L’Eglise en France au temps de Saint Vincent

Francisco Javier Fernández ChentoAu temps de Vincent de Paul, Vincent de PaulLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Luigi Mezzadri, C.M. · Année de la première publication : 1984 · La source : Vincentiana 1984.
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La Situation De L’eglise De France En 1598

La France est le royaume d’Europe le plus important pour la population entre 1550 et 1700, avec environ 20 millions d’habitants, mais á la fin du XVIe siècle, elle sort affaible d’un des plus longs conflits internes de l’histoire. Le besoin de « Réforme » ressenti á tous les plans avait donné naissance á trois propositions pour une solution:

a)     une solution typiquement religieuse et conservatrice, en vue de restaurer un climat moyenâgeux fait de pénitence, de rigoureuse pauvreté dans une poursuite de « fuga mundi ». Jean STANDONCK (1443-1504) avec sa Congrégation de Montaigu (dans ce collège étudièrent Erasme, Calvin et Ignace de Loyola) identifiait la réforme plus comme une « restauration » que comme un « renouveau ».

En fait, la tentative de réforme de la vie des Ordres religieux traditionnels s’inscrit dans cette ligne, mais cela avait peu d’influence sur l’Eglise.

b) une solution humaniste: l’évangélisme. Patronné par Jacques LEFEVRE d’ETAPLES (1450-1536) et ses disciples Guillaume BRI­CONNET, évêque de Meaux, J. CLICHTOVE, Guillaume FAREL, et autres, ce mouvement voulait la restauration d’une Eglise non-hiérarchique, spiritualiste, intérieure, fortement ancrée dans l’Evangile. C’était un projet tras semblable á celui d’Erasme. II fut dépassé quand se déchaina la lutte pour la Réforme.

c) une solution militaire. Michel de L’HOPITAL en janvier 1561 déclara publiquement « il nous faut dorénavant garnir de vertus et bonnes moeurs et puis les (Protestants) assaillir avec les armes de la charité, prières, persuasions, paroles de Dieu qui sont propres á tel combat… Le couteau vaut peu contre l’esprit… Otons ces mots dia­boliques: Luthériens, Huguenots, Papistes, ne changeons pas le nom de Chrétiens » (cit. in Jean DELUMEAU, « Naissance et affirma­tion de la Réforme » Paris 1968, p. 177). Il ne fut pas écouté et alors se déchainèrent huit guerres de religion:

  • en 1562-63
  • en 1567-68
  • en 1568-70
  • en 1572-73
  • en 1574-76
  • en 1577
  • en 1579-80
  • en 1585-98

Dans la dernière phase quand s’affrontèrent la Ligue Catholi­que et Henri de NAVARRE (huguenot) deux idéologies diverses vont s’affronter. Si Henri était vainqueur, les catholiques n’auraient pu le reconnaitre comme souverain légitime, puisque huguenot et donc excommunié; si la Ligue était victorieuse, la nation aurait été sou­mise á l’Espagne et á Rome. Les « politiques » pensèrent á une solu­tion politique intermédiaire: la conversion du Roi en contrepartie de la loyauté de ses sujets. Henri IV abjura et accorda l’Edit de Nan­tes en 1598. Dans ce texte était concédée á « la religion prétendue réformée » (sauf á Paris et dans un rayon de cinq lieues autour de la capitale) la liberté de culte avec certaines limitations. Furent créés des tribunaux pour assurer l’impartialité de la justice et concédés aux protestants deux cents places fortes avec une garnison qui pouvait atteindre jusqu’á 25.000 hommes (en temps de paix, á la même épo­que, l’armée royale comptait environ 10.000 soldats) (voir Carte I).

L’Edit de Nantes ne fut jamais accepté sans réserve, soit des catholiques soit des protestants, qui le jugeaient un compromis trop lourd pour les conscientes des hommes pour qui, de même qu’il y a un seul Dieu au ciel et un seul souverain sur terre, ne pouvaient exercer qu’une seule foi.

Et pourtant, grâce á l’Edit de Nantes, furent posées les bases pour la reprise du catholicisme. L’Eglise put se réorganiser. Le Pape Clément VIII, parmi les clauses pour l’absolution du Roi, avait inclus l’acceptation du Concile de Trente. Henri IV était favorable, mais le Parlement qui, jusqu’alors avait défendu une politique ultraca­tholique, s’y montra contraire. Aux Etats Généraux de 1615, les décrets conciliaires furent reconnus « loi du Royaume » mais d’une façon unilatérale. L’Assemblée du Clergé les « reçut » et ainsi ils devinrent obligatoires en conscience pour les catholiques.

Premiere Partie: Les Structures

 I — Une Eglise dans I ‘Etat et un Etat dans l’Eglise

Le système politique avec lequel doit compter l’Eglise gallicane est celui de l’Absolutisme. Le souverain est indépendant (absolutus) de toute autorité:

  • celle de l’Empereur,
  • celle du Pape,
  • celle des Nobles,
  • celle du Peuple.,

Ainsi, le Roi n’a aucune autorité au-dessus de lui (sauf celle de Dieu) et son pouvoir n’est pas limité par les chaines des féodaux (d’où la lutte contre la féodalité). L’autorité du Roi vient directement de Dieu, non par la médiation du Pape ou du Peuple. Le prince n’est pas sujet de la loi, car il est législateur et il peut procéder contre qui-‘ conque sans rendre aucun compte á personne (« lettre de cachet » qui est une lettre avec le sceau royal ordonnant un emprisonnement avec cette seule justification « tel est mon plaisir »).

Entre l’Eglise et l’Etat il y a collaboration et immixtion: l’Eglise est dans l’Etat et l’Etat dans l’Eglise. On ne peut plus être un souve­rain « hérétique » et la souverain peut intervenir dans l’Eglise. La société civile cherche d’assimiler les structures de la société ecclésias­tique. Les rois jouissent d’un droit divin, reconnu avec la consécra­tion á Reims qui donne le plein pouvoir et rend leur personne sacrée. C’est á cause de cela qu’on ne peut se rebeller contre l’autorité du souverain, même pour un motif légitime. Le régicide, dont on avait discuté et écrit sur la légitimité á la fin du XVIé siècle, est rejeté. D’autre part, comme l’avait démontré l’affaire d’Henri IV, l’au­torité politique se fonde sur l’unité religieuse. On comprend alors que le Parlement ait été le plus fier opposant á l’acceptation du Con­cile de Trente comme aussi du roi « hérétique ».

Si la religion catholique est la religion de l’Etat, le souverain crée et maintient les structures qui rendent plus facile aux sujets l’ob­servance de leurs devoirs religieux, défendent la religion contre toute attaque, empêchent le prosélytisme: les délits contre la religion sont considérés comme contre l’Etat (voilà pourquoi Richelieu était si intéressé au témoignage de S. Vincent dans le procès contre Saint-Cyran). Les lois civiles sont en harmonie avec celles de la religion. Le mariage est réglé par le Droit-Canon, les voeux religieux sont reconnus publi­quement (le « fugitif » pouvait être poursuivi même au plan pénal). Tout cela toujours dans les limites de l’Edit de Nantes. On comprend ainsi pour quel motif la politique du Roi-Soleil était contre cet Edit qu’á la fin il révoqua (1685), et cela au moment le plus crucial du conflit avec Rome au sujet de la « régale ».

Grâce á cette compénétration, le roi participe á la nomination des Evêques et des « bénéfices » importants. En compensation, il reconnait á l’Eglise le monopole de l’assistance et de l’instruction et maintient en vie les immunités qui peuvent être réelles (exemp­tion des taxes pour les biens d’Eglise) locales (droit d’asile) person­nelles• (exemption des tribunaux civils pour les ecclésiastiques).

2 — Le gallicanisme

Le gallicanisme défit ce courant d’opposition doctrinale et pra­tique á l’autorité du Pape (Martimort). C’est un problème théologi­que et politique. Au point de vue politique il marque l’indépendance du Roi de France dans le domaine temporel, par le fait que le Pape ne peut jamais démettre le souverain. Le noeud du gallicanisme théo­logique réside dans la supériorité du Concile sur le Pape. Dans un secteur intermédiaire (de caractère tous ensemble politique et reli­gieux) on trouve les « libertés gallicanes », ces traditions et coutu­mes avec valeur de lois qui, en France, entendaient limiter les pou­voirs du Pape. Par là, les auteurs gallicans entendaient revenir aux anciennes coutumes de l’Eglise primitive (« ramener l’Eglise galli­cane á l’antique liberté ») et ceci avec l’appui du roi et du Parlement, surtout dans les nominations aux « bénéfices » importants et pour éviter les exactions financières de la Curie romaine.

Le gallicanisme est:

episcopal

ecclésiastique

théologique

royal

politique

parlementaire

Les principaux auteurs du gallicanisme furent Pierre PITHOU « Les libertés de l’Eglise gallicane » (1594) qui rassembla en 83 articles les droits de l’Eglise gallicane; Edmond RICHER « De ecclesiastica et politica potestate » (1611); Pierre de MARCA « De concordia sacerdotii et imperii » (1641).

Au plan théologique, Richer soutient que le « pouvoir des clés » est donné « á l’Eglise »: non uni sed unitati. Le Pape est le chef « minis­tériel », « accidente) non essentiel ». Pour les théologiens gallicans, le Pape ne serait pas le « episcopus universalis » car cela nierait l’ins­titution divine de l’épiscopat. Et de plus le Pape ne serait pas le seul juge de la foi. L’évêque est le légitime et ordinaire inquisiteur dans son diocèse. Les évêques unis en Concile constituent l’ultime ins­tance de l’Eglise d’où la Thèse de la supériorité du Concile sur le Pape.

Le Concile, serait d’institution divine et par là infaillible, alors que l’infaillibilité du Pape faisait problème et mémé était niée (le Con­cile de Florence n’avait pas été « reçu » en France). Comparant l’Eglise á la République de Venise, il affirmait que le pouvoir légis­latif (propre au Sénat) appartient au Concile, tandis que le pouvoir exécutif appartient au Pape.

N’allons pas penser que ces thèses constituaient un ensemble homogène. Jusqu’en 1615 l’épiscopat s’était trouvé en difficulté avec la monarchie, difficultés plus ou moins voilées, et pour cela les théo­ries gallicanes n’avaient pas eu sa faveur. Généralement, les évêques suivaient l’enseignement de la Sorbonne qui, au début du siècle, était ultramontain (c’est-á-dire partisan des thèses romaines). Le relie de DUVAL était fort important. Il réfuta la doctrine de la supério­rité du Concile: Pape et Concile forment une seule cathèdre. Les Con­ciles ne sont pas infaillibles sans le Pape, ils n’ont pas besoin d’une approbation formelle. Le Pape en dehors du Concile peut dispenser des canons conciliaires, il est infaillible « ut pontifex, ex cathedra ». II définit l’Eglise « fidelium in yero Dei cultu inter se communicantium sub uno pastore Christi vicario societas ». La vie de l’Eglise cepen­dant ne découle pas du Pape seul, et c’est pour cela qu’il est légitime qu’un décret doive are « reçu ». C’est en fait une infaillibilité pas­sive pour laquelle, si un Pape enseignait l’erreur, l’Eglise ne se lais­serait pas emporter, mais si l’Eglise venait á tomber dans l’erreur, le Pape la corrigerait.

Après 1625, l’épiscopat était désormais conquis á l’absolutisme (et donc n’aurait pas admis la déposition du souverain par le Pape) et commençait á accentuer son indépendance par rapport á Rome, ne voyant pas d’un bon ciel l’intervention du Pape dans la collation des bénéfices, dans les dispenses et dans les privilèges des religieux.

En 1631, est censurée « Apologie » du Jésuite J. FLOYD qui niait la nécessité d’un évêque pour le gouvernement d’un diocèse. Contre FLOYD s’éleva SAINT-CYRAN sous le pseudonyme de Petrus Aurelius dans un ouvrage subventionné par l’épiscopat galli­can .

Bibliographie:

  • A.G. MARTIMORT « Le gallicanisme de Bossuet » Paris 1953
  • idem « Le gallicanisme » Paris 1973
  • Y. CONGAR « L’Eglise de Saint Augustin á l’époque moderne » Paris 1970

3 – Les Evêques

a) Les diocèses

La carte religieuse de la France (cf. carte 2) comprenait au début du XVIIe siècle 14 archidiocèses et 105 diocèses mais ce nombre avait grandi á la fin du siècle avec 18 archidiocèses (dont celui de Paris depuis 1626) et 113 diocèses. Ils étaient inégaux tant pour leur gran­deur que pour leurs biens. Ainsi, le diocèse de Grasse avait 23 parois­ses, celui de Rouen 1380; les revenus de Grasse étaient de 17.000 livres par an tandis que Strasbourg avait 300.000 livres.

En principe, les Evêques dépendaient de la couronne. Pour les diocèses et les abbayes importantes (environ 500) le roi devait pré­senter, dans les six mois, un candidat á qui le Pape pouvait concé­der la Bulle de nomination. Si le Pape refusait, le Roi devait alors, dans les trois mois, présenter un autre candidat. Si celui-ci était aussi jugé indigne la nomination revenait alors au Saint-Siége. Cette pro­cédure avait signifié d’une scène une augmentation du pouvoir absolu mais d’un autre c6té avait mis le Saint-Siége á l’abri du système de la Pragmatique sanction (élection par les Chapitres).

Pour le choix des candidats, le Roi utilisait son « Conseil de cons­cience » (qui souvent se réduisait au seul confesseur). La plus grande partie des Evêques étaient des nobles et mémé vont se constituer de véritables généalogies épiscopales: les de Gondi á Paris, les La Roche­foucauld, les Béthune, les Potier, les d’Estrées. II y a peu d’évêques qui ne sont pas nobles: Godeau, Pavillon, Bossuet. La préférence donnée aux nobles reposait sur un mode particulier de voir la société et l’homme: « la noblesse qui a de la vertu a souvent un particulier désir d’honneur et de gloire qui produit les mémés effets que le zélé causé par le pur amour de Dieu, qu’elle vit d’ordinaire avec lustre et libéralité conforme á telle charge et sait mieux la façon d’agir et de converser avec le monde » (Richelieu « Testament potingue » Ams­terdam 1688, p. 54, cité in TAVENAUXI I, 36).

Certains évêchés étaient conférés á des parents de ministres et de magistrats (entre autres Henri Arnauld). De nombreuses abbayes étaient données en commandite á des gens qui ne s’occupaient que de recueillir les rentes de la « table ». De cette façon, le souverain pouvait récompenser les services de ses fidèles et épargnait les deniers de la caisse royale. Richelieu et Mazarin avaient chacun une ving­taine d’abbayes!

Ces faits devraient corriger, en partie au moins, l’image que l’on a de la richesse du clergé au XVIP.siécle. En 1650, François PAUMIER disait, mais sans faits précis, que le clergé possédait la moitié des terres cultivables; au siècle suivant deux estimations lui attribuent un tiers ou un cinquième. De toutes façons, « les rois ont tiré du clergé beaucoup plus que ne l’affirment pas mal d’historiens. Le total réel (rentes sur les villes, offrandes, « don gratuit »…) devait tourner autour de cinq millions, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle » (P. Goubert « L’Ancien Régime », edit. ital. II, 568).

Beaucoup plus important que ces faits, la découverte de la figure de l’évêque. Les évêques du XVIIe siècle furent quasi tous de belles figures. On connait d’authentiques modèles d’évêques réformateurs, tels Jean-Baptiste GAULT (+ 1643), Alain de SOLMINIHAC (+ 1659), Nicolas PAVILLON (+ 1677), Etienne CAULET (+ 1680) et Henri ARNAULD (+ 1692). Ils étaient cependant plus administrateurs qu’animateurs d’une pastorale. La principale acti­vité était la visite pastorale. La moyenne au XVIIe siècle était une visite tous les douze ans alors qu’au siècle suivant elle était d’une visite chaque huit an. Dans la visite trois points sont á contrôler: la vie et le comportement du curé et du clergé, les conditions de l’église, les conditions de la paroisse. Un document rapporte une visite de Jean-François de Gondi aux paroisses de son diocèse entre le 8 et le 20 octobre 1624. En voici le détail:

  • 8 octobre: Rueil, Nanterre, Villiers-la-Garenne, Clichy-la-Garenne
  • 9 octobre: Rueil, Nanterre, Villiers-la-Garenne, Clichy-la-Garenne
  • 10 octobre: Sèvres, Meudon, Clamart, Ursines
  • 11 octobre: Chaville, Viroflay, Montreuil, Ville d’Avray
  • 17 octobre: Vanves, Issy
  • 18 octobre: Vaugirard, Montrouge
  • 19 octobre: Chátillon-sous-Bagneux, Fontenay-aux-Roses
  • 20 octobre: Sceaux, Verriéres, Chatenay

(cf. J. FERTE « La vie religieuse dans les campagnes parisiennes » Paris 1962, p. 20). Pour les visites cf. RHEF 55 (1969) pp. 49-67; 279-288).

Le second pilier de l’activité épiscopale était le synode. Le Car­dinal archevêque de Bordeaux, Franlois de Sourdis, en célébra 22 entre 1600 et 1627, avec aussi un concile provincial en 1624.

b) Les Assemblées du clergé

Une des plus importantes structures de l’Ancien-Régime étaient ces assemblées composées de 60 députés, quatre par Province ecclé­siastique, dont deux du premier ordre et deux du second. Ils étaient élus, non par tout le clergé, mais, pour le second ordre, par les « béné­ficiaires ». Les Assemblées avaient lieu tous les dix ans (sauf motif particulier comme en 1581-82) pour discuter le « contrat de décime » c’est-it-dire la clausule de concession au roi de la contribution qui depuis 1561 était de 1.300.000 livres, et aussi le « don gratuit », c’est­is-dire la somme que depuis 1621 le clergé devait donner au souve­rain, cela était devenu un dû. Sous le régné de Louis XIII, entre décime ordinaire et don gratuit, le clergé donna á la monarchie 56.482.268 livres, et entre 1643 et 1666 le clergé donna á Louis XIV 50.487.198 livres.

Dans les 13 assemblées du clergé qui se sont tenues entre 1615 et 1665, on ne traita pas que de questions économiques. Pour pré­parer ces assemblées on recueillait des « cahiers » avec les remontran­ces les plus diverses. En différentes occasions les assemblées cherchèrent de profiter de leur existent pour traiter des questions comme s’il s’agissait d’un concile national. Pour cette raison, Rome les regar­dait avec suspicion. On y discutait du droit divin du Roi, de l’auto­rité du Pape et des Evêques, des questions de foi, surtout en lien avec le jansénisme, des rapports entre évêques et religieux et de la question protestante. Dans ce dernier domaine le clergé fut toujours pour une politique de rigueur et pour favoriser la révocation de l’Edit de Nantes dans les rapports avec la religion « prétendue réformée ».

4 – Les paroisses et le clergé diocésain

La paroisse était l’unité-base de l’Eglise comme de l’Etat. Dans la paroisse vivait le curé. La nomination ne relevait qu’en petite partie de l’évêque. Un des cas limites est celui de Limoges où l’évêque pou­vait seulement nommer 363 curés sur 868. La plus grande partie des nominations relevait des « patrons » qui étaient des laïcs aussi bien que des clercs. Une fois nommé, le curé était inamovible. De tout cela naissait la grande indépendance des prêtres. Le curé pouvait appeler, pour se faire aider, un « vicaire ». Dans les paroisses il y avait d’autres prêtres en grand nombre, sans aucun service pastoral et sou­vent mémé sans le pouvoir de confesser. On les appelait « prêtres habitués ». Certains d’entre eux vivaient ensemble et avaient part á des biens, on les appelait « méparts » ou « familiarités » ou « con­sorts » . Les curés pouvaient outre « bénéficiers » ou « congrus ». Ils pou­vaient renoncer á leur cure et même parfois choisir leur successeur en échange d’une pension. C’est ainsi que fit S. Vincent á Clichy en 1626.

La fonction des curés était très importante. La moyenne était d’un prêtre pour á peu près deux cents habitants (on comptait envi­ron 100.000 prêtres et autant de religieux). Dans cette masse de prêtres les curés, en général, jouissaient d’un certain prestige et d’une certaine aisance (sauf les « congrus »). La charge de curé était recher­chée. Pour Beauvais, sur 64 séminaristes, 4 étaient nobles, 20 fils de marchands, de chirurgiens, de procureurs. Parmi ceux de nais­ séance paysanne, il n’y avait aucun fils de « manouvrier ». (P. GOU­BERT « Beauvais… », Paris 1960). Cela explique comment parmi les curés il y eut des personnages connus: Bourgoing et Vincent de Paul furent curés á Clichy-la-Garenne, Jacques Gallemant, premier supé­rieur des Carmélites en France et docteur en Sorbonne fut curé d’Au­bervilliers, André de Saussay, évêque de Toul fut d’abord curé de Briis-sous-Forges et Jean JacquesOlier curé de Saint-Sulpice.

La qualité de ces personnages ne doit pas nous induire en erreur. Jusqu’au succès de la formation dans les séminaires, beaucoup de curés avaient une culture superficielle (et celle des autres prêtres était pire). Les visites pastorales révèlent des conditions pitoyables de prêtres ignorants qui ne savent pas un mot de latin. Ils s’étaient formés dans une Corte d’apprentissage auprès d’un autre curé. En 1643, l’ar­chidiacre de Bourges avouait « il y en a qui ne peuvent dire ce qu’ils font quand ils disent la messe qui, par conséquent, n’ont aucun res­pect pour ce saint mystère et qui mettent dans le tabernacle des bouts de cierge, de la bougie, de l’argent et des papiers avec les saintes hosties… On en a trouvé un… curé depuis vingt ans qui ne savait pas la forme de l’absolution ni quelle partie du corps il fallait oindre dans l’Extréme-Onction » (J. ORCIBAL « Jean Duvergier de Hau­rane… » Louvain-Paris 1947, p. 6). Les défauts imputés aux prêtres étaient l’ivrognerie, la brutalité, la licence du langage et des habitu­des, la chasse.

5 – Les Religieux

Dans ses « Mémoires » Louis XIV écrit « Je crus aussi qu’il était de la police générale de mon royaume de diminuer ce grand nombre de religieux, dont la plupart, étant inutiles á l’Eglise, étaient oné­reux á l’Etat. Dans cette pensée, je me persuadai que, comme rien ne contribuait tant á remplir les couvents que la facilité que l’on apportait á y recevoir les enfants de trop bonne heure, il serait bon de différer á l’avenir le temps des voeux; qu’ainsi les esprits irréso­lus, ne trouvant pas sitôt la porte des cloitres ouverte, s’engageraient, en attendant, en quelque autre profession où ils serviraient le public; que mémé la plus grande partie se trouvant dans un établissement, y demeurerait pour toujours, et formerait de nouvelles familles, dont l’Etat serait fortifié; mais que l’Eglise mémé y trouverait son avan­tage, en ce que les particuliers, ne s’engageant plus dans les cou­vents sans avoir eu le loisir d’y bien penser, y vivraient après avec plus d’ exemple

Mon conseil, auquel j’avais communiqué ce dessein, m’y avait plusieurs fois confirmé par ses suffrages; mais, sur le point de l’exécution, je fus arrêté par ces sentiments de respect que nous devons toujours avoir pour l’Eglise, en ce qui est de sa véritable juridiction, et je résolus de ne déterminer ce point que de concert avec le Pape. Et néanmoins, en attendant que j’en l’eusse informé, je voulus empêcher le mal de croitre par tous les moyens qui dépendaient purement de moi. Ainsi, je défendis tous les nouveaux établissements de monastères, je pourvus á la suppression de ceux qui s’étaient fait contre les formes et je fis agir mon procureur général pour régler le nombre de religieux que chaque couvent pouvait porter » (« Mémoires pour l’an­née 1667 » Edit. J. Longnon Paris 1978, p. 225 sq).

Les paroles du Roi-Soleil reflètent en grande partie le jugement des contemporains envers les religieux.

Mais, malgré tout, les religieux connurent au XVIIe siècle une nouvelle impulsion. Rápenlos les reformes les plus importantes.

1)   Les Bénédictins

Saint-Vanne et Saint-Hydulphe commencée á Verdun en 1604 grâce á Didier de la Cour ( + 1623). A la fin du siècle la Congrégation compte une cinquantaine de monastères où se trouvaient de 500 á 600 moines.

Congrégation de Saint-Maur entre 1618 et 1621, la réforme est l’ceu­vre de Laurent Bénard ( + 1629). A la fin du XVIIe siècle elle aura plus de 200 monastères.

2)      Les Cisterciens

Les Feuillants dont la réforme est du siècle précédent.

Les Trappistes dont la réforme est commencée par de Rancé en 1662.

Port-Royal la réforme date de 1608 avec Angélique Arnauld. Les Filles du Calvaire avec Antoinette d’Orléans et le P. Joseph.

3)      Les Augustins

Congrégation des Chanoines de Sainte-Geneviéve réforme opérée en 1635 par le Cardinal La Rochefoucauld.

Chanoines de Notre-Sauveur, avec Saint Pierre Fourier ( + 1640). Chanoines de Chancelande, liée á Alain de Solminihac.

Chanoines Prémontrés de Lorraine, 1630. A la fin du siècle on comptait 38 maisons.

4)      Les Ordres Mendiants

Les Carmes ont obtenu en 1611 la permission de s’installer á Paris après qu’en 1604 les Carmélites s’y étaient installées. Mais elles furent soustraites aux Carmes.

Les Dominicains ou Jacobins avec la réforme de S. Micahélis ( + 1618) et A. Le Quieu ( + 1676).

5)      Les Ordres nouveaux

Les Capucins introduits en France en 1575. Lorsque Matthieu Bellintani ( + 1611) fut nommé commissaire général pour la France, ils augmentérent d’une façon prodigieuse en nombre et en impor­tance. 12 provinces furent créées, 317 couvents et plus de 6.000 Frères.

Les Jésuites, venus en France où, d’une certaine façon, ils étaient nés (á Montmartre en 1634 avec les premiers vœux) ils s’y implantèrent fortement (ils avaient une quarantaine de collèges avant 1615) malgré de nombreux obstacles. Ils furent attaqués par « les politique » et par les curés de Paris. Après la tentative de régicide, per­pétré par un de leurs anciens élèves, Jean Chastel, ils furent expul­sés (1595) et ne revinrent qu’en 1603.

6)      Les Communautés sacerdotales

La vraie nouveauté de la réforme en France fut la constitution de nouvelles communautés sacerdotales. Les éléments caractéristi­ques de leur expérience sont:

la valorisation du sacerdoce au détriment des voeux,

La valorisation de la sécularité, c’est-á-dire le service de l’Eglise sous la dépendance de l’Evêque,

le ministère centré sur l’Evangélisation et sur la Formation du clergé.

Parmi les nouvelles communautés, mentionnons:

Les Doctrinaires, fondés par César de Bus et reconnus en 1598 L’Oratoire de Jésus , de Bérulle (1611)

La Congrégation de la Missi on (1625)

Les Sulpiciens (1642)

Les Eudistes (1643)

Pour sentir la force de la réforme, les deux cartes précédentes sont éloquentes. L’une présente les fondations du XVIe siècle, la seconde les fondations au XVIIe.

7)      Les Communautés féminines nouvelles

Une des caractéristiques saillantes de la Réforme catholique a consisté dans la lutte pour faire exister dans l’Eglise l’apostolat de femmes consacrées.

Alors que la vie religieuse traditionnelle ne permettait á la femme que la fuite du monde, en 1535 on assiste á un renversement de tendance. En cette année, á Brescia, dans l’Italie septentrionale, est fondée la Compagnie de Sainte Ursule par Ste. Angèle MERICI (+ 1540). Prenant modèle sur l’Eglise primitive, les Ursulines sont des Vier­ges qui vivent dans leur maison avec l’observance perpétuelle de la pauvreté, de l’obéissance et de la chasteté. A l’origine de la Compa­gnie de Sainte Ursule se trouve une institution d’assistance avec une orientation vers l’éducation. L’expérience avait mis Angèle Merici en contact avec de jeunes femmes abandonnées et sans aide. Pour ce motif, en principe, l’objet de l’apostolat est orienté vers les seules vierges. La Compagnie est organisée, on nomme des « colonelles », responsables pour chaque quartier de la ville de la conduite morale des jeunes filles qui leur sont confiées et qui vivent chez elles. Quel­ques années après la mort d’Angèle Merici, les jeunes filles elles- mêmes suivant l’exemple de leur Méré devenaient apôtres: on les trouve en service dans les h6pitaux et dans les Ecoles de la doctrine chrétienne.

Bien vite, sous l’impulsion du Concile de Trente, on sentit le besoin de maisons á vie commune. Beaucoup de jeunes filles restaient orphelines et alors une forme de cohabitation s’imposait de soi. Lors­que les exigences tridentines imposant la clôture se firent plus pres­santes, ces maisons devinrent des « conservatoires », sans vœux publics, avec le vœu privé de chasteté, même si par la suite furent adoptés plusieurs éléments typiques des monastères, comme le tour et la porte d’entrée fermée á trois clés.

Les Ursulines « nées dans la diversité » essaimèrent assez vite de Brescia prenant un caractère particulier selon les lieux où elles s’établissaient, sans vraiment constituer, en soi, un ordre vrai et spé­cifique.

En France, après la première fondation en Avignon des « Filles de la Doctrine de Ste. Ursule » sous la direction des Doctrinaires, la tendance á la vie communautaire s’accentua (même si encore il y avait des Ursulines résidant dans leur famille). Ici l’ application du Concile de Trente fut plus rigoureuse et ainsi les Ursulines vivant en commu­nauté furent tenues á la clôture. Il y eut une exception avec les Ursu­lines de Dóle, fondées par Anne de Xaintonge en 1606, et qui se con­sacraient au service des fillettes pauvres. Elles purent éviter la clôture parce que Dóle était alors sous la domination espagnole. La première communauté ursuline á prendre la clôture fut celle de Paris en 1612.

Congrégation de Notre-Dame fondée par Pierre Fourier et Alix Le Clerc en 1597. Ce furent les religieuses elles-mêmes qui demandèrent au Saint-Siège la clôture et cela parce que les familles ne con­fiaient pas volontiers leurs filles á un ordre sans statut juridique sûr. Le recrutement se faisait parmi les jeunes filles de la petite noblesse et dans la bourgeoisie.

Les Filles de Notre-Dame de Jeanne de Lestonnac, nièce de Mon­taigne, et du Jésuite Jean de Bordes (1605). Elles demandèrent aus­sit6t la clôture.

La Visitation fondée á Annecy en 1610 par François de Sales et Jeanne de Chantal.

Les Filles de Sainte-Geneviéve de Madame de Miramion (+ 1676).

Les Filles de la Providence de Madame de Pollalion (+ 1657) fon­dées en 1641. Saint Vincent eut une part importante dans l’élabora­tion de leur Régle.

Les Seurs de Sainte-Agnés fondées par Mademoiselle Biscot en 1636. S. Vincent devint leur protecteur et recommanda les Scieurs á Anne d’Autriche pour l’obtention de l’approbation royale.

Les Filles de la Croix de Paris fondées par Madame Lhuillier de Villeneuve en 1640. La fondatrice était une Dame de la Charité, elle se servit des conseil de S. Vincent.

Les Augustines de la Charla de Notre-Dame fondées par Simone Gau­guin, en religion Françoise de la Croix, (+ 1657) en 1628. Les Cons­titutions furent rédigées avec le conseil de S. Vincent.

Les Religieuses de la Croix de Saint-Quintin fondées á Roye en 1625 par Pierre Guérin et Francoise Wallet.

Les Madelonnettes fondées en 1618 par un marchand de vin, Robert de Montry, qui, entrepris par deux prostituées, leur avait pro- posé de les aider á changer de vie. En 1620 elles prirent l’habit reli­gieux. En 1630 elles furent placées sous la direction des Soeurs de la Visitation avec le consentement de S. Vincent. En 1677, les Visi­tandines laissèrent la place aux Ursulines qui furent bientôt rempla­cées par les Hospitaliéres de la Miséricorde de Jésus et á partir de 1720 par les religieuses de Notre-Dame de la Charité. Dans les Made­lonnettes, il y avait quatre catégories de personnes: les détenues; les Filles de Sainte Marthe, prostituées converties, vêtues d’un habit gris et qui pouvaient faire les voeux simples et temporaires, ceux-ci ter­minés elles pouvaient se marier; les Filles de Sainte Madeleine, reli­gieuses á voeux perpétuels; la Congrégation de Saint-Lazare, pen­sionnaires forcées (des femmes du grand monde y furent admises comme par exemple Ninon de Lenclos et Madame de Lescalopier).

Les Religieuses de Sainte-Elisabeth; le règlement établi par Charles Faure ( + 1644) avait été préparé sur les conseils de S. Vincent et de Condren.

Les Filles de la Vie Intérieure de la Vierge, l’idée d’une telle commu­nauté était due á Monsieur Olier. Les deux premières Soeurs furent Madame de Tronson et Madame de Saujon. Cette dernière prit con­seil de S. Vincent (SV. VIII, 393 sq.). Devenue par la suite Supérieure sans en avoir les qualités, Mme Saujon provoqua la fin de la Communauté.

Note: Un phénomène intéressant est le développement de l’éré­mitisme. Beaucoup parmi les spirituels les plus connus éprouvèrent une attraction extraordinaire pour la Chartreuse (Bérulle). L’érémi­tisme fleurit sous des modes divers, la plus connue est celle des  » soli­taires » de Port-Royal.

Deuxième Partie: La Vitalite

Introduction

Pour comprendre le sens de la réforme de l’Eglise de France dans laquelle S. Vincent eut une si grande part, il faut recourir aux « temps longs ». Evaluer le XVII, siècle san points de référence sûrs n’a aucun sens. On peut confronter le « grand siècle » au temps de la chrétienté médiévale ou encore á notre époque. Par le biais de cette confrontation il nous sera possible de mieux saisir le sens de l’action religieuse entreprise á l’intérieur de l’Eglise de France.

1) Dans la comparaison avec le Moyen-Age, il faut nous souve­nir que aujourd’hui le mythe du « moyen-âge chrétien » est abandonné. Le GOFF a écrit que pendant le Moyen-Age la France était pays de mission comme aujourd’hui. Certes il existait une religiosité una­nime, mais c’était plutôt un fait social, civil. On était alors chrétiens parce qu’on naissait en pays chrétien. Il y avait indubitablement une élite religieuse devant qui on est tenté de penser que tous étaient ainsi. Il existait bel et bien une religion populaire pleine de superstitions et de résidus sûrement païens, et elle était tolérée.

La « décadence » des XIVe et XVe siècles est un schéma com­mode, valable pour certains aspects (crise et décadence du rôle politico-religieux de la papauté, corruption répandue en pas mal de communautés par suite des concessions de la Curie romaine) mais il ne peut être généralisé. Il s’agit davantage de voir que les deux siècles en question manifestent un progrès économique et culturel en Europe. Les bénéficiaires en sont les laïcs. Une nouvelle élite cul­turelle se met en place et elle commence á critiquer et l’hégémonie cléricale dans l’Eglise et la tolérance de certaines pratiques de la reli­gion populaire. Il suffit de lire Erasme ou Thomas More pour s’en convaincre.

Ce ne sont ni les abus ni le besoin de réformer les moeurs qui feront exploser la Réforme protestante. LUTHER écrivait en 1520 « Je ne prends pas les armes contre les mauvaises moeurs mais con­tre les doctrines impies » ( Weimarer Ausgabe 7, 43). Le drame de l’Europe « à l’automne du Moyen-Age » (Huizinga) fut le désaccord à propos de la grâce et du libre-arbitre. Si l’épidémie la plus grave du moyen-âge a été a « peste noire » de la moitié du XIVe siècle, celle de la seconde moitié du XVI et du début du XVIe fut « l’angoisse du salut », comme le dit P. Chaunu. Pour répondre á ce besoin, les communautés luthériennes et calvinistes (pour la France CALVIN fut le point de référence, au moins après les années quarante) se modelèrent sur la Communauté de Jérusalem; selon les Sommaires des Actes or est laissé de certé l’aspect hiérarchique et institutionnel pour mettre en valeur le Baptéme, l’écoute de la Parole et la « fraction du pain » dont on soustrait la signification sacramentelle.

Après une période d’incubation et avec un notable retard (en France plus que partout ailleurs) s’affirma finalement la réforme catho­lique. Si on ne tient pas compte des différences doctrinales, on s’aperçoit qu’au fond la réforme catholique fut fort semblable á la réforme protestante. C’est pourquoi, aujourd’hui, certains historiens parlent des « deux réformes » comme de deux mouvements parallèles et con­currents. Les deux théologies en fait auraient eu le même but: répon­dre á la peur de l’enfer (J. Delumeau).

Pour résoudre le problème du salut les communautés de la Réforme comme celles catholiques (ces dernières furent plus lentes á se mettre en marche en vertu du principe de la « possession », elles se croyaient dans la vérité, et de l’insuffisante organisation pasto­rale) se donnèrent une organisation cohérente. Dan les dux camps on choisit trois moyens d’action:

a)     la peur (de la mort, de l’enfer, de la femme — le puritanisme du péché, des « turcs », des « déviants » — la persé­cution des protestants en pays catholiques et celle des catholiques en pays protestants)

b) Le Pouvoir: protestants et catholiques eurent recours á l’Etat. Une fois assurés les centres du pouvoir, s’ouvrait la route aux minis­tres de la confession respective. LUTHER fit appel aux Princes qui, convertis á la nouvelle foi, obligèrent les populations á en faire autant. CALVIN organisa Genève selon un contrôle très strict pour empêcher les infiltrations catholiques. Les catholiques placèrent des con­fesseurs auprès des Princes et des familles influentes (S. Vincent chez les de Gondi) et les Princes agirent sur le Concile et sur les Papes.

c) un effort pastoral. Après le premier enthousiasme, LUTHER pour ne pas outre dépassé á gauche, dut organiser le culte et mettre au moins un cadre organique (d’oïl les « confessions »). Le Concile de Trente d’une façon analogue mit en couvre un renouveau pasto­ral vraiment génial parce qu’il fut capable de répondre aux exigences de l’Eglise catholique pour plusieurs siècles, jusqu’à Vatican II.

2) Le second terme de comparaison est avec notre temps inter­pellé par la déchristianisation. Ce phénomène est-il conséquence de la faillite de la volonté de puissance et de la pastorale de la peur (J. Delumeau)? Le même auteur répond affirmativement en mettant en relief d’autres éléments:

a) la christianisation fut partielle: tous les secteurs de la population n’ont pas été touchés et les résistances vécues, pas toujours concep­tualisées, furent plus fortes que ce que l’on pense.

b) á partir du XVIIIe siècle (donc après le temps de S. Vin­cent) la distante entre le culture moderne faite de science et de techni­que, et la culture ecclésiastique fermée sur elle-même, va augmentant.

c) la théologie n’a pas assez estimé les valeurs de la vie terrestre. A mesure que les conditions de la vie s’améliorent (á partir de la moitié du XVIIe siècle la « vie » prend le pas sur la mort par le fait de meilleures conditions d’existence) l’Eglise ne sut pas se ne ‘aire vuix de ceux qui ne sont pas entendus (question sociale, question démo­cratico-nationale).

d) l’incapacité de comprendre les conditions d’infériorité de la femme et d’agir en conséquence Delumeau « Un chemin d’histoire. Chrétienté et christianisation » Paris 1981, p. 7 sq).

1 – Les facteurs d’une pastorale de conquête

1) Le « nouveau prêtre »

Le Concile de Trente avait mis en première place la pastorale de l’Eglise. Il en sortit un modèle de nouveau prêtre. Pour le com­prendre il faut observer comment dans l’histoire se sont croisés, et comme alternés, deux façons de concevoir le prêtre:

  • la tradition du Pseudo-Denys: le prêtre est essentiellement et prin­cipalement (même si ce n’est pas uniquement) l’homme du culte. Il est pris parmi les hommes et constitué en une dignité plus grande que toutes les dignités humaines, il est supérieur aux Rois et aux Prin­ces, pour faire monter la louange vers Dieu et sanctifier les hommes.
  • la tradition augustinienne du prêtre comme homme de la mission. S. Augustin aimait á dire « praesumus si prosumus », nous sommes chefs si nous servons. La consécration n’est pas une dignité ou un motif pour revendiquer les honneurs, mais le signe d’une disponibi­lité á servir.

Le « nouveau prêtre » nait de la synthèse de ces deux éléments. Il n’est plus le chasseur de bénéfices qui vit tranquille dans les « otia litteraria » comme Erasme. Mais assuré d’un statut économique par­ticulier (un des phénomènes des XVIe et XVIIe siècles est l’aug­mentation des biens du clergé) il devient de plus en plus un homme du culte utilisé en pastorale.

Bérulle, Condren, Olier se situent dans la ligne du Pseudo­Denys. Le prêtre est « alter Christus »: c’est le Christ qui parle par la bouche du prêtre, qui consacre et bénit par lui. Bérulle aimait á dire « En l’ordre établi de Dieu il y a deux cortes de personnes: les unes qui reçoivent et les autres qui communiquent l’esprit, la lumière et la grâce de Jésus. Les premiers sont tous les fidèles et les seconds les prêtres ».

S. Vincent, plus intuitivement que consciemment, se situe sur la seconde ligne. Dans la formation des missionnaires, il les veut très attentifs isla liturgie (aspect cultuel) mais aussi á la « mission » (ser­vice) « il ne me suffit pas d’aimer Dieu si mon prochain ne l’aime ».

Le résultat de l’action de la réforme fut la création d’un modèle qui a été proposé jusqu’á nos jours:

le prêtre est un homme séparé.. á cause de l’habit (habit de cou­leur modeste, noir ou gris, la soutane ne s’utilisa hors de l’église qu’á partir du XIXe siècle), á cause de son célibat, á cause aussi du lieu où il habite et qui est « séparé » des hommes, et á cause des métiers qu’il ne peut exercer (commerçant, boucher, chasseur, chirurgien) comme des lieux qui lui sont interdits (auberges, théâtres).

  • le prêtre (tout au moins le curé) vit dans le presbytère il attend les gens alors que ceux-ci ne sont pas forcés d’y venir. L’usage de la messe quotidienne pour les prêtres devient toujours plus répandu. Ses autres ministères sont l’administration des sacrements et la prédication (on ne comprend pas la messe dominicale, au moins elle, sans prêche, et de plus il y a le catéchisme le dimanche après-midi). Diverses formes de contrôle (les « certificats » des Páques) per­mettent aux curés d’avoir autour de lui la plus grande partie des fidèles sinon la totalité).
  • époque de la naissance de toute une littérature cléricale sur les devoirs des prêtres, ainsi R. DOGNON « Le bon curé » Paris, 1630, plus tard P. COLLET « Traité des devoirs d’un pasteur… » Avignon, 1757. Cf. J. GRANDET « Les saints prêtres français du Xi7P siècle » éd. G. Letourneau, 3 vol. Angers 1897.

2) Les Séminaires

Le Concile de Trente dans le décret « Cum adolescentium actas » (CT. IX, 628-630) avait donné seulement des directives et encore pas mal vagues:

Le Séminaire est un internat ouvert aux enfants de douze ans et plus, riches (ils paient) et pauvres (entretenus gratuitement) sous la dépendance de l’Evêque donnant un enseignement de caractère pratique et pastoral.

En Italie, sur ce canevas, furent créés au XVIIe siècle 128 sémi­naires et dans le siècle suivant 70 de plus. La plus grande partie de ces Séminaires était un ensemble désordonné d’élèves de tous âges qui suivaient les cours hors du séminaire. A cause des maigres res­sources financières un pourcentage infime des candidats aux Ordres suivait le cycle propre du séminaire (ainsi á Plaisance, au siècle, les ordonnés qui avaient fréquenté le séminaire étaient á peine 10%).

La réalisation la mieux réussie en Italie fut celle du séminaire milanais créé par Saint Charles BORROMEE en 1564 et confié en 1579 aux Oblats de St. Ambroise, une congrégation de prêtres dio­césains créée dans ce but.

En France la réalisation du Concile de Trente avait permis la création de 14 séminaires entre 1567 (séminaire de Reims) et 1600. A la fin des guerres de religion, entre 1600 et 1620, quatre furent créés. Toutes ces tentatives se révélèrent une faillite: la plus grande partie de ces fondations durèrent quelques années. En 1644, seuls étaient encore ouverts les séminaires de Reims, Bordeaux et Rouen.

Un véritable tournant se fit dans les années quarante, et cela s’inspire de deux éléments:

  • la tradition du « modus parisiensis », c’est-á-dire l’expérience pédagogique particulière de la Sorbonne qui prévoyait:

la division des étudiants selon l’âge et le progrès (« majores », « provectiones », « rudiores »),

l’obligation de l’assistance aux cours,

les discussion publiques, et les répétitions périodiques,

le fait que les professeurs s’occupent aussi de la conduite morale des élèves.

  • l’expérience, « l’ordonnace du concile de Trente est á respec­ter comme venant du Saint-Esprit. L’expérience fait voir néanmoins que de la façon qu’on l’exécute á l’égard de l’âge des séminaristes, la chose ne réussit pas, ni en Italie, ni en France » (SV. II, 458-461).

Ainsi se sont formés divers modèles:

  • Le séminaire-paroisse d’Adrien BOURDOISE ( + 1655) « ce qui fait un bon capucin, c’est un bon noviciat. Ce qui fait qu’il y a si peu de bons prêtres, c’est qu’il n’y a pas de noviciat pour les prêtres ». Il eut alor l’idée d’une paroisse oiz seraient présents, ensem­ble autour du curé, des prêtres qui vannaient á Paris pour compléter leurs études et des clercs qui se formaient aux Ordres.
  • Le séminaire-collège, collège parce que l’enseignement y est donné (ce n’est donne pas un simple « internat » comme dans les sémi­naires italiens), séminaire parce que, outre la formation intellectuelle, s’y donne la formation pastorale. Cette seconde formule prévalut. Ce fut la formule, avec des différences parfois notables, de S. Vincent, de M. OLIER, de S. Jean Eudes. On peut garder comme élé­ments spécifiques de ce séminaire:

la distinction entre petit et grand séminaire (avec une préférence pour les grands séminaires),

la participation des séminaristes au ministère.

Si on veut, de plus, comparer les séminaires lazaristes aux sémi­naires sulpiciens, on peut noter:

dans les séminaires lazaristes on donne une plus grande prépa­ration pastorale, tandis que chez les sulpiciens prévaut la formation culturelle (les lazaristes étaient plus adaptés pour la formation des curés, les sulpiciens pour la formation des évêques),

les séminaires lazaristes ont plus d’autonomie par rapport aux évêques,

la plus grande partie des séminaires lazaristes appartenait, même pour les murs, á la Congrégation.

Les faits ne doivent pas suggérer des conclusions forcées. Les premiers séminaires devaient répondre á une situation d’urgence. Les séminaristes n’y passaient pas plus de deux ans et ils recevaient une formation morale, liturgique et pastorale. Vers la fin du siècle et au siècle suivant, surtout grâce á la lutte contre le jansénisme et le réformisme illuminé, le mode de formation dans les séminaires, changea. Au XVIIIe siècle les programmes furent améliorés, ren­dus plus complets et cela améliora indubitablement la qualité du clergé.

3 – Les Missions

Les missions populaires ont pris naissance dans le climat de la contre-réforme comme un élément de reprise et de rénovation selon les lignes du Concile de Trente. Il est difficile de parler d’un com­mencement absolu. En premier lieu nous trouvons les Jésuites, (comme Antoine POSSEVINO (+ 1611) en Italie, Pierre SKARGA (+ 1612) en Pologne, Edmond AUGIER (+ 1591) et Pierre COTON (+ 1626) en France. Le général de la Compagnie de Jésus, Claude ACQUAVIVA, eut le mérite de tracer un dessein précis des mis­sions. S. Charles BORROMEE en 1578 fonda les Oblats de S. Ambroise dans le but de donner l’instruction catéchistique en allant de paroisse en paroisse. César de BUS (+ 1607) suivant l’exemple de Borromée et de S. Philippe NERI, entre 1584 et 1590, transforma sa prédication en un enseignement systématique du catéchisme. En Allemagne, les missions furent le correspondant catholique des visi­tes protestantes.

Au XVIIe siècle, la mission s’organise et a comme protagonis­tes les Capucins et les Jésuites, comme aussi un grand nombre de communautés nouvelles nées pour ce ministère.

Les types des missions furent variés:

  • la mission pénitentielle en vogue surtout dans les pays latins. On y donne une large part aux manifestations émotionnelles: pro­cessions, flagellations…
  • la mission centrale surtout jésuite. On choisit une paroisse cen­trale où l’on s’arrate quelques jours: la prédication est adressée á tou­tes les paroisses de la zone qui venaient au centre.
  • la mission urbaine pratiquée á Rome á l’Oratoire de Caravita. La mission se déplace de mois en mois en diverses églises. Un aspect typique est les dialogue entre le sage et l’ignorant (ou pécheur)
  • la mission catéchistique pratiquée surtout en France. Michel LE NOBLETZ (+ 1652) se servait de tableaux peints á propos des diver­ses vertus. Pour favoriser la mémorisation de la vérité, ce mission­naire composait des cantiques populaires. Il se servait aussi d’auxi­liaires laïques qui expliquaient le catéchisme et dispersées au milieu du peuple participaient au dialogue entre le prédicateur et la popu­lation.

Les communautés sacerdotales françaises se consacrèrent tou­tes aux missions:

  • l’Oratoire de Jésus, parmi les missionnaires oratoriens rappe­lons Jean-Baptiste GAULT ( + 1643) qui devint évêque de Marseille et Jean-Baptiste LEJEUNE ( + 1672),

Congrégation de la Mission,

  • Congrégation du Très Saint Sacrement de C. d’AUTHIER DE SISGAUD (+ 1667),
  • Saint Sulpice, M. OLIER fut un missionnaire qui se dévoue, corps et âme á ce travail.
  • Eudistes, S. Jean Eudes prêcha entre 1632 et 1674 plus de 110 missions même dans les grandes villes. La durée des missions variait de deux semaines á cinq mois (cf. CARTES 7 et 8)
  • Montfortains fondés par S. Louis-Marie GRIGNON de MONTFORT qui donna une large part á la fantaisie et á la créati­vité pastorale (il composa des cantiques spirituels). La méthode mont­fortaine se distingue de celle de S. Vincent surtout par le fait que Vincent était peu porté á favoriser la religion populaire et aussi parce que la mission lazariste était « fondée » alors que Grignon de Mont­fort voulait que ses missionnaires vivent de ce que leur donnait la Providence.
    • Missionnaires de Saint-Joseph de Jacques CRETENET ( + 1666).

Parmi le clergé séculier, souvenons-nous qu’Alain de SOLMI­NIHAC prêcha plusieurs missions, que les membres des Conféren­ces du Mardi furent souvent invités á participer aux missions. Parmi les Capucins le missionnaire le plus connu est le P. Honoré de CAN­NES (+ 1694) qui introduisit la coutume de la retraite pendant les missions. Au début de certaines prédications il portait sur l’estrade une tête de mort qu’il couvrait parfois d’une toque de magistrat, d’un chapeau de femme, d’une couronne royale, et il instaurait un dialo­gue qui épouvantait fort l’auditoire.

Les missions furent une des initiatives les plus importantes pour revitaliser les paroisses. Les missionnaires étaient en général estimés; dans le XVIIe et le XVIIIe siècles ils ne sont guère critiqués, ils sont mémé jugés « utiles »; les critiques ne commencent qu’á l’époque de la Restauration quand ils vont associer le Trône et l’Autel, Jésus et les Bourbons. Ils essayèrent de lutter contre l’ignorance. La confes­sion générale était le point culminant d’un chemin de rénovation adapté á une époque de chrétienté (les Eudistes se définissent « lions » en chaire et « agneaux » au confessionnal, alors que les Lazaristes, au-moins en Italie au XVIIIe siècle, étaient considérés comme rigo­ristes). Ils essayaient á la fin quelque chose de concret: confrérie de prière, confrérie de la charité.

4 – Liturgie, Fête, Dévotions

a) La pratique religieuse

Tous les faits en notre possession montrent que dans le cours du XVIIe siècle la pratique religieuse atteint un niveau de presque l’unanimité. La confession et la communion pascales qui devaient se faire á la paroisse (cela aide á comprendre le sens de la confession géné­rale faite aux missionnaires et non au propre curé) rassemblaient pres­que tous les fidèles. Le nombre des confirmations croit en proportion de la fidélité des évêques á la visite pastorale. Pour les derniers sacrements entrent en jeu deux éléments: la peur de la mort et l’action des médecins auxquels on prescrivait en de nombreux lieux de ne pas assister les malades en Brand danger si ceux-ci ne s’étaient pas confessés. Le baptême est célébré en grande pompe: il est demandé qu’il soit donné le plus vite possible afin de prévenir la mort de l’ en­fant: dans un siècle augustinien on craignait qu’il n’aille finir dans les limbes. On prescrivait pour la sage-femme du pays un serment selon lequel elle-même aurait baptisé le nouveau-né en cas de dan­ger de mort.

b) Les libertins

L’affirmation qu’en France le catholicisme faisait l’unanimité ne peut pas cacher la présence d’un facteur d’opposition: les liber­tins. Ils se sont formés dans l’ambiance de la Renaissance italienne et en particulier á Padoue où POMPONAZZI avait nié l’immorta­lité de l’âme et le miracle. La venue en France de Catherine de MEDICIS amena quelques autres mécréants, ainsi 1′ astrologue Cosimo RUGGIERI et l’ex-carme Lucilio VANINI condamné au bûcher á Toulouse en 1619.

Le mot libertin désigne avant tout une secte présente á Lille dans les débuts du XVII siècle, elle est liée aux FrIres du libre esprit. Elle va se renforçant pour diverses raisons:

  • la séparation religieuse fait apparaitre un doute: quelle est la vraie religion?,
  • la haine des guerres de religion montre qu’il n’est pas vrai que la religion rend l’homme meilleur,
  • la religion apparait comme un instrument pour diriger les masses, elle ne sert pas á ceux qui « raisonnent »,
  • l’individualisme de la Renaissance et le principe du libre exa­men sont portés au maximum de leurs conséquences,
  • refus de considérer comme valide l’idée selon laquelle la cul­ture antique n’était rien d’autre qu’une préparation du christianisme.

On peut distinguer divers secteurs á l’intérieur du libertinisme:

1 – Le libertinisme philosophique qui substitue un nouvel idéal á celui du salut individuel (idéal égoïste): se consacrer á la société, la per­sonnalité de l’homme ne doit pas être opprimée (humilité) mais déve­loppée. C ‘est la position de MONTAIGNE et de CHARRON.

2 – Le libertinisme athée, alors que la position précédente peut coexister avec un certain théisme, certains arrivent á une conclusion totalement négative á propos de l’existence de Dieu; ainsi le « Testa­ment » de l’abbé MESLIER (+ 1729) connu de Voltaire et d’Hol­bach. Dans le procès d’un officier de Condé on dit qu’un certain Barin á l’annonce de la paix des Pyrénées (pour ces nobles la guerre était une ressource importante) aurait dit « que s’ils tenaient le Christ, qu’ils le poignarderaient, puisqu’il souffrait qu’on fit la paix pen­dant laquelle ils ne pouvaient pas vivre » (cit TAVENEAUX, I, 250).

3 – Le libertinisme mondain répandu en certains salons du Marais autour de certains personnages comme CONCINI, mais aussi á la Cour d’Anne d’Autriche et de Louis XIV. Ninon de Lenclos était libertine et pour cette raison fut enfermée chez les Madelonnettes. Cyrano de Bergerac critiquait la religion et la société.

4 – Le libertinisme politique, la méfiance dans la nature humaine, qui s’est montrée aussi féroce et corrompue, exclut que l’on puisse parler de vérité universelle et absolue (comme le demande le con­cept de loi naturelle). Le sage doit avant tout vivre personnellement selon la nature, mais pour la société l’absolutisme le plus fort est une chose nécessaire (ainsi La Mothe le Vayer, Gassendi-qui fut en rela­tion avec S. Vincent). On trouve une position voisine dans « Levia­than » de Hobbes.

c) La fête

Au XVIIe siècle, chaque village, chaque paroisse avait son système festif qui comprenait des fêtes liturgiques (Noël, Pâques), des fêtes saisonnières (carnaval, fête de la vendange), des fêtes com­mémoratives (saint patron) et des fêtes extraordinaires (passage du Roi). Les éléments constitutifs des fêtes étaient religieux (messe, vêpres, procession) et profanes (foires, jeux, danse, van). Selon cer­tains spécialistes, en certains cas, les fêtes représentaient un moyen de décharger l’agressivité réprimée en fonction d’un ordre établi. Ainsi l’élection du « road des fous », le fait de mettre sur le trône épis­copal le jour des Saints Innocents, un enfant de chœur, tandis que tout le chapitre des chanoines bourrus chantaient, en ce jour, les motets Is la place du chœur, cela pouvait signifier que tout peut finir ou que tout peut être repris. En ce cas, cela devenait signe du retour á la condition originelle, annonce et espérance d’une palingénésie. On trouve parfois dans certaines fêtes des survivances des antiques saturnales et des rites pré-chrétiens qui peuvent aller jusqu’á être comparées á des formes d’initiation.

L’Etat absolu, l’Eglise catholique et l’Eglise de la Réforme vont se liguer, au XVIIe siècle, contre la fête.

Sans cependant se livrer á une action systématique, l’Etat absolu considéra les fêtes comme un péril en puissance. Colbert, ennemi déclaré de l’oisiveté, convainquit l’archevêque de Paris de supprimer 17 fêtes. On trouve souvent réunies fête et révolte (cf. Y.M. BERCE « Fête et Révolte » Paris 1976).

Les deux « Réformes », protestante et catholique, avec des différences, vont lutter contre la fête, pour la morale et l’instruction du peuple « Dans une société rurale, oïl le bonheur et mémé la sur­vie dépendent d’abord du succès de la récolte, Dieu est d’abord le Dieu de la terre, celui qui a créé toutes choses, qui fait reverdir la nature au printemps et mûrir les fruits á l’été. Les fêtes qui tendaient Is obtenir sa protection sur les champs, puis Is reconnaitre ses bien­faits mêlaient ingénument les prières, les rites propitiatoires et les joyeusetés traditionnelles á basent de danse et de vin… En fait, la messe et la beuverie étaient deux moments de la mémé journée exception­nelle, deux sommets de l’émotivité et de l’activité paysannes, dont le voisinage naïf ne semblait pas coupable » (BERCE, 163). Tout cela ne pouvait plaire aux « deux Réformes ». Et ainsi, malgré la diversité doctrinale, les deux mouvements vont agir en concurrence pour instruire les masses qui ignoraient la « droite doctrine ». En Angleterre, on est arrivé á regardé la fête comme un reste papiste. Michel Le Nobletz rencontra dans ses missions pas mal de gens qui se mettaient á genoux devant la nouvelle lune et récitaient le Notre Pire. S. Vincent en 1645 protesta contre les autorités de la ville d’Aix parée que la procession de la Féte-Dieu était accompagnée de repré­sentations allégoriques des péchés capitaux et des vertus. Pour lui, c’était lis « actions scandaleuses et offensant Dieu et les gens de bien » (II, 525, sq).

d) Famille, enfance, éducation

1 – La famille. Au Moyen-Age, la famille était peu considérée et ceci pour deux raisons:

  • la théorie des « tria genera » dans lesquels sont divisés les hom­mes: moines, prêtres, laïcs mariés, qui place le mariage au dernier rang.
  • au point de vue social, l’élément rassembleur est le métier: on participe á la vie associative en exerçant le mémé métier (dans l’échoppe de l’artisan ou dans les champs).

Aux XVe et XVIe siècles, on assiste á la naissance d’un nou­veau sens de la famille (cela ressort des représentations artistiques des scènes familières) et il sera renforcé encore au XVIIe. Dux instituciones sont révélatrices de cette tendance:

  • le droit d’ainesse qui laisse intact le patrimoine familial,
  • le mariage négocié par les parents (un édit de 1639 décide que le fils rebelle perd tout droit á l’héritage s’il n’accepte pas la déci­sion des parents). La littérature « précieuse », qui raconte des histoi­res d’amour hors du mariage, apparait comme une réaction.

Dans les classes populaires, le rite des fiançailles, après quoi était consommé le mariage, disparait presque entièrement. La coutume morale est plus respectueuse des préceptes de l’Eglise, au point que les naissances hors mariage diminuent (exemple contraire, Louise de Marillac).

L’Eglise catholique contribue á améliorer le sort de la famille. « L’Introduction á la vie dévote » de François de Sales et la dévotion á Saint Joseph marquent l’effort de spiritualisation de ce milieu.

2 – L’enfance. Pour tout le Moyen-Age il n’y a pas une attention particulière á l’enfant. Si l’on regarde l’iconographie, aussi bien sacrée que profane, les enfants (et cela vaut aussi pour l’Enfant-Jésus) sont de petits hommes et toujours mêlés aux adultes. Le monde de l’enfant n’existe pas. L’angoisse du Salut, la réflexion sur le péché originel et la condition d’innocence, portent á découvrir le monde de l’enfant. Cependant le petit est regardé tris vite comme un adulte en réduction. Ste Chantal et Marie de L’Incarnation abandonnent leurs enfants encore en bas âge pour entrer au couvent (le fils de Ste Chantal se couche sur le seuil de la maison, sa mire passe par-dessus, car céder serait allé contre la volonté de Dieu…). Louise de Maril­lac est réprimandée pour sa trop grande sollicitude envers son fils. La présence du péché originel amène á manqué d’indulgence envers les enfants.

Pour l’éducation des classes supérieures, on met au point une institution importante, le collige. C’est un lieu où l’enfant est sous­trait á sa famille, soumis á une discipline de fer sous des maitres auto­ritaires (ceux-ci sont souvent des religieux et en première place, les Jésuites), dans un monde artificiel, loin des influences du monde exté­rieur. Les élèves sont surveillés (dans les Collèges jésuites la déla­tion devient une institution), divisés en groupes antagonistes (Romains et Carthaginois) pour susciter l’émulation (distribution de prix). Il est significatif de voir que dans ces collèges on donne plus d’importance au latin et á la rhétorique qu’á l’éducation religieuse. L’étude du latin (c’est alors la première langue, le français vient ensuite) servait á présenter des modèles parfaits de vertu (les per­sonnages de l’Antiquité) á qui ressembler, et cela demandait d’em­magasiner beaucoup de règles. Dans la pratique, tout cela servait á créer un monde en-soi, totalement différent du monde éphémère de la vie, et donc capable d’orienter vers « l’autre monde », le monde éternel. l’exaltation des élèves des collèges aux honneurs de l’autel, tel S. Louis de GONZAGUE.

Pour l’éducation des classes inférieures, est mise au point l’ins­titution des « petites Ecoles ». Elles sont nées de la conviction qu’il fallait combattre l’ignorance; celle-ci éloignait du Salut. De même les missionnaires qui parcouraient diverses régions voulaient s’assu­rer que l’instruction qu’ils avaient donnée ne reste pas un palliatif. Les écoles naissent donc de l’effort de christianisation et du progrès  des « deux réformes ». Elle n’est pas perçue comme quelque chose de dangereux. « La vraie religion postule un minimum de culture » telle est la conviction de S. Jean-Baptiste de La Salle. Le modèle édu­catif se présente ainsi:

un sentiment de sévérité: le rire et le jeu sont interdits,

les enfants doivent Ittre constamment surveillés, même si c’est paternellement,

les châtiments corporels doivent être administrés avec modération,

tour les gestes doivent être valorisés, même les plus petits (ainsi la charité envers les pauvres),

les élèves doivent être préparés á s’insérer dans la société par le moyen de l’enseignement des bonnes manières.

Pour ce qui touche á l’éducation de la femme, c’est le lot de divers monastères féminins et de certaines congrégations nouvelles, ainsi les Ursulines, les Religieuses de Notre-Dame, les Filles de la Charité. Le programme pour les filles était plus réduit: instruction religieuse, lecture, écriture, calcul, préparation aux travaux domes­tiques.

3 – La mort

11 y a eu, selon Philippe ARIES « Essai sur l’histoire de la mort en Occident, du Moyen-Age á nos jours », Paris 1975, une évolution dans la façon de voir la mort:

dans le Haut Moyen-Age elle est regardée comme un destin com­mun á toute l’humanité;

dans le bas Moyen-Age et á la Renaissance on souligne le caractère individuel, ce qui développa un intense et fébrile désir de la jouis­sance immédiate;

á la fin du XVIIIe siècle, la mort n’est plus inévitable, elle en est plus tragique. Elle est alors sublimée par le culte du souvenir;

aujourd’hui la mort est comme expulsée de la vie, on n’en parle plus.

Au XVII( siècle, la mort conserve les éléments des siècles pré­cédents: elle est familière d’autant plus que la moyenne de vie est fort basse (50% de mortalité infantile et âge moyen autour de 25 ans), elle est objet de rappel et motif de conversion (c’est pourquoi elle est un thème ordinaire de la prédication), mais aussi occasion pour distribuer ses biens propres par testament. La spiritualité tend á sug­gérer une pensée constante de la mort capable de renouveler la vie et d’éviter le péché, ainsi « momento mori » et « considera novissima tua et in aeternum non peccabis ».

4 – Pastorale de la charité

Il y a eu une évolution aussi par rapport aux pauvres. Au Moyen-âge, on voyait le Christ dans le pauvre. Et dans certains cas le fait d’être pauvre était regardé comme un idéal (mouvement franciscain). Aux XVI, et XVII, siècles, même si cette conviction demeure, du côté de la société se met en place une image pessimiste: le pauvre est un être á fuir, c’est un être immoral et il sent mauvais (cf. A. CORDIE auteur d’une histoire sociale des odeurs). Au XVIII siècle, le pauvre est plutôt jugé sur son inutilité: c’est un être Mutile car il ne produit pas. Cependant, si au XVII’ siècle on ne s’interroge pas sur les causes de la pauvreté’, au siècle suivant s’ouvre un débat intéressant et l’idée d’une certaine responsabilité de la société prend force. Au « grand siècle » l’unique remède admis par la société est « la réclusion »; pour l’Eglise, c’est la Charité.

On crée alors des hôpitaux, la charité est organisée (propagande, ramassage, envoi), on s’occupe des malades á domicile, des enfants trouvés. On discute aujourd’hui sur le « grand renfermement » qui fut admis même par les spirituels: leurs raisons ne furent pas la peur que cette masse put provoquer une révolution sociale, mais pour eux l’unique moyen capable de résoudre cette situation semblait être la création de centres capables de recueillir et de soigner les pauvres. Ils ne se sont pas demandés si l’on pouvait intervenir sur les causes.

2 – Le Jansénisme

Le mot « jansénisme » vient du nom du Hollandais (alors sujet espagnol) Cornelis JANSEN (latinisé en JANSENIUS) professeur á l’Université de Louvain et ensuite évêque de YPRES.

Pour bien comprendre sa figure et le mouvement auquel il a donné son nom, il faut remonter au XVI’ siècle lorsque s’affirma la tradition humaniste qui fut de suite reçue avec faveur par l’Eglise catholique. Cette position était:

progressiste,

optimiste (sur le problème de la liberté humaine en face de la grâce de Dieu),

« bienveillante » (dans les secteurs oïl la loi divine ne commande avec certitude),

favorable á l’extension du centralisme romain et á l’autonomie des religieux par rapport aux Evêques.

Cette position était défendue par la Compagnie de Jésus qui était á l’avant-garde du mouvement humaniste (Ratio studiorum); elle trouva dans la doctrine moliniste (du nom du Jésuite espagnol MOLINA qui avait étudié un système d’accord qui devait sauve-, garder la primauté de Dieu, cause première, et l’autodétermination de l’homme) un instrument souple et persuasif. De plus, dans le domaine de la morale, on était plus favorable á imposer une théolo­gie morale plus sensible aux besoins de l’homme l’accusation de laxisme), tandis que dans le domaine de l’ecclésiologie la Com­pagnie défendait la Primauté et l’Infaillibilité pontificales.

A cette tendance s’opposa une autre tendance qui s’inspirait de S. Augustin et par a se rattachait á une plus solide tradition, qui était: conservatrice,

pessimiste,

rigoriste,

pour un renforcement de l’autorité des Evêques et une diminu­tion du centralisme romain.

L’inspiration augustienne qui avait guidé la marche de l’Eglise pendant tout le Moyen-Age, avait été contestée á l’apparition de la Reforme protestante, lorsque les nécessités de la polémique avaient dirigé l’aiguille de la bascule vers l’optimisme á propos de l’homme et de ses œuvres. Le Concile de Trente avait donné une solution d’un équilibre parfait (si bien que le protestant HARNACK déclarait que si la décision tridentine était arrivée cinquante ans plus tôt il n’y aurait pas eu de Luther) mais cela n’avait pas repêché l’accentuation de la tendance « humaniste » au sein de l’Eglise catholique.

Pour réagir contre cette tendance, Jansénius entreprit des étu­des approfondies sur l’couvre de S. Augustin et composa une œuvre importante « L’Augustinus », éditée après sa mort. La publication donna lieu á une violente polémique. Un professeur de la Sorbonne, Nicolas CORNET dénono sept propositions (réduites ensuite á cinq) qui á son avis, résumaient la doctrine de l’ouvrage. Selon cette synthèse, l’homme, dans la prospective janséniste, ne serait pas libre: quand il suit Dieu il n’a pas de mérite car il est attiré par la grâce. La damnation s’expliquerait alors comme un choix de Dieu et donc serait niée la volonté salvifique universelle de Dieu.

Après un long examen, les cinq propositions furent condamnées par le Pape en 1653. Aussitôt les amis de l’auteur de l’Augustinus firent objection: il n’est pas vrai que ces propositions reflètent exac­tement la pensée de Jansénius. Ainsi la question se déplace: il n’est plus seulement question du problème de la grâce mais de l’autorité même de l’Eglise dans l’établissement exact de la pensée d’un homme mort dans la foi.

Dans le même temps s’allume en France une polémique serrée sur les nouveautés introduites au monastère de Port-Royal par Angé­lique ARNAULD, l’abbé Jean DUVERGIER de HAURANNE, plus connu sous le nom de SAINT-CYRAN et quelques curés de Paris. Un mouvement intellectuel de premier ordre s’était constitué autour de Port-Royal. Rappelons PASCAL, RACINE, NICOLE, SACY, les ARNAULD. Certains de ceux-ci, les « solitaires de Port-Royal » voulaient vivre une Corte d’intense expérience de solitude selon le modèle d’Augustin avant son ordination sacerdotale (recherche de 1″ `otium » intellectuel contre le « negotium »). Ils créèrent des écoles (« les petites écoles ») avec des ouvrages de pédagogie de très grande valeur. Une des « nouveautés » de la réforme de Port-Royal fut l’éloi­gnement de l’absolution et une discipline de l’eucharistie selon la tra­dition ancienne. Des études érudites qu’ils firent (pensons á l’histo­rien LE NAIN de TILLEMONT) on commença á rêver á un retour aux anciennes formes liturgiques qui déboucha sur une série de pro­positions de réforme: liturgie en langue vivante, canon á haute voix, traduction de la Bible, autel unique, réforme de la religiosité.

L’opposition (« l’antijansénisme ») vint de la part:

  • des politiques. Richelieu et Mazarin furent hostiles. Le pre­mier mit Saint-Cyran en prison, il instruisit une parodie de procès et appela S. Vincent comme principal témoin de l’accusation sur la base d’une lettre de Vincent découverte dans les papiers de Saint­Cyran. Très habilement, Vincent réussit á éluder la mangeure dans une déposition que BREMOND a défini « un chef-d’oeuvre de cha­rité ». Mazarin continua la politique anti-janséniste de Richelieu, crai­gnant que les jansénistes ne soient alliés á la Fronde (la Fronde par­lementaire). Louis XIV continua á persécuter le jansénisme d’abord au moment de la controverse sur la Régale (les 4 articles gallicans, 1682), quand paradoxalement des évêques pro jansénistes s’allièrent avec Innocent XI, ensuite quand s’amorça la reprise des hostilités, demandant á Clément XI la Bulle « Unigenitus ».
  • des théologiens. Le plus grand défenseur de la doctrine jansé­niste fut Antoine ARNAULD, frère cadet de la Méré Angélique. fut suivi de Pascal QUESNEL. Contre eux combattirent les meil­leurs théologiens de l’époque. La polémique janséniste amena une grande production de la part des théologiens antijansénistes qui inter­vinrent sur trois secteurs:
    • dogmatique, attaquant les cinq Propositions et la conception janséniste de la grâce,
    • moral, contre la morale « rigoriste » des jansénistes,
    • ecclésiologique, défendánt l’infaillibilité pontificale.
    • des spirituels, S. Vincent de Paul, Jean-Jacques OLIER, Char­les de CONDREN, S. Jean EUDES et autres réagirent en partant d’une autre perspective. Ils vivaient au milieu des pauvres et des miséreux de Paris et ils savaient que le retour á l’antiquité ne serait pas compris. Dans une société stable, toute nouveauté était une offense: le pessimisme des jansénistes aurait inoculé seulement déses­poir et angoisse. De plus on pouvait craindre qu’une réforme dans le sens janséniste aurait pu mettre á mal l’œuvre du Concile de Trente, enterrant un renouveau dont, malgré tout, en France on voyait alors un printemps plein de promesses.

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