Section VIII : Autres offices de charité rendus par M. Vincent à diverses Abbayes et Monastères de filles
Saint Cyprien disait avec grande raison que plus l’honneur et la gloire de l’état des vierges consacrées à Dieu est sublime, plus grand aussi doit être grand le soin qu’il faut prendre pour le maintenir en sa perfection; le déchet en est d’autant plus facile et fréquent, que le sexe est plus fragile, et que la constance dans le bien est plus difficile et plus rare, même parmi les hommes. C’est ce qui a excité M. Vincent à étendre particulièrement la charité qu’il avait pour l’état religieux sur les abbayes et monastères des filles, soit pour y conserver le bon ordre, s’il y était déjà établi, soit pour le rétablir, s’il ne s’y trouvait pas.
Il s’est toujours principalement employé autant qu’il a pu pour maintenir le droit d’élection dans les abbayes où il était en usage, et s’est fortement opposé aux prétentions de certaines religieuses, qui, ne pouvant espérer de parvenir à la dignité d’abbesse par voie d’élection, parce qu’elles n’en avaient ni la capacité ni le mérite, s’efforçaient d’y monter en s’appuyant sur l’autorité du roi et le crédit de leurs parents. Il s’est comporté de même à l’égard de celles qui, ayant été élues par la communauté pour trois ans, selon l’usage de leurs monastères, tâchaient d’obtenir des brevets du roi pour se perpétuer dans la charge. Un jour, un prélat fort vertueux avait procuré l’élection d’une fort bonne religieuse pour la conduite d’une abbaye de son diocèse, et poursuivant la confirmation du Roi, il voulut persuader à M. Vincent que la perpétuité des supérieures était plus avantageuse que la triennalité. Mais outre que ce sage prêtre n’approuvait en aucune façon les innovations qui se faisaient contre un usage canoniquement établi dans les communautés religieuses, il lui remontra avec respect et humilité, au prélat, que les élections triennales étaient pour beaucoup de raisons plus à souhaiter que les perpétuelles à l’égard des filles qui ont moins de fermeté dans le bien, et qui peuvent plus facilement se méconnaître dans les grandes charges, quand elles s’y voient une fois établies pour toute leur vie.
Lorsque les abbayes des filles qui étaient à la nomination du roi venaient à vaquer, les brigues et sollicitations étaient ordinairement grandes et fortes pour des filles de naissance et de condition; les parents ne se contentant pas de s’agrandir dans le monde, mais portant encore leur ambition jusque dans les lieux saints, et pour cet effet faisant tous leurs efforts afin de procurer que leurs filles ou leurs sœurs commandent dans les cloîtres. On livrait souvent à ce sujet d’étranges assauts à M. Vincent; lequel, connaissant que le bon ou le mauvais ordre des religieuses venait pour l’ordinaire de celles qui en étaient supérieures, mettait tous les respects humains sous les pieds, et tenait ferme pour faire en sorte qu’on nommât pour abbesses celles que l’on savait être les plus capables, les plus éprouvées et les plus exactes aux observances régulières.
Un seigneur qui avait une fille dans une abbaye vacante, nièce de la défunte abbesse, le vint trouver un jour à S. Lazare, pour se plaindre de ce qu’il empêchait que cette fille ne succédât à sa tante, comme cette tante avait succède à l’autre tante: et la patience de M. Vincent provoquant encore davantage sa colère et son ressentiment, il le chargea de reproches et d’injures; il y ajouta les menaces, criant et faisant un très grand bruit, comme ferait un homme à qui on enlèverait son bien; et cela pendant une heure ou davantage. Il lui était avis que cette abbaye était comme un bien héréditaire en sa maison, et qu’on lui faisait grand tort de la lui ôter. Aussi le mari, la femme et toute la famille avaient-ils de tout temps coutume d’aller plusieurs fois l’année en cette abbaye, comme à une maison de plaisance, et d’y demeurer et vivre aux dépens de la communauté, qui en était notablement incommodée; ce qui faisait gémir et murmurer toutes les religieuses, lesquelles, voyant l’abbesse morte, s’opposèrent à la nomination de cette nièce et firent grande instance pour avoir une autre supérieure. M. Vincent, qui était très bien informé des qualités de cette prétendante, répondit au père, fort doucement et respectueusement, qu’elle était encore trop jeune, et qu’il était obligé en conscience de conseiller à la reine qu’entre les religieuses de divers monastères pour lesquelles on demandait cette abbaye, elle eût agréable de choisir la plus capable et celle qui y serait la plus propre: Après cette réponse, il laissa parler ce seigneur dans tous ses emportements et décharger sur lui l’amertume de sa colère, avec une patience incroyable; et puis l’ayant accompagné à la porte, il témoigna être fort aise d’avoir été chargé d’injures et couvert d’opprobres pour soutenir les intérêts de Notre-Seigneur.
Il s’est trouvé souvent quantité d’abbesses qui, conservant quelque attache pour leurs parents, et ayant quelques sœur, nièce ou cousine religieuses, les demandaient pour leurs coadjutrices, sous prétexte d’âge ou d’infirmité. Mais M. Vincent, qui se défiait toujours de la chair et du sang, ne fut jamais d’avis qu’on accordât ces coadjutoreries sans grande nécessité: en quoi il se montrait inébranlable. Sa raison était, que la vacance des abbayes arrivant par mort, on avait la liberté de choisir des filles vertueuses et capables pour y maintenir le bon ordre, s’il y était, ou s’il n’y était pas pour l’y établir.
Lorsque quelque abbesse avait résigné son abbaye, et qu’on rapportait des certificats de la suffisance et des bonnes mœurs de celle au profit de laquelle la résignation avait été faite, il ne s’en rapportait pas toujours à ce que contenaient ces certificats, parce que, selon son sentiment, il y a beaucoup de personnes dont le témoignage ne peut pas faire grande foi en ces sortes d’affaires. C’est pourquoi il prenait du temps pour s’informer avec plus de certitude des qualités de la personne; et lorsqu’il apprenait que le choix en était bon et qu’il serait avantageux à l’abbaye, il faisait admettre la résignation; sinon, il la rejetait.
Comme il arrivait quelquefois du désordre en plusieurs monastères des filles, tant par les troubles et divisions des religieuses, que par d’autres abus qui s’y glissaient, il s’employait avec grand zèle pour y remédier, faisant en sorte qu’on envoyât des personnes de vertu et d’expérience, qui fussent autorisées du roi, soit pour apaiser le différend, ou pour établir la clôture, si elle n’y était point, et pourvoir aux autres besoins; et il faisait écrire de la part de leurs Majestés aux supérieurs des mêmes ordres et aux évêques des lieux pour y tenir la main.
Une abbaye de filles se trouvant en une grande division, à laquelle le supérieur ordinaire n’avait pu mettre ordre, quoiqu’il s’y fût employé de tout son pouvoir, M. Vincent fut convié d’y travailler. Il fit en sorte qu’on y envoyât pour visiteur un abbé du même ordre, fort sage et fort zélé; celui-ci ayant découvert la source du mal lui écrivit qu’il était irrémédiable, si on ne donnait à ces filles un autre confesseur, qui eût une grâce et une adresse particulières pour disposer les esprits à la paix et les y maintenir; ce qui obligea M. Vincent de prier un ecclésiastique de condition et de vertu, et très expert en la direction des religieuses, de se donner à Dieu pour aller passer quelque temps en cette abbaye, comme il fit avec grande bénédiction, ayant peu à peu réuni les cœurs, et remis en bon état toutes les parties de la communauté.
Il s’est trouvé des monastères de filles où l’esprit malin avait fait glisser des maximes pernicieuses et des pratiques damnables, sous prétexte de quelques fausses révélations faites à leurs supérieurs, lesquels ayant l’imagination troublée par les illusions de l’ange de ténèbres, prétendaient que Dieu leur avait fait connaître des voies extraordinaires pour conduire les âmes à la perfection, et même pour réformer l’Église, et ils annonçaient beaucoup d’erreurs qui avaient grand rapport à celles des illuminés. M. Vincent, en ayant eu avis, procura qu’on envoyât des personnes doctes et vertueuses pour visiter ces maisons, et pour prendre connaissance de ces abus et illusions diaboliques qui avaient déjà surpris quantité de personnes de toute condition et de tout sexe, et par ce moyen, le mal ayant été découvert, il a plu à Dieu d’en arrêter le cours.