CHAPITRE QUATRIEME : Les Retraites spirituelles
SECTION I : Utilité des retraites spirituelles
La perfection des ecclésiastiques dans leur état est un ouvrage qui demande des aides intérieures et extérieures d’autant plus grandes, qu’ils y trouvent ordinairement de grands obstacles dans le monde, où ils sont obligés de vivre, et où non seulement les conversations et les affaires, mais encore les occasions périlleuses et les tentations fréquentes auxquelles ils sont exposés, ébranlent assez souvent et quelquefois renversent les meilleures résolutions qu’ils auraient prises, si elles ne sont soutenues et affermies par quelque puissant renfort. Il est vrai que les exercices de l’ordination servent grandement à les établir dans le véritable esprit de leur vocation, et que les conférences spirituelles peuvent beaucoup les y perfectionner: mais M. Vincent connaissant par une longue expérience combien grande est la faiblesse et l’inconstance de la volonté humaine, et jugeant qu’il était nécessaire d’employer encore quelque autre moyen pour leur donner un entier affermissement dans le bien, il n’en trouva point de plus propre que l’usage des retraites spirituelles, par l’exercice desquelles on se mettait en disposition de recevoir un nouveau surcroît de grâces, et d’être revêtu de la vertu d’en haut, selon ce que Notre-Seigneur dit à ses apôtres, lorsqu’il leur ordonna de se tenir en retraite depuis le jour de son Ascension jusqu’à celui auquel il leur enverrait son Saint-Esprit.
C’est ce qui excita M. Vincent à faire tout son possible pour faciliter l’usage et la pratique de ces retraites spirituelles, avec d’autant plus d’affection qu’il reconnut fort bien que leur utilité ne se bornait pas aux seuls ecclésiastiques, mais qu’elle pouvait aussi s’étendre aux personnes laïques de toute sorte de condition, et les aider efficacement à mener une vie conforme aux obligations qu’elles ont contractées par le saint baptême: car, considérant combien il y en a peu parmi les chrétiens qui fassent attention, comme ils doivent, à ces obligations, et qui se conduisent selon les vérités et maximes de l’évangile de Jésus-Christ; et reconnaissant bien que ce manquement ne provenait en la plupart que du défaut de réflexion et de considération sur ces vérités et sur ces maximes, il crut que ce serait faire une œuvre agréable à Dieu, avantageuse à l’Église et salutaire aux âmes, que de rendre facile et familière, autant qu’il se pourrait, cette pratique des retraites spirituelles qu’il jugeait très propre pour remédier à ce défaut. Et pour rétablir les chrétiens dans le véritable esprit du christianisme, on a trouvé sur ce sujet un petit écrit de sa main qui contient ce qui suit:
« Par ce mot de Retraite spirituelle ou d’Exercices spirituels, il faut entendre un dégagement de toutes affaires et occupations temporelles, pour s’appliquer sérieusement à bien connaître son intérieur, à bien examiner l’état de sa conscience, à méditer, contempler, prier, et préparer ainsi son âme pour se purifier de tous ses péchés, et de toutes ses mauvaises affections et habitudes, pour se remplir du désir des vertus, pour chercher et connaître la volonté de Dieu, et l’ayant connue, s’y soumettre, s’y conformer, s’y unir, et, ainsi tendre, avancer et enfin arriver à sa propre perfection.»
Par ce peu de paroles, on connaît que, selon le sentiment de ce grand serviteur de Dieu, les retraites spirituelles et tout ce qui s’y pratique ne sont à autre fin que de renouveler entièrement l’homme intérieur; et, en le purgeant de ses pécbés, de toutes ses mauvaises habitudes, affections vicieuses, passions déréglées et autres défauts et imperfections, lui faire ouvrir les yeux de l’âme et connaître plus clairement les obligations particulières de son état pour s’en mieux acquitter, et les vertus qui lui sont convenables pour les pratiquer; surtout pour l’établir solidement dans une vraie charité, qui unisse son cœur et toutes les puissances de son âme à Dieu, et qui le mette dans la disposition de pouvoir véritablement dire avec. le saint Apôtre: Non, ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi.
C’est pour parvenir à cette fin que l’on règle tout le temps et tous les exercices de ces retraites; on s’y applique à diverses méditations et lectures spirituelles; on y examine sa conscience; on y fait de bonnes confessions générales, ou au moins depuis la dernière si on en a déjà fait quelqu’une; on prend des résolutions, non seulement d’éviter les péchés et toutes les occasions qui pourraient y porter, mais aussi de se mettre dans la pratique des vertus et des œuvres conformes à sa condition; on s’y prescrit un ordre ou règlement de vie pour l’avenir; et, si on n’a point encore fait choix d’aucun état, l’on consulte Dieu par de ferventes prières afin qu’il lui plaise faire connaître là-dessus sa volonté; enfin l’on se met dans les dispositions de mener une vie vraiment chrétienne, et d’acquérir la perfection de son état.
M. Vincent recommandait particulièrement aux siens sur ce sujet qu’ils fissent bien entendre à ceux qui entraient en retraite, que la fin des exercices qui s’y pratiquaient était de se rendre parfait chrétien, chacun selon sa vocation: parfait écolier, si c’est un étudiant; parfait soldat, s’il fait profession de suivre les armes; parfait justicier, s’il est dans quelque office de judicature; parfait ecclésiastique, si c’est une personne engagée aux saints ordres; et quand c’est un prélat, qu’il se rende parfait comme un saint Charles Borromée. Que si ceux qui entrent en retraite y viennent pour faire choix d’un état de vie ou pour déraciner quelque vice qui les gourmande, ou pour acquérir quelque vertu, ou pour quelque autre dessein particulier, il faut, disait-il, faire butter tous les exercices de leur retraite à cette fin; et aider particulièrement ceux qui ont la pensée de quitter le monde, mais en telle sorte qu’on suive tonjours, dans les avis qu’on leur donne, les maximes de l’Évangile et non pas les vues de la prudence humaine, et qu’on se garde bien de les déterminer quant à la religion ou communauté qu’ils auraient à choisir, étant une affaire qu’ils doivent résoudre avec Dieu seul, quoiqu’il soit à propos de les avertir, en général, de choisir et de préférer les mieux réglées
Enfin, il est constant que la plupart des hommes se perdent par le défaut de considération et d’attention aux choses de leur salut, et que la source principale des péchés et des désordres dans lesquels tant de personnes passent presque toute leur vie n’est autre, sinon qu’on ne pense point comme il faut à la fin pour laquelle Dieu nous a donné l’être et la vie, on ne considère point les bienfaits qu’on a reçus de sa bonté; on ne fait point d’attention à la doctrine et aux exemples que Jésus-Christ nous a donnés, ni à la grâce des sacrements qu’il a institués; on ne considère point les pernicieux effets du péché, la vanité du monde, les tromperies de la chair, la malice et les artifices du diable, la brièveté de la vie, l’incertitude du moment de la mort, les jugements redoutables de Dieu, l’éternité bienheureuse ou malheureuse, et autres semblables vérités qui sont de la dernière conséquence pour le salut. M. Vincent disait que les exercices spirituels des retraites suppléent à tous ces défauts, par la sérieuse réflexion qu’on y fait sur toutes ces vérités, les considérant et pesant chacune en particulier au poids du sanctuaire; et il estimait avec raison, qu’entre tous les moyens spirituels que Dieu a mis au pouvoir des hommes pour remédier aux désordres de leur vie, et les aider à faire progrès en la vertu, il n’y en avait point de plus efficace et dont on remarquât des effets plus sensibles, plus fréquents et plus merveilleux que celui des retraites: de sorte que si les pécheurs ne se corrigent et ne s’amendent par ce remède, il faut des miracles pour les convertir.