Chapitre douzième : Ce que M. Vincent a fait pour l’extirpation des nouvelles erreurs du jansénisme
Cet humble et fidèle serviteur de Dieu a pu dire, à l’imitation du patriarche Job, sur le sujet des nouvelles erreurs qui ont troublé l’Église en ce dernier siècle, que ce qu’il craignit le plus lui était arrivé, et qu’il s’était trouvé engagé dans une occasion dont il avait toujours redouté la rencontre, comme très périlleuse
« J’ai toute ma vie appréhendé, disait-il une fois à sa Communauté, de me trouver à la naissance de quelque hérésie. Je voyais le grand ravage qu’avait fait celle de Luther et de Calvin, et combien de personnes de toutes sortes de conditions en avaient sucé le pernicieux venin, en voulant goûter les fausses douceurs de leur prétendue réforme. J’ai toujours eu cette crainte de me trouver enveloppé dans les erreurs de quelque nouvelle doctrine, avant que de m’en apercevoir. Oui, toute ma vie, j’ai appréhendé cela. » Il a répété diverses fois la même chose à d’autres personnes de vertu et de confiance.
Néanmoins Dieu par une conduite particulière de sa Providence a voulu que ce qu’il craignit arrivât pendant sa vie, ayant permis que de son temps le Jansénisme ait pris naissance dans l’Eglise, et même qu’avant que cette nouvelle hérésie parût, M. Vincent se trouvât comme engagé dans quelque liaison avec un de ses premiers auteurs. Mais ce n’était que pour faire davantage éclater la fermeté de sa foi et la vigueur de son zèle, et pour le mettre dans l’Église comme une colonne de fer et comme un mur d’airain, ainsi qu’il est dit d’un ancien prophète, pour soutenir et pour défendre la vérité.
Dieu donc le voulant préparer et prémunir de bonne heure contre la contagion de ces nouvelles erreurs, permit qu’avant qu’elles se fussent produites, il contractât quelque amitié particulière avec un abbé originaire de sa province, lequel, après un assez long séjour dans l’université de Louvain, étant de retour en France et y ayant amené avec lui Jansénius, qui avait été le compagnon de ses études et le confident de ses desseins, commença à débiter peu à peu, et seulement dans les conversations particulières, la nouvelle doctrine qu’il avait conçue et projetée, pour réformer, comme il le prétendait, l’Église tant en sa discipline qu’en plusieurs points de la foi.
Cet Abbé ayant fait quelque voyage en son pays et en quelque autre province de la France, il ne trouva point de lieu plus propre pour semer ses erreurs que la ville de Paris, où il y rencontra plusieurs esprits disposés à l’écouter, soit par le mouvement d’une vaine curiosité, soit par le désir de se rendre considérables, en apprenant de lui une nouvelle doctrine inconnue, comme il disait, depuis plusieurs siècles aux docteurs scolastiques.
M. Vincent voyant l’estime que plusieurs faisaient de ce sien compatriote, à cause de l’érudition et des autres bonnes qualités d’esprit qu’on croyait être en lui, se persuada que sa conversation ne pouvait qu’être avantageuse, à lui, et à toute sa Compagnie qui n’était alors qu’en son berceau. Pour cela il se mit à le fréquenter, et cette fréquentation fit naître entre eux une communication assez particulière: M. Vincent comme une mystique abeille n’avait autre dessein que d’en tirer le miel d’une bonne doctrine, et de quelques salutaires conseils qu’il y pensait trouver; et cet abbé, au contraire, voulait se servir de cette fréquentation et amitié, pour lui faire sucer le venin de ses erreurs et de ses maximes pernicieuses, et ensuite les communiquer à toute sa Compagnie, par le moyen de laquelle il les pourrait répandre en plusieurs autres lieux. C’est pourquoi, comme il le voyait dans la disposition de l’écouter, il commença à lui découvrir petit à petit quelques-uns de ses sentiments particuliers qu’il couvrait de si beaux prétextes, et entretenait parmi d’autres choses si bonnes et si saintes, qu’un esprit moins éclairé que celui de M. Vincent eût eu peine à s’en apercevoir.
Ce fidèle serviteur de Dieu fut d’abord surpris d’entendre une doctrine et des maximes si extraordinaires; et plus il allait avant dans cette découverte, plus aussi les sentiments de cet abbé lui paraissaient suspects, et même dangereux. Un jour entre autres, étant tombés en discourant ensemble sur quelque point de la doctrine de Calvin, il fut fort étonné de voir cet abbé prendre le parti et soutenir l’erreur de cet hérésiarque. Sur quoi lui ayant représenté que cette doctrine de Calvin était condam née de l’Église, l’abbé lui répondit que Calvin n’avait pas eu tant mauvaise cause, mais qu’il l’avait mal défendue; et il ajouta ces paroles latines: Bene sensit, male locutus est ‘.
Une autre fois, comme cet abbé s’échauffait à soutenir une doctrine qui avait été condamnée par le concile de Trente, M. Vincent, croyant que la charité l’obligeait de lui en faire quelque avertissement, lui dit: « Monsieur, vous allez trop avant. Quoi ! voulez-vous que je croie plutôt à un docteur particulier comme vous, sujet à faillir, qu’à toute l’Eglise, qui est la colonne de vérité ? Elle m’enseigne une chose, et vous en soutenez une qui lui est contraire. O Monsieur ! comment osez-vous préférer votre jugement aux meilleures têtes du monde, et à tant de saints prélats assemblés au concile de Trente, qui ont décidé ce point ? Ne me parlez point de ce concile, repartit cet abbé, c’était un concile du pape et des scolastiques, où il n’y avait que brigues et que cabales. »
Ces paroles téméraires d’un esprit enivré de sa propre estime, et qui commençait à s’égarer du droit chemin de la vérité, obligèrent dès lors M. Vincent, qui avait un singulier respect pour toutes les décisions de l’Église, de marcher avec plus de circonspection dans la conversation de cet homme, qu’il voyait être très dangereuse, et même de se résoudre, s’il continuait dans ces emportements, à s’en retirer tout à fait. Et il fut encore plus confirmé dans cette résolution par une autre rencontre qui fut telle
Étant allé un jour pour le visiter, il le trouva dans sa chambre lisant la Bible; et étant demeuré quelque temps sans lui rien dire, de peur d’interrompre sa lecture, cet abbé tournant les yeux vers lui: « Voyez-vous, Monsieur Vincent, dit-il, ce que je lis ? C’est l’Écriture sainte: et là dessus il s’étendit beaucoup pour lui faire entendre que Dieu lui en donnait une intelligence parfaite, et quantité de belles lumières pour son explication; et ensuite il alla jusqu’à dire que la sainte Écriture était plus lumineuse dans son esprit qu’elle n’était en elle-même. » Ce sont ses propres termes, que M. Vincent a rapportés plusieurs fois .
Un autre jour, M. Vincent, après avoir célébré la messe en l’église de Notre-Dame, alla visiter le même abbé, il le trouva enfermé dans son cabinet, d’où étant sortit quelque temps après, M. Vincent lui dit en souriant avec sa douceur et civilité ordinaires: « Avouez, Monsieur, que vous venez d’écrire quelque chose de ce que Dieu vous a donné en votre oraison du matin. » A quoi l’abbé, après l’avoir convié de s’asseoir, répondit: « Je vous confesse que Dieu m’a donné et me donne de grandes lumières. Il m’a fait connaître qu’il n’y a plus d’Église.». Et sur ce qu’il vit M. Vincent tout surpris de ce discours, il reprit: « Non, il n’y a plus d’Eglise. Dieu m’a fait connaître qu’il y a plus de cinq ou six cents ans qu’il n’y a plus d’Église. Avant cela l’Église était comme un grand fleuve qui avait ses eaux claires; mais maintenant ce qui nous semble l’Église n’est plus que de la bourbe: le lit de cette belle rivière est encore le même, mais ce ne sont pas les mêmes eaux. Quoi, Monsieur ! lui dit M. Vincent, voulez-vous plutôt croire vos sentiments particuliers que la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel a dit qu’il édifierait son Église sur la pierre, et que les portes de l’enfer ne prévaudraient point contre elle ? L’Église est son épouse, il ne l’abandonnera jamais; et le Saint-Esprit l’assiste toujours.» Cet abbé lui répondit: « Il est vrai que Jésus a édifié son Eglise sur la pierre; mais il y a temps d’édifier, et temps de détruire. Elle était son épouse; mais c’est maintenant une adultère et une prostituée; c’est pourquoi il l’a répudiée, et il veut qu’on lui en substitue une autre qui lui sera fidèle.» M. Vincent, lui ayant répliqué qu’il s’éloignait fort du respect qu’il devait à la vérité, ajouta qu’il se devait entièrement défier de son propre esprit, qui était si préoccupé de mauvais sentiments; et après quelques contestations ils se séparèrent .
Toutes ces choses ont été dites par M. Vincent même, en diverses occasions, tant à quelques-uns de sa Compagnie, qu’à plusieurs personnes du dehors qui l’ont témoigné. Mais il n’en a jamais parlé qu’avec douleur, et seulement quand il s’y voyait obligé par quelque raison de charité, pour désabuser ou pour prémunir les esprits contre les surprises des nouveaux dogmatistes.
Mais appréhendant dès lors que cet abbé, aveuglé de la vaine opinion de sa propre suffisance, et poussé par l’esprit de présomption et de superbe, ne s’allât précipiter dans l’abîme de quelque nouvelle hérésie, où il en pourrait entraîner avec lui beaucoup d’autres, il crut être obligé, tant par le devoir de leur ancienne amitié que par la loi de la charité chrétienne, de faire un dernier effort pour l’en retirer, et d’user envers lui du remède de la correction fraternelle.
Dans ce dessein il s’en alla un jour le trouver chez lui par forme de visite; et après avoir préparé son esprit par quelques entretiens convenables pour bien recevoir le remède qu’il lui voulait appliquer, il lui parla ensuite de l’obligation qu’il avait de soumettre son jugement à l’Eglise, et d’avoir plus de respect et de déférence pour le saint concile de Trente qu’il n’en avait témoigné; et descendant ensuite au particulier de quelques propositions erronées qu’il avait soutenues, il lui fit voir qu’elles étaient contraires a la doctrine de l’Église, et qu’il se faisait un grand tort de s’engager dans ce labyrinthe d’erreurs, et encore plus d’avoir voulu l’y engager, lui et toute sa Congrégation; qu’il le conjurait, au nom de Notre-Seigneur, de s’en retirer au plus tôt.
On n’a pas su tout le détail de cet entretien, mais seulement que M. Vincent lui parla avec tant de force qu’il en demeura comme interdit; en sorte qu’il ne lui répondit pas pour lors un seul mot: néanmoins il eut peine à digérer cet avertissement, qui lui était demeuré sur le cœur; et étant allé depuis en son abbaye, il écrivit, environ un mois après, une grande lettre à M. Vincent pour se justifier; nous en rapporterons fidèlement ici quelques extraits:
« La disposition d’humilité (lui mande cet abbé) que vous avez au fond du cœur, pour croire à ce que l’on vous ferait voir dans les saints Livres, me fait assez connaître qu’il n’y avait rien de plus facile que de vous faire consentir par le témoignage même de vos yeux à ce que vous détestez maintenant comme des erreurs.: mais quand je vous ouïs, dans la suite de votre fraternelle admonition, ajouter cette cinquième correction aux autres quatre, de ce qu’autrefois je vous avais dit en particulier que j’avais envie de vous rendre un bon office et à toute votre maison, en vous dressant des articles sur des choses qui regardent votre institut, je jugeai que ce n’était pas le temps de se défendre; et j’ai facilement supporté cela d’un homme qui m’avait honoré dès longtemps de son amitié, et qui était dans Paris en créance d’un parfaitement homme de bien. Il m’est seulement resté cette admiration dans l’âme, que vous, qui faites profession d’être si doux et si retenu partout, vous ayez pris sujet d’un soulèvement qui s’est fait contre moi, de vous joindre aux autres pour m’accabler, ajoutant cela de plus à leurs excès, que vous avez entrepris de me le venir dire à moi-même dans mon propre logis; ce que nul des autres n’avait osé faire.
J’ose vous dire qu’il n’y a aucun de ces Messieurs les prélats qui hantent chez vous, avec qui je ne demeure d’accord, et que je ne fasse autoriser de leurs suffrages toutes mes opinions, quand il me plaira de leur en parler à loisir; et tant s’en faut qu’ils s’y opposent, qu’ils en seront ravis et m’en remercieront »
Et après quelques autres saillies de sa bile échauffée et de la présomption de son esprit, qui lui faisaient rejeter tous les avertissements charitables de ce fidèle ami, il ajouta à la fin de sa lettre:
« Je prétendais vous ôter de certaines pratiques que j’ai toujours tolérées en votre discipline, voyant l’attache que vous y aviez, avec une résolution d’autant plus forte de vous y tenir qu’elle était autorisée par l’avis des grands personnages que vous consultiez. Je n’ai garde après cela de dire les pensées que j’avais que Dieu, à mon avis, ne les agréait point: car il n’y a qu’une véritable simplicité dans laquelle on les peut faire, qui est plus rare que la grâce commune des chrétiens, et si rares que j’oserais bien dire d’elle ce qu’un bienheureux de notre temps a dit des directeurs des âmes, que de dix mille qui en font profession, à peine y en a-t-il un à choisir; il n’y a, dis-je, que cette simplicité qui les puisse rendre excusables devant Dieu. J’aurai néanmoins la patience qu’il a lui-même de vous laisser faire, et demeurerai dans la même volonté que je vous ai témoignée de vous y servir par condescendance, si je ne l’ai pu par une entière approbation.»
Cette lettre fait assez connaître le dessein qu’avait alors cet abbé d’attirer M. Vincent à son parti, et d’insinuer ses sentiments et ses maximes erronées dans la Congrégation de la Mission; mais Dieu, par une grâce toute spéciale, a préservé et le père et les enfants de cette contagion d’erreurs, et les a toujours maintenus dans une fidèle et sincère profession de toutes les vérités orthodoxes que l’Église reconnaît et enseigne.
Quelque temps après, cet abbé, persistant toujours à débiter secrètement sa mauvaise doctrine, fut mis en prison par ordre du roi, et les écrits et papiers qui furent trouvés dans son cabinet saisis; entre lesquels se trouva le projet qu’il avait fait et gardé de la lettre dont nous venons de parler, laquelle par ce moyen fut divulguée; et lui-même fut interrogé par la justice sur les choses dont elle dit que M. Vincent l’avait averti. On espérait que sa détention pourrait humilier son esprit et lui faire ouvrir les yeux pour se reconnaitre; mais elle ne fut pas assez longue pour cela: car ceux qui lui adhéraient ayant à force de sollicitations procuré son élargissement, Dieu, par un secret jugement, le retira bientôt après de cette vie
Environ ce même temps, furent mis en lumière deux pernicieux livres qui avaient passé par les mains de cet abbé: l’un était pour montrer que saint Pierre et saint Paul avaient reçu de Dieu une égale puissance pour gouverner l’Eglise, afin d’impugner par ce moyen l’unité du chef de cette Eglise . L’autre était l’Augustin de Jansénius, qui depuis a fait tant de bruit et causé tant de divisions en France, et dans toute l’Église M. Vincent, qui connaissait combien dangereuse était la source d’où procédait cette nouvelle doctrine, crut être obligé de s’y opposer, et de faire tout ce qu’il pourrait pour en procurer la condamnation
Pour le premier livre, entre autres choses qu’il fit, il écrivit une lettre à un cardinal en date du 4 octobre 1646 dans laquelle il lui parla en ces termes:
« Je supplie très humblement Votre Éminence d’agréer que je lui adresse quelques écrits contre l’opinion des deux chefs, saint Pierre et saint Paul, composés par un des plus savants théologiens que nous ayons, et des plus honnêtes hommes, et qui ne veut point être nommé. Il a appris par la Gazette de Rome que l’on y examine le livre qu’il réfute, et que deux docteurs de Sorbonne y soutiennent que la doctrine de ce livre est celle de leur Faculté. Et cette même Faculté, ayant été informée qu’on lui attribuait cette opinion de deux chefs, s’est assemblée et à député vers M. le Nonce pour désavouer ces docteurs, l’assurer qu’elle est de sentiment contraire, et le supplier en même temps de faire en sorte que la prochaine Gazette fasse mention qu’on lui attribue à faux cette doctrine.
« C’est ce qui a mû ce bon et vertueux personnage à m’apporter aujourd’hui ces écrits, à dessein que je les envoie à Rome, pour servir de mémoire à ceux que Sa Sainteté a députés pour examiner ledit livre. Ils trouveront dans cet ouvrage des passages qu’on rapporte pour la prétendue égalité de saint Paul avec saint Pierre, réfutés par les mêmes auteurs qu’on allègue, les uns après les autres.»
En suite de cette lettre, le livre des deux chefs fut censuré et condamné par le Saint-Siège; et M. Vincent eut la consolation de voir le fruit des sollicitations qu’il avait faites pour ce sujet.
Quant au livre de Jansénius, M. Vincent reconnut bientôt que c’était un ramas de toute la doctrine que ce défunt abbé lui avait débitée par parcelles dans les entretiens qu’il avait eus diverses fois avec lui, et que le venin de cette nouvelle doctrine était d’autant plus à craindre que le prétexte dont on le couvrait, de vouloir remettre la théologie dans sa première pureté, paraissait plus spécieux. C’est pourquoi, comme il en avait une plus particulière connaissance, il crut être plus étroitement obligé de procurer quelque antidote, pour prémunir les esprits contre cette dangereuse lecture, en attendant que l’autorité de l’Eglise y apportât un dernier et souverain remède. Pour cet effet, il sollicita plusieurs personnes d’érudition et de piété de mettre la main à la plume, pour réfuter les erreurs de ce mauvais livre; et entre les autres feu M. de Raconis, évêque de Lavaur, auquel il donna plusieurs avis sur ce sujet, et avec lequel il agissait de concert pour arrêter le cours de cette mauvaise doctrine. Ce que l’on découvre par diverses lettres que le même seigneur évêque lui écrivit en ce temps-là., desquelles il suffira de rapporter ici celle qui suit, et dans laquelle il parle en ces termes:
« Depuis hier que j’eus l’honneur de vous entretenir, j’ai vu M. le prince de Condé sur le sujet de Jansénius. Je l’ai trouvé tout plein de feu et de lumières contre les erreurs de cet auteur; il m’a extrêmement encouragé à continuer mon travail, et à seconder votre zèle pour la défense de l’Eglise, dont je lui ai parlé bien au long, et dont il a été ravi. Il m’a commandé deux choses: la première de voir M. le Nonce, et de lui dire de sa part qu’il serait bien aise de le pouvoir trouver en quelque église pour lui parler de cette affaire, et lui montrer la nécessité absolue qu’il y a, et pour l’Eglise et pour l’Etat, de répondre à cet auteur. Ce que j’ai exécuté aussitôt, et ai vu M le Nonce, qui est convenu, après un assez long pourparler, que je lui enverrais un catalogue des erreurs de Jansénius qui ont autrefois été condamnées, ou par les conciles, ou par les papes; ce que j’ai promis de faire. De là je suis retourné chez M. le prince, qui a été extrêmement satisfait de cette résolution, et m’a assuré qu’il en représentera hautement l’importance à la reine et à M. le cardinal Mazarin; et il m’a renouvelé le second commandement qu’il m’avait fait, qui était de vous assurer de son zèle en cette affaire, afin de l’avancer conjointement avec vous. »
Or, doutant que cette mauvaise doctrine infectait de jour en jour plusieurs esprits, qui se portaient facilement à embrasser ces nouveautés, M. Vincent, ayant été appelé par la reine mère dans ses conseils dès le commencement de la régence, fit voir dès lors à sa Majesté et à M. le cardinal Mazarin combien il importait au bien de la religion et de l’État de ne point mettre dans les bénéfices ni dans les charges ceux qui en seraient soupçonnés. Et sachant que les chaires des professeurs et des prédicateurs sont comme les sources publiques où l’on doit puiser les eaux salutaires pour la doctrine et pour les mœurs, il s’employa dans les occasions, autant qu’il lui fut possible, afin qu’elles fusscent remplies par des personnes bien établies dans les sentiments communs de l’Église., faisant faire à cette intention des prières particulières, et usant des autres voies que sa Charité lui découvrait.
Il communiquait souvent avec M. le Nonce et avec M. le chancelier touchant les moyens d’arrêter le cours de cette mauvaise doctrine; et une fois entre autres, ayant appris qu’on voulait soutenir quelque thèse suspecte du Jansénisme dans une maison religieuse, il s’employa auprès d’eux afin de la faire supprimer par leur autorité, comme ils firent en effet. Voici ce qu’il en écrivit à un très vertueux prélat:
« Monseigneur, un religieux de cette ville ayant fait une thèse où il a avancé une proposition qui tient du Jansénisme, et qui a été condamnée par la Sorbonne, M. le chancelier a fait défendre l’assemblée et les disputes qui se devaient faire sur ce sujet. A quoi le supérieur ayant fait quelque difficulté, il l’envoya quérir, et lui dit que s’il y contrevenait, il savait bien le moyen de le ranger à son devoir, lui et tous les siens. Il lui ordonna d’aller trouver M. le Nonce, lui fit de grands reproches de n’avoir pas empêché que cette thèse parut, et le menaça, avec tous ceux des siens qui favoriseraient cette doctrine, de les faire châtier, et d’en écrire au Pape et au Général. Ce supérieur et toute sa communauté ont ensuite eux-mêmes puni ce religieux, l’ayant déclaré incapable de toutes charges et offices dans l’Ordre, et privé de voix active et passive; et puis ils l’ont chassé de leur maison. Cela fait espérer que si l’on tient désormais la main de la sorte pour empêcher de telles entreprises, cette pernicieuse doctrine pourra enfin se dissiper »
C’est ainsi que ce fidèle serviteur de Dieu ne perdait aucune occasion pour empêcher que ces erreurs ne fissent de plus grands dégâts dans l’Eglise .
Cependant, comme le mal prenait toujours de nouveaux accroissements. et que nonobstant tous les efforts qu’on faisait pour s’opposer à son progrès, il ne laissait pas de se répandre de tous côtés, et commençait à mettre la division non seulement dans les écoles, mais aussi dans les communautés religieuses, et passait jusque dans les familles séculières, et même semblait en quelque façon menacer la tranquillité de l’Etat; M. Vincent voyant ces maux, et prévoyant les funestes effets qu’ils pouvaient produire, gémissait incessamment devant Dieu, et pensait souvent en lui-même par lequel moyen on en pourrait arrêter le cours. Il employa beaucoup de prières et de mortifications pour apaiser la colère de Dieu, et obtenir de sa bonté infinie qu’il lui plût détourner les malheurs qui étaient à craindre de ces commencements. Ses prières et ses larmes ne furent pas sans effet; car il apprit bientôt après que plusieurs prélats de ce royaume, portés d’un saint zèle pour la conservation de la foi et de la religion catholique, avaient résolu de recourir au Saint-Siège apostolique, pour remédier plus promptement et plus efficacement à ces désordres. Il en fut fort consolé, et loua fort leur résolution, dont il crut devoir donner avis à quelques autres prélats de sa connaissance, pour les convier de se joindre aux premiers. Voici en quels termes il écrivit à quelques-uns sur ce sujet au mois de février 1651
« Les mauvais effets que produisent les opinions du temps ont fait résoudre un bon nombre de NN. SS. les prélats du royaume d’écrire à N. S. P. le Pape pour le supplier de prononcer sur cette doctrine.
« Les raisons particulières qui les y ont portés sont, premièrement, que par ce remède ils espèrent que plusieurs se tiendront aux opinions communes, qui sans cela pourraient s’en écarter: comme il est arrivé à tous quand on a vu la censure des deux chefs.
« Secondement, c’est que le mal pullule, parce qu’il semble être toléré.
« Troisièmement, on pense à Rome que la plupart de NN. SS. les évêques de France sont dans ces sentiments nouveaux: et il importe de faire voir qu’il y en a très peu.
« Quatrièmement enfin, ceci est conforme au saint concile de Trente, qui veut que, s’il s’élève des opinions contraires aux choses qu’il a déterminées, on ait recours aux Souverains Pontifes pour en ordonner. Et c’est ce qu’on veut faire, Monseigneur, ainsi que vous verrez par la même lettre, laquelle je vous envoie dans la confiance que vous aurez agréable de la signer, après une quarantaine d’autres prélats qui l’ont déjà signée, et dont voici la liste, etc. »
Outre cette lettre-circulaire, qu’il envoya à quelques prélats, il en écrivit une particulière à l’un d’eux, duquel il n’avait pas reçu de réponse. Voici en quels termes:
« De Paris, ce 23 avril 1651.
« Monseigneur, il y a quelques mois que je me donnai la confiance de vous envoyer la copie d’une lettre que la plupart de NN. SS. les prélats du royaume désiraient envoyer à notre Saint Père le Pape pour le supplier de prononcer sur les points de la nouvelle doctrine, afin que, si vous aviez agréable d’être du nombre, il vous plût de la signer. Et comme je n’ai eu l’honneur d’en recevoir aucune réponse, j’ai sujet de craindre que vous ne l’ayez pas reçue, ou qu’un mauvais écrit que ceux de cette doctrine ont envoyé partout pour détourner nos dits seigneurs les prélats ne vous retînt en suspens sur cette proposition. Ce qui fait, Monseigneur, que je vous en envoie une seconde copie, et que je vous supplie au nom de Notre-Seigneur de considérer la nécessité de cette lettre par l’étrange division qui se met dans les familles, dans les villes et dans les universités: c’est un feu qui s’enflamme tous les jours, qui altère les esprits et qui menace l’Église d’une irréparable désolation, s’il n y est remédié promptement.
« De s’attendre à un concile universel, l’état des affaires présentes ne permet pas qu’il se fasse; et puis, vous savez le temps qu’il faut pour l’assembler, et combien il en a fallu pour le dernier qui s’est fait. Ce remède est trop éloigné pour un mal si pressant. Qui est-ce donc qui remédiera à ce mal ? Il faut sans doute que ce soit le Saint-Siège, non seulement à cause que les autres voies manquent, mais parce que le concile de Trente, en sa dernière session, lui renvoie la décision des difficultés qui naîtront touchant ce qu’il a décrété. Or, si l’Eglise se trouve dans un concile universel canoniquement assemblé comme celui-là, et si le Saint-Esprit conduit la même Église, comme il n’est pas permis d’en douter, pourquoi ne suivra-t-on pas la lumière de cet Esprit, qui déclare comment il se faut comporter en ces occasions douteuses, qui est de recourir au Souverain Pontife ? Cette seule raison, Monseigneur, fait que je vous compte au nombre des soixante prélats qui ont déjà. signé cette lettre sans autre concert qu’une simple proposition, outre plusieurs autres qui la doivent signer.
«Si quelqu’un estimait qu’il ne se doit pas déclarer si avant sur une matière de laquelle il doit être le juge, on lui pourrait répondre que, par les raisons ci-dessus, il paraît qu’il n’y doit point avoir de concile, et par conséquent qu’il ne peut y être juge. Mais supposons le contraire, le recours au Pape ne serait pas un empêchement; car les Saints lui ont autrefois écrit contre les nouvelles doctrines et n’ont pas laissé d’assister comme juges aux conciles où elles ont été condamnées.
«Si d’aventure il repartait que les Papes imposent silence sur cette matière, ne voulant qu’on en parle, qu’on en dispute ni qu’on en écrive, on leur pourrait dire aussi que cela ne se doit pas entendre à l’égard du Pape, qui est le chef de l’Église, auquel tous les membres doivent avoir rapport; mais que c’est à lui que nous devons recourir pour être assurés dans les doutes et les agitations. A qui donc se pourrait-on adresser ? et comment saurait Sa Sainteté les troubles qui s’élèvent, si on ne les lui mande pour y remédier ?»
Si un autre craignait, Monseigneur, qu’une réponse tardive ou moins décisive de notre Saint-Père augmenterait la hardiesse des adversaires, je pourrais l’assurer que Monseigneur le Nonce a dit avoir nouvelle de Rome que dès que Sa Sainteté verra une lettre du roi et une autre d’une bonne partie de MM. nos prélats de France, elle prononcera sur cette doctrine. Or, il y a résolution prise de la part de Sa Majesté pour écrire; et M. le premier président a dit aussi que, pourvu que la bulle du Saint-Siège ne porte pas avoir été donnée par l’avis de l’inquisition de Rome, elle sera reçue et vérifiée au Parlement.
« Mais que gagnera-t-on, dira un troisième, quand le Pape aura prononcé, puisque ceux qui soutiennent ces nouveautés ne se soumettront pas ? Cela peut être vrai de quelques-uns, qui ont été de la cabale de feu M. N. qui non seulement n’avait pas disposition de se soumettre aux décisions du Pape, mais même ne croyait pas aux conciles. Je le sais, Monseigneur, pour l’avoir fort pratiqué; et ceux là se pourront obstiner comme lui, aveuglés de leur propre sens. Mais pour les autres, qui ne les suivent que par l’attrait qu’ils ont aux choses nouvelles, ou par quelque liaison d’amitié ou de famille, ou parce qu’ils pensent bien faire il y en aura peu qui ne s’en retirent, plutôt que de se rebeller contre leur propre et légitime Père. Nous avons vu l’expérience en ceci au sujet du livre des Deux Chefs et du Catéchisme de la Grâce; car sitôt qu’on a su qu’ils étaient censurés, on n’en a plus parlé. Et partant, Monseigneur, il est grandement à désirer que tant d’âmes soient désabusées du reste comme elles sont de cela, et que l’on empêche de bonne heure que d’autres n’entrent dans une faction si dangereuse que celle-ci. L’exemple d’un nommé Labadie est une preuve de la malignité de cette doctrine. C’est un prêtre apostat, qui passait pour grand prédicateur, lequel, après avoir fait beaucoup de dégât en Picardie, et depuis en Gascogne, s’est fait huguenot à Montauban; et, par un livre qu’il a fait de sa prétendue conversion, il déclare qu’ayant été Janséniste, il a trouvé que la doctrine qu’on y tient est la même créance qu’il a embrassée. Et, en effet, Monseigneur, les ministres se vantent, dans leurs prêches, parlant de ces gens-là, que la plupart des catholiques sont de leur côté, et que bientôt ils auront le reste. Cela étant, que ne doit-on pas faire pour éteindre ce beau feu qui donne de l’avantage aux ennemis jurés de notre religion ? Qui ne se jettera sur ce petit monstre qui commence à ravager l’Église, et qui enfin la désolera, si on ne l’étouffe en sa naissance ? Que ne voudraient avoir fait tant de braves et de saints évêques qui sont à cette heure, s’ils avaient été élu temps de Calvin ? On voit maintenant la faute de ceux de ce temps-là, qui ne s’opposèrent pas fortement à une doctrine qui devait causer tant de guerres et de divisions. Aussi y avait-il bien de l’ignorance pour lors. Mais, à présent que NN. SS. les prélats sont plus savants, ils se montrent aussi plus zélés. Tel est Mgr de Cahors qui m’écrivit dernièrement qu’on lui avait adressé un libellé diffamatoire contre ladite lettre : «C’est, dit-il, l’esprit de l’hérésie, qui ne peut souffrir les justes corrections et à réprimandes, et se jette incontinent avec violence dans les calomnies: nous voici aux mains, où j’ai toujours cru qu’il en fallait venir. Et parce que je l’avais prié de se conserver, au sujet d’un accident qui lui était arrivé: Je vous assure, me dit-il, que je le ferai, quand ce ne serait que pour me trouver dans le combat que je prévois qu’il nous faudra avoir; et j’espère qu’avec l’aide de Dieu nous les vaincrons.» Voilà les sentiments de ce bon prélat. On n’en attend pas d’autres de vous, Monseigneur, qui annoncez et faites annoncer en votre diocèse les opinions communes de l’Église, et qui, sans doute, serez bien aise de requérir que notre Saint-Père fasse faire le même partout, pour réprimer ces opinions nouvelles qui symbolisent tant avec les erreurs de Calvin. Il y va certes de la gloire de Dieu, du repos de l’Église, et, j’ose dire, de celui de l’Etat. Ce que nous voyons plus clairement à Paris qu’on ne peut se l’imaginer ailleurs. Sans cela, Monseigneur, je n’eusse eu garde de vous importuner d’un si long discours. Je supplie très humblement votre bonté de me le pardonner, puisque c’est elle qui m’a fait prendre cette confiance, etc. »
Entre les autres évêques auxquels M. Vincent écrivit sur ce sujet, il y en eut deux qui lui firent une réponse commune, par laquelle ils lui exposaient quelques raisons pour lesquelles ils n’avaient pas jugé devoir signer cette lettre; c’est pourquoi il leur écrivit celle qui suit, dans laquelle on peut voir des marques bien expresses de son esprit et de son zèle:
«Messeigneurs, J’ai reçu avec le respect que je dois à votre vertu et à votre dignité la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire sur la fin du mois de mai, pour réponse aux miennes sur le sujet des questions du temps, où je vois beaucoup de pensées dignes du rang que vous tenez dans l’Église, lesquelles semblent vous faire incliner à tenir le parti du silence dans les contentions présentes. Mais je ne laisserai pas de prendre la liberté de vous représenter quelques raisons qui pourront peut-être vous porter à d’autres sentiments; et je vous supplie, Messeigneurs, prosterné en esprit à vos pieds, de l’avoir agréable.
«Et premièrement, sur ce que vous témoignez appréhender que le jugement qu’on désire de Sa Sainteté ne soit pas reçu avec la soumission et obéissance que tous les chrétiens doivent à la voix du souverain Pasteur, et que l’esprit de Dieu ne trouve pas assez de docilité dans les cœurs pour y opérer une vraie réunion. Je vous représenterais volontiers que quand les hérésies de Luther et de Calvin, par exemple, ont commencé à paraître, si on avait attendu de les condamner jusqu’à ce que leurs sectateurs eussent paru disposés à se soumettre et à se réunir, ces hérésies seraient encore au nombre des choses indifférentes à suivre ou à laisser, et elles auraient infecté plus de personnes qu’elles n’ont fait. Si donc ces opinions, dont nous voyons les effets pernicieux dans les consciences, sont de cette nature, nous attendrons en vain que ceux qui les sèment s’accordent avec les défenseurs de la doctrine de l’Eglise; car c’est ce qu’il ne faut point espérer, et ce qui ne sera jamais; et de différer d’en obtenir la condamnation du Saint-Siège, c’est leur donner temps de répandre leur venin. Et c’est aussi dérober à plusieurs personnes de condition et de grande piété le mérite de l’obéissance qu’ils ont protesté de rendre aux décrets du Saint-Père aussitôt qu’ils les verront. Ils ne désirent que savoir la vérité; et, en attendant l’effet de ce désir ils demeurent toujours de bonne foi dans ce parti, qu’ils grossissent et fortifient par ce moyen, s’y étant attachés par l’apparence du bien et de la réformation qu’ils prêchent, qui est la peau de brebis dont les véritables loups se sont toujours couverts pour abuser et séduire les âmes.
«Secondement, ce que vous dites, Messeigneurs, que la chaleur des deux partis à soutenir chacun son opinion laisse peu d’espérance d’une parfaite réunion, à laquelle néanmoins il faudrait butter, m’oblige de vous remontrer qu’il n’y a de réunion à faire dans la diversité et contrariété des sentiments en matière de foi et de religion, qu’en se rapportant à un tiers, qui ne peut être que le Pape, au défaut des conciles; et celui qui ne se veut point réunir en cette manière n’est point capable d’aucune réunion, laquelle hors de là n’est point à désirer: car les lois ne se doivent jamais réconcilier avec les crimes, non plus que le mensonge s’accorder avec la vérité.
«Troisièmement, cette uniformité que vous désirez entre les prélats serait bien à souhaiter, pourvu que ce fut sans préjudice de la foi; car il ne faut point d’union dans le mal et dans l’erreur; mais quand cette union se devrait faire, ce serait à la moindre partie de revenir à la plus grande, et au membre de se réunir au chef, qui est ce qu’on propose, y en ayant au moins de six parts les cinq qui ont offert de se tenir à ce qu’en dira le Pape, au défaut du concile, qui ne se peut assembler à cause des guerres; et quand après cela il resterait de la division, et si vous voulez, du schisme, il s’en faudrait prendre à ceux qui ne veulent point de juge, ni se rendre à la pluralité des évêques, auxquels ils ne défèrent non plus qu’au Pape.
«Et de là se forme une quatrième raison qui sert de réponse à ce qu’il vous plaît de me dire, Messeigneurs, que l’un et l’autre parti croit que la raison et la vérité sont de son côté; ce que j’avoue. Mais vous savez bien que tous les hérétiques en ont dit autant, et que cela ne les a pas pourtant garantis de la condamnation et des anathèmes dont ils ont été frappés par les papes et les conciles: on n’a point trouvé que la réunion avec eux fût un moyen de guérir le mal; au contraire, on y a appliqué le fer et le feu, et quelquefois trop tard, comme il pourrait arriver ici. Il est vrai qu’un parti en accuse l’autre; mais il y a cette différence que l’un demande des juges, et que l’autre n’en veut point, qui est un mauvais signe. Il ne veut point de remède, dis-je, de la part du Pape, parce qu’il sait qu’il est possible; et fait semblant de demander celui du concile, parce qu’il le croit impossible en l’état présent des choses; et s’il pensait qu’il fût possible, il le rejetterait de même qu’il rejette l’autre. Et ce ne sera point, à mon avis, un sujet de risée aux libertins et hérétiques, non plus que de scandale aux bons, de voir les évêques divisés: car, outre que le nombre de ceux qui n’auront pas voulu souscrire aux lettres écrites au Pape sur ce sujet sera très petit, ce n’est pas chose extraordinaire dans les anciens conciles qu’ils n’aient pas tous été d’un même sentiment; et c’est ce qui montre aussi le besoin qu’il y a que le Pape en connaisse, puisque, comme vicaire de Jésus-Christ, il est le chef de toute l’Église, et par conséquent le supérieur des évêques.
«Cinquièmement, on ne voit point que la guerre pour être allumée presque par toute la chrétienté, empêche que le Pape ne juge avec toutes les conditions et formalités nécessaires, et prescrites par le concile de Trente, du choix desquelles il se rapporte pleinement à Sa Sainteté, laquelle plusieurs saints et anciens prélats, ont ordinairement consultée et réclamée dans les doutes de la foi, même étant assemblés, comme on voit chez les saints Pères et dans les Annales ecclésiastiques. Or, de prévoir qu’on n’acquiescera pas à son jugement, tant s’en faut que cela se doive présumer ou craindre, que plutôt c’est un moyen de discerner par là les vrais enfants de l’Église d’avec les opiniâtres.
«Quant au remède que vous proposez, Messeigneurs, de défendre étroitement à l’un et à l’autre parti de dogmatiser, Je vous supplie très humblement de considérer qu’il a été déjà essayé inutilement, et que cela n’a servi qu’a donner pied à l’erreur. Car voyant qu’elle était traitée de pair avec la vérité, elle a pris ce temps pour se provigner; et on n’a que trop tardé à la déraciner, vu que cette doctrine n’est pas seulement dans la théorie, mais que, consistant aussi dans la pratique, les consciences ne peuvent plus supporter le trouble et l’inquiétude qui naît de ce doute, lequel se forme dans le cœur de chacun, savoir, si Jésus-Christ est mort pour lui, ou non, et autres semblables. Il s’est trouvé ici des personnes, lesquelles entendant que d’autres disaient à des moribonds, pour les consoler, qu’ils eussent confiance en la bonté de Notre-Seigneur, qui était mort pour eux, disaient aux malades qu’ils ne se fiassent pas à cela, parce que Notre-Seigneur n’était pas mort pour tous.
«Permettez-moi aussi, Messeigneurs, d’ajouter à ces considérations que ceux qui font profession de la nouveauté, voyant qu’on craint leurs menaces, les augmentent, et se préparent à une forte rébellion; il se servent de votre silence pour un puissant argument en leur faveur, et même se vantent, par un imprimé qu’ils publient, que vous êtes de leur opinion. Et au contraire, ceux qui se tiennent dans la simplicité de l’ancienne créance, s’affaiblissent et se découragent, voyant qu’ils ne sont pas universellement soutenus. Et ne seriez-vous pas un jour bien marris, Messeigneurs, que votre nom eût servi, quoique contre vos intentions, qui sont toutes saintes, à confirmer les uns dans leur opiniâtreté, et à ébranler les autres dans leur créance ?
«De remettre la chose à un concile universel, quel moyen d’en convoquer un pendant ces guerres ? Il se passa environ quarante ans, depuis que Luther et Calvin commencèrent à troubler l’Église jusqu’à la tenue du concile de Trente. Suivant cela, il n’y a de plus prompt remède que celui de recourir au Pape, auquel le concile de Trente même nous renvoie en sa dernière session, au chapitre dernier, dont je vous envoie un extrait.
«Derechef, Messeigneurs, il ne faut point craindre que le Pape ne soit obéi, comme il est bien juste, quand il aura prononcé: car outre que cette raison de craindre la désobéissance aurait lieu en toutes les hérésies, lesquelles par conséquent il faudrait laisser régner impunément, nous avons un exemple tout récent dans la fausse doctrine des deux prétendus chefs de l’Église, qui était sortie de la même boutique: laquelle ayant été condamnée par le Pape, on a obéi à son jugement, et il ne se parle plus de cette nouvelle opinion.
«Certes, Messeigneurs, toutes ces raisons et plusieurs autres que vous savez mieux que moi, qui voudrais les apprendre de vous, que je révère comme mes pères et comme les docteurs de l’Eglise, ont fait qu’il reste à présent peu de prélats en France qui n’aient signé la lettre qui vous avait été ci-devant proposée.»
Ces lettres de M. Vincent, aussi bien que toute sa conduite en cette affaire, font assez connaître que le seul motif de la gloire de Dieu et du salut des âmes le portait à s’y employer. En quoi il y a sujet d’admirer comme il a su si bien accorder un zèle très ardent pour tout ce qui regardait le service de Notre-Seigneur et de son Eglise, avec une humilité très profonde et un singulier respect pour la dignité sacrée des évêques. Car si d‘un côté la charité le presse de parler et de leur proposer les sentiments que Dieu lui inspirait en cette occasion, l’humilité et le respect le portent en même temps à se prosterner en esprit à leurs pieds, les suppliant de lui pardonner cette liberté, et leur protestant encore plus de cœur que de bouche qu’il les révère comme ses pères et comme les docteurs de l’Eglise, desquels il s’estimerait heureux d’apprendre les choses qu’il ose leur représenter. C’est ainsi qu’il en a toujours usé, et par ce procédé également humble et charitable, il a trouvé grâce, et devant Dieu qui a béni en cela ses bons desseins, et devant les évêques qui ont approuvé la sincérité de son zèle, lequel ne tendait qu’à seconder le leur:conformément à l’exemple de plusieurs saints personnages, qui bien que dans un état de vie retirée, n’ont pas laissé de recourir en semblables rencontres aux prélats de l’Eglise, leur donnant avis des hérésies naissantes qu’ils découvraient, afin d’en arrêter le cours.
Pendant que M. Vincent travaillait de la sorte, les jansénistes ayant été avertis qu’on voulait s’adresser au Souverain Pontife, pour avoir son jugement touchant la doctrine du livre de Jansénius, firent tout ce qu’ils purent pour traverser ce dessein et en empêcher l’effet.
Ils firent pour ce sujet courir un écrit en forme de lettre circulaire, qu’ils envoyèrent à tous les évêques du royaume, afin de les détourner de signer la lettre projetée pour le Pape: ce qui n’empêcha pas qu’en fort peu de temps elle ne se trouvât signée de plus de quatre-vingts prélats, tant archevêques qu’évêques.
Voyant donc que ce coup leur avait manqué, ils eurent recours au sieur de N., docteur en théologie, lequel était déjà allé à Rome, et lui mandèrent de faire tout son possible pour détourner le pape de prononcer sur cette consultation des évêques. Et outre cela, craignant qu’il n’eut pas assez de force pour conjurer cet orage qui menaçait le livre de Jansénius et tous ses sectateurs, ils envoyèrent en diligence trois de leurs docteurs pour le soutenir, et pour faire avec lui tous leurs efforts afin d’empêcher, ou du moins retarder, autant qu’ils pourraient, le jugement du Pape sur cette matière.
Cette députation des jansénistes ayant été divulguée, M. Vincent jugea qu’il était très important que quelques docteurs orthodoxes et bien intentionnés allassent aussi à Rome pour défendre la vérité contre toutes les entreprises et tous les artifices de ses ennemis. Et par une conduite toute spéciale de la divine Providence, qui veille incessamment sur son Eglise, il s’en trouva trois de la faculté de Sorbonne, lesquels, soit de leur propre mouvement, soit par l’induction de quelques-uns de leurs amis, formèrent le dessein d’entreprendre de compagnie ce voyage pour le service de la religion catholique. Ces trois furent MM. Hallier, Joisel et Lagault; le premier fut depuis fait évêque de Cavaillon par notre Saint Père le pape Innocent X, qui voulut par cette dignité reconnaître ses travaux et ses mérites envers l’Eglise.
M. Vincent ressentit une glande joie lorsqu’il apprit la résolution de ces trois messieurs; et comme il les connaissait particulièrement, il les encouragea, autant qu’il pût dans une si bonne entreprise, et leur offrit tous les services qu’il leur pourrait rendre, soit avant leur départ, soit après leur arrivée à Rome.
Ce n’est pas ici le lieu de déclarer tout ce que ces messieurs ont fait pour le service de l’Eglise et pour la défense de la vérité pendant leur séjour à Rome, dont ils informaient de temps en temps M. Vincent, duquel aussi réciproquement ils recevaient divers avis de ce qu’ils avaient à faire au lieu où ils étaient pour le bien de la religion. Il suffira de rapporter ici une lettre qu’il écrivit à M. Hallier, en l’année 1652, le 20 décembre, sur ce sujet:
«Je rends grâces à Dieu (lui dit il) des heureux progrès qu’il donne à vos conduites de delà; je vous remercie très humblement de la bonté que vous avez de m’en consoler. Je vous assure, Monsieur, que je ne reçois point de joie plus grande que celle que vos lettres m’apportent, et que je ne prie point Dieu avec plus de tendresse pour chose du monde que je fais pour vous et pour votre affaire. Aussi sa divine bonté me donne-t-elle une bonne espérance que bientôt elle rendra la paix à son Eglise, et qu’à la faveur de vos poursuites, la vérité sera reconnue, et votre zèle exalté devant Dieu et devant les hommes: c’est ce que nous continuerons à lui demander. Faites-nous part, s’il vous plaît de vos chères nouvelles, etc »
Il semble par cette lettre que M. Vincent avait quelque pressentiment de deux choses qui devaient arriver: l’une est la condamnation de la doctrine du livre de Jansénius contenue dans les cinq propositions, qui fut envoyée de Rome quelques mois après; l’autre est la promotion de M. Hallier à la dignité épiscopale, dont il a été déjà parlé.
Or, pour ce qui regarde la condamnation des cinq propositions, le lecteur catholique aura la satisfaction de voir ici deux lettres qui furent écrites de Rome à M. Vincent sur ce sujet, et dont les originaux sont en la maison de Saint-Lazare, à Paris. La première est de M. Hallier, en ces termes:
«Lundi dernier, je n’eus loisir que de vous écrire un mot, comme la Constitution rendue contre Jansénius était très avantageuse pour la défense de la religion catholique et la condamnation de l’erreur. Messieurs les jansénistes partent de cette ville aujourd’hui, pour aller par Lorette, ayant depuis quinze jours fait habiller leurs estafiers; ils ont promis au Pape d’obéir ponctuellement. J’ai des sujets de m’en défier; ayant dit à tous leurs affidés qu’ils n’étaient point condamnés; que leur sens, qui est le même que celui de Jansénius, subsistait toujours; je sais qu’ils se rendront ridicules en disant cela, Jansénius étant condamné, et les propositions comme tirées de Jansénius, et même le sens donné à la cinquième proposition par les Jansénistes étant expressément et spécifiquement condamné, et leurs sens étant tous exclus comme impertinents, par une condamnation absolue: néanmoins cela témoigne de l’endurcissement en l’erreur, qui pourra bien trouver des sectateurs, aussi bien par-delà qu’en ce pays-ci. C’est pourquoi il faut travailler à désabuser les ignorants, et poursuivre puissamment la publication de la bulle et la vérification dans les parlements, dans les diocèses, dans la Faculté, auprès du roi et de MM. le Chancelier et le Garde des Sceaux, des évêques et des docteurs. J’ai crainte que M. de Saint-Amour ne s’en aille en poste, et ne rapporte les choses tout d’une autre façon qu’elles ne se sont passées, disant qu’ils n’ont pas été entendus suffisamment. A quoi on a reparti plusieurs fois, premièrement, qu’il n’a tenu qu’à eux, ayant eu la liberté d’informer de voix et par écrit les cardinaux de la congrégation et les consulteurs un an durant; secondement, ayant eu communication de nos écrits, comme eux-mêmes l’avouent par la harangue qu’ils ont faite devant le Pape; troisièmement, qu’il était inutile de les entendre et nous aussi, ne s’agissant que d’une doctrine prise du livre de Jansénius, que le Pape a fait examiner soigneusement, et étant d’autant plus inutile de les entendre qu’ils n’allèguent autres moyens pour se défendre que ceux qui sont couchés dedans Jansénius; quatrièmement, que ce n’est pas la coutume, quand on condamne un livre, de recevoir autre lumière que celle qui vient du livre même, et des personnes savantes en la matière traitée dans le livre; cinquièmement, qu’on a offert aux docteurs jansénistes, devant Nosseigneurs les cardinaux, deux, trois, quatre, cinq audiences, tant qu’il serait besoin, ce qu’ils ont refusé; sixièmement, que toutes les fois qu’ils ont donné des écrits, ils ont été hors du sujet, ne tâchant d’obtenir autre chose que retarder, et en retardant empêcher la prononciation du Pape contre leurs hérésies, afin de les semer tout à loisir. Pour ce qui est des moyens par lesquels ils veulent éluder la bulle, il ne faut que les lire pour les condamner. Ils sont venus exprès pour défendre les propositions présentées au Pape par Nosseigneurs les évêques, et empêcher qu’elles ne fussent condamnées; ils en ont voulu empêcher la censure à la Faculté, quoiqu’elle fut plus douce; ils ont écrit trois apologies pour Jansénius; ils ont interprété les propositions au sens dudit auteur, et les propositions ne peuvent avoir autre sens que celui de Jansénius, si l’on ne corrompt la signification des paroles auxquelles elles sont conçues. Le Pape les condamne toutes d’hérésie, et n’en peut souffrir aucune interprétation; et partant elles sont condamnées au sens qu’ils voulaient leur donner, et qu’ils avaient présenté au Pape: Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus
«Vous savez que M. le Nonce a un bref pour Sa Majesté, que le Pape prie de tenir la main à l’exécution de sa bulle, dont vous voyez l’importance. Il y a aussi un bref pour MM. les évêques. Nous avons été priés de demeurer ici jusqu’à ce qu’on ait reçu des nouvelles comme on se comportera en la réception de cette bulle, l’intention étant ici de condamner les apologies pour Jansénius, le livre de la Grâce victorieuse, la Théologie familière et autres, des lors qu’on verra la réception de la bulle. Vous verrez par la lecture d’icelle qu’on retranche toutes les clauses ordinaires du style, pour ne point préjudicier à nos prétentions. Ce procédé plein de bonté nous oblige à correspondre par une obéissance respectueuse, et nous devons faire nos efforts pour ce sujet; et comme les jansénistes l’empêcheront de toutes leurs forces, il faut avoir soin de travailler pour rendre leurs efforts inutiles. Il faudra informer la reine du soin, de la diligence, du travail et de la bonté que Sa Sainteté a témoignés en cette cause, et lui représenter le devoir de sa conscience, son honneur, et la sûreté de l’Etat du roi son fils: toutes lesquelles choses se rencontrent en cette occasion. Nous avons été en doute de lui écrire sur ce que M. l’ambassadeur nous a dit qu’il n’en écrivait rien, se remettant à ce que nous en écrivions. Nous avions aussi quelque pensée d’en écrire à Son Eminence; mais à la fin nous avons résolu de n’en rien faire, de crainte que l’on jugeât que tout notre dessein n’était que d’intérêt, duquel nous sommes très éloignés: mais nous croyons qu’il sera meilleur que d’autres les en instruisent, comme vous le jugerez à propos. De Rome, ce 16 juin 1633. Votre très humble et très obéissant serviteur Hallier.»
La seconde lettre est de M. Lagault, écrite à Rome, le 15 juin 1633, comme il suit:
«Monsieur, je n’eus pas le loisir, par ma dernière, de vous écrire amplement comme l’affaire a été terminée contre les Jansénistes, parce que la bulle ne fut affichée que le soir où le courrier partit. Je ne puis mieux vous en faire le récit qu’en disant avec saint Paul: Regi sœculorum immortali, invisibili, soli Deo, honor et gloria ; parce que Dieu seul a opéré si visiblement dans cette affaire, que c’est à lui qu’il la faut attribuer tout entière. Le Pape lui-même l’a bien reconnu, et a dit plusieurs fois qu’il n’a jamais senti un pareil contentement que celui qu’il prenait dans les congrégations, où il a demeuré quelquefois jusqu’à cinq heures sans se lasser; et il y eût demeuré jusqu’à huit et à neuf, sans la compassion qu’il portait aux théologiens, qui ne pouvaient demeurer davantage sur leurs pieds. De plus, il entendait toutes choses avec une telle facilité, qu’il conférait ]e soir même avec Mgr le Cardinal Chigi, secrétaire d’Etat, de tout ce qui s’était dit. La main de Dieu s’est encore bien fait paraître, en ce qu’il y a eu de très grandes difficultés à surmonter, et que le Pape a été sollicité de toutes sortes de personnes pour laisser cette affaire indécise. Il y en avait plusieurs de considération, qui tâchaient à le détourner, sous prétexte qu’il intéressait notablement sa santé. Je ne sais s’il n’y avait point encore quelque puissante brigue qui venait de vos quartiers; le temps nous en apprendra davantage. Néanmoins il est toujours demeuré si ferme en sa résolution, que depuis qu’il l’a entreprise, il n’a pas vacillé un moment; mais il a toujours témoigné que cette affaire étant pour le bien de l’Eglise, il la voulait achever, et il l’avait tellement à cœur, que lorsque ses parents l’allaient voir pour le divertir, il les en entretenait continuellement.
«Il n’a rien omis de ce qui était nécessaire pour lever tout prétexte de plainte. Après Vingt-cinq congrégations et plus, tenues par MM les cardinaux, il en a tenu dix devant lui de plus de quatre heures entières; ensuite il a bien voulu entendre ces Messieurs les Jansénistes, puisqu’ils le souhaitaient, quoiqu’il n’y fût en aucune façon obligé, particulièrement ayant refusé d’être ouïs devant MM. les Cardinaux; mais ils débutèrent si mal devant lui, qu’il ne leur a pas accordé la seconde, laquelle ils ne demandaient que pour traîner, et voulaient tenir, disaient-ils, jusqu’à vingt-cinq audiences. Ils ne dirent jamais un mot de ce dont il s’agissait: ils s’amusèrent à invectiver contre les jésuites et à prouver qu’ils étaient auteurs de plus de cinquante hérésies: le Pape, voyant leur dessein, s’est enfin résolu a passer outre. Ils n’ont aucun sujet néanmoins de se plaindre de lui: car nous n’avons encore eu qu’une seule audience de lui, et eux depuis qu’ils sont à Rome en ont eu plus de huit ou neuf; depuis la décision ils en ont encore eu une de plus d’une heure, ou ils ont protesté d’obéir: A vous dire franchement, néanmoins, je doute que tous le fassent. Ils s’en retournent promptement en France, nonobstant les chaleurs; il y a très grand sujet de craindre que ce ne soit pour empêcher l’effet de la bulle.
«Cependant nous demeurons ici l’été par ordre des cardinaux, qui nous ont dit qu’il était à propos que nous demeurassions ici jusqu’à ce qu’on eût nouvelle de France comme la bulle aurait été reçue, afin de suppléer à ce qui y pourrait manquer, quoique je ne croie pas qu’on y puisse trouver rien à redire. Monsieur Hallier m’a dit qu’il vous envoyait un exemplaire de la bulle; c est pourquoi je ne vous en envoie pas; j’ai voulu vous mander ces choses au long, afin que vous preniez la peine de désabuser plusieurs personnes qui probablement seront prévenues de quantité de faussetés.
«J’oubliais à vous dire qu’on a déjà voulu prendre avantage ici de ce que la bulle ne parut plus deux heures et demie après qu’elle eut été affichée, et même par ordre du Pape. Vous saurez, Monsieur, que cela fut fait à dessein: le Pape la fit afficher manuscrite, et ne voulut permettre qu’on en distribuât aucun exemplaire, parce qu’il voulait en envoyer aux couronnes et aux nonces avant que les particuliers en envoyassent: de sorte qu’il fit tenir des sbires pour empêcher qu’on l’a transcrivît; et la nuit étant venue, il la fit lever, selon la coutume, afin d’aller affirmer et prouver qu’elle a été affichée. Dès ce jour-là même, elle a été envoyée en France avec un bref particulier au roi, et un autre à MM. les évêques. Le Pape a envoyé un courrier exprès en Pologne pour la porter plus promptement, le pays étant plus éloigné. J’espère dans quelque temps d’ici pouvoir envoyer quelque relation plus expresse de ce qui s’est passé.
«Je vous conjure, Monsieur, de continuer de remercier Dieu d’avoir préservé l’Eglise de France de tomber de nouveau dans le calvinisme, et de ne point oublier aussi dans vos saints Sacrifices celui qui est de tout son cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Lagault.
« Depuis la présente écrite, ce jourd’hui 16, nous avons été remercier Sa Sainteté, qui nous a donné audience de plus de deux heures et demie, et nous a dit que nous avions pu savoir toutes les choses qu’il avait faites devant que de venir à cette décision; comme il avait fait prier Dieu et en public, et en particulier; toutes les congrégations qu’il avait fait tenir pour la discussion. De plus il nous a confirmé ce que je vous ai déjà écrit dans la présente, le plaisir singulier qu’il avait pris à cette discussion, et l’assistance particulière et sensible qu’il avait reçue du Saint-Esprit en cette rencontre; qu’il ne s’était avancé aucune chose de théologie qu’il n’ait très facilement entendue et retenue. De plus, il nous a rendu toutes les raisons de sa bulle, point par point, et dit en outre qu’un matin, s’étant recommandé à Dieu, il avait fait venir un de ses secrétaires, et qu’il la lui avait dictée en une matinée. Il nous a dit que nos messieurs, que je n’ose plus appeler jansénistes, (car je veux croire qu’il n’y en aura plus) l’avaient été remercier de sa déclaration, et lui avaient promis de s’y soumettre entièrement, et en étaient venus jusqu’aux larmes. Dieu veuille qu’ils gardent leurs bonnes résolutions Il nous ajouta de plus que leur harangue, quand ils eurent audience publique, ne fut qu’une terrible invective contre les jésuites, (ce sont ses propres termes) et que tout ce qu’ils avaient dit n’avait point été à propos.»
Aussitôt que la Constitution de Notre Saint-Père le pape Innocent X eut été apportée en France, M. Vincent pensa en lui-même au moyen de tirer le fruit qu’on espérait de sa publication, qui était la réduction et réunion des esprits qui s’étaient laissé surprendre au faux éclat de cette nouvelle doctrine. Il s’avisa d’aller rendre visite aux supérieurs de quelques maisons religieuses, et à quelques docteurs et autres personnes considérables, qui avaient témoigné plus de zèle en cette affaire, afin de les conjurer de contribuer tout ce qu’ils pourraient de leur côté pour la réconciliation du parti vaincu. Il leur dit que pour cela il estimait qu’il fallait se contenir et se modérer dans les témoignages publics de leur joie, et ne rien avancer en leurs sermons, ni en leurs entretiens et conversations, qui pût tourner à la confusion de ceux qui avaient soutenu la doctrine condamnée de Jansénius, de peur de les aigrir davantage au lieu de les gagner; que le plus expédient était de les prévenir d’honneur et d’amitié dans cette conjoncture, qui, étant humiliante pour eux, pourrait néanmoins les aider à revenir quand ils se verraient traités avec respect et charité. Il les assura que de sa part il agirait de la sorte à leur égard.
Des paroles il passa aux effets, et s’en alla au Port-Royal visiter ces Messieurs qui s’y retiraient d’ordinaire, et les congratuler de ce qu’il avait appris qu’ils se soumettaient à la décision du Pape, comme en effet ils le témoignèrent au commencement, du moins en apparence. Il s’entretint ensuite avec eux pendant plusieurs heures, et leur parla fort confidemment avec de grands témoignages d’estime et d’affection. Il alla voir ensuite quelques autres personnes de condition des plus notables de ce parti, et qui promirent toute soumission au Saint-Siège apostolique, en ce qui concernait la doctrine condamnée.
Mais toutes ces sollicitations charitables de M. Vincent n’eurent pas l’effet qu’on espérait, et les œuvres ne répondirent pas aux bonnes paroles qu’on lui avait données. Plusieurs parmi les sectateurs de Jansénius furent touchés d’abord, et conçurent en effet un désir de se soumettre au jugement du chef de l’Église; le déguisement néanmoins et les prétextes dont les principaux chefs de ce parti coloraient leur obstination à soutenir cette doctrine condamnée furent tels, qu’ils prévalurent en beaucoup d’esprits contre tous les avertissements extérieurs et tous les mouvements intérieurs qui les portaient à reconnaître et confesser la vérité.
Nonobstant cela, lorsque la nouvelle Constitution de N.S.P. le pape Alexandre VII, par laquelle il confirmait et expliquait celle d’Innocent X, ayant été publiée, sur la fin de l’année 1656, M. Vincent, pressé de son zèle ordinaire, retourna encore sur ses mêmes pas; il renouvela les mêmes visites et les mêmes instances envers les plus considérables de ce parti, qui ne témoignèrent pas plus de soumission pour cette seconde Constitution que pour la première. De sorte que ce fidèle serviteur de Dieu, voyant bien qu’il n y avait rien à gagner sur des esprits si mal disposés, tourna ses pensées et ses soins pour travailler à la conservation de ceux en qui la foi était demeurée saine et entière, et pour les prémunir contre la contagion de ces nouvelles erreurs. Il employa ses premiers soins, selon que l’ordre de la charité le requérait, pour maintenir ceux de sa Congrégation dans la pureté de la foi et de la doctrine de l’Eglise. A cet effet, il leur parla plusieurs fois dans leurs assemblées de communauté, pour les convier à reconnaître combien ils étaient obligés à la divine bonté de les avoir préservés de ces nouveautés, qui étaient capables de corrompre et de perdre leur Congrégation. Il leur recommanda de prier Dieu pour la paix de l’Eglise, pour l’extirpation de ces nouvelles erreurs, et pour la conversion de ceux qui en étaient infectés. Il leur défendit de lire les livres des jansénistes, ni de soutenir directement ni indirectement leur doctrine, ni aucune des opinions qui la pouvaient favoriser. Et après cela, s’il en rencontrait quelqu’un que l’on reconnût y adhérer en quelque manière que ce fût, il le retranchait aussitôt comme un membre gangrené, de peur qu’il ne vînt à infecter et corrompre le reste du corps.
Ayant ainsi pourvu à la conservation et sûreté des siens, il étendit ses soins pour procurer le même bien en plusieurs communautés religieuses, qu’il préserva par ses conseils et par ses charitables entremises de la contagion de ces nouvelles erreurs, et particulièrement plusieurs monastères de Religieuses, qui doivent, après Dieu, leur conservation a son zèle et a sa charité
Il suffira de joindre à tout ce qui a été dit un exemple de cette même charité, qui embrassait volontiers toutes les occasions qui se présentaient pour procurer ce même bien, non seulement dans les communautés, mais aussi à l’égard des personnes particulières: auxquelles il tendait les bras avec une affection toute cordiale, soit pour les retenir et conserver dans les sentiments orthodoxes lorsqu’il les y trouvait, soit aussi pour les relever de l’erreur lorsqu’elles y étaient tombées, et qu’elles témoignaient quelque disposition d’en sortir.
Il y avait un docteur de la Faculté de la maison de Sorbonne qui se trouvait engagé dans le jansénisme, non seulement par l’attache qu’il avait à cette nouvelle doctrine mais encore plus par quelques liaisons particulières avec des personnes de condition et d’autorité qui étaient de ce parti. La constitution d’Innocent X l’avait assez fortement touché; et si elle ne l’avait entièrement converti, au moins il se trouvait grandement ébranlé. C’est pourquoi, dans les doutes et perplexités qui agitaient son esprit, il s’avisa de faire une retraite à Saint-Lazare, où après avoir beaucoup écouté toutes les pensées qui lui venaient en l’esprit sur ce sujet, il déclara enfin à M. Vincent qu’il était dans le dessein de quitter ces opinions de Jansénius, pourvu que le Pape le voulût éclaircir de quelques doutes qui lui restaient, lesquels il exposa dans une lettre qu’il écrivit à Sa Sainteté, et M. Vincent lui en procura une réponse fort favorable, qui le disposait suavement à renoncer .à cette doctrine condamnée. Mais au lieu de suivre promptement et sans hésiter cette semonce paternelle et ces mouvements intérieurs que Dieu lui donnait, il eut trop d’égard aux; respects humains, et il préféra la gloire des hommes à celle qu’il devait rendre à Dieu. Cela n’empêcha pas que M. Vincent ne lui fît de nouvelles instances, et ne le pressât de se déclarer: à quoi il ne répondit autre chose, sinon qu’il ne pouvait se résoudre à désavouer une doctrine qu’il semblait que Dieu approuvait par les miracles qu’on disait s’être faits au Port-Royal. Sur cela, M. Vincent lui écrivit la lettre suivante, et lui envoya les papiers dont elle parle .
«Je vous envoie la nouvelle Constitution de Notre Saint Père le Pape, qui confirme celle d’Innocent X et des autres Papes qui ont condamné les opinions nouvelles de Jansénius. Je crois, Monsieur, que vous la trouverez telle qu’il ne vous restera plus de lieu de douter, après l’acceptation et publication qu’en ont faites Nosseigneurs les prélats tant de fois assemblés sur ce sujet, et depuis peu, Nosseigneurs de l’Assemblée du clergé; et dont ils ont fait imprimer une relation que je vous envoie aussi; et enfin après la censure de Sorbonne, et la lettre qui vous a été écrite par ordre de Sa Sainteté.
«J’espère qu’à ce coup, Monseigneur, vous donnerez la gloire à Dieu, et à son Église l’édification, que chacun attend de vous en cette occasion. Car d’attendre davantage, il est à craindre que l’esprit malin, qui emploie tant de souplesse pour éluder la vérité, ne vous mette imperceptiblement en tel état, que vous n’aurez plus tant de force de le faire, pour ne vous être pas prévalu de la grâce, depuis un si long temps qu’il y a qu’elle vous sollicite par des moyens si suaves et si puissants, que je n’ai pas ouï dire que Dieu en ait employé de tels à l’égard de qui que ce soit de ce côté-là.
«De dire, Monsieur, que les miracles que fait la sainte Epine au Port-Royal semblent approuver la doctrine qui se professe en ce lieu-là, vous savez celle de saint Thomas, qui est que jamais Dieu n’a confirmé les erreurs par des miracles, fondé sur ce que la vérité ne peut autoriser le mensonge. ni la lumière les ténèbres. Or qui ne voit que les propositions soutenues par ce parti sont des erreurs, puisqu’elles sont condamnées ? Si donc Dieu fait les miracles, ce n’est point pour autoriser ces opinions, qui portent à faux; mais pour en tirer sa gloire en quelque autre manière.
«D’attendre que Dieu envoie un ange pour vous éclairer davantage, il ne le fera pas; il vous renvoie à l’Eglise, et l’Eglise assemblée à Trente vous renvoie au Saint-Siège, au sujet dont il est question; ainsi qu’il paraît par le dernier chapitre de ce concile.
«D’attendre que le même saint Augustin revienne s’expliquer lui-même, Notre-Seigneur nous dit que si l’on ne croit pas aux Ecritures, on croira encore moins à ce que les morts ressuscités nous diront. Et s’il était possible que ce saint revînt, il se soumettrait encore, comme il a fait autrefois, au Souverain Pontife.
«D’attendre le jugement de quelque Faculté de théologie fameuse, qui décide encore ces questions, où est elle ? On n’en connaît point dans l’état du Christianisme une plus savante que celle de Sorbonne, dont vous êtes un très digne membre.
«D’attendre, d’un autre coté, qu’un grand docteur et très homme de bien vous marque ce que vous avez à faire, où en trouverez-vous un en qui ces deux qualités se rencontrent mieux qu’en celui à qui je parle ?
«Il me semble, Monsieur, que j’entends que vous me dites que vous estimez ne vous devoir pas déclarer si tôt, afin d’amener avec vous quelque personne de condition. Cela est bon; mais il est à craindre que, pensant sauver du naufrage ces personnes-là, ils ne vous entraînent et noient avec eux. Je vous dis ceci avec douleur, d’autant que leur salut m’est aussi cher que le mien; et je donnerais volontiers mille vies, si je les avais, pour eux. Il semble que votre exemple les fera bien plutôt revenir que tout ce que vous leur pourriez dire. Tout cela donc posé, au nom de Dieu, Monsieur, ne différez plus cette action, qui doit être tant agréable à sa divine bonté; il y va de votre propre salut, et vous avez plus de sujet de craindre pour vous-même que pour la plupart de ceux qui trempent dans ces erreurs, parce que vous en avez reçu, et pas eux, un éclaircissement particulier de la part de Notre Saint-Père. Quel déplaisir auriez-vous, Monsieur, si, remettant plus longtemps à vous déclarer, on venait à vous y contraindre ainsi que la résolution en a été prise par Nosseigneurs les prélats ? C’est pourquoi je vous supplie derechef, au nom de Notre-Seigneur, de vous hâter, et de ne pas trouver mauvais que le plus ignorant et le plus abominable des hommes vous parle de la sorte, puisque ce qu’il vous dit est raisonnable. Si les bêtes ont parlé et les méchants prophétisé, je puis dire aussi la vérité, quoique je sois bête et méchant. Plaise à Dieu vous parler lui-même efficacement, en vous faisant connaître le bien que vous ferez ! car, outre que vous vous mettrez en l’état où Dieu vous demande, il y a sujet d’espérer qu’à votre imitation, une bonne partie de ces Messieurs-là reviendront de leurs égarements; et, au contraire, vous pourrez être cause qu’ils y demeureront, si vous retardez ce dessein. Et je doute même que vous l’exécutiez jamais: ce qui me serait une affliction mortelle, à cause que, vous estimant et vous affectionnant au point que je fais, et ayant eu l’honneur de vous servir en la qualité que j’ai fait, je ne pourrais, sans une extrême douleur, vous voir sortir de l’Église. J’espère que Notre-Seigneur ne permettra pas ce malheur, comme je l’en prie bien souvent, qui suis en son amour, etc.»
Par la réponse que ce docteur fit à cette lettre, il donna derechef quelque espérance de son retour; il ne tenait plus, comme il semblait, qu’à trouver le temps et la manière convenables pour exécuter ce dessein, et, comme il disait, pour en ramener aussi plusieurs autres avec lui. M. Vincent dressa même un projet de ce qu’il avait à faire, et à dire: mais ce docteur fit tant de façons, que tous ses bons desseins furent sans effet, en sorte qu’il demeura toujours dans ses premières erreurs, nonobstant tous les efforts de la charité de M. Vincent pour l’en retirer.
Mais finissons ce chapitre par une réponse, digne de son zèle, qu’il fit à un homme d’honneur et de mérite, lequel était préoccupé d’une grande estime non tant pour les savants d’entre les jansénistes que pour quelques personnes riches qui les appuyaient: voyant les grandes aumônes qu’elles faisaient; ce qui les tenait comme en suspens, n’osant pas en son cœur condamner des personnes qu’il. croyait si charitables et vertueuses. Cet homme donc, qui d’ailleurs était lié d’amitié avec M. Vincent, l’étant un jour venu voir, lui demanda s’il n’y avait pas moyen d’apporter quelque tempérament à la chaleur avec laquelle on pressait ces Messieurs du Port-Royal: «Quoi, lui dit-il, les veut-on pousser à bout? Ne vaudrait-il pas mieux faire un accommodement de gré à gré? Ils y sont disposés, si on les traite avec plus de modération; et il n’y a personne plus propre que vous pour adoucir l’aigreur qui est de part et d’autre, et pour faire une bonne réunion. »
A quoi M. Vincent répondit: « Monsieur, lorsqu’un différend est jugé, il n’y a point d’autre accord à faire que de suivre le jugement qui en a été rendu. Avant que ces Messieurs fussent condamnés, ils ont fait tous leurs efforts afin que le mensonge prévalût sur la vérité, et ils ont voulu emporter le dessus avec tant d’ardeur, qu’à peine osait-on leur résister; ils ne voulaient pour lors entendre à aucune composition. Depuis même que le Saint-Siège a décidé les questions à leur désavantage, ils ont donné divers sens aux Constitutions pour en éluder l’effet. Et quoique d’ailleurs ils aient fait semblant de se soumettre sincèrement au Père commun des fidèles, et de recevoir les Constitutions dans le véritable sens auquel il a condamné les propositions de Jansénius, néanmoins les écrivains de leur parti qui ont soutenu ces opinions, et qui ont fait des livres et des apologies pour les défendre, n’ont pas encore dit ni écrit un mot qui paraisse pour les désavouer. Quelle union donc pouvons-nous faire avec eux, s’ils n’ont une véritable et sincère intention de se soumettre ? Quelle modération peut-on apporter à ce que l’Église a décidé ? Ce sont des matières de foi qui ne peuvent souffrir d’altération, ni recevoir de composition, et par conséquent nous ne pouvons pas les ajuster aux sentiments de ces Messieurs là; mais c’est .à eux à soumettre les lumières de leur esprit et à se réunir à nous par une même créance et par une vraie et sincère soumission au chef de l’Église. Sans cela, Monsieur, il n’y a rien à faire qu’à prier Dieu pour leur conversion.» Voilà un petit crayon de la fermeté avec laquelle M. Vincent s’est toujours opposé à tous ceux qui soutenaient la doctrine de Jansénius. Depuis qu’elle a été condamnée par l’Eglise, il s’est toujours ouvertement déclaré sur ce sujet; et il estimait que tout véritable catholique devait se comporter de la sorte, et que c’était un très grand mal de dissimuler ou tergiverser, et encore plus de se tenir dans une espèce d’indifférence et de neutralité, quand il s’agissait de la foi et de la religion. Car quoiqu’il fut toujours d’avis qu’on devait agir avec modération et même avec charité envers ceux qui adhéraient à cette doctrine condamnée, pour procurer, s’il se pouvait, leur conversion, il voulait néanmoins qu’on y joignît une grande fermeté. Il tenait qu’une nouvelle hérésie était un mal qu’il ne fallait ni flatter ni plâtrer, en quelque personne que ce fût; que, comme il n’était pas permis de juger témérairement d’aucun, c’était aussi un autre mal encore plus dangereux de vouloir, par une fausse charité ou autre motif encore plus vicieux, bien juger de ceux qu’on devait tenir pour hérétiques ou suspects d’hérésie; et qu’il y avait non seulement témérité, mais injustice et même impiété, à ne vouloir pas condamner ceux que l’Église condamne, et encore plus à les soutenir et à vouloir juger l’Eglise même, ou condamner les jugements qu’elle porte par la bouche de son Chef et de ses prélats.
Or, quoique M. Vincent se soit porté avec un tel zèle contre le jansénisme et qu’il ait fait tous ses efforts pour le détruire, il savait néanmoins fort bien distinguer les erreurs condamnées d’avec la morale relâchée qu’il ne pouvait approuver Il l’a témoigné ouvertement en diverses occasions, ayant toujours recommandé aux siens de s’attacher fortement à la morale vraiment chrétienne, qui est enseignée l’Evangile et dans les écrits des saints Pères et des docteurs de l’Eglise, louant grandement les prélats et la Sorbonne qui ont condamné ce relâchement aussi bien que les erreurs de Jansénius, et recevant avec une égale joie ce que le Saint-Siège apostolique avait prononcé sur l’un et sur l’autre.