Livre Second
20. Caractère de Mademoiselle Le Gras ; ses premiers rapporta avec Saint Vincent
Dieu ne tarda pas à calmer l’inquiètude de son serviteur. A peine était-il entré au Collège des Bons-enfants, que l’illustre Mademoiselle le Gras prit, sans le connaître, une maison, qui n’était pas éloignée de la sienne. Cette femme incomparable, qui, au jugement de cinq grands évêques, fut donnée à son siècle pour le convaincre, que ni la faiblesse du sexe, ni la délicatesse du tempérament, ni les engagements mêmes de la société, ne sont pas des obstacles invincibles au salut, était née à Paris de Louis de Marillac Sieur de la Ferrières, et de Marguerite le Camus. La beauté de son esprit porta son père à lui faire apprendre la Philosophie, et jeune encore, elle passait pour capable des sciences les plus élevées. Mais la grâce lui donna des leçons, que les plus grands Maîtres ne peuvent donner : si la délicatesse de sa complexion ne lui permit pas d’entrer, comme elle le souhaitait, dans un Ordre qui pratique la pénitence rigoureuse, son mariage avec Antoine le Gras Secrétaire de la Reine Marie de Médicis, ne l’empêcha pas de mériter en peu d’années le glorieux nom de Mère tendre et universelle des pauvres. Aussi leur rendait-elle tous les services de la plus humble et de la plus industrieuse charité. Elle les visitait, sans faire attention à la nature de leurs maladies ; elle leur présentait elle-même la nourriture dont ils avaient besoin ; elle faisait leurs lits avec bien plus d’affection, que n’eût pû faire une servante à gage ; elle les consolait par des paroles pleines de tendresse, les disposait par ses exhortations à recevoir les Sacrements, et les ensevelissait après leur mort.
Jean-Pierre le Camus évêque du Beley, ce vif ami de S. François de salles, et qui par conséquent l’était de Vincent de paul, dirigeait Mademoiselle le Gras : il était presqu’aussi occupé à modérer sa ferveur, qu’à calmer les peines intérieures, qui, pendant un temps considérable, troublèrent la paix et la tranquilité de son âme. Mais comme l’obligation de résider dans son diocèse, l’empêchait d’être à portée de lui donner les secours dont elle avait besoin, il voulut lui choisir un directeur capable de la soutenir dans l’état, où elle se trouvait après la mort de son mari, et dans le trouble continuel, que lui causait une crainte excessive de ces fortes fautes, qui échappent aux âmes innocentes. Vincent de Paul fut celui sur qui il jetta les yeux pour le remplacer. Le S. prêtre n’aimait pas ces directions particulières ; on l’a vu par la conduite qu’il tint à l’égard de Madame de Gondi : il crut cependant devoir déférer en cette occasion aux avis de l’évêque de Beley. Dieu fit bientôt connaître, que c’était lui qui avait ménagé toute cette affaire, et qu’il voulait se servir de ces deux grands coeurs, pour ranimer la charité des Fidèles, et pour donner à son Eglise une nouvelle Compagnie de Vierges uniquement appliquées aux oeuvres de miséricorde.