnaires.
29 novembre 1633 : la fondation de la Compagnie des Filles de la Charité
Dix ans après la Lumière de Pentecôte qui lui avait fait entrevoir cette nouvelle communauté, Louise de Marillac réunit chez elle quelques filles des Charités pour les faire vivre ensemble. C’est ainsi que le 29 novembre 1633, prend naissance la Compagnie des Filles de la Charité.
Dans sa lettre à la Supérieure Générale pour le 4 éme centenaire de la naissance de Louise de Marillac, le pape Jean Paul II écrivait :
« En jetant les bases de la Compagnie, Sainte Louise de Marillac donnait naissance à une nouvelle forme de vie dans l’Eglise, pratiquée aujourd’hui dans les sociétés de vie apostolique ».
Louise avait-elle conscience d’une telle innovation ? Il semble qu’elle suivait les signes que lui donnaient les événements, qu’elle s’efforçait, aidée par Monsieur Vincent, de les déchiffrer et d’y discerner la volonté de Dieu pour répondre aux besoins des pauvres. Sa recherche a parfois été douloureuse, anxieuse. Lorsqu’elle a perçu la nécessité de la Compagnie, elle s’est quelque peu heurtée à un certain refus de Monsieur Vincent. Louise de Marillac a continué à cheminer humblement. Son règlement de vie comporte cette phrase qui la dépeint bien :
» Que ma première pensée, après le repos de la nuit, soit occupée en Dieu, faisant un acte d’adoration de reconnaissance et d’abandon de ma volonté à la sienne, très sainte. Et avec vue de ma bassesse et impuissance, j’invoquerai la grâce du Saint Esprit en laquelle j’aurai une grande confiance pour l’accomplissement, en moi, de sa très sainte volonté qui sera le seul désir de mon coeur ». E. 687
Louise de Marillac nous apprend à cheminer au pas de Dieu, recherchant a travers la relecture des événements auxquels nous sommes confrontés les signes de sa présence et de son amour.