L’évolution Du Voeu De Pauvreté Des Prétres De La Mission Jusqu’en 1659

Francisco Javier Fernández ChentoCongrégation de la MissionLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: A. Coppo, C.M. · Année de la première publication : 1968 · La source : Vincentiana.
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Le régime actuel du vœu de pauvreté dans la Congrégation de la Mission est réglé par le bref Alias Nos, promulgué per le pape Alexandre VII, le 12 août 1659. C’était là un point d’arrivée, après une longue élaboration de la matière pendant plusieurs années, et non sans difficultés et débats. Les notes qui vont suivre ont pour but de résumer á nos lecteurs, tout le long chemin de la question. Notre exposé sera divisé en quatre parties: 1°) premières années de la Compagnie, jusqu’en 1641; 2°) de 1641 á 1651; 3°) de 1651 á 1655; 4°) de 1655 au bref Alias Nos de 1659.

Premières années (1625-1641)

La Congrégation a pris naissance le 17 avril 1625, par le con­trat de fondation signé par Philippe-Emmanuel de Gondi et son épouse d’une part, et par saint Vincent d’autre part. Entre au­tres clauses, il prévoyait la formation d’une équipe de prêtres, qui s’obligeraient de vivre «en commun sous l’obéissance dudit sieur de Paul, en la manière susdite, et de leur supérieur après son décès, sous le nom de Compagnie, Congrégation ou Confrérie des Pères ou Prêtres de la Mission». D’après le contexte, cette obéissance leur était demandée en vue surtout de l’apostolat missionnaire, qu’ils se seraient obligés d’exercer en commun: il s’agissait donc d’un engagement de justice en vertu du contrat, et non pas de religion, parée que celui-ci ne parle pas de vœu.

De plus, cet engagement n’était pas stable, c’est-á-dire per­pétuel: en effet, le contrat ne prévoit pour les membres de la nou­velle Compagnie aucune stabilité dans leur engagement. C’est pourquoi, saint Vincent songea bientôt á un autre contrat supplé­mentaire, pour ceux de ses collaborateur qui voudraient se lier á l’œuvre d’une façon permanente: ce contrat fut signé par lui et MM.A. Portail, F. Du Coudray et J. De La Salle, le 4 septembre 1626. Ici encore on se situe dans le domaine de la justice, et non de la religion.

L’année suivante, entre mai et juin, saint Vincent faisait une démarche auprès du pape Urbain VIII, pour obtenir l’érection de son œuvre en Mission. La demande fut accueillie: le 5 novembre 1627, la S. C. de Propaganda Fide approuvait cette Mission, et saint Vincent était nommé supérieur, praefectus, de son équipe mission­naire formée de huit confrères. Or, ni dans la supplique alors présentée pour l’approbation, ni dans le décret de la S. Congré­gation, il n’est question de vœux. Mémé silence á ce sujet, dans les deux suppliques au pape, présentées par saint Vincent en juin et août 1628, afin que l’œuvre fût érigée en véritable institut de vie commune. Et ce silence continue dans la dernière supplique du saint, présentée le 13 février 1632: « clérico 17 vel 18 annos habere debebunt antequam in Congregationem admitti queant, et exacto pro­bationis anno corpori Congregationis inseruntur». C’est la suppli­que qui obtint du Saint-Siége la bulle Salvatoris Nostri, le 13 janvier de l’année suivante, où nous avons au début un résumé de la mémé demande: « exhibita nobis … pro parte Vincentii de Paul … petitio continebat: quod… », etc. La bulle ne cite pas la clause de l’áge, mais elle ne fait pas non plus de référence aux vœux.

Toutefois, l’usage des vœux était pratiqué dans la Compa­gnie, dès les premières années de son existence: cette pauvre Com­pagnie, qui n’était rien en son commencement, jugea dès lors, deux ou trois ans après, que le meilleur était d’imiter Notre-Seigneur en cela, en cette pratique de la pauvreté, chasteté, obéissance, stabilité, et que chacun pouvait faire des vœux en particulier». Le choix de ce dernier verbe nous indique clairement, que les confrères étaient alors laissés libres de s’engager ou non par les vœux. Mais, en fait, ceux qui les faisaient étaient la majorité, au moins jusqu’en 1639, lorsque saint Vincent écrivait ces lignes á sainte Jeanne de Chantal: « la plupart d’entre nous nous avons fait les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, un quatrième de nous appliquer, toute notre vie el l’assistance du pauvre peuple».

Naturellement, puisque toute initiative était ainsi laissée á chaque confrère, il était impossible pour la Congrégation de fixer l’étendue du vœu de pauvreté.

Dans la suite du passage que nous venons de citer, saint Vin­cent informait sa correspondante, au sujet des vœux, «que nous travaillons á les faire approuver par Sa Sainteté»: c’était alors Ur­bain VIII, qui avait déjà érigé la Compagnie. En effet, il avait envoyé á Rome M. Louis Lebreton pour traiter cette affaire, et entretenait avec lui une correspondance assez fréquente. Pour saint Vincent, la question des vœux était capitale pour l’avenir de la Congrégation: «je pêne qu’il faudra tendre el P affermissement entier». Afin d’en obtenir une solution favorable, il sortait mémé de sa lenteur habituelle dans le maniement des affaires, et s’adressait ainsi á son correspondant: « Mon Dieu, que cette supplique est lon­gue el faire. Faites donc, Monsieur, je vous en supplie». Quitte á corriger bientôt ses directives, lorsqu’il s’apercevait que la que­stion était beaucoup plus compliquée qu’il ne l’avait supposé: «je vous prie de différer el présenter ladite supplique. Je répondrai par la prochaine el tout ce que vous me mandez par la vôtre» 13. Mal­heureusement, l’affaire n’aboutit pas: le pape Urbain VIII n’y était pas favorable, et il fallut en laisser «venir un autre».

De 1641 á l’assemblée de 1651

Mais saint Vincent s’était convaincu que l’on ne pouvait pas attendre si longtemps. D’autre part, la bulle mémé d’érection lui offrait un biais pour sortir de l’impasse, là oïl elle donnait au Supé­rieur Général la faculté d’établir des normes, «felix regimen et gubernium, directionem et ordinationem dictae Congregationis Mis­sionis concernentia», avec l’approbation de l’archevêque de Pa­ris, «ab Archiepiscopo Parisiensi approbanda». En d’autres ter­mes, l’archevêque de Paris avait été délégué par le Souverain Pontife, á donner valeur de loi á toute disposition promulguée par le Supérieur Général, pour le bon fonctionnement de la nouvelle Congrégation. Le problème était donc de le convaincre de la nécessité ou de l’utilité pour la Compagnie, de l’usage des vœux obligatoires.

Sur les démarches faites á cet effet par saint Vincent auprès de l’archevêque, nous ne sommes pas renseignés. Mais nous sa­vons que le prélat approuva le projet du saint, le 19 octobre 1641, grâce á un document publié depuis longtemps. Plus récemment, nous avons pu mémé repérer á Sarzana, le texte présenté par saint Vincent á son approbation: Regula sive Ordinatio de Votis simplicibus in Congregatione emittendis, a Superiore Generali condita et ab ill.mo et R.mo Archiepiscopo Parisiensi anno Domini 1642 (sic), die 19 octobris approbata et confirmata. L’année 1642 indiquée par le manuscrit est une erreur du copiste, mais elle est corrigée ensuite, par le document mémé d’approbation.

Cette Ordinatio disposait l’émission des quatre vœux simples, de pauvreté, de chasteté, d’obéissance et de stabilité, obligatoire pour tous ceux qui entreraient dans la Compagnie, après la deuxième année de séminaire. Ceux qui en faisaient déjà partie, restaient libres de demander ou non, d’être admis á les faire. Le fait que les vœux devenaient ainsi obligatoires pour un certain nombre de confrères, entraina la nécessité de définir l’étendue du vœu de pauvreté qu’ils allaient faire, aussi bien que de fixer la formule á employer.

Il est probable que saint Vincent ait songé tout-de-suite résoudre ces deux problèmes. En effet, dans notre manuscrit, l’ap­probation de l’archevêque ne suit pas immédiatement l’Ordinatio: entre celle-ci et l’approbation, on a deux autres documents, c’est­á-dire une Formula votorum, qui n’est pas différente de celle qui a été en usage jusqu’á la dernière Assemblée Générale, et une dé­claration De conditionibus voti paupertatis. Ce qui nous fait supposer, que mémé ces deux documents ont été l’objet de l’ap­probation archiépiscopale: autrement, ils auraient été placés après celle-ci. Dans ce cas, le De conditionibus représenterait le point de départ du vœu de pauvreté, avant d’évoluer dans les étapes successives de son chemin. Mais voyons le texte de cette déclaration.

«Omnes et singuli in nostra Congregatione admissi qui bona tum mobilia, cum immobilia, vel beneficia simplicia possidebunt, liberam fructuum inde provenientium administrationem, et usum Congrega- tioni concedere tenebuntur, poteruntque etiam post dicta vota emissa, iuxta Leges et consuetudines locorum de fundo ipsorum bonorum testa- mento disponere, necnon dicta beneficia per resignationem aut cessio- nem cui voluerint relinquere. Quod si e Congregatione discesserint, ipsum fundum ipsaque beneficia, non solum quoad integram proprietatem, sed etiam quoad totum usum fructuum retinebunt. Fructus tamen et proventus illorum tum bonorum, tum beneficiorum ab ipsa Congregatione iam perceptor, repetere minime poterunt (fig. 1).

Le texte est très clair: par le vœu de pauvreté, la propriété des biens personnels est gardée, mais on renonce á les administrer et ‘a en jouir, car ce droit est cédé á la Congrégation; toutefois, on pourra disposer de ses biens par testament, ou renoncer á ses bénéfices en faveur d’autres personnes; si l’on sortira de la Congrégation, on recouvrera l’usage de ses biens, mais sans exiger de celle-ci qu’elle rende les revenus qu’elle en aura touchés.

De 1651 á 1655

Les clauses principales de ce vœu sont celles qui prévoient la conservation du droit de propriété pour le sujet, et l’attribution á la Compagnie de l’administration de ses biens et la jouissance de leurs revenus. La première ne nous étonne pas, parce qu’il s’agit d’un vœu simple. Par contre, la deuxième peut choquer, á cause de sa nouveauté par rapport á la doctrine de saint Vincent, au moins á ses références les plus connues en matière de pauvreté. Mais, nous le verrons bientôt, elle resta longtemps très chère á son cœur, et il ne la modifia que sous la pression de circonstances indépendantes de sa volonté.

Le témoignage le plus clair et le plus complet á ce sujet, nous est fourni par un document connu depuis longtemps, et publié par M. Coste. Mais, avant 1957, il n’avait jamais été exploité dans ce sens: ç’a été la découverte du manuscrit de Sarzana qui nous a permis d’en saisir toute la portée. Il s’agit d’un rapport sur l’assemblée de 1651, ‘à Saint-Lazare, écrit par M. Antoine Lucas qui y participa. La question touchant « le bien des particuliers » fut traitée le samedi 15 juillet. En effet, dans la pratique, l’application de la clause dont on vient de parler, trouvait des difficultés sur le plan de la juridiction civile. A cet égard, «entre autres choses re­marquables que M. Vincent a dites est qu’il souhaite que la congrégation n’entreprenne jamais de procès au prétoire», qu’á certaines conditions. Après quoi, l’auteur fait suivre une explication du vœu de pauvreté, qui ne peut être attribuée qu’au saint lui-même, puis­qu’elle continue la série des « choses remarquables» dites par lui. En voici le texte.

«Ceux qui entreront en ladite congrégation et auront des béné­fices simples ou pensions, comme aussi ceux qui jouiront actuellement de leurs biens, ou auxquels il échera quelque succession depuis leur entrée en ladite congrégation, laisseront le maniement et jouissance des revenus desdits bénéfices, pensions et autres susdits biens á ladite con­grégation, en sorte néanmoins qu’ils seront en liberté de disposer de leurs fonds selon les bis et coutumes des lieux. Et cas arrivant qu’ils sortent de ladite congrégation, ils rentreront en la jouissance et ma­niement des revenus du jour qu’ils sortiront, sans qu’ils puissent toute­fois répéter la jouissance des revenus desdits bénéfices et autres biens reçus et á recevoir par ladite congrégation jusqu’audit jour de leur sortie» .

Comme on le voit, ce n’est qu’une traduction un peu para­phrasée du texte latin que nous avons vu plus haut. On revenait donc aux principes fixés par le De conditionibus voti paupertatis, en vigueur — semble-t-il — depuis le 19 octobre 1641. En fait, dans la suite du récit, les points proposés á la discussion, ne concer­naient que leur application aux cas particuliers qui pourraient se présenter.

Mais, pourquoi saint Vincent insistait-il pour le maintien d’un vœu de pauvreté ainsi conçu ? L’explication nous est donnée dans l’exposé préalable, sur l’état de la question: «1° Le dessein est, com­me on peut sortir, de conserver le bien des particuliers, sans leur en laisser le maniement, et néanmoins que la Compagnie en profite, sans se charger de rendre, puisqu’elle nourrit et qu’il est fuste que celui qui a des moyens aide á nourrir ses fréres». Ç’a été donc la préoc­cupation d’assurer á tous les membres de la Compagnie une com­munion des biens vraiment effective, qui avait suggéré au saint fondateur une telle solution et le confirmait alors sur son effica­cité, voire sa légitimité: «mais quelle est notre pauvreté ? On dit que nous n’avons pu faire cette réglé. Contra: nous pouvons faire une réglé d’une chose licite, honnête et qui ne soit point contraire aux saints canons. Or, celle-ci est telle, etc.».

Certes, le principe de la communion des biens fixé par le De conditionibus, pouvait aussi avoir un effet bienfaisant sur la psy­chologie du sujet intéressé, car il coupait court avec l’esprit de propriété, qui survit malgré tout en celui qui continue d’admi­nistrer ses biens et d’en jouir personnellement, mémé si cela est fait sous la dépendance des supérieurs. Cette mémé effet devait aussi exercer une influence favorable sur l’ensemble de la Congré­gation, dont les membres ne seraient plus divisés entrevu par aucune différence sur le plan matériel, comme ils demeuraient déjà égaux sur le plan spirituel: ce qui les rendrait vraiment des frères.

Pour ce qui concerne les vœux, la majorité des membres de l’assemblée furent d’avis qu’il fallait en demander l’approbation au Saint-Siége. Telle était aussi la pensée du saint fondateur: «M. Vincent fait instante pour les vœux et dit qu’il croit que Notre-Sei­gneur veut qu’on les fasse; enverra á Rome au plus tôt homme qui ne fasse que cela». Entre temps, rien n’y pouvait être changé, car ils avaient été approuvés par l’archevêque de Paris. En fait, deux ans après, nous voyons saint Vincent rappelant les principes du De conditionibus á un jeune séminariste de Génes, qui allait faire ses vœux: « Super hac re dicam ingenue Dominationi Vestrae eam esse mentem Congregationis, ut qui possident beneficia aut aliqua bona patrimonialia, dictorum bonorum administrationem et usum fructuum eidem Congregationi relinquant ».

Quelques mois après, l’Ordinatio recevait une nouvelle con­firmation, de la part du mémé prélat qui l’avait approuvée en 1641. De ce document on connaissait seulement l’existence et sa date (23-VIII-1653) C’est le manuscrit de Sarzana qui nous en a restitué le texte: « regulan/ illam seu ordinationem in dictis regulis contentam … de votis scilicet simplicibus … in dicta Congregatione emittendis … Nos eadem authoritate Apostolica praesentium tenore iterum approbamus et confirmamus». Cette approbation fut donnée le 23 août 1653, en un seul document avec celle des Règles et Constitutions, revues et approuvées par l’assemblée, le 11 août 1651. Selon l’avis exprimé par les membres de celle-ci, á Rome on sollicita aussi l’approbation des vœux de la part du Saint-Siége. C’était M. Th. Berthe, supérieur de la maison de Rome, qui en était chargé. Après son rappel en France, décrété par Mazarin á cause du logement que sa maison avait donné au Card. De Retz, le choix de saint Vincent tomba sur le supérieur de Génes, M. E. Blatiron: «Ne laissez pas, Monsieur de solliciter notre affaire… hâtons-nous lentement en la négociation d’une des plus grandes affaires que la congrégation aura jamais». Mais ce fut M. Edme Jolly qui eut le bonheur de la conclure peu après, en obtenant du pape Alexandre VII le bref Ex Commissa Nobis, le 22 septembre 1655.

Du bref de 1655 á celui de 1659

Par son bref, Alexandre VII donnait son approbation aux vœux en usage jusque-là, déclarant de plus que la Congrégation appartenait toujours au clergé séculier, et lui reconnaissant l’exemp­tion de la juridiction des Ordinaires en ce qui concerne son régime interne. Mais il ne touchait pas la question de l’étendue du vœu de pauvreté. Rien donc n’y était changé, et la déclaration De con­ditionibus demeurait toujours en vigueur. A ce sujet saint Vincent n’avait aucun doute. En fait, le 25 janvier 1656, il renouvelait ses vœux avec tous les confrères de la maison de Saint-Lazare, et en dressait le procès-verbal, signé par lui et par tous les présents. Cet acte nous a été conservé au début du Registre des Vœux (Ar­chives de la Maison-Méré). Il est précédé par une copie du bref Ex Commissa Nobis, authentifiée par deux notaires, et par le Nonce Nicolo Guidi di Bagno le 1 novembre 1655. Comme il s’agit d’un texte inédit, nous le donnerons en entier (fig. 2). Reg., p. 3.

« Nos, Vincentius a Paulo, Superior Generalis Congregationis Missionis, omnibus ad quos pertinet vel pertinebit, notum facimus quod, licet nos una cum infrascriptis dictae nostrae Congregationis sacerdotibus et clericis necnon fratribus coadiutoribus laicis, nunc in domo nostra Parisiensi commorantibus, vota simplicia ab illustrissimo ac Reverendissimo felicis recordationis Domino D. Francisco Degondis, Archiepiscopo Parisiensi, anno Domini millesimo sexcentesimo qua­dragesimo primo, iamdiu emiserimus: tamen, quia SS.mus D. N. Alexander P. VII per Breve supra descriptum, et a nobis omnibus infrascriptis instrumento publico acceptatum, sicut et per praesentem actum illud acceptamus, praedicta vota [p. 4] de novo approbare ac firmiora reddere dignatus est, Nos dictus Superior Generalis una cum omnibus infrascriptis, uf ex huiusmodi pia actione maior Deo gloria, dicto Summo Pontifici reverentia, et praefatae acceptationi votorum­que emissioni firmitas, ac consequenter uberior nobis omnibus conso­latio in Christo accedat, praedicta vota iuxta mentem praefati SS.mi D. N. Papae, nobis per dictum Breve significatam, necnon secundum formulam infrascriptam, votique paupertatis conditiones immediate infra (?) expressas, anno Domini millesimo sexcentesimo quinquage­simo sexto, die yero Conversionis Sancti Pauli, XXV ianuarii, de novo emisimus. In quorum omnium fidem, praesens instrumentum pro­pria manu subscripsimus, sigilloque dictae nostrae Congregationis mu­niri curavimus. Actum Parisiis, apud Sanctum Lazarum, anno et die suprascriptis».

C’est un texte qui n’a presque pas besoin d’explication. On y lit entre les ligues, que le saint fondateur était préoccupé d’en finir avec une question qui avait divisé les esprits et les cœurs dans la Compagnie, pendant trop d’années. En effet, on avait beau­coup discuté sur l’opportunité des vœux, sur leur validité, et mémé sur les pouvoirs effectifs de l’archevêque de Paris qui les avait ap­prouvés. Après le bref Ex Commissa Nobis, tout doute devait di­sparaitre. C’est pourquoi saint Vincent en disposa l’acceptation solennelle citée par notre texte, le 22 novembre 1655, et fixa au 25 janvier de l’année suivante la rénovation des vœux, dont la va­leur venait d’être confirmée par le Saint-Siége. Mais tout se ferait selon l’usage reçu depuis longtemps. En fait, la Formula votorum qui suit le procès-verbal est la mémé que celle du ms. de Sarzana, et ne différé pas beaucoup de celle qui a été en usage jusqu’á la dernière Assemblée Générale. Ce qui vaut aussi pour les « voti pau­pertatis conditiones », qui suivent « immediate cette formule: le texte est le mémé que celui de Sarzana. Mais, en marge, il y a une addition de quatre mots, qui s’avéré très importante pour l’histoi­re de la question. Voici le texte, tel qu’il se présente dans le Re­gistre, p. 5 (fig. 3):

«  De conditionibus dicti voti paupertatis Omnes et singuli in nostra Congregatione ad­gentibus, aut missi, qui bona tum mobilia tum immobilia vel Nos supra scripta beneficia simplicia possidebunt, liberam fructuum inde provenientium administrationem et usum (F) Congregationi concedere tenebuntur, poterunt que etiam post dicta vota emissa, iuxta leges et consuetudines locorum, de fundo ipsorum bonnorum testamento disponere, necnon dicta beneficia per resignationem aut cessionem cui voluerint relinquere… », etc.

Sans doute, le fait que le texte est gardé dans sa forme ori­ginaire, fait foi qu’il était toujours considéré comme un texte ap­prouvé par l’autorité supérieure, auquel on ne pouvait pas toucher sans le consentement de celle-ci. C’est pourquoi l’addition a été faite en marge de la page. Les signatures étaient nécessaires, pour prouver qu’il s’agissait d’une addition faite au nom de la Com­pagnie. En fait, par cette nouvelle clause, celle-ci renonçait á ses droits, en faveur des parents pauvres du confrère. Ce qui n’enta­mait pas la substance du vœu, car le confrère se privait toujours du maniement et de la jouissance personnelle de ses biens. De plus, ses obligations de charité étaient également satisfaites: et on parait aussi aux oppositions en justice, que l’on pouvait craindre de la part de ses parents.

Car 9’étaient là les difficultés les plus graves, pour l’application pratique de la clause en faveur de la Congrégation. Le récit de l’assemblée de 1651 nous le laissait entendre, lorsqu’il nous pré­sentait saint Vincent exhortant ses membres á ne pas engager légèrement la Compagnie en ce genre de procès. En effet, elle de­vait déjà en craindre d’autres, sur d’autres points où les avis étai­ent partagés: par exemple, si le confrère était mineur; encore, á qui serait la charge des réparations aux immeubles dont joui­rait la Congrégation? Si le confrère était fait bénéficiaire d’une donation, qui devrait la recevoir ? Ne pourrait-on craindre des difficultés de la part des familles, des parlements, du public?

En tout cas, le saint fondateur se rendit compte qu’il fallait en sortir le plus tôt possible, et par la mémé chemin: si le Saint-Siège avait déjà tranché sur la question de la validité des vœux, pourquoi ne pas lui soumettre aussi celle du vœu de pauvreté? C’était le 7 septembre 1657, lorsqu’il en écrivait á M. Jolly, son procureur á Rome. Celui-ci trouva un collaborateur précieux chez le père Hilarion, abbé de Sainte-Croix de Jérusalem, qui prépara des accommodements au De conditionibus agréés par saint Vincent. Mais, un an après, l’affaire ne marchait pas si vite qu’il l’aurait désiré. Ce ne fut qu’en juin 1659 que la question fut virtuellement conclue, et saint Vincent ne manqua pas d’en remercier

M. Jolly: j’ai reçu votre lettre du 23 juin. Je rends grâces á Dieu de ce que les conditions de notre vœu de pauvreté sont enfin approuvées par vos soins, votre vigilante et la grâce qui vous accompagne». C’était l’objet du nouveau bref Alias Nos du pape Alexandre VII, daté au 12 août 1659. Ce document inclut la nouvelle formule du De condition bus, présentée par le saint á l’approbation du Sou­verain Pontife, comme e statutum fundamentale » de la Compagnie. En voici le texte.

«Omnes et singuli in nostra congregatione dictis quatuor votis emissis recepti, qui bona immobilia vel beneficia simplicia possident, aut in futurum possidebunt, licet dominium illorum bonorum retineant, eorumdem tamen usum liberum non habebunt, ita ut neque fuctus ex huiusmodi bonis vel beneficiis provenientes retinere neque in propios usus, sine lecentia superioris, quicquam convertre possint, sed de iisdem fructibus, cum facultate et arbitratu dicti superioris in pia opera disponera tenebuntur. Si autem parentes aut propinquos indigentes habuerint, superior curabit ut suorum necessitatibus ante omnia de huiusmodi fructibus in Domino subveniant».

Comme on le voit, la nouvelle formule est très différente de la première. Le seul point commun c’est que le droit de propriété est gardé: mais ici on l’exprime d’une façon explicite, tandis que la première formule le disait d’une maniéré équivalente. Quant á l’usage de ses biens, il continue de ne pas être libre, mais on ne réserve plus l’administration du fonds et la jouissance des revenus á la Compagnie. Ce qui est nouveau c’est que cet usage est soumis á la permission du supérieur, et qu’il doit concerner ou l’utilité du sujet, ou des œuvres penses. Ce sera au mémé supérieur, de veiller á ce que les parents pauvres des confrères soient les premiers á être aidés. Ainsi, la Congrégation ne s’occuperait plus des af­faires temporelles de ses membres: elle veillerait seulement á ce que l’usage des biens des particuliers soit conforme au nouveau bref. Ce serait á chacun de ses membres de garder l’esprit de la pauvreté évangélique, tout en ayant l’administration et la jouissance de ses biens, aux conditions fixées par ce mémé document.

Saint Vincent lui-même expliqua le bref á la Communauté, le 14 novembre 1659. D’après lui, « ceux qui ont du fonds, … re­tiennent le domaine desdits biens, et cela demeure au sujets de la Com­pagnie pour en disposer en faveur de leur parents … Le fonds demeure aux parents. L’usage de ces biens n’est point au particulier, ü n’en a point besoin, la Compagnie lui fournit ses nécessités; on emploie le revenu desdits biens en œuvres pies pro arbitratu superioris dit le Pape, ou on en assistera les parents, s’ils en ont besoin».

Certes, il y a là des explicitations que l’on ne trouve pas dans le texte du bref. Ce document ne limite pas le droit de disposer par testament de ses biens, seulement en faveur de ses parents. De mémé, il soumet l’usage de ses biens á la permission du supé­rieur, mais il n’interdit pas que cela soit au bénéfice du particulier: « neque in proprios usus, sine licentia superioris quicquam convertere possint ». Si les copistes nous ont transmis fidèlement les paroles de saint Vincent, il est probable qu’elles lui aient été suggérées par la crainte que la libre disposition de ses biens et leur usage, mémé soumis á la permission du supérieur, n’empêchent au sujet d’aimer et de pratiquer la pauvreté évangélique. Il s’agirait donne d’une interprétation, visant plus á l’esprit qu’á la lettre du bref.

Mais il y avait aussi un fait très important á cet égard: les membres de la Congrégation ne gardaient alors rien en particulier, mémé pas leur argent personnel. C’est saint Vincent qui nous l’as­sure: « Par la grâce de Dieu, la Compagnie est en cette pratique de ne point porter d’argent, n’y ayant qu’un qui est destiné pour cela, qui garde l’argent et qui a le soin de payer tout ce qu’il faut pour toute la Compagnie Ces paroles nous font mieux comprendre la portée des expressions complémentaires, que le saint introduisit á ce sujet dans les Règles communes: « exemplo primorum christia­norum, erunt nobis omnia communia»; et: «Nemo ulla re tanquam propria utetur».

Ce n’était pas seulement le fondateur de la Congrégation qui parlait comme cela. En effet, cette pratique nous est témoignée aussi par une autre source ancienne: un petit rapport sur la Com­pagnie, en italien, conservé dans le volume 200 des Scritture Ori­ginali C. G., aux Archives de la S. C. de Propagande. Il n’est pas signé, mais les détails qu’il contient ne peuvent remonter qu’á un confrère: il a été rédigé avant 1655, parée que sa liste des maisons ignore Turin, et après 1650-52, puisqu’il parle de missionnaires envoyés aux iles Hébrides. En voici le texte, pour la partie qui nous intéresse: « Tre fini ha questa Congregatione: 1° la propria perfettione nello spirito… Per conseguir il primo, in casa e dovunque si troyano vivono in commune, et ancorché li particolari habbiano beni patrimoniali, nissuno peri si tiene danari, libri, o mobili in partico­lare». On comprend donne pourquoi saint Vincent était si hanté de garder le bon esprit qui régnait déjà dans la Compagnie, au sujet de la pauvreté.

Une dernière observation, sur le début de la formule: «Omnes et singuli in nostra congregatione dictis quatuor votis emissis recepti ». L’expression est très différente de celle de la première déclaration: « Omnes et singuli in nostra Congregatione admissi ». Puisque la deuxième rédaction est un réaménagement, cette différence ne doit pas être sans signification. En effet, la première formule parlait simplement d’admission dans la Compagnie, sans en préciser, ni le temps ni la maniéré: la deuxième, au contraire, considéré l’émission des vœux comme strictement liée á cette admission: quatuor votis emissis recepti». On peut se demander s’il s’agit là d’un abla­tif absolu, donc d’un complément de temps («après avoir fait les vœux»), ou bien si ce n’est pas un ablatif causal («ayant fait leurs vœux »), ou instrumental («moyennant les vœux qu’ils ont faits »). Mais il n’est pas douteux, que l’incorporation dans la Com­pagnie dépend, dans ce texte, de l’émission des vœux. Puisque c’est là un document solennel promulgué par le Saint-Siège, faudra en tenir compte, d’autant que cette formule a été présentée par la fondatrice mémé.

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