SECTION II: Relation des fruits plus considérables de quelques missions particulières faites en divers lieux de la France
§. I — Au diocèse de Paris.
C’est de M. Vincent que nous avons appris un fruit fort considérable d’une mission faite dans un village du diocèse de Paris, dont il fit lui-même le récit à la communauté pour l’exciter à en rendre grâces à Dieu.
«Je prie la Compagnie, lui dit-il, de remercier Dieu des bénédictions qu’il a données aux missions qu’on vient de faire, et particulièrement à celle de N., qui sont notables. Il y avait une étrange division en cette paroisse, les habitants avaient une grande aversion contre leur curé; et le curé, d’un autre côté, avait sujet de se ressentir du mauvais traitement qu’il avait reçu de ses paroissiens: à raison de quoi il était en procès contre eux, et même en avait fait mettre en prison trois ou quatre des principaux, parce qu’ils en étaient venus si avant que d’user de dans l’église sur lui ou sur quelqu’un des siens. La plupart d’entre eux ne voulaient pas seulement ouïr la messe et sortaient de l’église quand ils le voyaient aller à l’autel; Enfin le mal était grand, et je n’en ai pas encore vu un pareil. Ils protestaient qu’ils n’iraient jamais à confesse à lui, et qu’ils passeraient plutôt la fête de Pâques sans communier.»
«Se voyant réduits en cet état, quelques-uns d’entre eux vinrent céans, il y a quelque temps, pour nous prier de leur aller faire la mission. Nous l’avons faite, et par la miséricorde de Dieu, tous se sont mis en leur devoir. Mais ce qui nous doit davantage exciter à bénir et remercier Dieu, c’est qu’ils se sont parfaitement réconciliés avec leur pasteur, et qu’ils se trouvent maintenant dans une grande paix et union dont ils ont un grand contentement de part et d’autre, et une égale reconnaissance; car dix ou douze sont céans pour nous en remercier de la part de toute la paroisse, lesquels m’ont dit tant de bien de cette mission, que j’avais peine de les entendre.
«Qui est-ce qui a fait cela, Messieurs, sinon Dieu seul ? Etait-il au pouvoir des hommes de faire cette réunion? Certes, quand bien même tout un Parlement se serait mêlé d’un accommodement si difficile entre des esprits si fort aliénés, à peine en serait-il venu a bout pour ce qui regarde seulement la police extérieure. C’est donc Dieu qui est l’auteur de cette bonne œuvre et a qui nous en devons rendre grâces. Je vous prie, Messieurs, de le faire avec toute l’affection que vous pourrez; et outre cela de demander a sa divine bonté qu’elle donne à la Compagnie l’esprit d’union et l’esprit unissant qui n’est autre que le Saint-Esprit même, afin qu’étant toujours bien unie en elle-même, elle puisse unir ceux du dehors: car nous sommes établis pour réconcilier les âmes avec Dieu, et les hommes avec les hommes.»
Voici le résultat d’une autre petite mission faite en la paroisse de N., proche de Paris, qui n’est que de trois cents communiants, où il s’est fait neuf choses différentes, qui sont dignes de remarque, et qui serviront pour faire voir l’utilité des missions, lesquelles ordinairement font les mêmes choses dans tous les lieux ou les mêmes besoins se rencontrent.
« 1° Les marguilliers qui s’élisent deux par an, et qui depuis dix ou douze ans n’avaient rendu aucuns comptes et retenaient entre leurs mains plusieurs sommes appartenant à l’église et à la Fabrique, ayant été avertis de l’injustice qu’ils commettaient, ont rendu leurs susdits comptes et entièrement payé tout ce dont ils étaient redevables.
« 2° Divers particuliers qui retenaient depuis longtemps plusieurs titres et papiers de l’église les ont rapportés et rendus, et on les a mis dans un coffre fermant à trois clefs.
« 3° Divers concubinages ont cessé, et les concubinaires se sont séparés ou bien sont sortis hors de la paroisse.
« 4° Tous les habitants, hommes, femmes et enfants, ont si bien reçu la semence de la parole de Dieu et se sont rendus avec une telle assiduité aux exercices de la mission, qu’ils n’ont perdu aucune prédication du soir, ni du matin, non pas même le catéchisme qui se fait après midi, où ils assistaient avec une attention merveilleuse.
« 5° Quoiqu’ils fussent pauvres, ils ont fait faire un tabernacle et donné un ciboire et un calice d’argent, celui duquel on se servait auparavant n’étant que d’étain.
« 6° Ils ont en partie rétabli leur église qui était menacée d’une ruine totale et prochaine, et même ont pris la résolution de la réédifier tout à fait, quoique tout cela leur dût coûter au moins douze mille livres.
« 7° Tous les procès et différends ont été accordés, en sorte qu’il n’en est pas resté un seul dont on ait eu connaissance; et ces accords se sont faits si chrétiennement, que les personnes s’allaient demander pardon à genoux les uns chez les autres.
« 8° Tous les pauvres malades ont été visités, secourus et assistés corporellement et spirituellement.
« 9° Enfin, chaque habitant, ayant fait bonnement et louablement sa confession générale et s’étant acquitté de ses autres devoirs pendant le temps de la mission, est demeuré non seulement bien instruit et bien consolé en son intérieur, mais aussi dans une vraie disposition et résolution de vivre chrétiennement à l’avenir.
Nous ne rapporterons pas ci-après ainsi en détail les succès des autres missions, car cela serait trop long et sujet a beaucoup de redites. Nous nous contenterons seulement de remarquer quelques circonstances principales, dont on a eu connaissance par le témoignage des missionnaires et autres personnes dignes de foi.
§. II.—Missions au diocèse de Saintes.
Monsieur Vincent ayant envoyé des prêtres de sa Congrégation pour travailler aux missions dans le diocèse de Saintes, environ l’année 1634, voici ce qu’une personne de grande piété en écrivit: «Notre-Seigneur bénit plus qu’il n’est croyable la mission de Saintonge; il s’y est fait quantité de conversions de mœurs et de religion. Mais ce qui fait admirer le travail des missionnaires, c’est qu’ils font voir au peuple la beauté de la religion catholique selon leur méthode ordinaire, sans disputer; ce qui fait que plusieurs hérétiques se convertissent. Mme de N. m’a dit qu’elle ne pense point à ces bons missionnaires que comme aux ouvriers de la primitive Eglise, sur la relation que lui en font ceux qui viennent de ces côtes-là, tant catholiques qu’hérétiques.»
Il y eut encore d’autres prêtres missionnaires envoyés dans le même diocèse de Saintes, par M. Vincent, en l’année 1640, à l’instance de feu M. de Raoul, alors évêque, et qui avec son clergé les a établis dans ladite ville; et il plut à Dieu donner bénédiction aux missions qu’ils firent en ce diocèse, dont il réussit beaucoup de bien selon le témoignage des ouvriers confirmé par plusieurs lettres de ce bon prélat.
Nous sommes, dit un missionnaire dans une de ses lettres, à la fin de notre mission de N., qui a duré sept semaines. Je n’oserais vous mander les bénédictions que nous y avons reçues, de peur de me trop satisfaire. C’est tout dire, que cette paroisse qui était réputée la plus perdue de toute la Saintonge pour les inimitiés, les discordes, les meurtres et les autres abominations qui s’y commettaient, est maintenant, par la miséricorde de Dieu, toute changée et fait une publique réparation de tous les scandales qu’elle a donnés. Il se trouve un grand concours de personnes a toutes les actions de la mission, même au petit catéchisme; les querelles s’apaisent, les rancunes se dissipent, et les réconciliations se font même sans que nous nous en mêlions. Nous attribuons toutes ces grandes grâces à la seule bonté de Dieu et aux mérites de la très sainte famille de Notre-Seigneur, à laquelle nous avons dédié cette mission. Les habitants d’une paroisse éloignée d’une lieue s’étant assemblés se sont adressés à leur curé; ils lui ont dit que puisqu’ils ne pouvaient avoir la mission chez eux, ils désiraient et lui demandaient que tous les matins il leur apprît à prier Dieu et à le bien servir, ce que ce bon curé a commencé de faire avec beaucoup de fruit.
Un autre, écrivant d’une mission faite en quelque autre paroisse du même diocèse: Cette Mission, dit-il, a reçu beaucoup de bénédictions, et par la grâce de Dieu fort extraordinaires, il s’est fait des accords fort importants et très difficiles, desquels plusieurs personnes de grande considération, et même Monseigneur l’évêque, n’avaient pu venir à bout par le passé, les cœurs se trouvant fort aigris depuis longtemps et ayant des prétentions de grands intérêts et de grands dommages, qui avaient produit de très fâcheux procès; mais par la miséricorde de Dieu ils sont enfin terminés, et les personnes parfaitement réconciliées. De sorte qu’ayant trouvé à notre abord cette paroisse toute divisée, nous l’avons laissée bien unie et en grande paix par la miséricorde de Dieu, qui lui a fait encore d’autres grâces singulières, pour des grands pécheurs et pécheresses publics qui se sont convertis, pour de grandes et notables restitutions qui s’y sont faites secrètement et publiquement, et aussi pour quelques hérétiques auxquels Dieu a touché le cœur, et qui se sont convertis.»
Un autre Missionnaire rendant compte à M. Vincent de ce qui s’était fait à la Mission de Gémousat, du même diocèse, en l’année 1647, lui manda qu’outre les fruits ordinaires et communs a toutes les missions, il y avait sept ou huit hérétiques qui avaient abjuré leurs erreurs, et ajouta que plusieurs autres avaient grandes dispositions à se convertir, mais qu’ils en étaient empêchés par l’appréhension être surchargés de tailles, à cause que les principaux qui les imposent sont hérétiques. Et même que la plupart seraient très aises que le roi les obligeât d’aller à la messe, pour lever le respect humain qui les retient. «L’un de ces convertis est un vieillard, lequel nous avions exhorte plusieurs fois, mais inutilement; et après avoir fait notre dernier effort, un peu avant notre départ, voyant que nous ne pouvions rien gagner sur lui, nous eûmes la pensée de recourir à la sainte Vierge et la supplier d’employer ses intercessions pour obtenir la conversion de ce pauvre dévoyé. Nous allâmes à cette intention nous prosterner à genoux et réciter les litanies, et voilà que les ayant achevées, nous voyons notre vieillard revenir à nous et nous avouer qu’il reconnaissait la vérité et qu’il était en volonté d’abjurer son hérésie; ce que nous lui fîmes faire, et ensuite sa confession générale, et puis nous le reçûmes à la sainte communion. Et en nous disant adieu, il nous pria instamment de le recommander aux prières de tous les catholiques.»
Le supérieur de la maison de la mission de Saintes manda dans l’une de ses lettres, qu’ayant demeuré un mois entier a travailler dans le bourg de Deniat, il se trouva tellement accablé, aussi bien que les autres Missionnaires qui étaient avec lui, de la grande foule du peuple qui venait de tous les lieux circonvoisins, qu’ils furent contraints, se voyant tout à fait épuises jusqu’à tomber de faiblesse dans le confessionnal, de cesser les exercices de la mission: et laisser avec beaucoup de regret un très grand nombre de personnes qui accouraient de toutes parts, sans leur pouvoir rendre le service qu’ils désiraient. Il ajoute que pendant cette mission il y avait eu plus de quatre cents réconciliations faites et plus de cent procès terminés; «et ces bonnes gens, dit-il, avaient un tel désir de faire leurs confessions, que sachant que nous ne recevions personne au bénéfice de l’absolution qui ne se fût auparavant réconcilié et qui n’eût fait raisonnablement ce qui était en lui pour terminer ses procès, ils allaient de maison en maison se chercher les uns les autres à cet effet. La veille de notre départ, un grand nombre de peuple se trouvait en l’église aux prières du soir, comme Monsieur le curé eut dit tout haut que les missionnaires lui demandaient sa bénédiction pour se retirer le lendemain, et qu’il voulut de la prendre occasion de les exhorter de faire un bon usage des instructions qui leur avaient été faites pendant la mission; Toutes ces bonnes gens en furent extrêmement touchées, et se mirent à crier et pleurer en telle sorte, qu’il ne put jamais leur dire un seul mot qu’ils voulussent entendre; et ]es missionnaires eurent bien de la peine de se séparer d’eux, ne les voulant pas laisser partir.
Il arriva presque le même fait dans un autre bourg appelé Usseau, proche de la ville de Niort, où après avoir travaillé un mois entier, les Missionnaires étant tombés dans un semblable épuisement, ne pouvant plus se soutenir de faiblesse, ils furent contraints à leur grand regret de finir leur mission, laissant un nombre presque innombrable de personnes à confesser; ce qu’ils demandaient avec tant d’instance, fondant en larmes et jetant de hauts cris, qu’il n’y avait point de cœur qui n’en fût touché. Il s’y fit un grand nombre de réconciliations; mais les Missionnaires trouvèrent au commencement beaucoup de résistance, ayant voulu abolir des danses publiques qui se faisaient en ce lieu-là aux fêtes de la Pentecôte, où il se commettait beaucoup de désordres, et même des enlèvements de filles et des assassinats. Et comme on eut prêché contre cet abus le jour de la Pentecôte, il y en eut quelques-uns, lesquels en dépit du prédicateur allèrent faire leurs danses le soir de ce même jour: de quoi le directeur de la Mission ayant été averti, et s’étant transporté sur le lieu avec d’autres ecclésiastiques, tous les danseurs s’enfuirent; et le lendemain ayant fortement parlé en chaire sur ce sujet, et rompu en présence de tout le peuple, qui était en très grand nombre, le violon dont on s’était servi, cela fit un tel effet par la grâce de Dieu sur les esprits, qu’après le sermon tous ceux et celles qui avaient dansé vinrent d’eux-mêmes se jeter à ses pieds et demander pardon de leur faute; et tous les habitants de ce lieu conçurent une telle horreur des danses et des maux qui en arrivaient, qu’ils les ont entièrement bannies de leur paroisse.
Il se fit encore un autre bien en cette mission, qui fut une assemblée de plusieurs ecclésiastiques des environs, où il se trouva jusqu’à dix-sept curés, auxquels on fit quelques conférences dont ils furent grandement touchés; ils prirent tous une résolution de mener une vie vraiment ecclésiastique, et d’en porter les marques extérieures avec l’esprit intérieur.
Enfin, les missions qui ont été faites dans ce diocèse ont été accompagnées d’une telle bénédiction et ont produit de si bons effets, que feu Monsieur l’évêque de Saintes, par une lettre qu’il écrivit a M. Vincent en l’année 1642, lui mande que les peuples étaient allés pour l’en remercier. Et dans une autre lettre de la même année: «J’ai fait venir, lui dit-il, vos Missionnaires en cette ville pour s’y reposer quelques jours; car certes il y a six mois qu’ils travaillent avec une telle assiduité, que je m’étonne qu’ils y aient pu fournir, et j’ai été moi-même sur les lieux pour les quérir.» Et en une autre lettre de 1643: «J’ai passé, dit-il, la fête de la Pentecôte avec MM. vos Missionnaires qui travaillent avec un merveilleux zèle, mais avec une grande consolation, vu la bénédiction que Dieu donne à leurs travaux; je ne puis vous en rendre grâces proportionnées à l’obligation, etc.»
§ III.—Missions dans les diocèses de Mande et de Saint-Flour.
Le diocèse de Mande, dans les Cévennes, se trouvant fort rempli d’hérétiques, M. Vincent y a envoyé en diverses occasions plusieurs de ses Missionnaires, soit pour tâcher de ramener les hérétiques à la vérité, ou bien pour fortifier les catholiques et les empêcher de tomber dans l’erreur. Et ce digne supérieur des Missionnaires prit résolution d’y aller lui-même en l’année 1635. Il y avait pour lors un de ses prêtres à Rome, fort versé en la connaissance de la langue hébraïque et syriaque, auquel on voulait persuader de travailler à la version de la bible syriaque en latin; mais M. Vincent jugea qu’il ferait beaucoup mieux de le venir aider à la mission qu’il voulait faire dans les Cévennes. Voici en quels termes il lui écrivit: «Je vous prie, lui dit il, de ne vous pas arrêter à la proposition qu’on vous a faite, de travailler à cette version. Je sais bien qu’elle servirait pour satisfaire à la curiosité de quelques-uns, mais non pas certes comme je crois au salut des âmes du pauvre peuple, auquel la providence de Dieu a eu dessein de toute éternité de vous employer. Il vous doit suffire, Monsieur, que par la grâce de Dieu, vous avez employé trois ou quatre ans pour apprendre l’hébreu, et que vous en savez assez pour soutenir la cause du Fils de Dieu en sa langue originaire et pour confondre ses ennemis en ce Royaume. Représentez-vous qu’il y a des milliers d’âmes qui vous tendent les mains et qui vous disent: Hélas ! Monsieur, vous avez été choisi de Dieu pour contribuer à nous sauver; ayez donc pitié de nous, et nous venez donner la main pour nous tirer du mauvais état où nous sommes: voyez que nous croupissons dans l’ignorance des choses nécessaires à notre salut, et dans les péchés que nous n’avons jamais confessés par honte, et que faute de votre secours nous sommes en grand danger d’être damnés.»
«Mais outre les cris de ces pauvres âmes que la charité vous fait entendre intérieurement, écoutez encore s’il vous plaît, M. ce que mon cœur dit au vôtre, qu’il se sent extrêmement pressé du désir d’aller travailler et de mourir dans les Cévennes, et qu’il s’en ira si vous ne venez bientôt, dans ces montagnes, d’où Monseigneur l’évêque crie au secours, et dit que ce pays qui a été autrefois des plus florissants en piété de tout le royaume est maintenant tout en péché, et que le peuple y périt de faim de la parole de Dieu.»
M. Vincent envoya quelques années après d’autres Missionnaires pour travailler en ce même diocèse, au sujet de quoi feu M. de Marcillac, qui en était évêque lui écrivit en ces termes:
«Je vous assure, lui dit-il, que j’estime plus le travail que les vôtres font à présent dans mon diocèse, que si on me donnait cent royaumes; je suis dans une satisfaction parfaite de voir que tous mes diocésains se portent au bien, et que mes curés font de grands profits des conférences que vos prêtres établissent avec succès et bénédiction.»
Et par une autre lettre écrite l’année suivante, qui était en 1643, le même prélat lui parle en ces termes: «Voilà, lui dit-il, Messieurs vos Missionnaires qui s’en vont vous rendre compte de ce que nous avons fait dans les Cévennes de mon diocèse, où j’ai fait ma visite générale. J’ai reçu trente ou quarante huguenots à l’abjuration de leurs erreurs, et laissé autant d’autres en l’état de faire le même dans peu de jours. Nous y avons fait solennellement la mission avec un profit incroyable. Et comme ces biens viennent de Dieu, et de vos bonnes assistances, je ne puis employer personne pour vous en faire un plus fidèle rapport ni qui s’en acquitte mieux que ces bons prêtres.»
En l’année 1636, feu Monsieur l’abbé Olier, qui depuis a été fondateur et premier supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, grand serviteur de Dieu, de très haute vertu, et dont la mémoire est en bénédiction, ayant demandé à M. Vincent quelques prêtres de sa Congrégation, pour aller faire des missions dans les terres de son abbaye de Pébrac, au diocèse de Saint-Flour, il s’y achemina avec eux, et quelques autres vertueux et zélés ecclésiastiques. Ils firent leur première mission à Saint-Ilpise, laquelle étant achevée, cet Abbé admirant les effets de la grâce qui avaient paru en cet emploi écrivit la lettre suivante au mois de juin de la même année a M. Vincent et à Messieurs les ecclésiastiques de la Conférence de Saint-Lazare, de laquelle il était:
« Je ne puis, leur dit-il, être plus longtemps absent de votre Compagnie, sans vous rendre compte de ce qui s’est passe en ces lieux. On commença la mission le dimanche d’après l’Ascension, laquelle dura jusqu’au quinzième de ce mois. Le peuple venait au commencement selon que nous le pouvions justement souhaiter, c’est à savoir autant que nous en pouvions confesser; et cela se faisait avec de tels mouvements de la grâce qu’il était aisé de savoir en quels lieux les prêtres confessaient, les pénitents se faisant entendre de toutes parts par leurs soupirs et par leurs sanglots. Mais sur la fin le peuple y venait en si grande foule, et nous pressait avec tant d’ardeur, qu’il nous était presque impossible d’y satisfaire. On les voyait depuis la pointe du jour jusqu’au soir demeurer dans l’église, sans boire ni manger, attendant la commodité de se confesser. Et quelquefois en faveur des étrangers, nous étions obligés de continuer les catéchismes plus de deux heures, d’où néanmoins ils sortaient aussi affamés de la parole de Dieu qu’en y entrant; et il fallait nous servir de la chaire du prédicateur pour faire ce catéchisme, n’y ayant point de place dans l’église à cause de la grande foule du peuple qui la remplissait toute jusqu’aux portes et aux fenêtres, qui étaient toutes remplies et chargées d’auditeurs. Le même se voyait au sermon du matin et à l’instruction du soir. Sur quoi je n’ai rien à dire, sinon que Dieu soit béni, lequel se communique avec tant de miséricorde et de libéralité à ses créatures, et surtout à ses pauvres. Car nous avons remarqué que c’est particulièrement en eux qu’il réside, et pour l’assistance desquels il demande la coopération de ses serviteurs. Ne refusez pas, Messieurs, ce secours à Jésus-Christ; l’honneur est trop grand de travailler sous lui, et de contribuer au salut de ces âmes, et a la gloire qu’il en doit tirer pendant toute l’éternité. Vous avez heureusement commencé, et vos premiers exemples m’ont fait quitter Paris pour venir travailler en ces lieux. Continuez donc en ces divins emplois, étant vrai que sur la terre il n’y a rien de semblable. O Paris ! tu amuses des hommes, lesquels avec la grâce de Dieu pourraient convertir un nombre innombrable d’âmes. Hélas ! combien dans cette grande ville se fait-il de bonnes œuvres sans fruit; combien de conversions en apparence; combien de saints discours perdus, faute de dispositions en ceux qui les écoutent ! Ici un mot est une prédication, et tous les pauvres, avec fort peu d’instruction, se trouvent remplis de bénédictions et de grâces, etc. »
Et par une autre lettre du dixième février de l’année suivante, il parle en ces termes:
« La quatrième de nos missions se fit il y a quinze jours, dans laquelle il s’est fait plus de deux mille confessions générales, quoique nous ne fussions que six ouvriers, et sur la fin huit; nous étions accablés du peuple, qui y abordait de sept ou huit lieues du pays, nonobstant la rigueur du froid et l’incommodité du lieu, qui est un vrai désert. Ces bonnes gens apportaient leurs provisions pour trois ou quatre jours, et se retiraient dans les granges; et la on les entendait conférer ensemble de ce qu’ils avaient ouï à la prédication et au catéchisme. Et à présent l’on voit ici les paysans et leurs femmes faire la mission eux-mêmes dans leurs familles; les bergers et les laboureurs chanter les commandements de Dieu dans les champs, et s’interroger les uns les autres de ce qu’ils ont appris pendant la mission. Enfin, la noblesse pour laquelle il semblait que nous ne parlions pas, nous servant d’un langage si grossier comme nous faisons, après s’être acquittée chrétiennement et exemplairement de son devoir, ne nous a pu laisser partir qu’en fondant tout en larmes. Cinq huguenots ont abjuré leur hérésie en cette dernière mission, quatre desquels qui nous fuyaient auparavant sont venus eux-mêmes nous y chercher; et cela, Messieurs, pour nous apprendre, comme vous me l’avez souvent enseigné, que la conversion des âmes et l’ouvrage de la grâce, auquel nous mettons souvent empêchement par notre propre esprit; et que Dieu veut toujours opérer, ou dans le néant, ou par le néant; c’est-à-dire en ceux et par ceux qui reconnaissent et confessent leur impuissance et leur inutilité. »
§ IV.— Dans les diocèses de Genève et de Marseille.
Nous ne pouvons apprendre les fruits Missionnaires établis à Annecy ont produits avec la grâce de Dieu par un témoignage plus authentique et plus assuré que celui de M. Juste Guérin, évêque de Genève, qui en écrivit à M. Vincent au mois de juin 1640 en ces termes –
« Plût au bon Dieu, lui dit-il, que vous puissiez voir le centre de mon cœur; car véritablement je vous aime et honore de toute l’étendue de mon affection, et je me confesse le plus oblige de tous les hommes du monde à votre charité, par les grands bienfaits et par les fruits que MM. les Missionnaires, vos chers enfants en Dieu, font en notre diocèse, qui sont tels que je ne puis les exprimer, et ils ne sont pas croyables sinon a celui qui les voit. J’en ai été témoin oculaire, à l’occasion de la visite que j’ai commencée après Pâques. Tout le peuple les aime, les chérit, et les loue unanimement. Certes, Monsieur, leur doctrine est sainte, et leur conversation aussi; ils donnent à tous une très grande édification par leur vie irréprochable. Quand ils ont achevé leur mission en un village, ils en partent pour aller en un autre? et le peuple les accompagne avec larmes et pleurs, en disant: O bon Dieu ! que ferons-nous, nos bons Pères s’en vont; et par plusieurs jours les vont encore trouver aux autres villages. L’on voit des personnes des autres diocèses venir pour se confesser à eux, et des conversions admirables qui se font par leur moyen. Leur supérieur a de grands dons de Dieu, et un merveilleux zèle pour sa gloire et pour le salut des âmes. Il prêche avec grande ferveur et avec grand fruit. Certes, nous sommes extrêmement obligés à M. le Commandeur de Sillery d’avoir pourvu à leur entretien. Oh ! combien admirable est la divine Providence, d’avoir inspiré suavement dans le cœur de ce bon seigneur de nous procurer ces ouvriers évangéliques ! C’est le bon Dieu qui a fait tout cela, sans qu’il y soit intervenu aucune persuasion humaine, ayant égard à notre besoin et au mauvais voisinage ou nous sommes de la misérable ville de Genève. »
Et dans une autre lettre du mois d’octobre 1641: «Je me confesse, lui dit-il, à jamais votre oblige, et a vos très chers enfants nos bons Messieurs de la mission, lesquels vont toujours faisant de mieux en mieux, et gagnant de plus en plus des âmes pour le ciel. Certes, Monsieur, je ne cesserai d’admirer la conduite de la divine Providence, sur ce pauvre diocèse, nous ayant envoyé ces bons ouvriers par votre entremise. Aussi ne cesserai-je de l’en remercier, et vous semblablement; car je serais trop ingrat si je ne le faisais. Hélas ! nous avons perdu à notre grand regret M. le Commandeur de Sillery, notre grand bienfaiteur, etc.»
Le même prélat écrivit encore une autre lettre à M. Vincent au mois d’août . 1644, en ces termes:
«Vos Missionnaires, lui dit-il, continuent de plus en plus d’enrichir le paradis des âmes qu’ils mettent en état de salut; leur en enseignant le chemin, et leur fournissant les moyens d’y arriver par leurs instructions, catéchismes, exhortations, prédications, et administrations des sacrements; avec la bonne vie qu’ils mènent, et les bons exemples qu’ils donnent en tous les lieux où ils font leurs missions. Il n’y a qu’une seule chose que je regrette, c’est qu’ils se trouvent en si petit nombre, eu égard à la grande étendue de notre diocèse qui contient cinq cents et quatre-vingt-cinq paroisses. Hélas! si Notre-Seigneur me faisait la grâce devant que de mourir, de voir qu’ils eussent parcouru tous les lieux de ce diocèse, je dirais véritablement de tout mon cœur, et avec une consolation toute particulière de mon âme: Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace, etc. »
Pour ce qui est des missions faites à Marseille et dans la Provence, il y en a eu de deux sortes, les unes sur mer et les autres sur terre; les premières aux forçats des galères, et les secondes aux paysans de la campagne, et toutes ont reçu de grandes bénédictions de Dieu.
Les missions des galères commencèrent en l’an 1643, au grand contentement de M. Jean-Baptiste Gault, très digne évêque de Marseille, qui mourut bientôt après en odeur de sainteté. Voici ce qu’il en écrivit le sixième de mars à Madame la duchesse d’Aiguillon qui s’y était intéressée, à cause que M. le duc de Richelieu, son neveu, était pour lors général des galères et pour ce sujet elle avait prié M. Vincent d’y envoyer de ses prêtres.
«Encore qu’il n’y ait pas longtemps, lui dit ce bon prélat, que je vous aie écrit à l’arrivée de MM. de la Mission, qu’il vous a plu de nous faire envoyer ici, pour travailler dans les galères, je ne puis néanmoins tarder davantage à vous rendre compte de ce qui s’y passe, de la consolation que reçoivent tous ceux qui sont employés en ce pénible travail, et moi avec eux; je ne doute point qu’il n’en soit ainsi de votre part. Nous avons commencé en même temps à faire la mission dans sept galères, ayant fait venir huit Missionnaires de ceux qui sont en Provence, pour travailler dans quatre, et nous avons distribué dans les trois autres ceux qui nous ont été envoyés de Paris; et je donne des aides aux uns et aux autres quand ils en ont besoin, notamment pour les Italiens qui sont en grand nombre dans les galères. Le fruit a surpassé absolument l’attente que l’on avait conçue. Il est vrai qu’on a trouvé d’abord des esprits non seulement ignorants, mais aussi endurcis dans leurs péchés, et qui ne voulaient point ouïr parler des choses de Dieu, étant aigris au dernier point contre leur misérable condition. Mais peu à peu la grâce de Dieu, par l’entremise de ces ecclésiastiques, a tellement amolli leurs cœurs, qu’ils témoignent à présent autant de contrition, qu’ils avaient auparavant fait paraître d’opiniâtreté. Vous seriez étonnée, Madame, si vous saviez le nombre de ceux qui ont passé des trois, quatre, cinq et dix années sans se confesser; et il s’en est trouvé qui étaient demeures en cet état l’espace de vingt-cinq années, et qui protestaient de n’en vouloir rien faire, tandis qu’ils demeureraient dans leur captivité. Mais enfin Notre-Seigneur s’est rendu le maître, et a chassé Satan de ces âmes sur lesquelles il avait usurpé un si puissant empire. Je loue Dieu de ce qu’il vous a donné cette volonté: la venue de ces Missionnaires m’a fait entièrement résoudre à cette mission, laquelle peut-être j’eusse différée en un autre temps. Et il est à craindre que cependant plusieurs d’entre eux ne fussent morts dans le mauvais état dans lequel ils étaient. J’espère que l’on recueillera les mêmes fruits dans les autres galères. Je ne vous puis dire, Madame, combien de bénédictions ces pauvres forçats donnent a ceux qui ont procuré un secours si salutaire pour leurs âmes. Je cherche les moyens pour faire en sorte que les bonnes dispositions où ils sont entrés puissent continuer. Je m’en vais de ce pas donner l’absolution à quatre hérétiques qui sont convertis dans les galères; il y en a encore d’autres qui ont le même dessein, car ces choses extraordinaires les touchent grandement.
Deux ou trois mois après, M. Vincent reçut une lettre du supérieur de ses Missionnaires de Marseille, par laquelle, après lui avoir mandé la triste nouvelle de la mort de ce S. évêque., il lui parle de la continuation de cette mission en ces termes:
«Il nous reste encore une mission à faire sur une galère, et non plus pour cette année. Ce travail est grand; mais ce qui nous aide beaucoup à le supporter est le changement notable qu’on remarque en ces pauvres forçats, qui nous donne toute la satisfaction possible. Hier je catéchisai sept Turcs de diverses galères que j’avais fait venir céans; Dieu par sa miséricorde veuille bénir cette entreprise, laquelle je recommande à vos saints sacrifices! Un autre Turc a été baptisé sur la galère, étant malade. Et outre ces Turcs, il s’y est converti environ trente hérétiques, qui ont tous fait abjuration.»
Et par une autre lettre du premier juin de la même année 1643, écrite par le même à M. Vincent:
«Hier, lui dit-il, qui était le jour de la très Sainte-Trinité, on baptisa dans l’église cathédrale, neuf Turcs, à la vue de toute la ville de Marseille, les rues se trouvant toutes couvertes de monde qui en bénissait Dieu; aussi n’avions-nous pas intention de cacher cette action, afin d’émouvoir quelques autres Turcs qui semblent hésiter. Aujourd’hui deux nouveaux sont venus me trouver pour me dire qu’ils veulent être chrétiens; ils étaient accompagnés d’un autre qui fut baptisé il y a environ dix jours. Nous continuons a leur faire le catéchisme en italien, deux fois le jour, pour les consolider et affermir tant que faire se pourra; autrement ils seraient au hasard de retourner au mahométisme.
Depuis ce temps-là, M. Vincent a toujours entretenu à Marseille des Missionnaires, qui ont continué et continuent encore à faire des missions de temps en temps dans les galères, même depuis qu’elles ont été transférées à Toulon; et elles produisent toujours de très grands biens pour le salut des âmes de ces pauvres forçats.
Outre les missions des galères, les mêmes prêtres en font aussi en divers lieux de la campagne avec non moins de fruit. Voici ce qu’un d’entre eux a mandé de ce qui s’est fait en une de ces missions, en l’année 1647:
«Nous sortons, dit-il, d’une mission qui nous a tenus l’espace de cinq semaines attachés aux confessionnaux, à la chaire, et aux accommodements des procès, avec tant de succès et de fruit que je puis dire sans exagération qu’on n’en peut pas souhaiter davantage. On y a réhabilité neuf à dix mariages clandestins; fait environ vingt-cinq ou trente accommodements de procès, où il y allait en quelques-uns de sommes fort notables, en d’autres de l’honneur, et en d’autres de la vie: Ils se sont quasi tous faits de gré à gré, sans l’entremise de personne; quelques-uns même dans l’église, publiquement, et pendant la prédication, avec tant de sentiments et de larmes que celui qui prêchait en était interrompu. Il arriva aussi qu’un homme de condition médiocre, avec moins de discrétion, et ajouta à sa réponse un blasphème publiquement devant la porte de l’église; il en conçut un tel regret, quinze jours après, que de son propre mouvement, pour satisfaction de ce péché, il s’imposa lui-même de payer cent écus pour la réparation de l’église devant laquelle il avait proféré ce blasphème. »
§.V. — Dans les diocèses de Reims, de Toul et le Rouen.
Entre les missions du diocèse de Reims une des plus importantes est celle qui fut faite par l’ordre du roi en la ville de Sedan, en l’année 1643. Voici ce que le supérieur de la mission en écrivit à M. Vincent:
«Je vous dirai, Monsieur, que depuis qu’il a plu à Dieu de former la petite Compagnie de la Mission, elle n’a point travaillé ni si utilement ni si nécessairement qu’elle fait ici. Les hérétiques continuent de s’édifier et d’assister aux prédications, desquelles ils se louent fort. Et pour les catholiques, il faut travailler avec eux comme l’on ferait avec des gens tout nouveaux: car, depuis quatre ou cinq ans que la prédication est libre en cette ville, on n’y a presque parlé que de controverses et très peu des pratiques et des exercices de religion et de piété; il s’en est trouvé plusieurs qui avouaient franchement qu’ils n’avaient pas cru qu’il fût nécessaire de confesser tous ses péchés. Les mêmes abus se commettaient dans l’usage de la sainte communion, etc. En sorte qu’il nous fallut commencer de les instruire des premiers principes de la religion: il est vrai que ce n’a pas été sans beaucoup de consolation, d’autant qu’ils écoutaient avec plaisir ce qu’on leur disait, et le pratiquaient avec fidélité. Ils ne sauraient assez admirer la grâce que Dieu leur a faite, ni comment faire pour s’en rendre reconnaissants au point qu’ils le désirent.»
De ces grands besoins on peut juger quels ont été les fruits de cette mission, qui furent en effet très considérables; de quoi feu M. d’Étampes pour lors archevêque de Reims, témoigna ses reconnaissances et rendit des remerciements fort particuliers par les lettres qu’il écrivit sur ce sujet à M. Vincent.
L’on a fait depuis plusieurs missions en divers lieux du même diocèse. Entre les autres le directeur de la mission qui se fit au bourg de Sillery à l’issue des guerres, manda à M. Vincent qu’il n’y avait trouvé que quatre-vingts habitants, tous les autres étant morts de nécessité et de misère; mais que ce petit nombre avait fait paraître tant de bonnes dispositions qu’il ne se pouvait rien désirer davantage, Et en particulier parlant de celles qu’ils avaient apportées en s’approchant de la sainte table: «Ils ont communié, dit-il, avec de si grands ressentiments, que leurs larmes témoignaient, d’une manière qui ne se peut expliquer, la présence très adorable de leur divin Sauveur prenant possession de leurs cœurs sensiblement touchés; mais si bien convertis qu’ils protestent hautement qu’ils veulent non seulement renoncer à tout péché, mais souffrir avec patience et soumission tout ce qu’il plaira à Dieu, et le servir de la bonne sorte pour l’amour de lui seul: c’est ainsi qu’ils parlent eux-mêmes, répétant souvent : Tout pour l’amour de Dieu.»
Le même, écrivant à M. Vincent du bourg de Ludes où il faisait la mission quelque temps après: «Tout se passe ici, lui dit-il, selon votre désir. C’est tout dire: un de nos fruits est qu’on a mis la dernière main pour achever ce qui manquait à l’édifice de l’église, ce qu’on n’aurait jamais fait sans la mission. Les cabarets sont interdits aussi bien que les assemblées de nuit; on ne jure plus, et l’on ne profère qu’avec un très grand respect le très saint nom de Dieu; on va se mettre à genoux dans les maisons pour demander pardon à ceux que l’on a offensés.»
Et d’un autre lieu du même diocèse nommé Fontaine, écrivant à M. Vincent, il lui dit ces paroles:
« Dieu qui a béni les missions précédentes semble augmenter ses grâces en celle-ci: car les concubinages qui avaient dure des vingt-cinq ans sont abolis; tous les procès terminés; un très grand nombre de personnes, tant de ce lieu que des autres circonvoisins, qui abusaient des sacrements depuis vingt, trente et trente-cinq ans, ont reconnu et détesté leurs crimes; les habitants de ce lieu appellent et convient leurs parents des lieux les plus éloignés, pour venir participer aux fruits de la mission; et les gentilshommes y viennent de sept, dix et quatorze lieues du côté de Rethel. »
Enfin ce bon Missionnaire travaillant dans le bourg d’Aï, du même diocèse, dit dans une de ses lettres au même M. Vincent: «En arrivant ici, quelques-uns des principaux nous voulaient fermer les portes, ayant indisposé les peuples à l’égard de nos fonctions; mais après quelques jours de patience, Dieu qui nous avait envoyés en ce lieu par l’ordre de nos supérieurs a tellement changé les cœurs que jamais mission n’a mieux commencé. Ils se confessent très exactement avec toutes les marques d’une vraie contrition; ils restituent actuellement; ils vont se demander pardon à genoux les uns aux autres; ils prient Dieu soir et matin, et témoignent être résolus de changer tout à fait de vie et d’en mener une vraiment chrétienne; ils ne se peuvent rassasier d’entendre la parole de Dieu. Le ministre qui demeurait ici s’en est fui; et le peu d’hérétiques de ce lieu, qui sont de pauvres vignerons extrêmement ignorants, ne perdent aucune de nos prédications.»
Pour ce qui est du diocèse de Rouen, M. Vincent y a envoyé en diverses occasions des prêtres de sa Congrégation, lesquels ont fait dans leurs missions, par le secours de la grâce de Dieu, les mêmes fruits que dans les autres diocèses. Pour n’user de redites, nous nous contenterons de rapporter ici une lettre de Mgr l’archevêque de Rouen, écrite à M. Vincent en l’année 1656, qui fait voir la satisfaction qu’il avait des Missionnaires et de leurs travaux.
«Je ne me lasse point, lui dit-il, de vous donner de mes lettres, parce que vous ne vous ennuyez point de nous faire du bien. Celui que mon diocèse a reçu par l’entremise de vos saints ouvriers en est un témoignage très certain. Et comme je remercie Notre-Seigneur, de voir que son esprit est si abondamment répandu dans les prêtres que vous formez par sa grâce, je n’aurais aussi a souhaiter pour son Église et pour la gloire de son sacré nom, sinon que tous les ecclésiastiques eussent la même capacité et la même ferveur. Je vous envoie donc le brave M. N. et sa généreuse troupe; Ils ont combattu vaillamment contre le péché. J’espère qu’en d’autres rencontres ils ne se lasseront pas de continuer sous l’étendard du primat de Normandie, qui estime leurs vertus, qui loue leur zèle, et qui est sans réserve, de leur illustre chef, le très humble, etc.»
Pour le diocèse de Toul, quoiqu’il eût été grandement désolé par le malheur des guerres, néanmoins les Missionnaires établis en la ville de Toul n’ont pas laissé de ressentir les bénédictions de Dieu sur les missions auxquelles ils ont travaillé. Voici en quels termes le supérieur écrivit à M. Vincent en l’année 1656, d’une mission qu’il venait de faire, lui troisième: u Je ne puis, lui dit-il, vous exprimer les bontés ;le Notre-Seigneur en notre endroit. Nous avons entendu environ cinq cents confessions générales, sans trouver un seul jour de relâche pendant un mois. Le temps fâcheux de l’hiver qui avait couvert les chemins de neige de deux pieds de hauteur n’a pu empêcher que les pauvres gens, riches en foi et avides de la parole de Dieu, nonobstant les vexations extraordinaires qu’ils reçoivent des gens de guerre, n’aient fait voir que le royaume des cieux est pour eux. Tout ce qui se peut désirer de bien, s’y est fait, et nous avons sujet de dire que Jésus-Christ a pris plaisir de répandre extraordinairement en ces lieux la bonne odeur de son Évangile.»
Et dans une autre lettre écrite quelque temps après par le même: « Nous venons, dit-il, de faire mission dans une grosse bourgade nommée Charmes, où après avoir travaillé pendant cinq semaines, nous en sommes revenus un peu fatigués, mais les cœurs remplis de joie et de consolation, pour les bénédictions que Notre-Seigneur nous y a données, et à toutes les personnes de ce lieu-là, comme aussi a plusieurs paroisses circonvoisines. M. le curé est fort zèle, et depuis lui jusques au moindre de la paroisse, tous ont fait leurs confessions générales, sans qu’il en soit resté un seul qui y ait manqué: mais ces confessions ont été si bien faites, et dans les sentiments d’une si véritable conversion, que je ne me souviens pas si, de vingt-cinq missions où j’ai assisté, j’en ai vu une où le peuple m’ait paru si fort touche, comme en celle-ci; où après avoir rendu à Dieu et au prochain offensé toute la satisfaction que nous avons pu souhaiter, chacun s’efforce maintenant de suivre nos avis, pour se maintenir en la grâce de Dieu. Il y a en ce même lieu un couvent de bons religieux, et ces Révérends Pères étaient tout étonnés voyant tant de merveilles, et entre les autres leur supérieur, qui est un vrai saint.
«Tous ces glorieux trophées que Notre-Seigneur a remportés par sa grâce sur les cœurs de ceux qui avaient été rebelles à ses lois, et qui lui ont donné gloire par une véritable pénitence, nous obligent de lui en rendre de très humbles remerciements, et moi particulièrement de travailler plus que je n’ai fait; reconnaissant par expérience que c’est le grand moyen de profiter aux âmes. Je suis retourné de cette mission avec cette pensée et ce désir.»
§ VI. — En divers lieux de la Bretagne.
Les missions de la Bretagne n’ont pas eu de moindres succès que celles des autres provinces. Le supérieur des Missionnaires établis à Saint-Méen, au diocèse de Saint-Malo, écrivit à M. Vincent en l’année 1657, qu’ayant fait une mission à Pleurtuit, on y avait entendu en confession trois mille personnes; et que si on y retournait, on aurait besoin de plus de vingt confesseurs pour pouvoir satisfaire au grand nombre de peuple qui se présente. Il dit, entre autres choses, qu’en cette mission une personne de condition, à la sortie de l’église, se mit à genoux dans le cimetière devant tout le monde, pour demander pardon à ceux qu’il avait offensés, qui furent fort surpris de cette action. Et qu’une autre, avant que de se présenter au tribunal de la confession, alla de son propre mouvement jusqu’à huit lieues loin, pour demander pardon à une personne qu’elle n’avait que très légèrement offensée.
Et par une autre lettre de l’an 1658, il rapporte plusieurs choses fort remarquables qui se firent en la mission de Mauron. «Il y avait, dit-il, tous les jours, et même les ouvrables, plus de douze cents personnes qui assistaient au catéchisme: les principaux du lieu n’y manquaient non plus qu’à la prédication. Il s’est trouvé plusieurs serviteurs et servantes qui ont quitté leurs maîtres et leurs maîtresses parce qu’ils ne leur voulaient pas donner le temps d’y venir, aimant mieux perdre leurs gages, qu’une si belle occasion de se faire instruire. On y a vu des mères, qui après avoir fait leur devoir en cette mission se sont mises en service à la place de leurs filles pour leur donner moyen d’en faire autant; et d’autres serviteurs et servantes qui ont prié leurs maîtres et leurs maîtresses de leur permettre de venir aux instructions, et de rabattre sur leurs gages le temps qu’ils y emploieraient et qu’ils ne pourraient travailler.
«Le dimanche de la Quinquagésime et les deux jours suivants, il y eut une si grande et si extraordinaire foule de peuple qui se présenta pour recevoir la sainte Eucharistie, que l’on fut obligé de continuer à donner la communion jusqu’à sept heures du soir. Et depuis que la mission est finie, j’ai appris que, d’un grand nombre de cabarets qu’il y avait en ce lieu-là, il n’en est pas resté un seul, parce qu’ils nous avaient ouï dire en quelques unes de nos prédications qu’il était fort difficile que les taverniers se sauvassent en donnant à boire par excès, comme c’est la coutume en ce pays; Et de plus, qu’à présent, dans les marches qu’ils font les uns avec les autres, au lieu de mettre quelque argent pour boire, suivant l’usage du pays, ils le donnent à la Confrérie de la Charité que nous y avons établie pour les pauvres malades du lieu.»
En l’année suivante le même écrivant ce qui s’était passé en une autre mission: «Voila, dit-il, notre mission de Plaissala achevée par la grâce de Dieu, sur laquelle il lui a plu de verser si abondamment sa bénédiction, que tous ceux qui y ont travaillé tombent d’accord qu’ils n’en ont point encore vue où il ait paru tant de bien.
«On a remarqué un abord de peuple de dix-sept paroisses circonvoisines. Plusieurs hommes m’ont dit en se présentant à la confession, que c’était le dixième jour qu’ils attendaient dans l’église; et je crois que la même chose est arrive a plus de cinq cents. Il s’est fait de très grands biens touchant les accords et particulièrement de la noblesse; en quoi M. le baron du Rechau nous a grandement aidés. Il a une maison en cette paroisse où il était venu de Saint-Briant, qui est le lieu ordinaire de sa résidence; et avant entendu notre première prédication, il nous vint voir avec Madame sa femme au lieu où nous étions logés, et nous dit qu’il ne s’en retournerait point que la mission ne fût achevée. Je le priai en même temps de nous aider à terminer les différends qui sont ici forts fréquents et à faire les accords principalement entre les gentilshommes; en quoi il a réussi avec une bénédiction tout extraordinaire.
«Les jours du carnaval se passèrent en exercices de piété; il se fit procession solennelle le lundi, en laquelle M. l’Evêque de S. Brieuc porta le S. Sacrement; et tout le peuple y assista avec tant de dévotion et de modestie, avec un si bel ordre, marchant quatre à quatre, que quoique pendant cette procession qui dura près de deux heures il plût presque toujours, il n’y eut pourtant personne qui abandonnât son rang. Le même prélat donna la confirmation le mardi suivant dans le cimetière, au vent et à la pluie, n’y ayant point de place dans l’église qui était toute remplie de communiants.»
M. l’Evêque de Tréguier fit faire une mission à Guingamp après celle de Morlaix, en l’année 1648, au sujet de laquelle écrivant à M. Vincent: «Votre lettre, lui dit-il, nous a trouvés tous occupés dans notre mission, de laquelle j’espère beaucoup. L’un de vos prêtres y prêche le soir admirablement et dévotement; un autre fait le principal catéchisme a une heure après-midi, ou il se fait admirer et aimer des petits et des grands; un autre fait le petit catéchisme, et mon théologal prêche le matin en bas breton; Enfin tout le monde travaille, et on n’a pas même voulu me laisser oisif, car je prêche deux jours la semaine. Nous commencerons tous à confesser demain, Dieu aidant. Les gens de ce pays sont fort étonnés n’étant pas accoutumés aux missions: chacun en dit son avis diversement, mais avec respect. J’espère qu’avec la grâce de Dieu tout ira bien.»
Et par une autre lettre de l’année 1650, écrivant à M. Vincent d’une autre mission, il lui parle en ces termes: «Je vous remercie lui dit-il, du ministère fidèle de Messieurs vos quatre prêtres en ma mission de ce lieu. Leur capacité, leur zèle et leur assiduité à prêcher et confesser ont éte si grands qu’ils ont été suivis d’un fort bon succès; je puis dire que tous les habitants de ce lieu, de tout âge, sexe et condition, se sont convertis, et j’ai grand sujet de louer Dieu de m’avoir donné par votre moyen de si bons ouvriers. M. N. a une vigueur en chaire à laquelle rien ne résiste, je le retiens déjà pour la mission de N. pour l’année qui vient, etc. »
§. VII.— En divers lieux de la Bourgogne et de la Champagne.
M. Vincent ayant envoyé quelques prêtres de sa Congrégation en l’année 1642, pour faire la mission en la paroisse de saint Cyr au diocèse de Sens, voici ce que le seigneur du lieu lui en écrivit lorsqu’elle fut achevée:
«Les soins, dit-il, de Messieurs vos prêtres, joints à l’exemple de leur piété, ont fait un tel changement de vie dans mes paysans qu’a peine sont-ils reconnaissables de leurs voisins. Pour moi, j’avoue que je ne les connais plus, et je ne puis que me persuader que Dieu m’a envoyé une nouvelle colonie pour peupler mon village. Ces Messieurs n’ont trouvé que des esprits rudes, desquels le changement ne se pouvait faire que par la grâce qui accompagne vos ouvriers, et particulièrement ceux-ci à qui vous avez donné la peine de venir pour la conversion de ce peuple et la mienne. C’est un effet de la miséricorde de Dieu et une conduite de votre prudence de nous avoir envoyé des hommes conformes à nos besoins. Et après les remerciements que je vous en fais, il ne nous reste qu’à offrir d’ardentes prières à Dieu, à ce qu’il comble de ses bénédictions votre Compagnie, que j’estime être une des plus utiles à sa gloire qui soit au jourd’hui dans son Église. Je demeure pourtant dans la crainte que ces pauvres gens manquant d’un bon pasteur, pour les entretenir dans les bonnes résolutions qu’ils ont prises en cette mission qui leur a été si utile, ne tombent facilement dans le péché d’omission, en oubliant ou négligeant de mettre en pratique ce qui leur a été si judicieusement enseigné. Puisque vous ne leur avez point voulu donner un curé, je crois que les ayant de nouveau engendrés à Notre-Seigneur, vous êtes du moins obligé de leur en procurer un par vos prières, comme je vous en supplie de tout mon cœur. »
Madame de saint Cyr ne fut pas moins reconnaissante que M. son mari, voici comme elle parle dans une lettre qu’elle écrivit à M. Vincent sur ce même sujet:
«Bien que je me reconnaisse incapable de vous pouvoir dignement remercier de tant d’honneur et de biens que nous avons reçus par votre moyen en notre paroisse, si est-ce que je ne puis retenir cette vérité prisonnière, qu’après Dieu vous êtes en quelque façon notre sauveur, par le moyen de ces bons Messieurs que vous nous avez envoyés, qui ont fait des merveilles en ce lieu. Ils ont tellement gagné les affections de M. de saint Cyr que je crains qu’il ne soit malade de s’en voir éloigné. Pour moi je ne vous dis pas le ressentiment que j’en ai, étant trop triste pour vous pouvoir dire autre chose, etc. »
Monsieur Le Boucher, grand-vicaire de l’abbaye de Moutier-Saint-Jean, écrivant à M. Vincent au sujet des missions qui se faisaient en Bourgogne en l’année 1644: «Vous faites du bien partout, lui dit-il, et vous rendez de grands services à Dieu, à l’Église et à la sainte religion. Je viens de Tonnerre où j’ai vu vos chers enfants, les prêtres de la Mission, conduits par un homme de Dieu; il faut que j’avoue, Monsieur, que tous ces bons ecclésiastiques font des merveilles, par leur doctrine et par leurs bons exemples; ils réconcilient beaucoup d’âmes avec Dieu et avec leur prochain, etc. »
L’un des Missionnaires qui travaillaient en ladite province en l’année 1650, écrivant à M. Vincent: «Je dois vous rendre compte, lui dit-il, du fruit que vos prières et saints sacrifices ont opéré, tant à Joigny qu’à Longron, ou nous faisons maintenant la mission. Je n’ai rien à dire de Joigny, si ce n’est que j’admire l’assiduité des habitants à entendre les prédications et catéchismes, et leur diligence à se lever matin; car on a commencé quelquefois à sonner la prédication à deux heures après minuit, et néanmoins l’église se trouvait toute pleine, etc.
«Il faut pourtant que j’avoue franchement que je trouve encore plus de bénédictions dans les champs que dans les villes, et que j’y reconnais plus de marques d’une véritable et sincère pénitence et de la première droiture et simplicité du christianisme naissant. Ces bonnes gens ne se présentent ordinairement à la confession que fondant en larmes; ils s’estiment les plus grands pécheurs du monde, et demandent de plus grandes pénitences que celles qu’on impose. Hier, une personne qui s’était confessée à un autre missionnaire me vint prier de lui imposer une plus grande pénitence que celle qui lui avait été donnée et de lui ordonner de jeûner trois jours la semaine pendant toute cette année; un autre, que je lui donnasse pour pénitence de marcher nu-pieds sur la terre pendant le temps de la gelée; Et en la même journée d’hier un homme me vint trouver qui me dit ces paroles: Monsieur, j’ai entendu à la prédication qu’il n’y avait point de meilleur moyen pour ne plus jurer que de se jeter à genoux en présence de ceux devant qui on avait juré; c’est ce que je viens de faire, car aussitôt que je me suis avisé que j’avais juré ma foi, je me suis mis à genoux et j’ai demandé miséricorde à Dieu.»
Environ deux mois après, le même prêtre continuant de rendre compte à M. Vincent de ce qui se passait dans les missions de Bourgogne: « S’il est juste, lui dit-il, que celui qui a planté l’arbre ait le plaisir de lui voir porter le fruit, il est juste aussi que vous soyez participant des bénédictions que Dieu a données en abondance à nos petits travaux. Je puis vous assurer qu’aux missions que nous avons faites depuis celle de Joigny, je ne crois pas qu’aucun ait manqué de faire sa confession générale: Et c’est merveille de voir combien ce peuple est touché. Ce qui va jusqu’à un tel point que je me suis vu en disposition de ne les entretenir que durant les premiers jours seulement, des sujets qui excitent a la pénitence, à cause de la grande tendresse de leurs coeurs; car j’avais peur que cela ne fît tort à leur imagination. » Sur quoi il faut remarquer que ce prêtre missionnaire qui avait cette grâce de porter ainsi le peuple à la pénitence, était lui-même fort pénitent et faisait ce qu’il prêchait.
Entre plusieurs missions qui se sont faites en Champagne, une des plus considérables a été celle de Nogent au diocèse de Troyes, qui se fit en l’année 1657; M. l’évêque y envoya ses deux grands-vicaires, et lui-même y vint aussi et y travailla pendant quelques jours. Elle dura six semaines. Et, avec la grâce de Dieu, elle fut accompagnée de grandes bénédictions, dont le peuple témoigna de grandes reconnaissances à son prélat; car toutes les sortes de biens qui se peuvent faire dans les missions se firent en celle-ci. Monsieurs les grands-vicaires en étant émerveillés, disaient que c’était un temps perdu aux ecclésiastiques qui ne s’employaient pas de la bonne sorte à travailler au salut des âmes; et que le plus assuré moyen de faire du fruit était de prêcher et catéchiser selon la méthode de la mission. Le peuple était si assidu aux prédications et aux catéchismes, que le curé du lieu disait n’avoir jamais tant vu de monde dans son église le jour de Pâques comme il en voyait les jours ouvrables, pendant le temps de la mission.
M. l’évêque de Châlons-sur-Marne ayant demandé à M. Vincent quelques-uns de ses prêtres en l’année 1658, pour faire la mission en divers lieux de son diocèse, obligea plusieurs de ses curés d’y assister pour apprendre la manière de bien instruire leurs paroissiens. Voici ce qu’un de ces prêtres missionnaires en écrivit à M. Vincent:
«Notre mission de Vassy, lui dit-il, a reçu toutes les bénédictions que l’on pouvait attendre. Nous étions aidés par quatre curés et par un autre bon ecclésiastique, tous capables et vertueux: deux d’entre eux ont si bien pris la méthode de la Compagnie dans leurs prédications que, quoiqu’ils eussent peu de dispositions de parler en public, il le font à présent aussi utilement et avec autant de facilité que je connaisse parmi les personnes de leur profession. Les catholiques que l’hérésie avait noircis et infectés de plusieurs mauvaises maximes les ont quittées, et ont été confirmés dans les bons sentiments et mis dans un train de vie vraiment chrétienne; et non seulement les habitants dudit lieu, mais ceux de quatre et cinq lieues à la ronde en ont tiré un merveilleux profit, etc.»
«Nous sommes maintenant occupés à la mission de Holmoru, où il y a ici encore plus de bien à espérer, attendu le concours du peuple et l’affection de MM. les curés qui est si grande, qu’aujourd’hui douze curés sont venus exprès de trois ou quatre lieues pour assister aux actions et apprendre la méthode d’instruire les peuples.»
§. VIII.—En divers autres lieux de la France.
Dès le commencement que M. Vincent envoya de ses prêtres pour travailler hors le diocèse de Paris et dans les lieux les plus éloignés du royaume, un abbé fort célèbre lui en écrivit une lettre de congratulation au mois de décembre 1627, où lui parlant sur ce sujet: «Je suis de retour, dit-il, d’un grand voyage que j’ai fait en quatre provinces; je vous ai déjà mandé la bonne odeur que répand, dans les provinces où j’ai été, l’institution de votre sainte Compagnie, qui travaille pour l’instruction et pour l’édification des pauvres de la campagne. En vérité, je ne crois pas qu’il y ait rien en l’Église de Dieu de plus édifiant, ni de plus digne de ceux qui portent le caractère et l’ordre de Jésus-Christ; il faut prier Dieu qu’il donne l’infusion de son esprit de persévérance à un dessein si avantageux pour le bien des âmes, à quoi bien peu de ceux qui sont dédiés au service de Dieu s’appliquent comme il faut».
M Vincent envoya deux de ses prêtres au diocèse de Montauban, environ l’année 1630, pour fortifier les catholiques en la pureté de la foi, à cause que vivant parmi les hérétiques ils étaient dans un continuel péril de se souiller de leurs erreurs, et au bout de deux ans d’un travail continuel, il les rappela; mais quoiqu’ils eussent été principalement envoyés-là pour le secours des catholiques, Dieu leur fit néanmoins la grâce, pendant le séjour qu’ils y firent, de convertir vingt-quatre hérétiques.
Et, quelques années après, feu M. de Murviel, évêque de Montauban, écrivant à M. Vincent sur le sujet de plusieurs sorciers qui se rencontraient dans son diocèse, et de la peine qu’il avait de le purger de cette vermine, il conclut sa lettre par ces paroles:
«Les prêtres de la Mission sont grandement nécessaires dans ce diocèse; car dans les lieux où ils ont ci-devant travaillé, il ne s’est trouve aucun sorcier ni sorcière. Voilà le profit que les catéchismes et les confessions générales font partout, qui est de mettre les peuples en si bon état, que les diables ne puissent les abuser par des sortilèges, comme ils font à l’égard de ceux qui croupissent dans l’ignorance et dans le péché.»
En l’année 1634, M. Vincent envoya d’autres Missionnaires travailler dans le diocèse de Bordeaux, et ils lui mandèrent que le peuple accourait à leur mission des lieux les plus éloignés, avec tant d’ardeur, qu’il y en avait la plupart qui demeuraient des semaines entières dans le lieu où se faisait la mission, attendant qu’ils pussent trouver place pour faire leurs confessions; quelques-uns se mettaient à genoux et déclaraient tout haut leurs péchés pour en avoir l’absolution; Les autres disaient qu’ils aimeraient mieux mourir que de s’en retourner sans faire leurs confessions générales.
En l’année 1638, quelques prêtres de la Mission ayant été envoyés pour travailler au diocèse de Luçon par M. Vincent, voici ce que l’un d’eux lui écrivit trois ans après qu’ils s’y furent employés à faire des missions. «Il n’est pas imaginable, lui dit-il, combien maintenant nos travaux passés sont détrempés de consolations, que notre bon Dieu nous envoie pour nous donner courage. Ces âmes de Poitou qui semblaient dures comme des pierres ont pris le feu sacré de la dévotion si fortement et avec tant d’ardeur, qu’il ne semble pas se pouvoir éteindre de longtemps.»
Un autre lui écrivant en l’année 1642, de la mission des Essarts, lui mande qu’on y avait converti sept hérétiques, et qu’il s’y était fait des changements admirables parmi la noblesse et les officiers de la justice.
Un autre, lui écrivant de la mission faite à S. Gille sur le bord de la mer, dit qu’en ce lieu-là les dissensions et querelles avaient été éteintes, les cœurs divisés réunis, les procès les plus difficiles terminés, les biens d’autrui restitués, les pauvres soulagés, et les malades consolés et assistés par la Confrérie de la Charité; Et enfin les catholiques fortifiés dans la vraie religion.
Feu M. de Nivel, évêque de Luçon, écrivant à M. Vincent en l’année 1642, touchant les missions que les prêtres de sa Compagnie faisaient dans son diocèse, lui dit: «S’il plaît à Dieu que l’Institut de Messieurs de votre Congrégation continue longtemps en son Eglise, elle en doit espérer de très grands fruits. Le diocèse de Luçon, dans l’étendue duquel ils travaillent depuis trois ou quatre ans sous vos ordres en a déjà reçu de si notables, et particulièrement le lieu même de Luçon, où leur mission a été très fructueuse, que je me sens infiniment oblige à M. le Cardinal de Richelieu de nous les avoir procurés, et à vous, Monsieur, de nous les avoir envoyés. Leur supérieur surtout y travaille continuellement avec des soins admirables; il a des talents très propres pour l’effet de son emploi, et son zèle le fait estimer d’un chacun. Il est en tout louable, sinon qu’il est excessif en ses travaux, si pourtant il peut y avoir de l’excès aux travaux qu’on entreprend pour gagner des âmes à Dieu.»
D’autres prêtres missionnaires étant allés du côté d’Angoulême en l’année 1640, et une dame de grande condition ayant désiré qu’ils fissent la mission au bourg de qui lui appartenait, un de ses principaux officiers lui en écrivit en ces termes:
«Je crois, lui dit-il, que je ne puis commencer ma lettre par un sujet qui vous soit plus agréable que par l’heureux succès de la mission qui a été faite en votre terre de saint Amand; elle a réussi avec tant de bénédictions, que non seulement les peuples qui en sont dépendants, mais encore les trente et quarante paroisses voisines y ont paru et éclaté avec des dévotions inimitables. Les Minimes et les Capucins n’y étaient pas moins zèlés, l’exemple desquels y a attiré une grande partie des principaux de la ville d’Angoulême. Je vous puis assurer, Madame, que selon le bruit commun, les Missionnaires n’ont jamais travaillé plus utilement pour la gloire de Dieu; ils ont converti cinq ou six des plus considérables huguenots de Montignac. M. le duc de la Rochefoucauld en est si satisfait qu’il est résolu de les demander à M. Vincent pour faire la mission au printemps prochain à Verteuil et à Marsillac; les sieurs N. et N. ayant assisté à cette mission ont été si fortement touchés, que l’un d’eux s’est séparé et a résolu de ne voir jamais sa concubine, et l’autre a épousé légitimement celle qui était avec lui.»
M. Vincent envoya encore d’autres missionnaires dans le même diocèse en l’année 1643; on ne sait pas le détail de leurs travaux, mais ils parurent tellement utiles à M. du Perron, évêque d’Angoulême, qu’il en écrivit à M. Vincent au mois de janvier de l’année suivante en ces termes:
«Quoique je vous aie déjà remercié de l’envoi de Messieurs vos Missionnaires en ce diocèse, j’ai cru que je ne devais pas laisser aller la lettre de notre petite conférence, sans l’accompagner de ces marques, quoique très faibles, du vif ressentiment que j’ai du grand fruit que reçoit ce diocèse, de la charité que vous nous avez faite de nous donner de vos ouvriers. Ma consolation pourtant sera toujours imparfaite, Monsieur, jusqu’à ce que vous ayez comble ce bonheur qui n’est que passager, d’une mission stable et permanente en ce diocèse, qui en a beaucoup plus de besoin que les autres. Quand je saurai que vous serez en état de nous accorder cette faveur, je travaillerai par deçà à trouver les moyens de faire cet établissement, dont j’espère que Dieu recevra beaucoup de gloire, et l’Église de grands avantages pour le salut des âmes, qui est la seule chose que je sais que vous vous êtes proposée pour le but de toutes vos actions.»
Cette lettre fut suivie quinze jours après d’une autre qu’un vertueux ecclésiastique d’Angoulême écrivit à M. Vincent en ces termes: «Je m’en vais présentement monter à cheval pour porter à vos Missionnaires qui travaillent à Blansac, les deniers que vous m’avez adressés pour leurs besoins. Permettez-moi, s’il vous plaît, de vous être derechef importun, et de vous réitérer mes très humbles prières en faveur de ce pauvre et désolé diocèse; il vous demande des ouvriers stables pour le secourir dans ses nécessités spirituelles qui sont quasi extrêmes, et qui ne seraient pas néanmoins sans remèdes, s’il s’y trouvait des personnes qui eussent un zèle et une charité désintéressés, tels que ceux de la maison de S. Lazare, pour en prendre le soin. Je sais bien, Monsieur, que la Providence pourra se servir de mille autres moyens pour cela, quand il lui plaira; mais il paraît clairement qu’elle a jeté les yeux sur vous, et qu’elle vous a choisi entre plusieurs milliers, pour secourir non seulement tous les pauvres diocèses de ce royaume, mais principalement ceux qui semblent être comme abandonnes de tout le monde, etc.»
Feu M. de Montchal, archevêque de Toulouse, écrivant à M. Vincent en l’an 1640: «Je ne puis, lui dit-il, laisser partir ces deux Missionnaires que vous avez envoyés en ce pays, pour vous aller revoir, sans vous remercier, comme je fais de tout mon cœur, des grands services qu’ils ont rendus à Dieu dans mon diocèse. Je ne vous saurais représenter les peines qu’ils y ont prises, ni les fruits qu’ils y ont faits, dont je vous ai une particulière obligation, puisque c’est à ma décharge qu’ils se sont ainsi employés. L’un d’eux s’est rendu maître de la langue de ce pays jusqu’à se faire admirer de ceux qui la parlent, et s’est montré infatigable dans le travail. Quand ils se seront un peu rafraîchis je vous supplierai de nous les renvoyer, car je me dispose à faire faire les exercices des ordinands, et j’ai besoin de leurs secours encore pour ce sujet. Tout réussira à la gloire de Dieu si vous nous aidez, etc.»
En l’année 1648, le supérieur de la mission de Richelieu écrivit à M. Vincent que trois Missionnaires venaient de faire deux missions dans le bas Poitou; et qu’entre les grâces que Dieu avait faites par leur ministère, la conversion de douze hérétiques n’était pas des moindres.
Sur quoi il est bon de remarquer une circonstance assez considérable, qui est que ces conversions d’hérétiques dont nous venons de parler, et grand nombre d’autres qui se sont faites depuis les premières missions de M. Vincent jusqu’à présent, ont été opérées, non pas en disputant contre eux, ni en leur promettant secours, emplois ou autres avantages temporels, mais par une grâce particulière de Dieu, laquelle accompagnait les instructions et les bons exemples des missionnaires: ceux-ci leur faisant seulement voir les vérités chrétiennes dans leur pureté, les ont attirés à la religion catholique, d’une manière d’autant plus assurée, qu’elle est plus éloignée de tout intérêt humain.
Environ ce temps-là, les mêmes Missionnaires ayant fait mission en la paroisse de Saché, au diocèse de Tours, mandèrent à M. Vincent que bien qu’il n’y eût que six cents communiants en cette paroisse, il s’en était néanmoins trouvé douze cents a la communion générale; Que cette mission avait été accompagnée de très grandes bénédictions de Dieu, qui avaient produit grand nombre de réconciliations, de restitutions, de véritables conversions et autres fruits semblables; que M. le curé, son vicaire et cinq autres ecclésiastiques y avaient fait leurs confessions générales; et qu’un des plus riches de ce bourg, fort attaché à ses biens et qui ne faisait que fort rarement et fort petitement l’aumône, avait été tellement touché, qu’il avait fait dire au prône qu’il donnerait du pain trois fois la semaine à tous les pauvres qui se présenteraient à sa porte pour en demander.
Ensuite de cette mission, il s’en fit une autre au bourg de Villaine, du même diocèse, et la même bénédiction y parut dans le concours et l’assiduité des peuples, dans les conversions des pécheurs et dans les réconciliations des ennemis, entre lesquelles il s’en fit treize ou quatorze pour des différends de conséquence. La communion générale s’y fit avec grande effusion de larmes, et a la procession ou il y avait près de deux mille personnes, M. le curé, âgé de quatre-vingt-huit ans, dit en pleurant de joie qu’il était bien obligé de remercier Dieu de tant de grâces qu’il faisait aux âmes qui étaient sous sa conduite, n’ayant jamais vu un tel concours, ni une si grande dévotion dans son église qu’il en voyait alors.
Il se fit encore une mission en l’année 1650, au même diocèse de Tours, en la paroisse de Cheilly, en laquelle, outre les bénédictions ordinaires que Dieu verse par sa bonté en telles occasions, il se fit quatre ou cinq accommodements et réconciliations très considérables. L’un entre M. le cure et un habitant qui l’avait outragé. L’autre entre les marguilliers qui avaient eu le maniement des biens de l’église les cinq années précédentes et celui qui était pour lors en charge: Et cet accord fut au grand profit de l’église qui était très mal fournie d’ornements; Le troisième entre quelques officiers de justice, lesquels depuis six ou sept ans vivaient dans une grande inimitié; le quatrième entre deux gentilshommes qui étaient en querelle; et le cinquième entre un des principaux bourgeois et un sien fermier, pour des comptes dont ils étaient en contestation, qui allaient a la ruine de ce laboureur. Nous omettons ici une infinité de semblables fruits des missions qui ont été faites en un très grand nombre d’autres lieux de ce royaume, lesquels s’il fallait rapporter en détail, outre les redites continuelles et ennuyeuses, il faudrait y employer plusieurs volumes. Le peu qui a été ici rapporté suffira pour en servir comme d’échantillon et faire voir les grandes grâces et bénédictions qu’il a plu à Dieu de répandre sur tout ce royaume par le ministère de M. Vincent et des siens; je dis grandes grâces, si on les veut peser au poids du sanctuaire et juger de leur valeur par le prix qu’elles ont coûté à Jésus-Christ, lequel, pour nous faire connaître combien nous devions estimer la conversion des pécheurs et par conséquent tous les moyens qui peuvent y contribuer, a déclare dans l’Évangile «qu’il y avait une réjouissance toute particulière parmi les anges dans le ciel lors même qu’un seul pécheur se convertissait et faisait pénitence sur la terre»; et l’on doit croire que ces esprits célestes, si sages et si éclairés, ne conçoivent pas de la joie que pour un sujet qui le mérite.