Ce qui se passa en la conversion de quelques hérétiques que M. Vincent ramena heureusement à l’Eglise catholique.
Ce fut pendant le temps qu’il travaillait à Châtillon que Dieu se servit de son zèle et de sa prudence pour désabuser quelques esprits engagés dans l’hérésie et les remettre dans le chemin de la vérité.
Nous rapporterons seulement ici ce qui se passa en la conversion de deux de ces hérétiques entre plusieurs autres, qui ont après Dieu l’obligation au zèle de M. Vincent d’avoir par ses charitables entreprises recouvré le don de la foi, que l’hérésie leur avait fait perdre.
Le premier fut un jeune homme de Châtillon nommé Monsieur Beynier, né de parents hérétiques qui l’avaient soigneusement instruit dans leurs erreurs. Il était fils unique et avait hérité de grands biens de ses parents, dont il usait assez mal; et la mauvaise liberté que lui donnait sa fausse religion le portait à une vie fort dissolue et libertine. Monsieur Vincent, touché d’un vrai zèle de la gloire de Dieu, et désirant retirer cette proie des mains des démons et la remettre à Jésus-Christ, s’insinua petit à petit dans l’amitié de ce jeune homme, et, quoiqu’il passât dans l’esprit de tous ceux qui le connaissaient pour un débauché, il ne laissait pas de l’aller souvent visiter et de s’entretenir avec lui; ce qui donnait beaucoup d’étonnement à un chacun, non sans quelque jalousie des ministres de Châtillon, qui ne se souciaient pas que M. Beynier continuât dans ses débauches, pourvu qu’il ne quittât point leur parti. Ils commencèrent d’en prendre quelque ombrage lorsqu’ils le virent plus modéré qu’auparavant; car ce fut la première démarche que Monsieur Vincent lui fit faire pour le mieux disposer à reconnaître et embrasser la vérité; et enfin son heure étant venue, et Dieu lui ayant ouvert les yeux et touché le cœur, il quitta en même temps et ses débauches et ses hérésies, et se porta tout d’un coup si avant dans la pratique des vertus chrétiennes, qu’il fit résolution de garder le célibat toute sa vie; et en une semaine il remit deux ou trois métairies à des personnes auxquelles il craignait que son père n’eût pas donné une entière satisfaction, bien qu’aucun ne s’en plaignît; et pour le surplus de son bien, il s’en servit pour faire des aumônes et autres œuvres de piété; et enfin par son testament il employa le reste en plusieurs legs pieux, et particulièrement en une fondation pour établir les Pères Capucins à Châtillon. C’est le Révérend Père Des Moulins de l’Oratoire, alors supérieur en la ville de Mâcon, qui a eu une particulière connaissance de ces heureux effets de la grâce de Dieu en ce vertueux converti, et qui en a rendu un fidèle témoignage par un écrit dans lequel il met, entre autres choses, «que ce qui lui a semblé plus remarquable en cette conversion de mœurs aussi bien que de créance, et qui fait plus à notre sujet, est que, Dieu s’étant servi de M. Vincent pour la faire (ce sont ses propres termes), il en laissa néanmoins tout l’honneur à ceux qui n’y avaient aucune autre part que d’avoir assiste à l’abjuration et donné l’absolution; laquelle, bien qu’il l’eût pu donner, suivant l’ordre M. de Marquemont, Archevêque de Lyon, son humilité ne lui permit pas d’en recevoir l’honneur, qu’il voulut déférer à d’autres».
Le second hérétique que M. Vincent ramena à l’Eglise fut M. Garron, qui se retira depuis à Bourg, ville capitale de Bresse; c’est par lui-même que l’on a appris sa conversion de l’hérésie, en ayant écrit une lettre de reconnaissance à M. Vincent, en date du 27 août 1656, c’est-à-dire 40 ans ou environ après cette conversion.
«Voici, lui dit-il, l’un de vos enfants en Jésus-Christ, qui a recours à votre bonté paternelle, dont il a ressenti autrefois les effets, lorsque l’enfantant à l’Église par l’absolution de l’hérésie, que votre charité lui donna publiquement en l’église de Châtillon-les-Dombes l’année 1617, vous lui enseignâtes les principes et les plus belles maximes de la religion catholique, apostolique et romaine, en laquelle par la miséricorde de Dieu j’ai persévéré, et espère de continuer le reste de ma vie. Je suis ce petit Jean Garron, neveu du sieur Beynier de Châtillon, en la maison duquel vous logiez pendant que vous fîtes séjour audit Châtillon. Je vous supplie de me donner le secours qui m’est nécessaire pour m’empêcher de rien faire contre les desseins de Dieu; j’ai un fils unique qui après avoir achevé ses classes a formé le dessein de se faire jésuite; c’est le fils le plus avantagé des biens de la fortune qui soit en toute cette province: que dois-je faire ? mon doute procède de deux choses, etc.» Il déduit ensuite les raisons pour et contre ce dessein, et conclut ainsi: «Je crains de faillir, et j’ai cru que vous me feriez la grâce de donner vos avis là-dessus à l’un de vos enfants, qui vous en supplie très humblement. Vous agréerez que je vous dise que dans Châtillon l’association de la Charité des servantes des pauvres est toujours en vigueur.»
On ne sait pas quelle réponse M. Vincent fit à cette lettre; mais ce qu’elle contient fait assez voir la grâce que Dieu lui avait donnée de connaître parfaitement les cœurs et, en enseignant la vérité, d’inspirer aussi l’amour de la vraie vertu et de la solide piété. Voila un père de famille des plus riches de sa province; il n’a qu’un fils qu’il chérit tendrement, mais qui veut le quitter et le priver de la plus douce consolation qu’il eût au monde; cependant il ne consulte point la chair ni le sang, mais il s’adresse à celui duquel, après Dieu, il tenait la vie de son âme, et lui demande ses avis pour connaître ce que Dieu désire de lui en une telle rencontre: étant tout prêt de sacrifier cet Isaac, si telle est la divine volonté; tant la piété et l’amour de Dieu que Monsieur Vincent avait fait éclore dans son âme avaient jeté de profondes racines, qui produisaient quarante ans après des fruits d’une vertu si héroïque.
Cette même lettre fut aussi sans doute un grand sujet de consolation à M. Vincent, en son extrême vieillesse, lui faisant connaître que Dieu, par une spéciale protection de sa grâce, conservait encore en sa ferveur cette première association ou confrérie de la Charité, qu’il avait commencée il y avait quarante ans en la ville de Châtillon, et qui a servi de motif et de modèle pour en établir depuis un si grand nombre d’autres en tant de lieux, ou les pauvres malades, qui sont les membres souffrants de Jésus-Christ, reçoivent un si notable secours et pour leurs corps et pour leurs âmes.