Les sources de l’enseignement de monsieur Vincent de Paul (I)

Francisco Javier Fernández ChentoFormation VincentienneLeave a Comment

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Author: André Dodin, C.M. · Year of first publication: 1984 · Source: Vincentiana.
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vincent1Merci de votre patience et mes souhaits pour que vous ne soyez pas trop épuisés par l’exposé un peu serré que je vais ce matin et ce soir m’efforcer de vous délivrer.

Ce matin, le titre de l’exposé est : « Les sources de l’enseignement de Monsieur Vincent de Paul ». Je n’ai pas employé le terme « spiritua­lité », car Vincent de Paul, dans les 10.700 pages de ses œuvres, ne l’utilise jamais, car aussi ce terme est de naissance plus tardive autour de 1680.

***

Cet exposé comprend trois parties:

I. Les tentations et les pièges de la recherche des sources de cet enseignement. En 1939, j’avais ce dessein et je le soumettais à un Père jésuite qui avait fait un petit mémoire sur Vincent de Paul, à savoir le Père Pierre Defrenne. Il me dit que cette entreprise ‘de recherche des sources supposait la connaissance quasi totale de la production des oeuvres spirituelles au XVIIe siècle. Mais, entre 1939 et 1984, un travail de dépouillement qui vous a été signalé a été effec­tué, à savoir le repérage de la production d’oeuvres de spiritualité au XVIIe siècle entre 1610 et 1660, ce qui nous conduit à 12.000 titres. Simple rappel pour indiquer la difficulté de détecter des sour­ces qui parfois sont profondes et presque volontairement dissimu­lées par l’auteur.

Premier point: les tentations et les pièges que nous rencontrons inévitablement dans la recherche de ces sources. Pour éviter ces piè­ges ou simplement pour les ignorer, il est parfois facile de dresser la liste des auteurs cités dans les écrits et dans la « Vie de Vincent de Paul » par Louis Abelly et de titrer cet inventaire « Table des sources ». Même si nous pouvons composer un recueil de textes que nous pou­vons considérer comme recopiés par Monsieur Vincent dans d’au­tres ouvrages, nous pouvons vite nous apercevoir que ce catalogue, cette table des sources, ne satisfait que très faiblement notre désir de mieux connaître la pensée originelle, puis originale du fondateur de la Mission comme de toute la vie caritative du XVIIe siècle. Car, il faut prendre en compte:

  • la Visitation Ste. Marie à partir de 1622,
  • la Congrégation de la Mission,
  • les Filles de la charité, 1633,
  • les Conférences des mardis,
  • les allocutions aux Dames de la charité

et vous pouvez remarquer, au tome XVe des oeuvres de Vincent de Paul, une allocution aux Dames de la Charité qui mentionne Jeanne d’Arc comme patronne d’un féminisme caritatif. Ce phénomène Jeanne d’Arc au XVIIe s. est, sinon unique, du moins exceptionnel.

Or, l’inventaire des sources, pour être fructueux, réclame une recherche patiente et des méthodes différentes. Quelques constatations s’imposent et elles sont au nombre de cinq:

1.- L’auteur ne cite pas toujours ses sources. C’est le cas de la « Règle de perfection de Benoît de Canfield », édition 1609, exemplaire uni­que qui se trouve à la Bibliothèque de Troyes. Vincent de Paul cite aussi Thérèse d’Avila sans donner la référence, ce qui dans un inven­taire des sources d’après la table ne fournira pas le catalogue des livres dans lesquels il a puisé. Au sujet de Vincent de Paul et de Thérèse d’Avila, surtout ne négligez pas le livre de Vermeyleen publié à Bruxelles et aux Presses de Joseph Brun: « Sainte Thérèse en France au XVIIe siècle ». Publié en 1954, vous pourrez constater dans la préface que l’abbé Vermeyleen et moi-même avons travaillé à l’érec­tion de ce volume.

L’auteur ne cita pas toujours ses sources. C’est commun. Ainsi Henri Brémond, après avoir donné un aperçu de la doctrine de Bérulle, conclut paisiblement: « Bérulle n’a pas de sources contem­poraines; l’Ecriture, quelques Pères ». Or, maintenant, nous pou­vons détecter dans l’oeuvre de Bérulle l’influence capitale, pour ne pas dire totalisante, de Jean Duvergier de Hauranne, Abbé de St. Cyran. Nous pouvons également voir les fluctuations de la pensée de Pierre de Bérulle entre 1599 et le 2 octobre 1629, date de sa mort au cours de la célébration de la messe. L’auteur ne cite pas toujours ses sourdes et Vincent de Paul agit comme tous ses contemporains.

2.- L’auteur peut citer explicitement ou utiliser implicitement des auteurs dont il n’a pas une connaissance directe et qui lui sont uniquement don­nés par des recueils destinés à aider les prédicateurs pour fabriquer leur sermons. Cette manière de faire un sermon, de préparer une conférence est commune. Un travail considérable a été fait sur les sources littérales du curé d’Ars et nous savons qu’il a puisé énormé­ment dans les ouvrages du Père Lejeune. Ceci lui fournissait la trame de ses discours.

Mais, en plus d’auteurs et de compositeurs qui donnent des sermons entiers, vous avez des auteurs qui donnent des extraits. Un peu comme nous trouvons aujourd’hui des dictionnaires de citations. Ils s’appellent au XVIIe siècle: Calepinus, Polyanthea.

Il est évident que Vincent de Paul n’a jamais lu les oeuvres de Saint Zénon en grec, qui sont actuellement repérables, parce que, s’il avait lu ce qu’écrit Saint Zénon au sujet de la curiosité qui ne fait pas l’expert mais le coupable — le texte latin est d’aileurs encore plus fort dans Vincent de Paul — s’il l’avait lu, je crois que, malgré, la souplesse de son argumentation gasconne, il n’aurait pas utilisé un texte destiné à caractériser notre impossibilité de définir la Sainte Trinité. C’est de ce sujet que traite Saint Zénon.

Comment Saint Vincent a-t-il connu Saint Zénon qu’il cite dans les Règles et Constitutions? A-t-il lu l’édition usuelle de Saint Augus­tin? Car malgré un travail exécuté par ordinateur, puisque nous avons un vocabulaire de Saint Augustin qui a été mis sur ordinateur, il est actuellement, en utilisant les oeuvres de Saint Augustin, impos­sible de trouver la référence qui est cependant capitale: « C’est un malheur de ne pas avoir un coeur aimant ». Ayant exécuté ce travail sur Saint Augustin, seul ce texte demeure dans le domaine de l’in­connu. Je ne vous apprendrai rien en disant que l’oeuvre de Saint Augustin comporte autant de volumes authentiques que de volumes de manipulations. Voyez simplement l’article « Augustin » dans le « Dictionnaire de spiritualité » et, au sujet des oeuvres ou apocryphes ou secondes, la longue énumération faite per le Père Ferdinand Caval­lera.

Incontestablement, Vincent de Paul n’a pas lu dans l’intégra­lité Saint Augustin et il est très mal à l’aise lorsque Jean Dehorgny le lui fait remarquer. « Mais s’il s’agit des gens de Port-Royal, cer­tains ont lu tant et tant de fois Saint Augustin. Et vous? L’avez-vous lu? » L’interrogation reste sans réponse.

3. Troisième cas: Les sources peuvent se présenter sous des formes très différentes. Ainsi, une personne vivante qui ne laisse aucun écrit peut être une source de pensée. L’Histoire de la pensée occidentale recon­naît comme le père de la philosophie quelqu’un qui ne nous a laissé aucun écrit, à savoir Socrate.

D’autre part, quelqu’un né à Montluel dans un coin perdu du côté de la Suisse, le frère Antoine, a été également invoqué par Vin­cent de Paul, de sorte que son portrait était à Saint Lazare. Des auteurs jugés secondaires — je revois encore la stupéfaction d’un directeur de revue lorsque je lui signalais pour Vincent de Paul ses relations avec la bonne Marie (il y avait beaucoup de Marie en France et il s’agissait de Marie Tessonnière).

Certains auteurs se présentent sans écrits et sont de sources. Quelle a été l’influence du chartreux qui, à côté de Joigny, a calmé Vincent de Paul à la veille de la fondation de la Mission? Il faut aller dans ce petit fond de vallée, et j’y suis allé deux fois, pour voir la singulière idée qu’avait Vincent de Paul de se retirer pour demander conseil à quelqu’un qui était tout-à-fait hors du monde et c’est là, dans le diocèse de Soissons, qu’il a été apaisé et qu’il a résolu de fonder la Congrégation de la Mission. Influence, vous le reconnaîtrez, particulièrement capitale.

Si Vincent de Paul connaît l’auteur, la lecture devient alors non seulement un exercice des yeux, mais une évocation concrète com­portant la représentation du visage, la modulation de la voix, ce qui était très important dans le cas de Monseigneur de Genève, Fran­çois de Sales, la persuasion paisible du regard. Le texte est, pour ainsi dire, transformé par la personne qui apparaît à travers le texte. Ce fut le cas pour François de Sales qui a été souvent cité par Vin­cent de Paul et dont le portrait était également à Saint Lazare ainsi que le portrait d’André Duval. Ces deux personnes devenaient vivan­tes et faisaient frémir le texte. Ce n’était pas une lecture passagère d’un ouvrage ou d’un petit fascicule.

4.- Quatrième source: La liturgie c.à.d. les textes du Missel ou du bréviaire présente les textes de l’Ecriture non pas d’une façon morne mais avec un éclairage, une chaleur, un rythme tout-à-fait particulier. L’encadrement social charge ces textes liturgiques d’une vertu extrêmement complexe. Vous en avez fait l’expérience en chan­tant ou en vous intégrant dans un choeur qui exécute le « Veni crea­tor » de notre ordination; ou tel chant qui a été longtemps entonné. Je pense à un officier qui pendant quatre ans de captivité, tous les soirs, participait au chant de « Chez nous soyez Reine ». Il y a exac­tement cinq jours, ce chant a été exécuté pour lui et il en avait les larmes aux yeux. Les sources ne sont pas seulement des imprimés. Ce sont aussi des prélèvements de vie et des rappels.

Bien que les prêtres de la Mission ne soient pas tenus au chant de l’office, Vincent de Paul insistait particulièrement sur le devoir de bien chanter. Il disait combien il était confus de voir certains pay­sans de Clichy chanter d’une belle et bonne voix. Sans doute lui- même ne l’avait-il pas mauvaise. Simplement il pouvait faire allu­sion à certains chants du « Salve Regina » et du « Super flumina Baby­lonie » sans que Monsieur de Comet trouva cette allusion tout-à-fait étrangère à Vincent de Paul.

Aux messes chantées et aussi aux cantiques des missions, le con­tenu des cantiques est également source, car rien de plus facile pour le prédicateur de reprendre ou de faire scander son exposé par un texte chanté.

Enfin, cinquième source: L’Ecriture Sainte. Vincent de Paul n’hésite pas. Il dit que lorsqu’elle est méditée, priée, assimilée, elle este dotée d’un mystérieux pouvoir. Incomparable avec n’importe quel auteur spirituel. Un mystérieux pouvoir que ne possède aucun écrit humain. « Une seule parole, dit-il, est capable de nous convertir. Il n’en faut qu’une comme il n’en a fallu qu’une à Saint Antoine » (Cf. « Entre­tiens » page 51).

Or, ces cinq catégories de sources doivent être comptabilisées et ne peuvent être simplement additionnées, lorsque nous examinons les sources de l’enseignement vincentien, car il faut tenir compte de la réceptivité de Vincent de Paul lorsqu’il lit ou un auteur ou bien à quelle date il a lu ce texte. Suivant son âge, il est plus ou moins réceptif. Il y a des textes qui vont avoir une répercussion pendant cinquante années. Dans l’énumération des sources, il faut tenir compte des écrits accidentels, les citations de Jean de Montmirail qui sont faites pour les Filles de la Charité, les citations de Saint Isi­dore le laboureur. Ce sont des citations tout-à-fait accidentelles qu’à la rigueur on pourrait entièrement ou supprimer, ou bien remplacer par des citations plus colorées.

Je vous ai fourni donc les pièges, les tentations, et ils sont mul­tiples.

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