La Spiritualité de la Fille de la Charité

Francisco Javier Fernández ChentoFilles de la CharitéLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Anne Prévost, FdlC · Année de la première publication : 2001 · La source : Vincentiana 2001 04/05.
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Il m’a été demandé de présenter la spiritualité de la FdlC et comment vivre aujourd’hui la spiritualité de la Compagnie? Je n’ai pas la prétention de faire un exposé fondamental sur la spiritualité de la FdlC. Je vais vous partager tout simplement ma manière de présenter notre spiritualité aux jeunes sœurs du Séminaire. Je compte sur votre expérience personnelle pour compléter et nuancer en fonction de votre propre contexte.

En guise d’introduction, quelques préliminaires

Pour commencer, il m’a semblé bon de nous redire ensemble ce qu’on entend par spiritualité chrétienne comme je le fais avec les sœurs du Séminaire. Pour cela, nous pouvons nous inspirer d’un extrait de la lettre aux Romains dans laquelle St Paul parle d’une vie selon l’Esprit.

Pour le chrétien, la spiritualité, c’est la «vie selon l’Esprit de Jésus», cet Esprit qui lui donne de croire en Jésus-Christ, qui le conduit à aimer comme Jésus-Christ, à s’engager à la manière de Jésus-Christ. En effet, l’Esprit Saint conduit progressivement le chrétien à reproduire la manière de vivre et d’agir de Jésus, à faire sien son style de vie, sa qualité d’existence, à vivre de plus en plus en cohérence dans la logique de l’amour trinitaire. Vivre selon l’Esprit de Jésus signifie donc se laisser travailler, inspirer, conduire par le même Esprit qui a travaillé, inspiré et conduit Jésus-Christ. Cette action de l’Esprit Saint saisit toute la personne: cœur, corps, esprit, avec son affectivité, sa psychologie, son comportement, ses relations, etc. …

Comme l’écrit Jean-Paul II dans l’Exhortation post synodale «La Vie Consacrée»(1996 n° 93): «la vie spirituelle, comprise comme la vie dans le Christ et la vie selon l’Esprit, se définit comme un itinéraire de fidélité croissante, où la personne (consacrée) est conduite par l’Esprit et configurée par lui au Christ, en pleine communion d’amour et de service dans l’Église. Tous ces éléments bien intégrés (…) constituent une spiritualité particulière, c’est-à-dire un projet concret de relation avec Dieu et avec le milieu, caractérisé par des accents spirituels et des choix d’action déterminés, qui font ressortir et représentent l’un ou l’autre aspect de l’unique mystère du Christ».

La référence centrale pour une spiritualité chrétienne, c’est donc le Christ tel qu’Il est présenté dans les quatre évangiles. Et quand nous parlons de spiritualité au pluriel, nous voulons souligner des manières singulières de suivre le Christ. Tous les chrétiens n’ont pas les mêmes intuitions pour la mission ni les mêmes charismes. Ils n’ont donc pas tous le même questionnement ni les mêmes défis à relever. Les chrétiens ont des sensibilités différentes caractérisées par des spiritualités qui manifestent des approches différentes du monde et de l’homme. C’est la richesse de l’Eglise.

Dans l’exposé qui va suivre, je me propose d’aborder notre spiritualité de FdlC à partir de la dimension du Mystère de l’Incarnation Rédemptrice. Car cette manière d’aimer de Jésus-Christ a profondément marqué nos Fondateurs et aujourd’hui, elle reste un défi pour notre monde contemporain.

Mon intervention se fera en deux temps:

– dans un premier temps, je m’arrêterai sur la spiritualité de la FdlC à la lumière de celle des Fondateurs;

– dans un deuxième temps, nous verrons comment notre spiritualité permet de relever des défis encore aujourd’hui.

Pour éviter que le premier temps soit trop long, je ne lirai pas les citations de saint Vincent et de sainte Louise; cependant, vous pourrez les trouver dans le texte écrit.

I. La spiritualité de la FdlC

Tout fondateur a sa manière propre de lire et de découvrir l’Évangile, d’assimiler, d’actualiser et de vivre certains traits caractéristiques du Christ. Les lignes forces de notre spiritualité de FdlC découlent de cette manière particulière dont les Fondateurs se sont sentis interpellés par Jésus-Christ, et invités à participer à sa vie et à sa mission.

A. Une spiritualité baptismale

Comme tout baptisé, les FdlC sont appelées à la plénitude de la vie chrétienne. Toute notre vie de FdlC s’enracine dans notre baptême. Par le baptême, les FdlC sont incorporées au Christ et consacrées à Dieu. «Enfants de Dieu par le baptême, membres du Corps du Christ, les FdlC vont au Père par le Fils dans l’Esprit. Elles aspirent à vivre en dialogue continuel avec Dieu, se tenant entre ses mains dans la confiance filiale et la soumission à sa Providence… »(C 2,2).

Les Fondateurs nous rappellent avec insistance qu’être «bonnes FdlC», c’est être «bonnes chrétiennes»(IX, 127).

Dans la ligne de la consécration baptismale, nous nous engageons à vivre et à agir dans l’Esprit de Jésus-Christ: «Quand on dit que le Saint Esprit opère en quelqu’un, cela s’entend que cet Esprit résidant en cette personne, lui donne les mêmes inclinations et dispositions que Jésus-Christ avait sur la terre, et elles le font agir de même, je ne dis pas d’une égale perfection mais selon la mesure des dons de cet Esprit»(Coste XII, 108)

Il n’est donc possible de faire ce que le Christ a fait qu’à condition d’être ce qu’il a été: «Qui verrait la vie de Jésus-Christ verrait sans comparaison le semblable dans la vie d’une FdlC» (Coste IX, 592).

Selon l’expérience de foi des Fondateurs, l’esprit d’humilité, de simplicité et de charité est l’expression concrète de l’Esprit de Jésus-Christ qui doit animer notre vie de FdlC: «Dieu veut que les FdlC s’appliquent particulièrement à la pratique de l’humilité, la simplicité et la charité»(Coste IX, 596)

Revêtues de l’Esprit de Jésus serviteur, nous nous risquons à vivre avec Lui, comme Lui, de Le suivre, de reproduire sa manière de vivre et d’agir, de L’imiter.

B. Une spiritualité christocentrique

Tout chrétien est appelé à suivre le Christ et à l’imiter, mais plusieurs chemins s’offre à lui pour le vivre. En tant que FdlC, nous sommes appelées à suivre le Christ tel que les Fondateurs l’ont découvert à travers leur expérience spirituelle. «La règle des FdlC, c’est le Christ. Elles se proposent de l’imiter tel que l’Écriture le leur révèle et que les Fondateurs le découvrent Adorateur du Père, Serviteur de son dessein d’Amour, Evangélisateur des pauvres». (C 1,5)

1. Suivre le Christ tel que les Fondateurs l’ont découvert

Nous contemplons le Christ comme Adorateur du Père, entièrement tourné vers le Père, et comme Serviteur du dessein d’amour du Père, de l’œuvre de rédemption pour laquelle il a été envoyé. Nous Le rejoignons dans sa manière de s’adresser particulièrement aux petits et aux pauvres, en tant qu’Évangélisateur des Pauvres. Ces trois traits de la physionomie du Christ doivent être lus dans leur profonde unité: si Jésus est Évangélisateur des Pauvres, c’est qu’il est Serviteur du Dessein d’amour de son Père sur l’humanité. Et s’il est ce parfait Serviteur, c’est parce que sa personnalité est tout entière centrée sur le Père.

2. Et continuer sa mission

Il ne nous suffit pas de contempler les traits caractéristiques du Christ découverts par les Fondateurs, il s’agit aussi de les actualiser dans notre vie à travers notre vie de servante des pauvres. Pour cela, nous choisissons de vivre totalement et radicalement les Conseils Evangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance qui nous rendent disponibles pour le Service du Christ dans les Pauvres. Toute notre vie est marquée par le don total à Dieu. Cela implique un continuel détachement de nous-mêmes: «Que dit une FdlC qui fait vœu de pauvreté, chasteté et obéissance? Elle dit qu’elle renonce au monde, qu’elle méprise toutes ses belles promesses et se donne à Dieu sans aucune réserve» (Coste X, 215)

C. Une spiritualité en référence au mystère de l’Incarnation Rédemptrice

Selon nos Fondateurs, le centre de notre vie est la personne du Christ, le Dieu incarné dans l’histoire des hommes pour les sauver. Durant toute leur vie, ils ont contemplé ce Mystère de l’Incarnation traversé par le mystère de la Croix. Elles contemplent le Christ en l’anéantissement de son Incarnation Rédemptrice, et s’émerveillent qu’un Dieu, en quelque manière, ne puisse ou ne veuille être séparé de l’homme» (Ste Louise) C 2.2

Nos Fondateurs ont honoré Jésus-Christ:

– dans son Incarnation, vivant et agissant au milieu des hommes pour les sauver;

– dans sa Rédemption, donnant sa vie pour eux.

1. Le mystère de l’Incarnation ou le Christ incarné

Toute notre vie est fondée sur la foi au mystère de l’Incarnation qui est la plus grande expression de la Miséricorde de Dieu à l’égard des hommes: «Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils» (Jn 3,16). L’Incarnation manifeste aux hommes la profondeur du mystère de Dieu. Elle révèle définitivement qui et comment est Dieu. Le Christ s’incarne pour que Dieu soit proche des hommes au point de devenir réellement l’un d’eux: «Il s’est fait en tout semblable aux hommes, hormis le péché»nous dit St Paul.

L’acte d’abaissement et d’anéantissement du Christ révèle la manière humble de Dieu de se rendre proche des hommes, en se faisant l’un d’entre eux, petit et dépendant. Jésus est non seulement «Dieu parmi nous», mais aussi «Dieu pour nous». À l’école de nos Fondateurs, nous contemplons Jésus Incarné :

– qui est présent et qui agit à une époque et en un lieu donnés;

– qui donne sa vie pour sauver les hommes.

a. Jésus Incarné, un homme qui est PRESENT à une époque et en un lieu donnés.

Méditant le mystère de l’Incarnation, nos Fondateurs contemplent l’insertion humble de Jésus dans un milieu familial, professionnel et social.

* Son humanité

Son enfance: Les Fondateurs ont contemplé la pauvreté de l’Enfant de la crèche. «Ne voyons-nous pas comment le Père éternel, en envoyant son Fils sur la terre pour qu’il soit lumière du monde, ne voulut paraître que comme un petit enfant, comme un des plus pauvres que vous voyez venir demander l’aumône… »(XI, 377)

Pour Ste Louise, l’état d’enfance du Fils de Dieu «donne plus libre accès» pour aller à Lui. «C’est de son enfance que vous obtiendrez tout ce que vous avez besoin pour vous rendre vraies chrétiennes et parfaites Filles de la Charité, lui demandant son esprit»(E. 661).

Sa vie à Nazareth: Nos Fondateurs s’étonnent aussi devant le fait que le Verbe éternel fait homme passe la plus grande partie de sa vie dans l’obscurité et voué aux tâches les plus ordinaires de la vie la plus ordinaire. La vie à Nazareth représente l’essentiel de la vie de Jésus, elle est le lieu du travail silencieux, anonyme. «Il faut honorer l’état inconnu, la vie cachée du Fils de Dieu»(Correspondance à Louise de Marillac I, 87). «Le Fils de Dieu, en se faisant homme, voulut mener une vie commune pour se conformer aux hommes… Il avait aussi la même manière de travailler, de cheminer, d’agir que nous. … Il voulut s’insérer dans notre nature pour nous unir à Lui. Il se fit homme pour nous montrer par sa manière de vivre comment nous devons vivre…» (XII, 250, 251). À une sœur qui commence une nouvelle implantation, Ste Louise lui conseille de contempler l’enfouissement de la vie de Jésus au milieu de son peuple. (E. 654 à Anne Hardemont). Il importe de ne pas mépriser le «non-faire» de la vie cachée du Fils de Dieu…(Cfr. IX, 18, 27).

Pour les Fondateurs, il s’agit d’aimer au quotidien, de bien faire les choses ordinaires de la vie, y compris les tâches apparemment petites et obscures.

* Sa vie de Foi : «Jésus, Adorateur du Père»

St Vincent est marqué par l’attitude de familiarité que Jésus a avec Dieu et par son intimité étonnante entre Lui et son Père. Jésus est «religion à l’égard de son Père (VI, 393 ; XII, 108-109) et charité à l’égard des hommes» (XII, 264, 265)» dit-il. Tout tourné vers le Père, Jésus est aussi tout orienté vers les hommes, puisque le regard du Père est tourné vers les hommes. Pour nos Fondateurs, il s’agit de vivre en union constante à Dieu pour reconnaître sa présence agissante, non seulement dans la prière, mais aussi dans le cœur et la vie des hommes.

* Son combat spirituel: « Jésus, Serviteur du Dessein d’Amour du Père »

Nos Fondateurs se sont arrêtés longuement sur les gestes d’humilité de Jésus au cours de sa vie publique, aussi bien au début de son ministère lorsqu’il s’incline devant son précurseur que devant ses apôtres quand il s’abaisse pour leur laver les pieds. «Je me dois souvenir que l’humilité que Notre Seigneur a pratiquée en son Baptême, est pour me servir d’exemple que je dois imiter… » dit Ste Louise.

Pour nos Fondateurs, Jésus ne recherche que la Volonté de son Père. «La norme de Notre Seigneur fut d’accomplir la volonté du Père en tout, et il dit que, pour cela, il descendit du ciel, non pour faire sa volonté mais celle de son Père» (XII, 154). Dans le désert, le diable essaie de Le mettre en péril. Il le tente non seulement dans sa mission, mais surtout dans la manière de la réaliser. Jésus refuse tout pouvoir terrestre, tout succès mondain, toute richesse pour proclamer la primauté de Dieu. Il choisit librement d’entrer dans la voie cachée et simple du devoir quotidien. «Le Fils de Dieu a voulu être pauvre! …» (X, 205); «Notre Seigneur a fait toutes les actions de sa vie par obéissance» (XII, 426)

Pour nos Fondateurs, il s’agit de suivre le Christ pauvre, chaste, obéissant en menant le combat contre l’esprit de puissance, de domination, de popularité, de démission, etc. …

b. Jésus Incarné, un homme qui agit pour sauver les hommes

Pour St Vincent, Jésus est non seulement Adorateur du Père et Serviteur de son Dessein d’Amour, mais aussi Évangélisateur des Pauvres. Il s’est incarné pour évangéliser et servir les pauvres.

* Jésus Évangélisateur «des pauvres» ( Lc 4,18-19)

À travers sa lecture de l’Évangile de la Samaritaine, Ste Louise contemple tout l’amour du Christ envers l’humanité pécheresse, et entrevoit sa mission de réconciliation (E 698, A.7). Mais devant la pauvreté et l’ignorance du peuple paysan, St Vincent contemple très particulièrement la priorité que Jésus accorde aux pauvres pour exprimer l’amour de Dieu pour tous les hommes. «Le Fils de Dieu est venu pour évangéliser les pauvres». (XI, 315). «Notre Seigneur Jésus-Christ, ce semble, avait fait son principal, en venant au monde, d’assister les pauvres et d’en prendre le soin… »(XI, 108). Pour nos Fondateurs, il s’agit de mettre les pauvres au cœur de notre vie et de nos préoccupations, de penser et d’organiser notre vie en fonction d’eux.

* Jésus Evangélisateur «par la Charité»

Nos Fondateurs se sont arrêtés longuement sur la manière de Jésus d’évangéliser les pauvres, principalement à travers son être de «parfaite Charité» qui le fait s’agenouiller devant les siens pour les servir avec un esprit d’humilité. «Notre Seigneur a consommé ses forces et sa vie pour le service du prochain» dit Ste Louise aux sœurs de Nantes (E. 539)

Épris de compassion pour tous ceux qui souffrent, Jésus a guéri les malades, chassé les esprits mauvais, réintégré dans la vie sociale tous les exclus, pour leur témoigner la Tendresse de Dieu. «Nous avons à imiter la manière de vivre et d’agir de Notre Seigneur… qui a dit être sur la terre pour ne pas faire sa volonté, pour y servir et non pas pour y être servi» (E 127). Pour les Fondateurs, ce qui caractérise l’attitude évangélisatrice de Jésus, c’est celle qui le met en position de serviteur devant les hommes, même devant celui qui s’oppose à lui, Judas. «Le Fils de Dieu se consuma par amour du Père dans le service des pauvres»

Pour St Vincent et Ste Louise, il s’agit de se mettre au service de la guérison de tous ceux qui souffrent à travers un service corporel et spirituel afin de leur permettre de réaliser leur vocation d’enfant du Père et devenir «ami de Dieu».

2. Le mystère de la Rédemption ou le Christ Serviteur

Nos Fondateurs ont honoré le Christ non seulement en son Incarnation, mais aussi dans ce grand mystère de la Rédemption comme l’acte d’amour par excellence.

Ils ont contemplé le Christ sous les deux traits suivants :

– le Christ humilié, souffrant ;

– le Christ Serviteur qui donne sa vie jusqu’au bout pour les hommes.

a. Jésus humilié, le «Pauvre» par excellence

«Notre Seigneur, quand il était sur la Croix, en quelle détresse n’était-il pas?». Encore qu’il sut bien que c’était pour le salut des hommes et pour la gloire de Dieu son Père, néanmoins, il fut percé de douleurs et exercé de peines intérieures jusqu’à s’écrier: «Mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné?»

Nos Fondateurs ont contemplé Jésus-Christ humilié, bafoué, méprisé, frappé, flagellé, prenant sur lui les violences, les cruautés, les injustices, les mensonges pour expier tous les péchés et ramener l’homme à l’amour du Père. Ils ont reconnu le visage de Dieu à travers l’humiliation, la souffrance, l’incompréhension et la crucifixion.

Pour nos Fondateurs, il s’agit de ne pas se laisser rebuter par les contradictions mais de se mettre dans une attitude d’esprit de pauvreté telle que Dieu puisse aimer et pardonner à travers nous.

b. Jésus Serviteur donne sa vie jusqu’au bout pour les hommes

«En pouvait-il témoigner un plus grand amour qu’en mourant de la manière qu’il est mort? » (XII, 109). «Regardons le Fils de Dieu! Oh, quel cœur de charité! Quelle flamme d’amour! …Vous êtes venu vous exposer à toutes nos misères… mener une vie souffrante et souffrir de mort honteuse pour nous. Y a-t-il un amour pareil? Mais qui pourrait aimer d’une manière tant suréminente? Il n’y a que Notre Seigneur qui soit si épris de l’amour des créatures que de quitter le trône de son Père pour venir prendre un corps sujet aux infirmités. Et pourquoi? Pour établir entre nous par son exemple et sa parole la charité du prochain. C’est cet amour qui l’a crucifié et qui a fait cette production admirable de notre rédemption. (XII, 264-265)

Jésus Serviteur vit sa mission avec un amour tel qu’il l’entraîne à une dépossession de lui-même pour être tout aux autres. Il va jusqu’au bout dans son offrande et puisque celle-ci est rejetée, aller jusqu’au bout comporte la mort. Nos Fondateurs ont contemplé dans la Croix le signe de l’amour infini du Serviteur qui ne se venge pas, ne punit pas, mais pardonne à ses bourreaux et accepte l’anéantissement de soi. C’est en aimant, en servant, en sauvant les hommes dans l’abaissement et le don total de lui-même sur la croix que Jésus assume le Dessein d’amour du Père. Là, il nous apparaît comme «La source de l’amour humilié jusqu’à nous» (XII, 264).

Pour nos Fondateurs, il s’agit de se donner sans réserve, sans restriction et sans retour pour le service des pauvres. La réflexion sur le Mystère de l’Incarnation Rédemptrice du Christ se poursuit naturellement avec le Mystère de la Résurrection. Si le Christ ressuscité n’a plus rien à faire avec l’espace et qu’il est en dehors du temps, Il est néanmoins avec nous pour toujours jusqu’à la fin du monde. (Mt 28,20). La vie du Ressuscité embrasse tous les lieux et tous les temps. Il continue d’aimer ce monde, de vouloir son bien et son salut. Le Christ ressuscité nous invite à être avec Lui et en Lui, à voir dans sa vie terrestre le modèle de la mission auprès des pauvres pour la continuer.

D. Une spiritualité de servante incarnée dans l’aujourd’hui des hommes

Le Christ ressuscité continue de s’incarner aujourd’hui dans le cœur et la vie des hommes. Selon la spiritualité des Fondateurs, nous continuons la mission de Jésus-Christ. Comme eux, nous faisons l’expérience du Christ incarné et rédempteur qui continue d’être PRÉSENT et AGISSANT dans notre vie personnelle et au cœur du monde. Comme eux, nous répondons à l’appel du Christ qui nous invite à continuer sa mission auprès des Pauvres, en Lui offrant tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons, dans une confiance continuelle en sa divine Providence. (C 1,9). Pour nous, FdlC, l’actualisation de la spiritualité des Fondateurs s’authentifie dans une spiritualité du Service, enracinée dans la Charité.

La Constitution 2,1 (dernier §) dit que notre spiritualité du service au sens large nous conduit progressivement à une identification au Christ Serviteur. «C’est l’imitation de ce Jésus Serviteur que saint Vincent et sainte Louise proposent aux Sœurs pour être bonnes FdlC»

La Constitution 1,10 précise que la voie selon laquelle nous devons nous laisser conduire par l’esprit du Christ Serviteur est celle des trois vertus évangéliques d’humilité, de simplicité et de charité.

Pour les Fondateurs, il y a un lien profond entre les trois attitudes du Christ Serviteur décrite dans la Constitution 1,5 (adorateur du Père, serviteur de son dessein d’amour, évangélisateur des pauvres) et les trois vertus évangéliques qu’ils nous recommandent. Les trois vertus spécifiques caractérisent notre spiritualité de servante :

1 – L’humilité à la suite du Christ Adorateur du Père

– l’accueil de l’Esprit de Jésus-Christ ;

– un regard de foi sur les personnes et les événements

2 – La simplicité à la suite du Christ Serviteur du Dessein d’Amour du Père

– une attitude de servante pour continuer le Christ Serviteur

3 – La charité à la suite du Christ Evangélisateur des Pauvres

– un service de tout l’homme et de tous les hommes

1. L’Humilité à la suite du Christ Adorateur du Père

Notre spiritualité de FdlC se caractérise d’abord par une attitude profonde d’accueil de la présence du Christ Ressuscité avant d’être un agir. Elle s’enracine dans une foi vivante en sa présence qui continue de s’incarner dans l’histoire des hommes, dans la réalité toute simple des joies et des peines quotidiennes, ainsi que dans les Ecritures et dans les Sacrements.

a. L’accueil de l’Esprit de Jésus-Christ

L’essentiel de notre spiritualité est dans cette démarche de «nous vider de nous-mêmes pour nous remplir de Dieu»et «nous revêtir de l’esprit de Jésus-Christ» (XII, 107). Dans notre vie quotidienne, nous nous donnons à Dieu, nous nous disposons à accueillir son Esprit pour vivre en communion profonde avec Lui afin de Le servir dans les Pauvres.

Dépendre du Saint Esprit, c’est Le laisser créer en nous la ressemblance avec le Christ humble, simple et charitable. (C 1,10; 2,3). «Mes chères sœurs, donnez-vous bien à Dieu pour bien faire ce que vous allez faire. Demandez-lui l’esprit de son Fils, afin que vous puissiez faire vos actions ainsi qu’il a fait les siennes.» (IX, 534). «Dieu veut que les FdlC s’appliquent particulièrement à la pratique de l’humilité, la simplicité et la charité» (IX, 596).

Les temps de prière personnelle et communautaire sont des temps privilégiés pour contempler le Christ incarné et l’accueillir tel qu’il se révèle dans l’Evangile comme dans la vie d’aujourd’hui, en particulier dans la vie des Pauvres. Avec un esprit d’humilité, nous reconnaissons l’amour du Père qui ne cesse de nous rejoindre, de nous unir à Lui. Nous nous laissons rencontrer par le Christ Serviteur; nous apprenons avec Lui à regarder le monde comme Lui le voit et à entrer davantage dans son humilité et sa charité.

b. Un regard de foi sur les personnes et les événements

L’humilité est cette attitude du cœur qui nous tourne vers Dieu, vers les autres. Elle développe en nous une capacité à poser un regard de foi qui conduit au décentrement de soi-même dans une dynamique positive puisqu’elle nous permet de reconnaître la présence agissante du Père dans la personne et la vie des pauvres. À la suite des Fondateurs, nous vivons une authentique rencontre de Dieu en rencontrant et en servant les Pauvres. «Servant les Pauvres, on sert Jésus-Christ» (SV IX, 252). Lorsque nous accueillons les Pauvres, nous accueillons le Seigneur tel qu’Il se donne à voir aujourd’hui dans notre monde.

Nourries par la prière et l’Eucharistie où nous découvrons le corps du Seigneur dans les signes pauvres et simples de la Parole, du pain et du vin sous lesquels Il se présente, nous apprenons à Le reconnaître davantage dans le corps et l’esprit des plus pauvres comme dans l’opacité de tant de situations difficiles où nous vivons. Dans un regard de Foi, les FdlC «voient le Christ dans les Pauvres»….. Les sœurs contemplent et rejoignent le Christ dans le cœur et la vie des Pauvres (C 1.7)». «Tournez la médaille et vous verrez avec les lumières de la foi que le Fils de Dieu, qui se fit pauvre, nous est représenté dans les pauvres…» (XI, 32).

Dans la Foi, quel que soit leur type de pauvreté, nous sommes invitées à contempler sur le visage des pauvres humiliés et défigurés la face du Crucifié: Jésus-Christ pauvre, humilié et défiguré par sa Passion. Nous croyons que Jésus ressuscité continue de se donner à voir en tout homme blessé par la vie (blessures physiques, psychologiques, affectives, morales, spirituelles). En ayant accueilli son Esprit, nous pouvons, comme Thomas, Le reconnaître comme «Mon Seigneur et mon Dieu» et dire à la suite de St Vincent: «Ils sont nos maîtres et nos seigneurs». En réalisant cette démarche de foi qui consiste à reconnaître et à accueillir le Christ incarné dans la prière, les événements et la vie des hommes, nous devenons de réelles «Adoratrices du Père»et faisons de toute notre vie un lieu d’union à Dieu.

2. La Simplicité à la suite du Christ Serviteur du Dessein d’Amour du Père

La C 2,1 dit: «C’est l’imitation de ce Jésus Serviteur que saint Vincent et sainte Louise proposent aux Sœurs» «Pour vivre en bonnes chrétiennes, pour être bonnes FdlC» la C 2,2 insiste: « Elles contemplent le Christ en l’anéantissement de son Incarnation Rédemptrice, et s’émerveillent qu’un Dieu en quelque manière, ne puisse ou ne veuillent être séparées de l’homme» «elles apprennent du Fils de l’Homme à révéler à leurs frères l’Amour de Dieu pour le monde».

Une attitude de servante pour continuer le Christ Serviteur

Notre être de FdlC doit donc traduire, prolonger, en notre temps, l’être de Serviteur du Christ. C’est pourquoi notre spiritualité de FdlC ne s’exprime pas seulement par un accueil, mais aussi par une attitude, un être de servante. En contemplant l’attitude du Christ, Serviteur du Dessein d’Amour du Père, nous apprenons progressivement à chercher à ne faire que ce qui Lui plaît et désirer réaliser sa volonté à la manière du serviteur. Cette vertu de simplicité nous conduit à devenir de plus en plus Servantes du Dessein d’Amour du Père en allant droit à Dieu avec un comportement lisible par tous. La C 2,2 dit: «Elles tâchent de se montrer dociles aux inspirations de l’Esprit, convaincues qu’elles seront l’instrument de ses oeuvres dans la mesure de leur fidélité. Louise de Marillac… souhaitait que la Compagnie fût dépendante du St Esprit pour réaliser le dessein du Père et rendre témoignage du Fils ressuscité».

Cette attitude du cœur qui nous fait rechercher la volonté de Dieu nous permet de découvrir plus profondément le mystère de la Croix du Christ et nous entraîne à Le suivre dans ses combats, dans ses souffrances à travers des résolutions concrètes et la pratique des Conseils Evangéliques. Nous nous efforçons de tendre vers le geste de Jésus qui se donne totalement au Père pour sauver les hommes. La vertu de simplicité nous rappelle que laver les pieds des Pauvres avec humilité n’est possible que si nous vivons en communion constante avec Jésus Serviteur.

3. La Charité à la suite du Christ Évangélisateur des Pauvres

Notre mission de FdlC prolonge, en notre temps, le mystère de l’Incarnation rédemptrice c’est-à-dire l’engagement de Dieu dans l’histoire des hommes. C’est pourquoi notre spiritualité de FdlC ne s’exprime pas seulement par un accueil et un être de servante, mais aussi par un agir.

Enracinées dans le Christ Serviteur qui est la «Source et le modèle de toute charité» (C 2,1 dernier § ; C 1,4), cherchant à Le laisser créer en nous sa ressemblance, nous pouvons Le servir dans la personne des pauvres. Toute notre vie exprime «l’état de charité» dont le Christ est la source et le modèle. L’amour inséparable de Dieu et du prochain qui s’exprime dans notre service des Pauvres, donne tout son sens à notre vocation. Être «servantes des pauvres» n’est pas l’acte d’un moment, mais nous introduit dans un «état de Charité»(C 2,9 §1) qui englobe toute notre vie. Il ne faut pas confondre charité avec générosité ou même solidarité. La charité est à la fois vision de foi et mise en oeuvre de l’amour de Dieu.

Servir tout l’homme et tous les hommes

«Apôtresses de la Charité», nous sommes envoyées par le Christ auprès des pauvres pour prolonger son oeuvre de libération et leur manifester par-là son visage d’amour. La Charité du Christ crucifié nous presse à aimer tout homme et à «l’aider à réaliser sa vocation d’enfant de Dieu» comme le dit la C 2,3.

* Le service de tout l’homme

Lorsque Jésus Ressuscité apparut aux apôtres, Il «leur montra ses mains et son côté transpercés» (Jn 20,20). Puis Il dit à Thomas: «Avance ton doigt ici et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté, cesse d’être incrédule, sois croyant» (Jn 20,27). Comme Thomas, nous sommes appelées à rejoindre le Christ en avançant nos mains sur les blessures des hommes, à prendre en compte leurs souffrances et à les secourir en nous mettant à leur service dans l’attitude du Christ Serviteur. Animées par la Charité répandue dans notre cœur par l’Esprit Saint, nous unissons le service corporel et spirituel.

* Le service de tous les pauvres

La Charité de Jésus crucifié nous presse de servir tous les Pauvres sans exception ni de personnes, ni de lieux, en donnant «la priorité… aux vraiment Pauvres». (C 1.8 §2). «Vous avez une vocation qui vous oblige à assister indifféremment toutes sortes de personnes, hommes, femmes, enfants et généralement tous les pauvres qui ont besoin de vous» (X, 452). Ce service se vit dans la réciprocité de l’échange et du partage: nous nous évangélisons mutuellement. Les pauvres nous évangélisent, nous interpellent, nous convertissent, nous dynamisent.

E. Marie, maîtresse de vie spirituelle

Marie, première chrétienne, Consacrée par excellence, se situe au point de départ et au centre même du mystère du salut, en ayant pour mission de faire entrer le Christ dans l’histoire humaine. Et naturellement nos Constitutions nous rappellent sa place dans notre vie de FdlC: «Qui cherche à suivre Jésus-Christ rencontre celle qui L’a reçu du Père.»(C 1,12). Nos Fondateurs ont découvert et contemplé la place que Marie tenait dans le cœur de Dieu particulièrement à travers les textes de l’Annonciation et de la Visitation.

Discernant en Marie la servante du Seigneur par excellence, ils voient en sa personne celle qui pouvait nous indiquer le mieux comment réaliser notre vocation, tant sa présence était évangélique. «Qu’elles fassent comme elles s’imagineront que pourrait faire la Sainte Vierge… Qu’elles considèrent sa charité, son humilité, qu’elles soient bien humbles à l’égard de Dieu et cordiales entre elles-mêmes, bienfaisantes à tout le monde»… (I, 514)

La Constitution 2,16 nous invite à prendre Marie comme maîtresse de vie spirituelle. Marie est maîtresse de vie spirituelle non seulement dans l’apprentissage d’une vie d’union à Dieu mais aussi dans celui d’un engagement total de servante. Aussi, la Constitution 1,12 ne pourrait-elle pas être paraphrasée de la manière suivante: «qui cherche à suivre Jésus-Christ, Adorateur du Père, Serviteur de son Dessein d’Amour et Évangélisateur des pauvres, rencontre Marie, Immaculée, Adoratrice du Père, Servante de son Dessein d’Amour et Mère de miséricorde et Espérance des petits ou Évangélisatrice des pauvres».

Marie Immaculée, Adoratrice du Père

Le texte de l’Annonciation nous confirme la relation de Marie avec le Seigneur: «comblée de grâces», «le Seigneur est avec toi». Vide de tout ce qui n’est pas Dieu, Marie nous montre ce que l’Esprit peut faire en une créature. Tout ouverte à l’Esprit, elle sait qu’elle n’existe qu’en second, en réponse à un appel. Son cœur est en creux pour accueillir en elle sans restriction, avec joie et avec gratitude, le Don même de Dieu. Le texte de l’Annonciation nous révèle aussi la manière d’être de Marie devant le Père: profondément attentive à Dieu, elle l’écoute, accorde ses battements à ceux du cœur de Dieu et rejoint sa présence agissante dans le coeur et la vie des hommes. Tout orientée vers Dieu, elle est aussi comme son Fils, tout orientée vers les hommes, ses enfants. Profondément recueillie et totalement ouverte aux autres, Marie a ce regard qui est à la fois tourné au-dedans et au-dehors. Sa rencontre avec Elisabeth nous laisse entrevoir sa manière de vivre des relations humaines authentiques et profondes faites de réciprocité. De même à la Nativité, Marie laisse transparaître un sens illimité de l’accueil à l’égard des bergers et des mages. À Cana, sa disponibilité attentive et discrète lui permet de voir ce que personne en réalité n’avait vu: que la réserve de vin était épuisée. Marie est sensible au moment humain de l’existence, attentive aux situations concrètes, aux personnes et aux choses. Marie, Adoratrice du Père, est modèle de proximité avec Dieu, d’union avec Lui. Elle nous apprend à nous donner à Dieu pour Le servir dans la personne des pauvres, à écouter sa Parole à travers la parole des pauvres et à travers les événements.

Marie, Servante du Dessein d’Amour du Père

Le texte de l’Annonciation nous montre qu’après avoir écouté et réfléchi, Marie décide: «Je suis la servante du Seigneur, que tout se passe pour moi comme tu l’as dit !» À travers cette parole, Marie met en lumière son identité de servante obéissante au Père. Accueillant librement en son coeur le Dessein d’Amour du Père, elle se remet entièrement à Lui en manifestant sa totale disponibilité. Elle laisse l’amour de Dieu faire oeuvre dans sa vie. Ce n’est pas un quelconque «agir», mais c’est une obéissance amoureuse à la Volonté de Dieu, une réponse à sa demande, une adhésion à son Dessein d’Amour.

Son départ pour Aïn Karim exprime à sa façon qu’une vie selon la charité suppose toujours de se quitter soi-même, de sortir de ses habitudes, de se désencombrer de tout ce qui empêche la marche. Il n’y a pas d’union à Dieu sans un renoncement à soi-même. Marie est le modèle de l’adhésion au Dessein d’Amour de Dieu. C’est cette attitude fondamentale qui doit toujours nous guider et nous animer. Nous ne pouvons être vraiment servantes des pauvres que dans la mesure où nous nous faisons servantes du Seigneur, où nous accueillons dans l’humilité les manifestations des désirs de notre Maître.

Marie, Mère de miséricorde, Evangélisatrice des pauvres

Après avoir écouté la Volonté de Dieu et y avoir réfléchi, Marie agit. Sa décision passe immédiatement à exécution. Son être de servante s’exprime à travers des gestes concrets de service. La vie avec l’Esprit projette toujours à l’extérieur de soi-même pour réaliser sa tâche humaine. C’est pourquoi, poussée par l’Esprit, Marie part «en hâte»pour apporter son aide à sa cousine âgée.

* Avec Elisabeth, Marie met en relief deux aspects importants de notre service des pauvres.

– Sa salutation nous initie à une qualité de présence avec les pauvres, à les laisser parler, à les écouter, à les considérer pour eux-mêmes, à échanger en profondeur avec eux.

– Ses gestes concrets de service traduisent un amour qui n’a pas peur de se fatiguer, de répéter les gestes qui usent le corps.

Marie nous apprend à vivre de façon extraordinaire la vie ordinaire en vivant des relations authentiques et profondes avec les pauvres, en nous mettant concrètement et courageusement à leur service pour leur révéler la Tendresse que Dieu les porte.

* A Cana, Marie nous fait entrer dans une conversion du regard pour regarder les pauvres autrement et être attentives à leurs besoins essentiels. Elle nous entraîne également à faire appel aux compétences des autres, cela avec délicatesse, sans recherche d’intérêt personnel.

* Au pied de la Croix, loin de se dérober au mépris, à la souffrance, Marie est présente, accompagnant Jésus condamné.

* Au Cénacle, Marie est là, au service de tous, signe visible du Christ invisible. Elle est un trait d’union entre les disciples, un ferment d’unité.

* A la Pentecôte, Marie croit que l’Esprit de son Fils continue de se communiquer et d’agir dans le coeur des hommes en les aidant à se reconnaître enfants d’un même Père et à vivre ensemble comme des frères.

Conclusion

Ainsi, nous découvrons en Marie l’attitude juste de la servante. Elle qui s’est laissée façonner par l’Esprit nous apprend à notre tour à nous laisser façonner par le même Esprit pour continuer la mission de son Fils auprès des pauvres, en ce début de troisième millénaire. C’est pourquoi nous aimons méditer quotidiennement deux prières évangéliques que sont le Chapelet et l’Angélus, comme une manière parmi d’autres de nous aider non seulement à emboîter le pas de Dieu qui s’approche de notre humanité en s’invitant chez Marie, mais aussi de nous mettre à l’école de Marie Servante.

II. La Spiritualité de la FdlC et les défis pour aujourd’hui

Introduction

Après avoir cerné d’un peu plus près notre spiritualité à partir de l’expérience des Fondateurs, il s’agit maintenant d’aborder la deuxième question qui est tout aussi importante: Comment vivre aujourd’hui cette spiritualité de FdlC? Comment continuer la mission d’Incarnation rédemptrice dans le monde d’aujourd’hui? Comment honorer Jésus-Christ comme source et modèle de toute charité en le servant corporellement et spirituellement en la personne des Pauvres dans le contexte culturel de nos différents pays?

La spiritualité chrétienne a un caractère foncièrement historique et concret.

Aussi, il nous faut lutter contre une image idéale des modalités concrètes pour vivre notre spiritualité dans le monde d’aujourd’hui. Les modalités varient selon les lieux, les contextes, les évolutions en cours. Il est impossible de les déterminer une fois pour toutes de l’extérieur. Elles sont à inventer sur le terrain de l’histoire, et à réajuster sans cesse. Je me limiterai à deux réalités mondiales et ecclésiales d’aujourd’hui qui nous interpellent très directement:

– la première est le phénomène de la mondialisation

– la deuxième est la Nouvelle Évangélisation dont parle Jean-Paul II

Face à la mondialisation, nous avons à nous inculturer de plus en plus dans le monde des pauvres, ce qui va se traduire par un style de vie proche des pauvres et un regard positif porté sur la vie qui peut étonner et dérouter, pour y découvrir la présence actuelle du Ressuscité qui entraîne à sa suite et ouvre un chemin d’espérance. Pour nous engager dans la Nouvelle Évangélisation, le service des pauvres vécu avec un esprit d’humilité, de simplicité et de charité est un chemin authentique d’évangélisation.

A. La FdlC, servante, incarne la présence du Christ dans le monde des pauvres

1. Un contexte: la mondialisation

La mondialisation est un processus d’inter échange planétaire qui met en relation les pays, les économies, les groupes, les ethnies, les religions, les cultures, les valeurs avec leurs aspects positifs et négatifs. Nous pouvons sans doute affirmer que jamais l’humanité n’a eu la possibilité d’être aussi unie qu’aujourd’hui et dans les prochaines décennies, grâce aux nouvelles technologies, à l’entrée des ordinateurs dans les maisons, ou à la faculté pour chacun d’entre nous d’accéder à des informations et des possibilités de rencontres quasi illimitées. La mondialisation avec sa capacité d’échange peut créer des meilleures possibilités de vie pour tous; mais elle favorise aussi la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns et pousse à l’adoption d’une forme de pensée et d’action uniques, sur un plan universel.

Elle contribue à l’effacement progressif de repères collectifs qu’ils soient sociaux, politiques ou spirituels. À travers le monde, la baisse des valeurs traditionnelles et la montée d’une culture centrée sur les aspects matérialistes et économiques tendent à éliminer les différences culturelles.

Même si nous sommes amenés à connaître ce qui se passe ailleurs par la vitesse de la communication, nous ne pouvons pas oublier l’importance des racines culturelles, sociales, religieuses de tout homme et de ses valeurs. Chaque personne est capable de montrer ses valeurs en les vivant, et par conséquent de les montrer «vivantes»pour les autres. Dans ce monde où les techniques de communication se développent et se perfectionnent de jour en jour, le mystère de l’Incarnation rédemptrice et le mystère de la Résurrection nous lancent des défis: comment entrons-nous en relation avec les autres? Quelle communication favorisons-nous ?

– L’Incarnation du Christ nous renvoie aux limites des relations humaines: le Christ est venu rejoindre tout homme dans une dimension universelle pour lui communiquer un message d’amour à travers une qualité de présence et une relation de réciprocité.

– Sur la Croix, le Christ est le méprisé par excellence. Pourtant, en vivant les valeurs suprêmes de la Vérité et de la Bonté dans sa situation de rejeté, Il nous ouvre un chemin de Libération et de Vie.

– La Résurrection nous présente le mystère de l’Esprit présent en tout homme; celui-ci s’exprime par des capacités de vie et de participation dans la construction d’une société plus fraternelle.

Pour nous, FdlC, dans ce monde de communication mondiale, le centre de notre préoccupation et de notre engagement, c’est la personne du Pauvre. Il ne s’agit pas d’abord de nous engager dans un grand projet humanitaire à dimension mondiale, mais de nous lancer dans une aventure de relation et de service où règnent disponibilité et ouverture au travail de l’Esprit. Notre spiritualité de FdlC nous conduit à:

– chercher avec d’autres des chemins concrets pour vivre l’aujourd’hui de la présence du Christ à tous, et particulièrement aux pauvres,

– poser notre regard sur des personnes concrètes, prises une par une, chacune possédant une dignité et vivant une réalité propre dans un lieu et un temps donné, dans une culture donnée.

2. Un défi: vivre proche des pauvres

Par vocation, nous sommes appelées à relever le défi de nous faire proches de «ceux qui sont destitués de tout» afin de rendre le Christ présent dans le milieu des pauvres.

a. Une proximité avec les pauvres

À la suite du Christ qui a choisi de venir chez nous, nous sommes appelées à «aller chez eux»et à vivre la démarche de l’apprivoisement: «Etre avec, partager les conditions de vie des gens, accueillir, aller vers, participer à la vie des gens…» La Mère Guillemin disait en 1968: «Le premier réflexe de l’amour est de tendre à ressembler à ceux que l’on aime… C’est pourquoi nous nous sentons pressées de nous rendre proches des pauvres, d’habiter au milieu d’eux dans une véritable proximité de vie et de soucis».

Les paroles de notre Charte disent: «elles ont pour monastère les maisons des malades», etc. … Les lieux où nous nous tenons sont les rues de la ville et les salles des hôpitaux. C’est là que nous rencontrons Dieu. «Une sœur ira 10 fois le jour voir les malades et 10 fois par jour, elle y trouvera Dieu» (IX, 252). La chambre de louage précise le style de vie où nous refusons de nous installer (C 1.9). Notre style de vie doit nous permettre de vivre une proximité la plus vraie possible avec les pauvres. «Aller chez eux» signifie «quitter» notre style de vie, nos manières de voir, de penser, pour découvrir ceux des pauvres et rapprocher autant que possible notre manière de vivre de celle de «nos maîtres». Il ne s’agit plus seulement d’effectuer un déplacement géographique mais d’expérimenter une proximité bienveillante pour entrer progressivement dans une plus grande compréhension de leurs besoins, leur mentalité, leurs difficultés…

* L’inculturation

L’inculturation suppose en tout premier lieu de prendre le temps de vivre avec les pauvres, de créer des liens et de durer dans la fidélité pour découvrir progressivement leur histoire. Nous pouvons parler d’enfouissement comme temps nécessaire de notre service, de nous enraciner chez eux, de devenir pauvres avec les pauvres, de vivre parmi eux et pour eux. Bien sûr, ce n’est pas la proximité physique qui importe le plus. Nous pouvons vivre toute la journée hors de notre communauté, rencontrer beaucoup de pauvres, si nous gardons une mentalité possessive, maternaliste ou moralisante, nous ne sortons pas de nous-mêmes, de notre milieu mental. La véritable proximité avec les pauvres est du domaine intérieur. C’est dans le coeur que réside la vraie fraternité. Nous ne les connaissons bien que si nous les aimons. La démarche de l’Incarnation du Christ est la référence fondamentale où s’enracine la raison d’être de notre proximité avec les pauvres. Notre qualité de présence se joue toujours sur un rythme pascal: il s’agit de sortir de notre «univers» pour rejoindre celui des pauvres, de nous vider de nous-mêmes pour leur faire une place en les rejoignant là où ils en sont, tels qu’ils sont et non pas tels que nous les voudrions.

Nous avons sans cesse à convertir nos manières de voir, de penser et de comprendre pour rejoindre les manières de voir, de penser et de comprendre du Christ. En vivant notre spiritualité dans un monde où règnent l’éphémère et le superficiel, nous relevons le défi de la durée et de la qualité dans les relations.

b. Des relations de réciprocité

La conviction centrale de notre foi chrétienne est que l’Esprit du Ressuscité est donné à tout être humain. Il nous précède, Il est présent à la vie de chaque homme, Il lui parle au coeur, Il est déjà à l’œuvre en lui, et nous, nous ne faisons que Le rejoindre dans son action. Vivre avec les pauvres, ce n’est donc pas seulement faire quelque chose pour eux, mais entrer en dialogue avec eux en étant ouvertes et attentives au mystère de l’action de Dieu en eux, en reconnaissant que l’essentiel du message chrétien peut déjà se trouver chez eux.

L’écoute est donc première. Elle dispose à recevoir ce que les pauvres portent déjà comme germes de l’Esprit. Elle invite à nous laisser transformer comme le Christ s’est laissé déplacer par la parole d’une païenne, la Syrophénicienne. Cette démarche nous fait respecter les pauvres et les prendre au sérieux. Nous pouvons alors les accueillir et faire nôtre leur manière originale de vivre. En effet, il ne suffit pas seulement de dialoguer avec eux, mais aussi de les accueillir dans le respect de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font, de ce à quoi ils aspirent, au point d’apprendre à voir la réalité à travers leurs yeux. Une disposition de fond est au coeur de cette manière de vivre avec les pauvres: devenir partenaire, dans une attitude de réciprocité, où chacun reçoit et donne pour croître dans une communication mutuelle.

Ensuite, nous pouvons opérer un réel travail de discernement pour recueillir et trier ce qui va favoriser et nourrir la vie, et dénoncer avec eux ce qui fait obstacle à cette vie qui cherche à naître et à grandir. En vivant notre spiritualité dans un monde où règne le « chacun pour soi », nous relevons le défi du véritable partenariat où chacun donne et reçoit pour avancer ensemble.

* Les pauvres nous évangélisent par leurs valeurs

La foi est un don de Dieu qui nous fait accueillir Dieu dans nos vies: «la vraie religion est parmi les pauvres; Dieu les enrichit d’une foi vive; ils croient, ils touchent, ils goûtent les paroles de vie… Pour l’ordinaire, ils conservent la paix parmi les troubles et les peines. Qui est cause de cela? La Foi. Pourquoi? Parce qu’ils sont simples; Dieu fait abonder en eux les grâces qu’il refuse aux riches et sages du monde». (XI, 201). La foi n’est pas en action seulement dans l’oraison, elle doit devenir le guide de nos pensées, de nos jugements et de nos actions. Le regard de foi nous conduit à «voir» et à aimer le Seigneur dans tout ce qui est humain, avec une attention particulière pour tout ce qui est petit et insignifiant aux yeux du monde. L’esprit de foi nous fait regarder vraiment les pauvres «comme nos maîtres» qui nous évangélisent et non pas comme des personnes vers qui nous nous penchons.

Les pauvres nous évangélisent par leurs qualités et les valeurs vécues au quotidien. Dans le monde des pauvres, en dépit de l’égoïsme qui peut s’y manifester et de la tentation du «chacun pour soi», se créent des liens de solidarité, un climat d’aide mutuelle et de partage tout simple. Souvent les pauvres qui ont l’expérience de la misère se sentent interpellés par la misère des autres. En plus de la solidarité, les pauvres ont souvent la faculté de savoir apprécier ce qui est fait pour eux, de s’en contenter et d’en nourrir une véritable gratitude. Nous pouvons encore aller plus profond. Le pauvre est peut-être le seul à vraiment donner en faisant de son don une démarche d’amour, car pour lui, le don implique une privation.

De plus, lorsque les pauvres nous accueillent telles que nous sommes, avec toutes nos limites, ils nous font découvrir l’immense capacité d’accueil et de miséricorde de Dieu à notre égard. En vivant notre spiritualité, nous relevons le défi de nous laisser évangéliser par les pauvres eux-mêmes.

* Les pauvres nous évangélisent par leurs pauvretés

Les pauvres ne nous évangélisent pas seulement par leurs qualités, mais aussi parce qu’ils nous bousculent et nous demandent une profonde conversion. Ils sollicitent le meilleur en nous, et nous font passer de l’instinct au spirituel. S’ils nous évangélisent, ce n’est pas parce qu’ils sont des exemples vivants de vertus. Leur cœur, en effet, peut être aussi violent et menteur que n’importe quel cœur humain. En vérité, ce en quoi ils nous humanisent, c’est qu’ils manifestent ce qu’est l’homme. Ils révèlent que l’être humain est petit, faible, fragile, pécheur, mortel.

Sans toujours demander explicitement de l’affection, les pauvres nous rappellent qu’un besoin primordial de l’homme, c’est le respect, la reconnaissance, l’estime. Ce qu’ils cherchent par-dessus tout, c’est un regard qui leur parle avec des égards, un regard qui leur renvoie une image positive d’eux-mêmes.

Par leur besoin de véritables relations, les pauvres nous recentrent sur l’essentiel de la vie qui est l’échange, la gratuité, l’amour. Si nous écoutons leurs appels, les pauvres éveillent en nous des sources de compassion et de bonté; ils libèrent en nous des capacités d’amour insoupçonnées. Pour persévérer dans des relations authentiques avec des pauvres qui nous font parfois peur, il nous faut reconnaître qu’ils nous révèlent notre propre pauvreté. Sans le savoir, ils mettent le doigt sur nos blessures et nos limites qui nous empêchent d’aimer pleinement. Ils deviennent un miroir et nous aident à reconnaître qu’en définitive, nous ne sommes pas si différents les uns des autres. À moins de nous durcir, les pauvres peuvent devenir une grâce de réconciliation en profondeur avec nous-mêmes et avec les autres.

Lorsque nous sommes capables de voir les pauvres comme ceux qui, en raison de leurs faiblesses, nous révèlent une vérité fondamentale sur notre humanité, à savoir notre propre fragilité, alors, ils sont déjà grandis et nous avec eux. Dans le Pauvre, le Christ est surtout interpellation. Il ne peut y avoir de rencontre des pauvres si notre coeur n’est pas profondément habité par un élan de fraternité, désireux de renoncer vraiment à vouloir être au-dessus d’eux pour être simplement avec eux, peut-être même le plus petit d’entre eux. Devant les pauvres, nous nous voyons invitées à la solidarité, à la justice.

Les pauvres nous évangélisent ainsi d’une nouvelle manière en nous amenant à la Charité, à l’humilité dans le service. Nous mettre au service des pauvres, au lieu de les dominer en leur imposant notre savoir et nos projets pour eux, c’est aussi nous laisser évangéliser et abandonner l’idée que nous allons, que nous pouvons «sauver» quelqu’un. En acceptant d’être servis par nous, telles que nous sommes, les pauvres nous mettent en situation d’exprimer, au-delà de nos limites, la source d’amour qui habite notre coeur et notre capacité de donner la vie à la suite du Christ Serviteur. En vivant notre spiritualité, nous relevons le défi d’une vraie fraternité où le plus petit est le préféré.

B. La FdlC, servante, incarne l’agir du Christ Serviteur dans le monde des pauvres

Nous sommes dans le monde, non pour nous y conformer et nous assimiler à lui, mais pour continuer la mission de Jésus-Christ. Le monde est le lieu où se vérifie l’authenticité de notre foi et de notre charité.

1. Un contexte: la Nouvelle Évangélisation

L’expression «nouvelle évangélisation» a été forgée et lancée par Jean-Paul II dans sa lettre aux évêques européens, le 2 janvier 1986. Il écrivait: «Aux profondes et complexes transformations culturelles, politiques, éthiques et spirituelles qui ont fini par donner une nouvelle configuration à la société européenne, doit correspondre une ‘nouvelle qualité d’évangélisation’, qui sache proposer à l’homme d’aujourd’hui le message éternel du salut en des termes nouveaux et convaincants». «Nous devons témoigner par nos œuvres que nous l’aimons» dit St Vincent. Le service des pauvres est chemin d’Évangélisation en tant que manière de vivre authentiquement l’Évangile.

2. Un défi: servir les Pauvres à la manière du Christ Serviteur

Notre spiritualité de service vient de la façon dont nos Fondateurs ont compris l’Incarnation et la mission du Christ. «Pour être vraies FdlC, il faut faire ce que le Fils de Dieu a fait sur terre» (IX, 15). Dieu a fondé la Compagnie pour «faire ce qu’un Dieu a fait sur terre… pour honorer la sainte vie humaine de Notre Seigneur» (IX, 60). Dieu nous envoie vers les pauvres pour leur manifester son Amour. Ce qui nous caractérise, ce n’est pas tant le service qu’une spiritualité de servante. Nous manifestons notre spiritualité de servante par l’amour que nous portons à Dieu et par l’amour pour les pauvres qui se traduit par l’exercice de la Charité.

Notre amour affectif pour Dieu nous conduit à un amour effectif pour les pauvres. Il nous faut être vidées de nous-mêmes pour être entièrement tournées vers le bien des pauvres. Pour combattre la tentation d’imiter les «rois des nations» (Lc 22,25) et de suivre la culture ambiante de la société avec toutes ses façons de venir en aide aux pauvres «d’en haut», nos Fondateurs nous rappellent à temps et contre temps la nécessité «d’imiter le Fils de Dieu qui ne faisait rien que par le motif de l’Amour qu’il avait pour son Dieu son Père» (IX, 20). En étant revêtues de l’Esprit du Christ, nous pouvons aimer et servir les pauvres avec:

– «respect et dévotion»qui révèle un esprit d’humilité «regardant toujours Dieu en eux» (E. 419)

– «cordialité» qui exprime la simplicité du coeur

– «compassion et douceur» qui manifeste un esprit de charité.

Notre vocation de FdlC équivaut à reproduire la vocation de Jésus-Christ. «Regardons le Fils de Dieu! Oh! Quel cœur de charité! Quelle flamme d’amour! …» (XII, 264-265)

a. Avec une attitude de servante qui doit être la mise en pratique des vertus de leur état: humilité, simplicité, charité.

Pour devenir vraiment des «servantes des pauvres» et pour que notre service des pauvres soit expression de la mission du Christ, il s’agit d’entrer dans le dynamisme de l’Esprit du Christ. Il n’y a pas de véritable service des pauvres sans la conversion du cœur. Le service que nous devons proposer à la société d’aujourd’hui doit être imprégné et caractérisé par les vertus nécessaires demandées par St Vincent pour ses filles.

* L’Humilité

Pour envisager un service des pauvres avec respect, la première vertu indispensable est l’humilité. Il ne faut pas confondre humilité avec complexe d’infériorité, mauvaise image de soi ou manque d’assurance. Elle n’est ni faiblesse, ni timidité, ni manque de personnalité et encore moins l’enfouissement des dons reçus. L’humilité nous conduit à nous tourner davantage vers Dieu et vers les pauvres, et à nous engager vis-à-vis d’eux comme Dieu nous le demande. Elle est un décentrement de nous-mêmes dans une dynamique positive qui nous projette vers les autres, ce qui nous délivre de bien des complications inutiles comme aussi de bien des complexes.

Servir les Pauvres avec humilité, c’est d’abord les écouter gratuitement avant de chercher à résoudre leurs problèmes. Se mettre à leur service réclame un effort d’attention pour entrer dans ce qui fait leur univers, en s’ouvrant d’abord au mystère de la personne, en cherchant à comprendre ses souffrances et ses joies. Cela exige de notre part une attitude de discrétion et de modestie. L’humilité nous apprend non seulement à être attentive à la vie des pauvres, mais aussi à la méditer pour saisir leur point de vue. Nous n’aurons jamais fini d’essayer de comprendre le langage des pauvres. Nous croyons parfois un peu vite avoir trouvé la bonne formule pour expliquer ou mettre des gens debout. Nous sommes sans cesse provoqués à approfondir notre qualité d’ouverture au dialogue pour chercher avec eux des chemins de compréhension mutuelle.

L’humilité nous fait parler avec opportunité. Elle nous fait demander la parole à bon escient, avec toujours, un a priori favorable. L’humilité nous porte à croire que les pauvres sont porteurs d’une pensée unique que nous ne soupçonnons pas et dont nous pouvons profiter. En prenant au sérieux leur vie et leur pensée, nous croyons en leurs possibilités et nous pouvons leur faire confiance. La conviction que les pauvres portent en eux des richesses en friche nous entraîne à développer une qualité de présence discrète et attentive aux moindres signes d’espérance, à leurs aspirations, à leurs attentes profondes. Les pauvres ont besoin d’un large espace de confiance. Lorsqu’ils se sentent compris, il devient possible de commencer quelque chose avec eux.

La décision vient d’eux et non de nous. Seule l’humilité nous permet d’avoir cette attitude capable de reconnaître que chaque situation doit être abordée à partir d’elle-même et non de la nôtre. Habitées d’un esprit d’humilité, nos attitudes et nos paroles ne sont plus suffisantes, ni sûres d’avoir toujours raison. Nous risquons moins de nous prendre comme référence et de faire des comparaisons blessantes. L’humilité maîtrise nos réflexes de puissance et d’affirmation de nous-mêmes; nous qui savons, qui pouvons, qui critiquons, nous apprenons à dominer la puissance que nous avons entre les mains. L’humilité nous fait aller au-delà de l’humain ou du psychologique pour entrer dans le domaine de l’amour. Elle ne nous fait pas découvrir des choses nouvelles, mais elle nous permet d’acquérir un nouveau regard sur les pauvres.

La manière dont les pauvres se présentent à nous dépend en grande partie de notre attitude à leur égard. L’humilité nous permet d’approcher les pauvres avec foi et à reconnaître en eux la présence de Dieu. Si nous manquons d’humilité, nous les privons de leur profondeur, nous les coupons de leurs racines et ainsi, nous les dévaluons. Les pauvres ont besoin d’être considérés pour eux-mêmes avant d’être aidés. Ils ne demandent pas d’abord d’être secourus mais d’être regardés et reconnus comme des personnes. L’humilité nous fait les regarder comme «nos maîtres» qui nous prêchent par leur seule présence.

L’humilité est avant tout un acte de foi au Christ, particulièrement dans son Incarnation Rédemptrice, cette foi qui ne consiste pas seulement à dire la grandeur de tout homme, mais qui invite aussi à pénétrer au-delà de chaque visage pour y découvrir l’icône du Christ.

* La simplicité

Il ne faut pas confondre simplicité avec volonté d’affirmation de soi ou volonté de pouvoir; ni simplicité avec spontanéité et naïveté. La naïveté est un excès de confiance qui résulte souvent de l’ignorance, de l’inexpérience ou du manque de réflexion. La spontanéité fait réagir immédiatement, en obéissant au premier mouvement, sans discernement. La condition humaine est celle du clair-obscur: il y a dans tout homme des contradictions, des ambivalences, des fragilités et tout un pan de mystère.

Cependant, la simplicité qui est, avant tout, une attitude du cœur fait passer du «je» superficiel au «je» vrai et profond et accorder le plus possible sa volonté avec celle de Dieu. La simplicité nous permet d’avoir un comportement vrai qui crée des relations claires, sans ambiguïté et sans laisser soupçonner autre chose que ce qui paraît. Par notre cœur simple, sans déguisement d’aucune sorte, sans complication, sans recherche de soi, nous nous révélons en toute sincérité et agissons sans duplicité, sans affectation ou ostentation. Si nous ne calculons pas au-dedans de nous-mêmes, nous clarifions les sentiments et nous mettons ainsi les pauvres à l’aise; de plus, cela nous pousse à penser que les autres non plus ne calculent pas. Par contre, si nous manquons de simplicité avec les pauvres, nous risquons de mettre en cause leur sincérité et de les soupçonner. Les pauvres sentent très vite les manques de simplicité et les relations sont alors faussées.

La simplicité nous fait éviter toute ambiguïté dans notre langage, notre façon d’être, en évitant d’attirer l’attention dans un sens comme dans l’autre – «bonnement et simplement». Lorsque nous marchons en toute droiture, nous n’avons pas constamment la contestation ou la critique négative ou amère à la bouche. La simplicité nous empêche de ne porter qu’un jugement négatif sur les pauvres. Même si nous pouvons repérer certaines causes à certaines pauvretés, la simplicité nous fait constater les difficultés du moment vécues par les pauvres. Notre qualité de servante des pauvres exige cette simplicité en toutes choses, dans notre style de vie, si nous voulons être comprises par eux. La simplicité est aussi la recherche de Dieu et de sa gloire en tout ce que nous faisons.

* La charité

La particularité de notre spiritualité est de faire du service des pauvres un acte de charité. Notre esprit, c’est la charité. Il ne faut pas confondre charité avec générosité ou même solidarité. Elle n’est ni «coup de cœur», ni sentiments. Elle ne peut se limiter un agir aussi généreux soit-il. La charité est l’expression même de la charité du Père, de son Amour gratuit pour l’homme. La Charité nous fait communier au sentiment le plus profond du cœur de Dieu, à sa miséricorde et sa fidélité envers l’homme. La charité, c’est aller jusqu’au bout dans l’amour, quelles que puissent être les difficultés rencontrées en chemin. La charité s’inscrit dans la durée.

Les deux expressions «service» et «charité» ne vont pas naturellement ensemble. Servir les pauvres, c’est les reconnaître comme des personnes en dépendance, dans des situations de besoin et donc d’infériorité. Or, le service des pauvres n’est pas seulement une aide humanitaire mais est un lieu où nous avons à témoigner de Jésus-Christ, Serviteur d’une manière effective. Notre engagement à servir les pauvres se vit avec l’affection d’un coeur aimant.

Le service des pauvres est la mise en œuvre de l’Amour de Dieu à travers l’engagement de toute notre personne dans la fidélité. Il tire son énergie et son expression de l’Amour de Dieu. Puisque la charité n’existe pas sans humilité ni simplicité, nous nous efforçons de traduire la charité de Dieu dans un service humble et simple. En les servant avec charité, nous révélons aux pauvres les mœurs de Dieu et nous leur montrons qui Il est, et comment Dieu aime «jusqu’au bout».

Nos gestes dans le service des pauvres n’ont de sens que s’ils sont faits par amour et dans l’amour. Il ne s’agit pas tant de faire des actions que de les faire «en charité». (IX, 49). Il importe que la charité du Christ pénètre notre cœur pour aimer sans mesure, être compatissantes, ouvertes aux autres, sans les juger. Par la Charité, nous nous solidarisons avec les pauvres au point d’accepter que notre vie en soit bouleversée.

En vivant notre spiritualité, nous relevons le défi d’opter pour un esprit de service qui exprime la Tendresse de Dieu pour les Pauvres.

b. Avec une préoccupation constante de la promotion de tout l’homme et de tous les hommes

Notre amour de Dieu ne peut se limiter à une pure expérience spirituelle, il doit prendre corps dans un engagement en faveur de la dignité, de la promotion de l’homme. Il s’agit de servir les pauvres en prenant en compte toutes leurs pauvretés physiques, économique, intellectuelle, morale, spirituelle et en leur donnant les moyens de retrouver leur dignité. Même si le point de départ du service rejoint une dimension particulière de la personne: physique, affective, intellectuelle, économique, spirituelle… notre service recouvre la prise en charge de tout l’homme.

* Un service corporel de qualité

St Paul dit: «Votre corps est un temple du Saint Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu»(1 Co 6,19-20). Si le corps est vraiment le lieu où Dieu habite, une terre sainte, cela transforme profondément la relation et le service. La vie de chaque pauvre est sacrée et nous touchons leur corps avec encore plus de respect. En lavant les pieds de ses disciples et en nous demandant de faire de même, Jésus nous indique l’importance de rejoindre le corps de l’autre avec douceur et tendresse, car ce corps est précieux: il est la personne. Nos Fondateurs nous demandent de servir nos frères souffrants avec «compassion, douceur, cordialité, respect et dévotion» (X, 331)

Nos gestes, qu’ils soient du domaine de l’enseignement, de l’éducation ou de l’assistance sanitaire et sociale sont appelés à être des gestes de charité, c’est-à-dire issus de l’Amour de Dieu. Ils ne doivent pas se réduire à des gestes purement professionnels, même s’ils sont assujettis aux règles professionnelles et administratives qui les régissent et accomplis avec la compétence nécessaire. Nous avons à accompagner les pauvres dans leur marche, en éveillant leur conscience pour qu’ils puissent progressivement, par eux-mêmes, analyser et comprendre leur situation, évaluer les réalités dans lesquelles ils sont impliqués, discerner et chercher des solutions pour un meilleur avenir.

* Un service spirituel de qualité

Rejoindre les pauvres, les accueillir, les écouter, les aimer et les servir sont les conditions nécessaires pour un service qui soit évangélisateur. En effet, par le service des pauvres, nous nous mettons au service de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Nous nous efforçons de proclamer la Bonne Nouvelle en actes comme en paroles, et «incarner cette proclamation» de sorte que quiconque, de bonne volonté, puisse entendre cette Bonne Nouvelle, présentée de façon aussi authentique et simple que possible, et donc l’approfondir et, s’il le décide, l’accueillir.

Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire rendre chrétiens tous les hommes, ni pousser tous les baptisés à revenir à l’Église. Vivre le service spirituel, c’est aussi nous efforcer de mettre l’autre en situation de donner. Le plus grand bonheur que nous puissions faire aux pauvres, c’est leur permettre de donner. C’est encore, être ouvertes aux interrogations de nos contemporains, cherchant moins à apporter des réponses toutes faites qu’à approfondir le questionnement.

* Tous les pauvres

«Vous avez une vocation qui vous oblige à assister indifféremment toutes sortes de personnes, hommes, femmes et enfants, et généralement tous les pauvres qui ont besoin de vous» (C 1.7).

En vivant notre spiritualité, nous relevons le défi de travailler au développement de tout l’homme et de tous les hommes.

c. Avec un esprit de collaboration

Le vœu que nous faisons de servir corporellement et spirituellement les Pauvres, exige le don de notre personne et de notre temps. Mais, le service des pauvres ne se limite pas au seul service de la personne en difficulté, il prend aussi en compte son environnement et les autres personnes avec lesquelles nous sommes appelées à collaborer.

L’Esprit saint nous engage aujourd’hui, plus que jamais, à partager avec les laïcs notre spiritualité dans un compagnonnage pour un meilleur service. Partenariat et collaboration avec d’autres ne représentent pas une stratégie pratique résultant d’une diminution en nombre. Il s’agit d’une composante essentielle de notre vocation.

* Collaboration à l’intérieur des œuvres de la Compagnie

Nous vivons notre spiritualité de service en favorisant au maximum la collaboration avec les laïcs dans nos propres œuvres apostoliques. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles reposent principalement sur eux, c’est ainsi que peut se poursuivre la mission de la Compagnie. Cette collaboration avec les laïcs étend le champ de notre mission et transforme notre manière de servir les pauvres. Elle enrichit également ce que nous faisons et ce que nous vivons. Elle nous stimule à encourager les laïcs à s’ouvrir à la spiritualité vincentienne, à les accompagner, à les soutenir et à les former. Cette collaboration requiert une attitude de disponibilité, d’écoute et de partage.

* Collaboration avec « ceux qui travaillent à promouvoir les droits des pauvres »

Notre service aujourd’hui nous appelle aussi à collaborer plus étroitement avec des institutions, organisations et activités qui ne sont pas sous la tutelle de la Compagnie. Parmi celles-ci se trouvent des centres sociaux de développement et d’assistance, des institutions d’éducation, des organisations internationales, des communautés ecclésiales, des mouvements et services d’Église. Cette collaboration est un lieu privilégié pour vivre notre spiritualité de FdlC en complémentarité avec les autres acteurs.

En vivant notre spiritualité, nous relevons le défi de mettre en commun nos richesses respectives pour promouvoir la dignité des Pauvres.

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