Livre Second
18. Eloge de Messieurs les Àbbés de Chandenîer. Inquiétude de de notre Saint, et queRe en fut l’occasion
Comme l’humilité était dans ces jours heureux, la vertu dominante et du Père et des enfants, le Supérieur de Monte-Citorio attribuait dans sa lettre une grande partie de la réussite de ces derniers exercices, à Messieurs les Abbés de Chandenier. Ils étaient neveux du Cardinal de la Rochefoucault, et ils partageaient avec lui le respect profond et la vénération, qu’il eut toujours pour notre saint prêtre. La providence, qui voulait donner en leur personne un grand spectacle aux jeunes ecclésiastiques de Rome, permit qu’ils se trouvassent non seulement dans cette ville, mais encore dans la maison des missionnaires, lorsque les Ordinands y furent reçus. Ils possèdaient l’un et l’autre dans un degré éminant toutes les vertus, que le Fils de Dieu exige de ses ministres : ainsi ils ne pouvaient manquer d’édifier beaucoup ceux qui étaient à portée de les voir. Il n’y eut en effet personne qui ne fût touché de leur modestie, et on les regarda avec raison comme des modèles accomplis en tout genre. L’aîné disait tous les jours la grande Messe en présence des Ordinands, il s’acquittait de cet auguste Ministère avec la gravité, le recueillement et la piété, qui lui étaient ordinaire. Son frère pleinement convaincu, qu’il n’y a rien de bas dans le service des Autels, y faisait bien volontiers les offices d’Acolythe et de Thuriféraire. De tels exemples frappent et entraînent : heureux qui peut les donner !
Vincent, pour tenir toujours ses prêtres en haleine, et les empêcher de se refroidir, se faisait rendre compte du succès de chaque retraite. Il reconnut avec bien de la satisfaction, qu’on ne négligeait rien de ce qui pouvait les faire réussir. Mais il y a de l’apparence qu’il n’avait pas prévu tous les biens que devaient en naître. En effet, l’on en parla bientôt dans tous les quartiers de Rome, d’une manière si avantageuse, qu’on vit des prélats et des Cardinaux assister aux entretiens. Le Pape persuadé de plus en plus, que rien n’était plus propre, soit à écarter du Sanctuaire ceux que Dieu n’y destinait pas, soit à nourrir les vertus ecclésiastiques dans ceux qui y étaient véritablement appelés, tint ferme à n’en dispenser personne.
La consolation, que ces bonnes nouvelles donnaient à Vincent de Paul, fut bientôt après mêlée de quelque inquiètude. En voici l’occasion : il serai aisé d’en conclure, que le saint s’alarmait de ce qui n’eût pas manqué de faire plaisir à d’autres.
L’évêque de Placensia était à Rome en qualité d’Ambassadeur extraordinaire du Roi d’Espagne, dans le temps que les exercices de l’Ordination furent autorisés par le Souverain Pontife. Un Gentilhomme Espagnol, qui était du diocèse de Placensia, ayant eû dessein de recevoir les saints Ordres, se présenta, comme les autres, pour être admis aux exercices. mais lorsqu’il eut reconnu par les entretiens qu’on y faisait, de quel crime se rendent coupables ceux qui osent entrer dans le Ministère, sans y être bien appellés de Dieu, lorsqu’il eût mûrement considéré l’étendue et la grandeur des obligations que l’on contracte en s’engageant au service de l’Eglise, il en fut si épouvanté, qu’il ne pouvait se résoudre à aller plus loin ; ce ne fut qu’avec beaucoup de peine, que ceux, qui dirigeaient sa conscience, le déterminèrent à se laissser conduire.
Une des premières choses, que fit cet Ecclésiastique au sortir de l’Ordination, fut d’aller trouver son évêque, et de lui faire un ample récit des exercices, qu’on faisait chez les prêtres de la Mission, et du bien qu’ils produisaient. Ce prélat fit prier le Supérieur de Monte-Citorio d’en venir conférer avec lui. C’est, disait le Supérieur dans une lettre qu’il écrivit à Vincent de Paul ; c’est un homme plein de zèle, il a fait dans son diocèse quantité de missions, presque en la même manière que nous avons coutume de les faire, si ce n’est qu’il les fait un peu plus courtes ; il prêche, il confesse, et fait lui-même le Catéchisme. Mais cette nouvelle invention de travailler à faire de bons ecclésiastiques, le ravit. Il veut venir ici à l’Ordination prochaine, et il demande, si, lorqu’il s’en retournera en Espagne, nous ne pourrons pas lui donner quelqu’un des nôtres, pour y exécuter ce que nous faisons ici.