Livre Second
17. Fruits qui en résultent dans le Royaume, en Italie, à Gènes et à Rome, où ils sont confirmés par l’autorité du Saint-Siège
Quoique des exercices si courts, si rapides, et dont notre saint ne se contentait, que parce qu’il n’était pas le maître de les continuer plus longtemps, ne dussent naturellement avoir qu’un succès assez médiocre, Dieu y donna néanmoins une bénédiction, qu’on doit regarder comme le fruit des prières et des gémissements de son serviteur. Pour en juger sans prétention, il suffira de comparer un diocèse avec lui-même, et de le considérer devant, et après le temps, où les exercices, dont nous parlons, y furent introduits. Avant qu’il y fussent en usage, le dérèglement du Clergé était si universel, qu’il passait en proverbe, comme je l’ai remarqué dès le commencement de cette Histoire. Ceux des ecclésiastiques, que la contagion n’avait pas attaqués, et les plus vertueux prélats, en écrivaient tous les jours à Vincent de Paul, et ils ne s’en expliquaient que dans les termes de l’amertume la plus amère. En ce diocèse, lui disait un Chanoine d’Eglise Cathédrale, homme respectable par sa naissance et sa piété ; en ce diocèse le Clergé est sans discipline, le peuple sans crainte, les prêtres sans dévotion et sans charité, les Chaires sans Prédicateurs, la science sans honneur, le vice sans châtiment. La vertu y est persécutée, l’autorité de l’Eglise haïe ou méprisée, l’intérêt particulier y est le poids ordinaire du Sanctuaire, les plus scandaleux y sont les plus puissants ; la chair et le sang y ont supplanté l’Evangile et l’Esprit de J.C. Vous serez, comme je m’assure, assez sollicité par vous-même d’accourir au secours d’un diocèse si abandonné. Quis novit utrum idcirco ad regnum neneris, ut in tali tempore parareris. L’occasion est digne de votre charité. Ayez agréable d’y penser sérieusement devant Notre Seigneur ; et souvenez-vous que la très humble prière, que je vous fais, vient d’un de vos premiers enfants.
Je travaille autant que je le puis, avec mes Grands Vicaires, lui disait un bon évêque ; mais c’est avec peu de succès, à cause du grand et inexplicable nombre de prêtres ignorants et vicieux, qui composent mon Clergé, et qu’on ne peut corriger ni par paroles, ni par exemples. j’ai horreur, quand je pense que dans mon Diocèse, il y a presque sept mille prêtres ivrognes ou impudiques, qui montent tous les jours à l’Autel, et qui n’ont aucune vocation.
Un autre prélat lui écrivait en ces termes : Exepté le Théologal de mon Eglise, je ne connais aucun prêtre parmi tous ceux de mon diocèse, qui puisse s’acquitter d’aucune charge Ecclésiastique. vous jugerez par-là combien est grande la nécessité où nous sommes d’avoir des ouvriers. Je vous conjure de me laisser votre missionnaire, pour nous aider en notre Ordination.
En voilà beaucoup plus qu’il n’en faut, pour constater le déplorable état, où était la plus grande partie du Clergé, lorsque Vincent de Paul en entreprit la réforme, et que, pour en exécuter le dessein, il établit chez lui, et partout où l’on voulut suivre ses conseils, les exercices des jeunes Ordinands. Les lettres de remerciement, que le saint homme reçut de toutes les provinces, où il avait envoyé ses prêtres pour conduire ces mêmes exercices, n’attestent pas moins clairement les grands bien qu’ils y produisirent. Ceux qui étaient à la tête des diocèses de Poitiers, d’Angoulême, de Reims, de Noyon, de Chartres, de Saintes, etc lui écrivirent à l’envie pour lui témoigner leur reconnaissance. Nous ne rapporterons pas ces lettres, parce que, quoique les termes en soient différents, la substance en est presque la même. Toutes félicitaient Vincent sur le zèle et la capacité des ouvriers formés de sa main, et sur la fécondité que Dieu avait attachée à leurs paroles. On lui mandait d’Angoulême et de Richelieu, que les villes et les campagnes bénissaient Dieu d’un si grand bien, que les peuples touchés de la modestie des ecclésiastiques, en versaient des larmes de joie et de tendresse ; que charmés de l’ordre, de la décence, de la piété, avec laquelle les nouveaux prêtres commençaient à faire les divins Offices, ils croyaient voir non des hommes, mais des Anges descendus du Ciel. On lui écrivait de Noyon, qu’un de ses missionnaires y avait si puissamment ébranlé tous les coeurs, qu’on ne pouvait se lasser d’en parler. On ajoutait, et les lettres de M. l’évêque de Saintes disaient à peu près la même chose ; on ajoutait, qu’avant que l’on commençât les exercices, plusieurs de ceux qui devaient les faire, irrités de ce qu’on leur imposait ce nouveau joug, s’étaient proposé de ne point faire de confession générale, et surtout de n’en point faire aux prêtres de la Mission : mais qu’après avoir entendu les premiers entretiens de la retraite, ils en avaient été si frappés, que non seulement ils avaient changé de résolution, mais qu’ils s’étaient encore humiliés en présence de leurs Confrères, d’en avoir formé une si contraire à leurs vrais intérêts. Les lettres des évêques de Chartres et d’Angoulême, finissaient par conjurer le saint de ne les pas abandonner, et de leur laisser ces mêmes ouvriers, qui avaient commencé à faire tant de bien dans leurs diocèses.
Le bruit d’un succès aussi éclatant, qu’il était imprévu, se répandit bientôt dans toute la France. Une sainte émulation anima les Pontifes de l’Eglise de Dieu ; tous s’adressaient à l’Instituteur de la nouvelle Congrégation, pour recevoir de lui les secours, qu’il avait déja procurés à leurs voisins. Mais la moisson était trop abondante ; un si petit nombre de personnes ne pouvaient la recueillir en tant d’endroits différents. Plusieurs évêques furent obligés d’attendre l’heure que le Père de famille avait marquée, et qu’il a seul en sa puissance ; d’autres se firent rendre compte de la méthodee que Vincent suivait dans ces sortes de retraites ; ils s’y conformèrent exactement, et ils ne tardèrent pas à reconnaître combiern elle était avantageuse.
L’Italie en fut dans la suite aussi convaincue que la France. A mesure que les enfants de Vincent de Paul s’y établissaient, ils avaient soin d’y introduire, autant que le génie et le caractère des peuples le leur pouvaient permettre, les saintes pratiques de leur Fondateur. Une des villes, où Dieu bénit d’une manière plus marquée les exercices dont nous parlons, fut celle de Gênes, M. le Cardinal Durazzo, qui en était Archevêque, ayant obtenu de notre saint quelques-uns de ses prêtres, comme nous le dirons ailleurs, s’en servit non seulement pour l’instruction de son peuple, mais aussi pour la réformation de son Clergé. La retraite de l’Ordination fut un des premiers services, que lui rendirent les missionnaires. Il n’en exempta personne, et il s’en trouva bien. Dès les premiers jours l’esprit de ferveur s’empara de tous les jeunes ecclésiastiques. Les uns fondaient en larmes, non seulement pendant le temps de l’oraison, mais encore pendant les conférences dont elle était suivie ; les autres publiaient à haute voix le miséricorde de Dieu, qui leur découvrait si pleinementt la grandeur de l’état qu’ils embrassaient, et les qualités nécessaires pour s’y sanctifier. Il y en eut un, qui prenant congé du Supérieur de la maison, à la fin des exercices, lui dit d’une voix si entrecoupée de sanglots, qu’à peine le pouvait-on entendre, qu’il priait Dieu de lui envoyer plutôt mille morts, que de permettre qu’il eût jamais le malheur de l’offenser.
L’Archevêque de Gênes, qui en fut informé, ne put lui-même retenir ses larmes, il loua de toute l’étendue de son coeur, la bonté de Dieu, qui avait si visiblement béni cette Ordination.
Le fruit, que ces mêmes exercices firent à Rome, ne fut pas moins consolant. Urbain VIII avait établi à Monte-Citorio les prêtres de la Mission, quelques temps avant sa mort, c’est à dire, en 1642. Ils commençèrent dès l’année suivante à recevoir en leur maison, ceux qui s’y retiraient de leur propre mouvement, pour se disposer aux Ordres. La main de Dieu fut avec eux dans cette grande ville, comme tout ailleurs : on y reconnut qu’il ne fallait que trois ou quatre prêtres animés de l’Esprit de Dieu, pour en sanctifier un grand nombre d’autres. Cependant, soit que la première ferveur des Romains se rallentît, soit que les parents détournassent leurs enfants d’une retraite, qui ne pouvait manquer d’en effrayer un bon nombre, et de les détourner d’un état, auquel on leur faisait quelquefois sentir, qu’ils n’étaient pas bien appellés : Le Cardinal-Vicaire fut dans la suite obligé de donner un Mandement, par lequel il était enjoint à tous ceux qui aspiraient aux Ordres Sacrés, de se retirer chez les prêtres de la Mission, pour se préparer à les recevoir, en faisant les exercices, qui y étaient en usage depuis plusieurs années. Alexandre VII à qui on avait rendu compte de la manière dont les choses s’y passaient, confirma ce qu’avait fait le Cardinal-Vicaire ; en sorte que l’assiduité à ces pieux exercices, devint une condition nécessaire pour la réception des saints Ordres
Si Vincent fut consolé de voir de son vivant une pratique si salutaire établie dans la première ville du monde Chrétien, il le fut encore plus de voir ses enfants chargés d’un emploi si glorieux, sans qu’ils eussent fait la moindre démarche pour se le procurer. En effet, les prêtres de la Mission avaient été si éloignés de briguer cette importante fonction, que le Supérieur de leur maison de Rome, ne put pas même découvrir ceux qui avaient porté le Pape à la lui confier plutôt qu’à d’autres. C’est ce que lui faisait dire dans une lettre, qu’il écrivit sur ce sujet à notre saint, qu’il espérait que celui, qui avait commencé cette bonne oeuvre, daignerait la perfectionner.
En conséquence des ordres de Sa Sainteté, tous ceux qui prétendaient à l’Ordination du mois de Décembre, se rendirent chez les missionnaires. Tout s’y passa dans la plus exacte régularité. On suivit de point en point le Règlement qui s’observait en France. Deux prêtres Italiens de la Congrégation de la Mission, firent les entretiens du soir et du matin ; et le rapport qu’on en fit au Pape, fut si avantageux, que Sa sainteté témoigna dans un Consistoire, qui fut tenu bientôt après, qu’elle en était extrêmement contente. Le Cardinal de sainte-Croix en informa le Supérieur de la maison de Rome, et celui-ci ne tarda pas à en donner avis à notre saint.