La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Livre second, Chapitre Dernier, Section X

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Louis Abelly · Année de la première publication : 1664.
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Section X : Monsieur Vincent a toujours gardé une fidélité inviolable au Roi, et une affection constante pour son service, même pendant les temps les plus périlleux et difficiles

Il ne suffit pas de rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu; mais, suivant la doctrine de l’Évangile, il faut aussi rendre à César ce qui appartient à César, et la même loi divine qui oblige d’adorer Dieu, de lui obéir et de l’aimer par-dessus toutes choses, oblige aussi d’honorer et de respecter les rois, comme les images de sa souveraine Majesté sur la terre, de leur rendre avec affection le service qui leur est dû et de leur garder une inviolable fidélité: De sorte que les princes chrétiens ont cet avantage par-dessus les autres monarques qui ne croient point en Jésus-Christ, que leurs sujets sont attachés à leur service, non seulement par la force de leurs ordonnances, ou par la crainte de leur souverain pouvoir, ou par la considération des faveurs et récompenses qu’ils peuvent espérer de leur libéralité; mais par des liens encore bien plus forts et plus nobles, qui sont l’autorité de la loi divine et les principes de leur religion; et comme ils ne peuvent manquer à ce qu’ils doivent à leurs rois sans contrevenir aux volontés de Dieu, aussi l’obéissance, l’affection et la fidélité qu’ils leur rendent ne se terminent pas à leurs seules personnes, mais vont jusques à Dieu, qui se tient honore, obéi et aimé en la personne de ceux qu’il a établis ses lieutenants pour le gouvernement temporel de ses peuples. D’où il s’ensuit qu’entre les sujets d’un prince chrétien, ceux-là sont les plus fidèles, les plus soumis et les plus attachés à son service, qui sont les plus vertueux et les plus unis à Dieu par la grâce et par ]a charité; et qu’au contraire, on ne doit pas attendre de ceux qui manquent à ce qu’ils doivent à Dieu une fidélité bien constante, ni une affection bien sincère pour le service de leur prince.

Cela présupposé, il ne sera pas difficile d’inférer de ce qui a été dit, tant en ce chapitre que dans tous les autres de ce second livre et même du premier, que M. Vincent ayant toujours été très fidèle à toutes les volontés de Dieu, et très zélé pour son honneur et pour sa gloire, il a par conséquent gardé une fidélité inviolable au Roi et une affection toute singulière au bien de son service; puisque le second dépend du premier, et que la mesure de l’affection et de la fidélité qu’on a pour son prince, se doit prendre de celle qu’on a pour Dieu.

Mais outre cette considération générale qui est très forte, nous en pouvons produire ici d’autres preuves plus particulières et non moins convaincantes, en rapportant de quelle manière ce saint homme s’est comporté, quand il a été question de se déclarer serviteur du Roi durant les temps les plus difficiles et les  plus périlleux, et d’exposer ses biens, sa vie et toute sa Compagnie pour témoigner son zèle et sa fidélité au service de Sa Majesté.

La mémoire n’est encore que trop récente de l’état déplorable où se trouva la France durant les années 1649, 1652, etc. et il y a sujet de dire qu’en ce temps-là, Dieu permit par un secret jugement que ce funeste puits de l’abîme dont il est parlé dans les saintes Lettres, fût entr’ouvert et qu’il s’en exhalât comme une noire fumée sur tout ce royaume, qui remplit les esprits des Français de ténèbres si obscures, que plusieurs d’entre eux semblaient avoir perdu le discernement de ce qu’ils étaient obligés de rendre à leur souverain, et quoique dans le cœur ils retinssent toujours l’affection qu’ils lui devaient, leurs actions néanmoins démentaient leurs intentions; et à même temps qu’ils pensaient travailler et combattre pour le service du Roi, ils employaient leurs armes et leurs efforts pour déprimer son autorité, pour perdre ses plus fidèles serviteurs, et pour porter la désolation et la ruine en tous les endroits de son royaume.

Or, comme une étoile brille durant la nuit avec une clarté plus vive quand elle se trouve environnée de nuages, qui ne servent qu’à rehausser l’éclat de sa lumière; de même l’on peut dire que tous ces troubles de la France ont fourni à M. Vincent une occasion de faire mieux paraître quelle était la perfection de sa fidélité envers le Roi, et la constance de son zèle pour son service. Il est vrai que pendant ce déplorable temps, la confusion était si grande en divers lieux, que la plupart des meilleurs Français et des plus attachés aux intérêts de leur prince ne pensaient pouvoir faire autre chose que de se tenir dans le silence et de gémir; connaissant bien que tout ce qu’ils eussent essayé de dire ou de faire pour apaiser les esprits mal disposés, n’eût servi qu’à les aigrir davantage, et peut-être à les porter à d’autres extrémités plus fâcheuses, que la prudence leur suggérait d’éviter. Mais M. Vincent, quoique d’ailleurs très prudent et très circonspect, ne put se contenir dans une telle conjoncture; et le zèle qu’il avait pour le service de son prince ne lui permettant pas de garder le silence, il se déclara hautement serviteur du Roi, et fit profession ouverte de vouloir obéir à tous les ordres qui viendraient de la part de Sa Majesté; et non content de se comporter de la sorte en son particulier, il tâcha de porter les autres en toutes les rencontres à faire de même; mais comme sa voix ne pouvait être entendue dans les lieux où il n’était pas présent, il y fit par ses lettres ce qu’il ne pouvait par ses paroles, écrivant à diverses personnes sur ce sujet; et particulièrement à plusieurs évêques, comme il a été dit dans le premier livre, pour leur persuader de demeurer en leurs diocèses, et d’y employer leur autorité, afin de contenir les peuples en l’obéissance du Roi. Il donna encore des preuves plus signalées de sa fidélité et de son zèle pour le service du Roi, mettant sous les pieds tous ses propres intérêts et ceux de sa Compagnie, quand il fut question d’aller trouver Leurs Majestés à Saint Germain-en-Laye, après leur sortie de Paris, pour leur faire offre de ses services: ayant pour lors laissé comme en proie à la passion de ses ennemis sa maison de Saint-Lazare et tous ses chers enfants, lesquels à l’exemple de leur père, souffrirent avec patience et même avec joie de se voir dépouillés de leurs biens, et maltraités pour un tel sujet.

Ce qui a fait voir encore plus clairement jusqu’où pouvait aller cette fidélité et cette affection pour le service de Leurs Majestés, est qu’ayant eu la pensée de leur donner un conseil qu’il estimait salutaire, et en quelque façon nécessaire dans la disposition où se trouvaient alors les affaires de l’État; et néanmoins ayant grand sujet de craindre qu’il ne fût pas favorablement reçu de ceux qui tenaient en main les rênes du gouvernement, et que cela ne fût suivi de quelque refroidissement à son égard, il aima mieux cependant s’exposer au danger de tomber dans cet inconvénient qui est si redouté de plusieurs, et d’encourir même la disgrâce de Leurs Majestés, que de manquer à faire une chose qu’il croyait pouvoir être utile à leur service. Il est vrai que la reine, connaissant la sincérité de son cœur, reçut en bonne part ses avis; et M. le cardinal Mazarin lui donna une audience favorable, sachant bien qu’il n’avait autre prétention que de rendre un fidèle service à Leurs Majestés, et quoique pour lors son conseil ne fût pas suivi, cela ne diminua en rien, mais plutôt augmenta la créance qu’on avait toujours eue de sa fidélité et de son affection, voyant qu’en cette occasion, après avoir tout abandonné pour le service de son prince, il avait eu le courage de s’exposer même à souffrir quelque diminution de sa bienveillance, qui lui était plus chère que tout le reste, plutôt que de manquer de donner un conseil qu’il jugeait lui être utile.

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