La vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, Livre premier, Chapitre XXVI

Francisco Javier Fernández ChentoVincent de PaulLeave a Comment

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Author: Louis Abelly · Year of first publication: 1664.
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L’usage des Retraites spirituelles pour toutes sortes de personnes.

La terre est tout en désolation (disait autrefois un Prophète) parce qu’il n’y a personne qui se recueille intérieurement, et qui s’applique à penser et à méditer dans son cœur. On s’épanche sur les choses extérieures et on laisse aller les pensées de son esprit sur toutes sortes d’objets sensibles, sans rentrer presque jamais en soi-même; on se souvient très rarement de Dieu; on ne considère point la fin pour laquelle Dieu nous a donné l’être et la vie, avec les moyens pour y parvenir: et de là provient l’aveuglement d’esprit, le dérèglement du cœur, et enfin la perte du salut de la plupart de ceux qui se damnent.

Les plus grands saints ont souvent parlé contre ce désordre, et ont exhorté les fidèles à rentrer en eux-mêmes, par l’exercice de la méditation. Dans ces derniers temps, Saint Charles Borromée, saint Ignace, le bienheureux François de Sales et plusieurs autres saints personnages ont mis en usage les exercices spirituels pour porter les âmes à la pratique de cette récollection si nécessaire. Mais, quoique cela ait produit de très grands fruits, il s’est trouvé néanmoins que, faute de lieux propres et autres aides et commodités extérieures pour faire ces exercices, il y avait peu de personnes, particulièrement entre les laïques, qui en pussent profiter. Ce fut cette considération qui fit résoudre M. Vincent de tenir la porte de sa maison, et encore plus celle de son cœur, ouverte pour recevoir tous ceux qui auraient cette dévotion, et même de convier les personnes qui en auraient besoin de venir passer quelques jours dans les exercices d’une sainte retraite. Il semblait que ce fidèle serviteur disait plus de cœur que de bouche, à l’imitation de son divin Maître: « Venez a moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés du fardeau de vos péchés et de vos vices, et je vous soulagerai.»

Depuis qu’il eut commencé cet office de charité au collège des Bons-Enfants, il l’a toujours continué en toutes les maisons de la Mission, et particulièrement en celles de Paris et de Rome. Les prêtres de sa Congrégation, qui pratiquent eux-mêmes ces exercices de retraite tous les ans, à l’exemple de leur père et instituteur qui n’y manquait jamais, quelques affaires qu’il pût avoir, y reçoivent à bras ouverts et avec une charité cordiale les personnes de dehors qui s’y présentent, de quelque condition qu’elles soient, riches et pauvres, ecclésiastiques et laïques, docteurs et ignorants, nobles et artisans, maîtres et serviteurs: et en leur faisant part de leur table, ils leur rendent toute sorte d’assistances et de services pour le bien de leurs âmes, soit en les portant et aidant à faire de bonnes confessions générales pour se convertir parfaitement à Dieu, soit en leur donnant lumière et conseil pour se dresser un ordre et un règlement de vie selon leur condition, ou même pour faire le choix d’un état et pour connaître les desseins de Dieu sur eux. L’on a vu plusieurs fois en la maison de Saint-Lazare, dans un même réfectoire, des seigneurs portant le cordon-bleu, des gens de palais, des artisans, des ermites et des laquais, qui faisaient en même temps leur retraite, avec plusieurs autres personnes ecclésiastiques. Et pour cela, M. Vincent disait quelquefois, avec cette douce gaieté dont il savait user en temps et lieu, que la maison de Saint-Lazare était comme l’arche de Noé, où toute sorte d’animaux, grands et petits, étaient reçus et logés. Nous verrons plus en particulier au second livre les grands fruits et les effets admirables que ces retraites ont produits en diverses occasions, dont M. Vincent avait des sentiments très particuliers de reconnaissance envers Dieu, le remerciant, et se tenant grandement obligé à sa bonté, de ce qu’il daignait se servir de lui et des siens, pour opérer tous ces effets de sa miséricorde et de sa grâce. C’est aussi pour cette considération qu’il a toujours eu une affection tout extraordinaire de conserver dans sa Compagnie cette pratique des retraites qu’il appelait un don du ciel, quoiqu’elle lui fût grandement à charge, et qu’outre la peine que lui et les siens en recevaient, cela l’obligeât de faire une dé pense fort notable, nourrissant gratuitement la plupart de ce grand nombre d’exercitants qui passent tous les ans par Saint-Lazare et par les autres maisons de la Mission, sans qu’il y ait aucune fondation ni revenu destiné pour les défrayer. Mais ce grand serviteur de Dieu n’avait aucun égard à la dépense, quand il était question de procurer le salut des âmes qui avaient coûté si cher à Jésus-Christ; Il lui semblait, selon ce que dit le Saint-Esprit dans les Cantiques, que quand bien même il eût employé toute la substance de la maison pour de telles œuvres de charité, il n’aurait encore rien fait au prix de ce qu’il croyait que cette divine vertu l’obligeait de faire.

Et comme s’il n’eût pas encore été pleinement satisfait de ce que les hommes de toute sorte de conditions trouvaient dans les maisons de sa Compagnie des aides si propres pour leur sanctification et pour leur salut, sa charité qui ne disait jamais: C’est assez, a procuré aussi que des femmes et des filles trouvassent quelquefois un semblable secours pour le bien spirituel de leurs âmes dans la maison des Filles de la Charité, où Mademoiselle Le Gras les recevait à bras ouverts et leur rendait toutes les assistances qu’elle pouvait avec un cœur qui n’était jamais las de bien faire.

Voici l’extrait d une lettre que M. Vincent lui écrivit un jour sur ce sujet: «Mme la Présidente Goussault et Mademoiselle Lamy s’en vont faire chez vous leur petite retraite. Je vous prie de les servir en cela, de leur donner le partage du temps que je vous ai mis en main, de leur marquer les sujets de leurs oraisons, d’écouter le rapport qu’elles vous feront de leurs bonnes pensées, en présence l’une de l’autre, et faire faire lecture de table pendant leur repas, au sortir duquel elles pourront se divertir d’une manière gaie et modeste. Le sujet pourra être des choses qui leur seront arrivées pendant leur solitude, ou qu’elles auront lues des Histoires saintes. Et s’il fait beau après le dîner, elles se pourront promener un peu; hors ces deux temps, elles observeront le silence. Il sera bon qu’elles écrivent les principaux sentiments qu’elles auront eus en l’oraison et qu’elles disposent leur confession générale pour mercredi. La lecture spirituelle pourra être de l’Imitation de Jésus-Christ, de Thomas a Kempis, en s’arrêtant un peu à considérer sur chaque période, comme aussi quelque chose de Grenade, rapportant au sujet de leur méditation. Elles pourront encore lire quelques chapitres des Evangiles. Mais il sera bon que le jour de leur confession générale, vous leur donniez l’oraison du Mémorial de Grenade, qui est pour exciter a la contrition. Au reste, vous veillerez à ce qu’elles ne se pressent pas trop âprement en ces exercices. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous donne son Esprit pour cela.»

Une autre dame ayant fait sa retraite en la même maison des Filles de la Charité, en quelque autre occasion, et sur la fin ayant donné à Mademoiselle Le Gras ce qu’elle avait mis par écrit de ses bons sentiments et résolutions, pour les envoyer à M. Vincent, comme elle fit. Ce sage et expérimenté directeur, les ayant lues, lui écrivit en ces termes:

«Je vous envoie les résolutions de Madame N., qui sont bonnes; mais elles me sembleraient encore meilleures si elle descendait un peu au particulier. Il sera bon d’exercer à cela celles qui feront les exercices de la retraite chez vous; le reste n’est que production de l’esprit, lequel, ayant trouvé quelque facilité et même quelque douceur en la considération d’une vertu, se flatte en la pensée d’être bien vertueux; néanmoins, pour le devenir solidement, il est expédient de faire des bonnes résolutions de pratiquer sur les actes particuliers des vertus, et être après fidèle à les accomplir. Sans cela, on ne l’est souvent que par imagination.»

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