Section VI : Son affection très grande pour le service des Prélats de l’Eglise
M. Vincent a toujours témoigné un respect singulier pour la dignité des évêques, en la personne desquels il reconnaissait et honorait la puissance et la majesté de Jésus-Christ; il a toujours fait une profession particulière de leur obéir et de les servir en toutes sortes de rencontres, autant qu’il lui était possible; et principalement depuis qu’il fut employé dans les Conseils du Roi, il embrassait avec ardeur les occasions qui s’en présentaient, n’attendant pas d’être recherché ou prié de leur part; mais les prévenant, et recommandant de son propre mouvement leurs intérêts à la Reine, à M. le Cardinal, à M. le Chancelier et aux autres personnes d’autorité, avec plus d’affection que les siens propres.
Il s’employa de tout son pouvoir pour ménager quelque accommodement entre M M. de Rieux et Cupif, tous deux évêques de Léon en Bretagne Le premier ayant été tiré de son siège durant le règne de Louis XIII, de glorieuse mémoire, et poursuivant son rétablissement, prétendait en faire sortir le second; lequel de son côté y ayant été mis par l’autorité des deux puissances, spirituelle et la temporelle, voulait s’y maintenir: ce qui causait une fâcheuse division dans le diocèse, et beaucoup de bruit dans l’Église. Enfin, après diverses contestations, M. de Rieux fut rétabli, et M. Cupif fut nommé à l’évêché de Dol; de quoi ils demeurèrent tous deux satisfaits, et par ce moyen le trouble cessa.
Il a aussi contribué beaucoup à la translation du siège épiscopal de Maillezais en la ville de la Rochelle, laquelle avait autrefois servi de boulevard à l’hérésie, de refuge aux ennemis de l’État et de sujet au feu roi pour immortaliser sa piété, son courage et sa puissance, en réduisant à son obéissance cette ville rebelle. On eut dès lors la pensée d’en faire une ville épiscopale, pour y faire refleurir la religion catholique avec autant de majesté et de justice que les hérétiques séditieux avaient tâché de la flétrir avec plus ignominie et impiété; mais l’exécution de ce louable dessein avait été réservée, par l’ordre de la divine Providence, pour la régence de la Reine, laquelle par l’avis de M. Vincent, choisit M. Jacques Raoul, alors évêque de Saintes, pour être le première évêque de la Rochelle. M. de Béthune, évêque de Maillezais , ayant été fait archevêque de Bordeaux en suite du consentement qu’il donna à cette translation; M. de Bassompierre nommé à l’évêché de Saintes. Et pour fonder quelques chanoinies dans l’église cathédrale de la Rochelle, il fut ordonné que les bénéfices simples dépendants du chapitre régulier de Maillezais, qui viendraient à vaquer, seraient unis à celui de la Rochelle.
Le zèle de M. Vincent pour le service de MM. les prélats s’est encore signalé particulièrement lorsqu’ils ont eu besoin de l’autorité du Roi et de la protection de M. le Chancelier contre les hérétiques; il réclamait souvent l’une et l’autre, pour faire défendre leurs assemblées et leurs prêches hors des lieux pour lesquels ils avaient obtenu permission. Il a fait aussi ses efforts pour remédier à l’abus qui était en usage parmi quelques-uns de ces pauvres hérétiques, lesquels, pour épouser des filles catholiques, faisaient semblant de se convertir, et après leur mariage retournaient au prêche comme auparavant, faisant assez paraître qu’ils n’avaient aucune foi, ni divine, ni humaine. Et comme il s’en trouvait d’autres qui achetaient des charges considérables deux et trois fois plus qu’elles ne valaient en plusieurs villes de ce royaume, et qui ensuite faisaient tous leurs efforts pour s’y faire recevoir à quelque prix que ce fût, nonobstant les édits contraires, M. Vincent ne manquait pas d’en porter ses plaintes à la Reine et à M. le Chancelier, pour empêcher qu’ils ne fussent reçus. Il faisait aussi souvent écrire de la part du Roi aux intendants des provinces, pour arrêter les fréquentes et diverses entreprises des hérétiques, et recommandait autant qu’il pouvait le bon droit des catholiques dans les procès et différends qu’ils avaient avec eux.
Ce serait chose ennuyeuse au lecteur, si on rapportait ici en détail tous ces services et tous les autres bons offices que les prélats ont reçus de ce saint prêtre en toutes sortes d’occasions; il suffira de dire qu’il ne s’en est présenté aucune qu’il n’ait embrassée de grand cœur, et en laquelle il ne se soit employé de tout son pouvoir, soit pour soutenir leurs légitimes intérêts et appuyer leurs justes prétentions, soit pour leur procurer la protection des puissances contre les injustes vexations qui leur étaient faites, soit enfin pour leur donner des conseils salutaires lorsqu’il en était requis de leur part, ou qu’il le jugeait nécessaire pour le bien de leurs diocèses; en quoi néanmoins il était fort circonspect et grandement réservé, son extrême humilité et le grand respect qu’il portait à leur dignité lui fermant souvent la bouche, et l’empêchant de produire ses sentiments, desquels il se défiait toujours beaucoup.; se persuadant d’ailleurs qu’ils avaient des lumières plus pures et plus étendues que les siennes, qu’il estimait fort petites et bornées. Il est vrai qu’en certaines occasions, l’affection qu’il avait pour leur service l’emportait sur son humilité: Nous en rapporterons seulement ici un exemple, par lequel nous finirons cette section.
Ce grand serviteur de Dieu regardait avec peine et douleur un abus qui s’introduisait dans l’Église de France, par le mauvais usage qu’on faisait des appellations comme d’abus, lesquelles n’ont été introduites que pour maintenir en sa vigueur l’observance des canons et de la discipline ecclésiastique, et pour empêcher le relâchement qui s’y pouvait glisser; produisaient néanmoins un effet tout contraire, par la mauvaise disposition et par les injustes prétentions de plusieurs, qui ne s’en servaient le plus souvent que pour se maintenir dans leurs dérèglements et fomenter leurs vices, tâchant ainsi d’énerver l’autorité légitime des prélats, pour faire régner l’impunité dans l’état ecclésiastique. M. Vincent donc, connaissant les pernicieux effets de ce désordre, en gémissait souvent devant Dieu, et recherchait les moyens d’y apporter quelque remède. Mais voyant que le mal était trop enraciné pour le pouvoir entièrement ôter, il s’est pour le moins efforcé de le diminuer, par les salutaires avis qu’il a donnés en diverses occasions à plusieurs évêques.
Il leur représentait qu’un moyen de prévenir le mauvais usage qu’on faisait des appellations comme d’abus était d’établir un bon ordre dans leurs cours ecclésiastiques, et d’y mettre des officiaux vertueux et capables, qui fussent versés en la connaissance du droit canonique et civil, entendus et expérimentés en l’exercice des charges de judicature, irréprochables en leurs mœurs, inflexibles dans les actions de justice, et fort exacts à observer les formalités qui se pratiquent en ce royaume.
Il en écrivit particulièrement une fois à quelque prélat, qui lui avait demandé son avis sur ce sujet. Et pour lui faire encore mieux connaître combien il importait qu’un homme constitué en cette charge fût capable de l’exercer, il ajouta dans sa lettre ce qui suit: « Je portai un jour a feu M. Mole, qui a été procureur général et premier président, les plaintes de quelques prélats qui avaient été fort malmenés par le parlement, pour avoir voulu remédier aux désordres de quelques prêtres et qui, se voyant ainsi empêchés, avaient témoigné, les larmes aux yeux, qu’ils étaient résolus de laisser aller les choses à l’abandon. Ce sage magistrat me dit qu’il était vrai que lorsque les évêques ou les officiaux manquaient aux formalités qui leur étaient prescrites pour l’administration de la justice ecclésiastique, la cour était exacte à corriger leurs abus; mais que quand ils observaient bien les formalités, qu’elle n’entreprenait rien contre leur procédé. Sur quoi il me donna cet exemple. Nous savons, me dit-il, que M. l’official de Paris est habile en sa charge, et qu’il n’y a rien à redire en ses jugements; c’est pourquoi, lorsqu’on nous apporte des appels comme d’abus des sentences par lui rendues, nous n’en recevons aucun; et nous en userions de même à l’égard de tous les autres s’ils se comportaient de la même façon. »