La Prière Vincentienne (IV)

Francisco Javier Fernández ChentoSpiritualitéLeave a Comment

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Author: Antoine K.Douaihy .
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Vincent_de_Paul_and_Virgin_MaryCONCLUSION GÉNÉRALE

S. Vincent ai-je dit, n’a pas à proprement parler, une mé­thode spécifique d’oraison. Il ne l’a pas systématisée, il est vrai, pas plus qu’il n’a systématisé sa spiritualité ou quoi que ce soit d’autre.

Mais n’est-il pas légitime d’essayer de trouver l’originalité de la prière de S. Vincent ? Il fut, en effet, précurseur dans beaucoup de domaines : l’apostolat, la collaboration avec les laïcs, surtout les femmes, l’invention des Filles de la Chari­té… N’a-t-il pas marqué l’oraison de quelque originalité ?

Je répondrai positivement. En effet :

1. À l’image de toute sa vie et de son apostolat, à l’image de son charisme, la prière vincentienne est essentiellement christocentrique.

S. Vincent place au premier plan des dévotions de ses missionnaires, comme de celle des Filles de la Charité, les Mystères de la Sainte Trinité et de l’Incarnation, ensuite l’Eucharistie. Puis il recommande le culte et l’imitation de la Vierge Marie, Mère de Dieu.

Il veut que ses disciples lisent leur vie dans celle du Fils de Dieu, agissent, pensent, se comportent, prient comme lui. Le Christ incarné est le pôle de sa vie et avec Pascal et S. Paul il déclare ne rien savoir en dehors de Jésus Christ1

«Je considère Jésus Christ dans toutes les personnes et en nous-mêmes, Jésus Christ comme Père en son Père, Jé­sus Christ comme frère en ses frères, Jésus Christ comme pauvre en les pauvres, Jésus Christ comme riche en les ri­ches, Jésus Christ comme docteur et prêtre en les prêtres, Jésus Christ comme souverain en les princes etc. Car il est par sa gloire tout ce qu’il y a de grand, étant Dieu, et est par sa vie mortelle, tout ce qu’il y a de chétif et d’abject. Pour cela, il a pris cette malheureuse condition pour pouvoir être en toutes les personnes et modèle de toute condi­tion» (Pascal, Pensées, Br. 785).

C’est le Christ pleinement homme que S. Vincent contemple et qu’il suit pas à pas, afin de «faire ce que le Fils de Dieu a fait sur terre». Avant d’agir ou d’entreprendre quoi que ce soit d’important il veut que l’on se demande comment Jésus Christ aurait agi et d’agir ensuite comme lui. Quand on prie, il veut qu’on contem­ple les Mystères de sa vie terrestre, surtout sa Passion,

Il est convaincu de la supériorité de l’amour effectif sur l’amour affectif et que toute prière authentique se doit de montrer sa valeur dans des actes concrets de charité : L’évangélisation et le service spirituel et corporel du pau­vre, icône de Jésus Christ incarné.

Dans cette optique, pas de dichotomie entre prière et apos­tolat. D’ascétiques qu’elles étaient, S. Vincent a transfor­mé les vertus de simplicité, d’humilité, de douceur, de mortification et de zèle, en vertus missionnaires. Il en a fait de même de la prière : il en a fait aussi (et pas uni­quement) un moyen « apostolique ».

S. Vincent insiste évidemment pour que la prière soit un « pourparler » intime avec Dieu, qu’elle soit une élévation de l’âme vers Dieu afin de converser avec lui. Mais il in­siste davantage pour que cette intimité avec Dieu parte des réalités de la vie (méthode dite «du Président», «cette méthode qui est la meilleure», dit-il) et qu’elle retombe en service des pauvres et en évangélisation des gens de la campagne, dans cette même réalité. Pour lui, l’oraison est le livre de chevet du prédicateur où il puise les vérités à enseigner au peuple (SV. VII, 156).

S. Vincent se méfiait des extases, des soupirs et autres simagrées devant le S. Sacrement ou à l’oraison :

«Aimons Dieu, mes frères, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. Car, bien souvent tant d’actes d’amour de Dieu, de complai­sance, de bienveillance, et autres semblables affections et pratiques intérieures d’un coeur tendre, quoique très bon­nes et très désirables, sont néanmoins très suspects, quand on n’en vient pas à la pratique de l’Amour effectif…

«Car il y en a qui, pour avoir l’extérieur bien composé et l’intérieur rempli de grands sentiments de Dieu, s’arrêtent à cela ; et quand ce vient au fait et qu’ils se trouvent dans les occasions d’agir, ils demeurent courts. Ils se flattent de leur imagination échauffée ; ils se conten­tent des doux entretiens qu’ils ont avec Dieu à l’oraison ; ils en parlent comme des anges ; mais au sortir de là, est- il question de travailler pour Dieu, de souffrir, de se mor­tifier, d’instruire les pauvres, d’aller chercher la brebis égarée, d’aimer qu’il leur manque quelque chose, d’agréer les maladies ou quelque autre disgrâce, hélas ! Il n’y a plus personne, le courage leur manque. Non, non ne nous trompons pas : Tout notre travail se résume dans l’action» (SV. XI, 40).

Tout cela, pour la simple raison que la prière, étant un don gratuit de Dieu, doit nécessairement être gratuitement donnée aux frères, partagée avec eux et devenir ainsi une prière vécue : «Il ne suffit pas de me dire : Seigneur. Sei­gneur…» (Matthieu 7,21).

«Grâce à la prière, disent les Constitutions de la Congrégation de la Mission, l’insertion de notre apostolat dans le monde, la vie commune et l’expérience de Dieu se compénètrent les unes les autres et s’unissent dans la vie du missionnaire. Dans la prière, en effet, la foi, l’amour fraternel et le zèle apostolique se renouvellent constam­ment ; tandis que, dans l’action, l’amour de Dieu et du prochain se révèle effectif. Ainsi, par l’union étroite de la prière et de l’activité apostolique, le missionnaire se fait contemplatif dans l’action et apôtre dans la prière» (C. 42).

4. Pour S. Vincent, enfin, vie d’oraison et vie dans le monde doivent faire un. La prière continuelle et notre insertion dans le monde où nous sommes envoyés par vocation, sont une double fidélité sans cesse recherchée et conti­nuellement équilibrée. De fait, elles sont vécues dans une espèce de tension dialectique qui, vécue tantôt dans la paix, tantôt dans le flottement, doit, au-delà de toute di­chotomie, parvenir à une certaine unité de vie.

Fondamentalement, cette unité ne peut procéder que de l’union au Fils de Dieu Incarné, envoyé du Père évangéliser les pauvres. L’union à la Personne du Christ et la participa­tion à sa Mission Rédemptrice sont inséparablement liées, comme sont indissociables la Personne et la Mission dans le Christ lui-même.

En effet, si nous sommes appelés «Société de Vie Aposto­lique», ce n’est pas parce que nous menons des apostolats en dehors de nos maisons, mais c’est parce que nous menons la vie même des Apôtres.

Notre consécration vincentienne comporte donc constitu­tivement notre insertion dans le monde, à la manière des Apôtres. Ce qui veut dire que cette insertion y est un élément constitutif de l’expérience de Dieu, non pas malgré la pré­sence au monde, ni en dépit d’elle, mais bien à l’intérieur de cette présence et à travers elle.

Cependant, pour Saint Vincent, notre insertion dans le monde est prioritaire à la vie commune, aux voeux, à la Règle et à l’oraison elle-même. «Tout notre travail se résume dans l’action», répétait-il (SV. XI, 41), La preuve en est qu’il n’hésite pas à recommander à ses Filles de quitter la prière et la messe si le service des pauvres le requiert :

«Au lieu d’aller à la messe, demeurez auprès de ce ma­lade. Voilà l’heure de l’oraison ; si vous entendez les pau­vres qui vous appellent mortifiez-vous et quittez Dieu pour Dieu, encore qu’il faille faire tout ce que vous pourrez pour ne point omettre votre oraison, car c’est ce qui vous tiendra unies à Dieu» (SV. X 3 ; cf. SV. X, 95).

Pour S. Vincent donc tout passe, même l’oraison, après l’évangélisation des pauvres.

  1. Cf. ABELLY, Livre I, p. 83.

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