Section II : Sa dévotion singulière pour imiter Jésus-Christ, et se conformer à ses exemples.
L’amour suppose la ressemblance ou bien la produit; celui qui aime tache de se transformer, autant qu’il peut, en la personne aimée et de lui devenir semblable pour lui plaire davantage, et rendre par ce moyen plus stable et plus parfaite l’union de leur amitié. C’est pour cela que le Fils de Dieu, voulant nous témoigner l’excès de son amour, a voulu se faire homme pour se rendre semblable à nous. C’est aussi pour la même raison que ceux qui aiment vraiment Jésus-Christ doivent autant qu’il est en eux, avec le secours de sa grâce, se rendre semblables à lui par l’imitation de ses divines vertus; et plus cet amour est grand, plus aussi cette imitation doit-elle être parfaite et accomplie .
Nous avons vu en la section précédente la singulière dévotion que M. Vincent avait pour Notre-Seigneur Jésus-Christ au très Saint-Sacrement de l’autel: la grandeur de son amour envers ce divin objet ne s’arrêtait pas seulement à lui rendre ses devoirs dans cet adorable mystère: elle s’étendait encore à tous les états de sa vie mortelle et glorieuse, pour lui rendre en chacun de particuliers hommages, et surtout pour tâcher d’exprimer en soi-même les traits de ses admirables vertus, afin de se rendre semblable à lui. Il savait que le dessein du Père éternel dans l’Incarnation de son Fils était non seulement de nous donner un Rédempteur pour nous tirer de l’esclavage du péché et de l’enfer, mais aussi de nous proposer un modèle accompli de toutes sortes de vertus pour nous y conformer; c’est pourquoi il prit une forte résolution de correspondre à ce dessein de Dieu, se proposant d’imiter soigneusement ce divin exemplaire et d’en former une parfaite copie dans son cœur. C’est ce qu’il a si fidèlement et si constamment pratiqué, que l’on peut dire avec vérité que sa vie n’a été autre chose qu’une parfaite expression de la vie de Jésus-Christ; en sorte qu’il a vérifié en sa personne la parole de ce divin Sauveur, «Que le disciple serait parfait lorsqu’il se rendrait semblable à son maître.»
Or, pour ne pas nous étendre trop au long sur toutes les pratiques qu’il a faites de cette imitation du Fils de Dieu, à laquelle on pourrait rapporter toutes les actions de sa vie, nous nous arrêterons seulement à la considération de deux ou trois chefs, que nous avons jugés dignes d’une remarque particulière.
Premièrement, M. Vincent s’est étudié à imiter Jésus-Christ en sa manière de vie commune et cachée, qui ne paraissait avoir rien de singulier pour l’extérieur, et néanmoins était tout admirable, toute sainte et toute divine dans l’intérieur. A l’imitation de cet incomparable Maître, il a mené une vie basse et commune en apparence, ne faisant rien paraître en lui d’éclatant ni d’extraordinaire, et fuyant toute ostentation et singularité; mais il pratiquait au dedans et dans le secret de son cœur des actions excellentes et vraiment héroïques de toutes sortes de vertus. Il n’a pas toujours été retiré en son particulier, ni toujours été exposé en public, mais suivant l’exemple de son divin prototype, il a fait un parfait mélange de la vie active et de la contemplative; il a été quelquefois dans la solitude avec Jésus-Christ, il l’a aussi quittée comme lui pour aller prêcher la pénitence, et pour s’employer à procurer la conversion des pécheurs et le salut des âmes.
Nous pouvons encore dire que Notre-Seigneur a pratiqué la vie cachée, non tant en se séparant de la conversation des hommes, qu’en tenant couvert et ne leur manifestant pas ce qu’il avait de plus excellent et de plus divin: il pouvait se faire connaître et honorer en tous lieux comme le vrai Fils de Dieu; il pouvait faire éclater les rayons de sa gloire aussi bien par toute la Judée que sur la montagne du Thabor; il n’a toutefois voulu paraître à l’extérieur que le fils d’un simple charpentier et un homme du commun. M. Vincent, à son exemple, se faisait gloire de dire en toute sorte de rencontres qu’il n’était que le fils d’un pauvre paysan; et recherchait de n’être tenu que pour un simple prêtre de village, cachant autant qu’il pouvait aux yeux des hommes les excellents dons de nature et de grâce qu’il avait reçus de Dieu. et qui le rendaient digne d’honneur et de vénération.
Il avait fort bien étudie en théologie, et même, comme nous avons remarqué au premier livre, il avait été élevé aux degrés de la Faculté de théologie de Toulouse; et néanmoins il ne parlait de lui que comme d’un ignorant, et ne se qualifiait ordinairement qu’un pauvre écolier de quatrième. Il a fui les dignités avec plus de soin et d’affectation que les ambitieux ne les recherchent; et, en toutes sortes d’occasions, il a singulièrement chéri et parfaitement imité cette vie commune et cachée de son divin Maître: et comme il connaissait par sa propre expérience le trésor de grâces qui est caché dans ce mystique champ de l’Évangile, il invitait et exhortait les autres à y participer. Voici quelques extraits de diverses lettres qu’il a écrites à une personne qu’il conduisait par cette voie:
«Honorons toujours, lui dit-il, l’état inconnu du Fils de Dieu. C’est la notre centre, et c’est ce qu’il demande de nous pour le présent, et pour l’avenir, et pour toujours, si sa divine Majesté ne nous fait connaître en sa manière, qui ne peut tromper, qu’il veuille autre chose de nous. Honorons, dis-je, la vie commune que Notre-Seigneur a menée sur la terre, son humilité, son anéantissement, et la pratique qu’il a faite des plus excellentes vertus dans cette manière de vie. Mais honorons particulièrement cc divin Maître dans la modération de son agir. Non, il n’a pas voulu faire toujours tout ce qu’il a pu, pour nous apprendre a nous contenter, lorsqu’il n’est pas expédient de faire tout ce que nous pourrions faire, mais seulement ce qui est convenable à la charité et conforme aux ordres de la divine volonté.»
«O que j’estime cette généreuse résolution que vous avez prise d’imiter la vie cachée de Notre-Seigneur ! Il paraît bien que cette pensée vient de Dieu, puisqu’elle est si éloignée des sentiments de la chair et du sang. Tenez pour certain que c est la proprement l’assiette qui convient aux enfants de Dieu; et par conséquent demeurez-y ferme et résistez courageusement à tous les sentiments contraires qui pourraient vous arriver. Assurez-vous que par ce moyen vous serez en l’état auquel Dieu vous demande, et que vous ferez incessamment sa sainte volonté, qui est la fin à laquelle nous tendons, et à laquelle ont tendu tous les saints.»
M. Vincent ne portait pas seulement les personnes particulières à cette sainte pratique, mais aussi tous ceux de sa Compagnie en général, les exhortant souvent à se rendre vrais imitateurs de Jesus-Christ en sa vie commune et cachée. A ce sujet, leur expliquant un jour en quoi consiste le renoncement qu’on doit faire de soi-même, selon que Notre-Seigneur l’a ordonné à tous ceux qui le veulent suivre, entre six ou sept manières de le pratiquer qu’il leur enseigna, et qui se rapportaient toutes aux exemples de ce divin Sauveur, il en proposa une tirée de la doctrine de saint Basile, qui est de renoncer aux pompes. Sur quoi il forma une objection, à laquelle il fit une réponse digne de lui, et qui donne assez à connaître ce qu’il pratiquait lui-même, en leur déclarant ce qu’ils devaient faire. Voici ses paroles:
«Vous me direz peut-être: Nous ne sommes, Monsieur, que de pauvres prêtres qui avons déjà renoncé à toutes les pompes du monde; nous n’avons que de simples habits, des meubles fort chétifs, et rien qui ressente la vanité ou le luxe, dont on fait parade dans le monde: qu’est-il donc besoin de nous exhorter à renoncer aux pompes, dont nous sommes si éloignés ? O Messieurs et mes Frères ! ne nous y trompons pas; quoique nous ayons de pauvres habits et de pauvres meubles, nous pouvons avec cela avoir l’esprit pompeux. Et comment cela, me direz-vous ? C’est, par exemple, quand on s’étudie à faire de belles prédications; quand on est bien aise que ce que l’on fait et ce que l’on dit soit approuve et estimé des autres; quand on se réjouit d’entendre ses louanges, ou que l’on publie le bien que l’on a fait, ou même que l’on y prend quelque vaine complaisance: toutes ces choses sont des marques que l’on a l’esprit pompeux; et pour le combattre et le terrasser, il est plus expédient quelquefois de faire moins bien une chose quant à l’extérieur, que de se complaire de l’avoir bien faite. Il faut avec cela prendre bien garde de ne donner aucune entrée en notre esprit à la vanité, mais renoncer aussi bien à toutes les pensées et à tous les sentiments qui nous en viennent intérieurement, qu’aux applaudissements qui nous sont faits extérieurement. « Il faut se donner à Dieu, mes Frères, pour s’éloigner de la propre estime et des louanges du monde, qui font la pompe de l’esprit. Et, à ce propos, un prédicateur célèbre me disait ces jours passés, que celui qui cherche, dans le ministère de la prédication, l’honneur et l’applaudissement du peuple, se livre à la tyrannie du public; et, pensant se rendre considérable par ses beaux discours, il se rend esclave d’une vaine et frivole réputation. « Nous pouvons ajouter à cela que celui qui, dans la prédication, débile de belles et riches pensées avec un style pompeux, est directement opposé à l’esprit et aux maximes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a dit en son Évangile que «bienheureux sont les pauvres d’esprit»; en quoi cette Sagesse éternelle nous montre combien les ouvriers évangéliques doivent soigneusement éviter l’éclat des actions et l’éloquence pompeuse des paroles, et prendre une manière d’agir et de parler humble, simple et commune, dont il a voulu lui-même nous donner l’exemple. Prenez garde, mes Frères, que c’est le démon qui nous suggère ces pensées de vouloir réussir; il fait que quelques-uns se persuadent que la manière de parler simplement, dont nous usons, est trop basse, et que par ce moyen nous laissons avilir en notre bouche la grandeur et la majesté des vérités chrétiennes. Tout cela n’est qu’une ruse du démon, dont vous devez soigneusement vous garder; renonçant a toutes ces vanités, demeurez fidèlement et constamment dans la pratique de la simplicité et humilité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel pouvant donner un grand éclat a ses œuvres, et une souveraine vertu à ses paroles, ne l’a pas voulu faire; et passant encore plus avant, pour confondre davantage notre superbe par ses abaissements admirables, il a voulu que ses disciples fissent beaucoup plus que lui. « Vous ferez (leur disait-il) ce que je fais, et vous en ferez encore bien davantage.» Mais, pourquoi cela ? C’est, Messieurs, que NotreSeigneur se veut laisser surmonter dans les actions publiques qui paraissent au dehors, pour exceller dans les humbles et dans les plus basses, dont les hommes ne connaissent point la valeur. Il veut les fruits de l’Évangile, et non pas les bruits du monde; et pour cela il a plus fait par ses serviteurs que par lui-même: il a prêché seulement en quelques cantons de la Judée, et il a voulu que ses Apôtres aient annoncé son Evangile par toute la terre, et qu’ils aient éclairé tout le monde de la lumière de sa doctrine; et ainsi, ayant fait peu de choses extérieurement par lui-même, il a voulu que ses apôtres et disciples, quoique pauvres, ignorants et grossiers, étant toutefois animés de son esprit et de sa vertu, en aient fait beaucoup davantage. Pourquoi cela? Pour nous donner l’exemple d’une très parfaite humilité. Oh! Messieurs, que ne suivons-nous l’exemple de ce divin Maître? Que ne cédons-nous toujours l’avantage aux autres, et que ne choisissons-nous le pire et le plus humiliant pour nous ? Car assurément, c’est le plus agréable et le plus honorable pour Notre-Seigneur, qui est tout ce que nous devons prétendre. « Prenons donc aujourd’hui résolution de le suivre, et de lui offrir ces petits sacrifices de notre amour-propre: comme, par exemple, si je fais une action publique, et que je la puisse pousser bien avant, je ne le ferai pas, j’en retrancherai telle et telle chose qui pourrait lui donner quelque lustre, et à moi quelque réputation; de deux pensées qui pourront me venir en l’esprit, je produirai la moindre au dehors pour m’humilier, et je retiendrai la plus belle pour en faire un sacrifice a Dieu dans le secret de mon cœur. Enfin, mes Frères, c’est une vérité de l’Évangile que Notre-Seigneur ne se plaît rien tant que dans l’humilité du cœur et dans la simplicité des paroles et des actions; c’est là où son esprit réside, et en vain le cherche-t-on ailleurs: Si donc vous voulez le trouver, il faut renoncer à l’affection et au désir de paraître, à la pompe de l’esprit aussi bien qu’à celle du corps, et enfin a toutes les vanités et satisfactions de la vie.»
Ce fidèle imitateur de Jésus-Christ ne se contentait pas de se conformer en général à sa vie commune et cachée; mais outre cela, il s’étudiait à l’imiter, autant qu’il était en lui, en sa manière d’agir et de parler. Voici le témoignage que le supérieur d’une de ses maisons en a rendu par écrit:
« L’amour que M. Vincent avait pour Notre-Seigneur faisait qu’il ne le perdait presque jamais de vue, marchant toujours en sa présence, et se conformant à lui en toutes ses actions, paroles et pensées; car je puis dire avec vérité, et nous le savons tous, qu’il ne parlait presque jamais qu’il n’alléguât en même temps, ou quelque maxime, ou quelque action du Fils de Dieu, tant il était rempli de son esprit, et conforme à ses conduites. J’ai souvent admiré comme il appliquait si bien et si à propos les paroles et les exemples de ce divin Sauveur, et cela en tout ce qu’il conseillait ou recommandait; et j’ai ouï dire à l’un des plus anciens prêtres de notre Congrégation, c’est M. Portail, qui le connaissait et le pratiquait depuis plus de 45 ou 50 ans, que M. Vincent était une image de Jésus-Christ des plus parfaites qu’il eût connues sur la terre, et qu’il ne lui avait jamais ouï dire ni vu faire aucune chose que par rapport à celui qui s’est proposé aux hommes pour exemple, et qui leur a dit: Exemplunt dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis. C’est ce que le même M. Vincent nous excitait si souvent à faire. Dans les avis importants qu’il me donna de vive voix, quand il fut question de m’envoyer en cette maison où je suis, il me recommanda particulièrement, quand j’aurais à parler ou à agir, de faire réflexion sur moi-même, et de me demander: Comment Notre-Seigneur eût-il parlé, ou agi dans cette occasion? de quelle façon dirait-il ceci, ou ferait-il cela? O Seigneur! inspirez-moi ce que je dois dire, ou ce que je dois faire, parce que de moi-même je ne puis rien sans vous.»
Un célèbre docteur demandant un jour à un prêtre de la Mission qui observait fort M. Vincent, quelle était sa propre et principale vertu, il lui répondit que «c’était l’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, parce qu’il l’avait toujours devant les yeux pour se conformer à lui; c’était son livre et son miroir, dans lequel il se regardait en toutes rencontres; et lorsqu’il se trouvait en quelque doute comment il devait faire une chose pour être parfaitement agréable à Dieu, il considérait aussitôt de quelle façon Notre-Seigneur s’était comporté en pareille rencontre, ou bien ce qu’il en avait dit, ou ce qu’il en avait signifié par ses maximes; et sans hésiter, il suivait son exemple et sa parole. Marchant à la faveur de cette divine lumière, il foulait aux pieds le propre jugement, le respect humain et la crainte qu’il eût pu ressentir que sa conduite ne fût improuvée par la licence de ceux qui s’efforcent de relâcher la sainte sévérité de l’Évangile, et d’accommoder la piété chrétienne à l’esprit du temps. «Car enfin, (disait-il quelquefois) la prudence humaine se trompe et s’égare souvent du droit chemin; mais les paroles de la Sagesse éternelle sont infaillibles, et ses conduites sont droites et assurées. »
Or, comme il était fortement persuadé que le caractère de notre perfection, aussi bien que celui de notre prédestination, consiste en cette conformité avec le Fils de Dieu, et qu’il avait l’esprit rempli de cette importante vérité, il on parlait aussi fort souvent de l’abondance de son cœur. routes ses réponses aux consultations qu’on lui faisait, et tous les conseils qu’il donnait, étaient fondés sur cette même vérité, et tendaient toujours à l’insinuer dans l’esprit l’un chacun; de quoi pouvant rapporter ici une infinité d’exemples, nous en produirons seulement un, qui est très digne de remarque.
Le feu Roi de glorieuse mémoire, ayant fait appeler M. Vincent pour l’assister en sa dernière maladie, et lui ayant demandé quelle était la meilleure préparation à la mort, il répondit à Sa Majesté que c’était de se conformer à Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu’il se préparait à mourir, et que le saint Évangile nous apprenait qu’une des principales dispositions qu’il y avait apportées était une entière et parfaite soumission à la volonté de son Père céleste en lui disant: Non mea voluntas, sed tua fiat. « Que votre volonté soit faite et non pas la mienne, à quoi le roi répliquant avec un sentiment digne d’un prince qui porte la qualité de très chrétien: O Jésus! dit-il, je le veux aussi de tout mon cœur; oui, mon Dieu, je le dis et je le veux dire jusqu’au dernier soupir de ma vie: fiat voluntas tua, qu’il soit fait comme vous le voulez.» Voilà comment M. Vincent avait toujours devant les yeux cet original de toute perfection et sainteté; et non content de s’y conformer en toutes choses, il portait autant qu’il pouvait les autres à faire de même.
C’était là l’étude continuelle de ce saint homme, d’imiter Jésus-Christ et de se conformer à lui, non seulement en sa manière d’agir et de parler extérieurement, mais aussi en toutes ses dispositions intérieures, en ses plus saints désirs et en ses plus parfaites intentions: en sorte qu’en tout et partout il ne désirait et ne prétendait autre chose, sinon ce que ce divin Sauveur avait désiré et prétendu, qui était que Dieu fût de plus en plus connu, honoré, aimé, servi et glorifié, et que sa très sainte volonté fût entièrement et parfaitement accomplie; se tenant à tous moments disposé à faire et à souffrir tout ce qu’il plairait à Dieu pour des fins si nobles et si justes: étant toujours prêt à s’exposer aux travaux, aux fatigues, aux humiliations, aux peines et aux persécutions qu’il eût fallu subir et endurer pour ce sujet. De la provenait qu’il n’était jamais surpris d’aucun accident qui lui arrivât, pour fâcheux qu’il pût être, ni d’aucun mauvais traitement qu’on lui pût faire, étant préparé, à l’imitation de son divin Maître, lorsqu’il était question de procurer l’accroissement de la gloire de Dieu ou de se soumettre à ses volontés, de tout faire et de tout souffrir, même à se voir dépouille de tout ce qu’il avait de plus cher dans le monde, jusqu’à voir sa propre Congrégation dissipée et détruite, si tel était le bon plaisir de sa divine Majesté. A ce su jet parlant quelquefois à ceux de sa Communauté: «Je prie Dieu, leur disait-il, deux ou trois fois tous les jours qu’il nous anéantisse, si nous ne sommes utiles à son service. Eh quoi ! mes Frères, voudrions-nous être au monde sans plaire à Dieu, et sans procurer qu’il soit connu et aimé? »
Il se conformait non seulement aux désirs et aux intentions du Fils de Dieu, mais même à ses déplaisirs, à ses douleurs et à ses angoisses intérieures. O qui aurait pu pénétrer dans les secrets du cœur de ce fidèle et zélé imitateur de Jésus-Christ, l’aurait vu, comme celui de son divin Maître, tout outré de douleur dans la vue des péchés innombrables qui se commettent contre Dieu, tout rempli d’aversion contre les maximes du monde, si opposées à celles de l’Evangile; tout pénétré des sentiments de tristesse et d’affliction pour le progrès des hérésies et pour les grands dommages qui en arrivent à l’Église, et enfin vivement touché de compassion sur les misères temporelles et spirituelles des peuples, et le délaissement et abandon où se trouvent tant d’âmes plongées dans les ténèbres de l’ignorance ou de l’infidélité. Oh ! combien de fois a-t-il souhaité de mourir, et de donner son sang pour remédier à tous ces maux! Mais sa vie n’ayant presque été qu’une mort continuelle par ses mortifications et souffrances, on peut dire aussi qu’elle a été comme un remède plus long et plus étendu dont Dieu a voulu se servir pour cet effet.
Il voulait que ses enfants entrassent dans ces mêmes sentiments, et qu’à l’imitation du même Jésus-Christ ils fussent tous des hosties vivantes, qui s’immolassent continuellement avec ce divin Sauveur pour le salut de tous les peuples. De quoi leur parlant un jour: « Qui voudra sauver sa vie, mes Frères, leur dit-il, la perdra: c’est Jésus-Christ qui nous le déclare et qui nous dit que l’on ne saurait faire un plus grand acte d’amour que de donner sa vie pour son ami; et quoi ! pouvons-nous avoir un meilleur ami que Dieu, et ne devons-nous pas aimer tout ce qu’il aime, et tenir pour l’amour de lui notre prochain pour notre ami ! Ne serions-nous pas indignes de jouir de l’être que Dieu nous donne, si nous refusions de l’employer pour un si digne sujet? Certes, reconnaissant que nous tenons notre vie de sa main libérale, nous ferions une injustice, si nous refusions de l’employer et de la consumer, selon ses desseins, à l’imitation de son Fils Notre-Seigneur.»
Et leur parlant une autre fois sur le même sujet, il proféra ces paroles de l’abondance de son cœur:
«Qui dit un Missionnaire, dit un homme appelé de Dieu pour sauver les âmes; car notre fin est de travailler à leur salut, à l’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est le seul véritable Rédempteur, et qui a parfaitement rempli ce nom aimable de Jésus, c’est-à-dire Sauveur. Il est venu du ciel en terre pour en exercer l’office; il en a fait le sujet de sa vie et de sa mort, et il exerce incessamment cette qualité de Sauveur par la communication des mérites du sang qu’il a répandu. Pendant qu’il vivait sur la terre, il portait toutes ses pensées au salut des hommes, et il continue encore dans les mêmes sentiments, parce que c’est la qu’il trouve la volonté de son Père. Il est venu, et il vient tous les jours à nous pour cela, et par son exemple il nous a enseigné toutes les vertus convenables à la qualité de Sauveur. Donnons-nous donc à lui, afin qu’il continue d’exercer cette même qualité en nous et par nous.»
Enfin, parlant dans ce même esprit à tous ceux de sa Congrégation, dans l’épître qu’il leur adresse, et qu’il a mise au commencement de leurs Règles ou Constitutions « Considérez, leur dit-il, ces Règles et Constitutions, non pas comme produites par l’esprit humain, mais plutôt comme inspirées de Dieu, de qui tout bien procède, et sans qui nous ne sommes pas capables de penser quelque chose de bon par nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes. Car que trouverez-vous dans ces Règles qui ne serve à vous exciter et enflammer, soit à la fuite des vices, ou à l’acquisition des vertus et à la pratique des maximes évangéliques ? Et ç’a été pour cela que nous avons tâché, autant qu’il nous a été possible, de les puiser toutes dans l’esprit de Jésus-Christ, et de les tirer des actions de sa vie, comme il est aisé de le voir; estimant que les personnes qui sont appelées à la continuation de la mission du même Sauveur, laquelle consiste particulièrement à évangéliser les pauvres, doivent entrer dans ses sentiments et ses maximes, être remplies de son même esprit et marcher sur ses mêmes pas.»