Itinéraire spirituel de Louise de Marillac. Un temps de recherche (1)

Francisco Javier Fernández ChentoLouise de MarillacLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Elisabeth Charpy, F.C. .
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« Parle, Seigneur,
ton serviteur écoute »
Samuel – 3,9

La volonté de Dieu, le seul désir de mon cœur.

Peu après son veuvage, Louise de Marillac, comme beaucoup de femmes pieuses de son époque, rédige son Règlement de vie. Elle exprime son souhait de vivre « en chrétienne et catholique », « en femme dévote »1. Elle note son « désir de servir Dieu toute sa vie »2. Dès le matin, sa première pensée ira à Dieu « faisant un acte d’adoration, de reconnaissance et d’abandon de ma volonté à la sienne très sainte »3. Consciente de sa faiblesse, elle invoque l’Esprit de Dieu « pour l’accomplissement en moi de sa très sainte volonté qui sera le seul désir de mon cœur »4.

Depuis déjà de longues années, Louise a, au fond du cœur, un seul désir, faire la volonté de Dieu. Elle avait cru que Dieu l’appelait à mener la vie monastique des Religieuses Capucines. Le refus, exprimé par le Provincial de l’Ordre, le Père Honoré de Champigny, l’avait désorientée. Où donc était pour elle la volonté de Dieu ? Était-ce le mariage décidé par ses parents qu’en fille soumise à son tuteur, elle avait accepté le 5 février 16135. Elle y a découvert les joies simples de la vie de famille et de la maternité.

Mais une question est demeurée en elle : la vie qu’elle y mène est-elle bien selon la volonté de Dieu ? Le 6 mars 1620, son oncle, Michel de Marillac, répond à ses inquiétudes. Il veut la rassurer, lui indiquant que la volonté de Dieu n’est pas ce que l’on désire. Il l’invite à considérer son propre néant, à quitter jusqu’à ses propres désirs pour ne vouloir que ce que Dieu veut :  » Il est bon de faire expérience que Dieu n’est pas attaché à nos desseins et propositions et que ceux-là le trouvent partout qui le cherchent en la manière qu’il veut se communiquer et non pas en la façon qu’ils s’imaginent leur être utile et profitable. Car souvent cette utilité, figurée en l’esprit, est le contentement de notre sentiment, mais l’âme pauvre qui se connaît telle et qui en accepte la connaissance en paix, attend de Dieu ce qu’il veut sans s’attendre à cette manière ou à une autre et se contente de se soumettre à Dieu et non pas lui vouloir prescrire la façon de laquelle il la conduira »6.

Au bout de quelques années, la maladie entraîne une modification du comportement d’Antoine Le Gras : la vie du ménage devient si difficile que Louise, de plus en plus angoissée, songe à quitter son mari irascible. Dans le même temps, elle traverse une nuit de la foi, allant jusqu’à mettre en doute l’immortalité de l’âme et même l’existence de Dieu. La correspondance de Michel de Marillac propose toujours à sa nièce une contemplation très dépouillée de Dieu, avec acceptation de sa bassesse, de son anéantissement. « L’âme fidèle à Dieu a, à tous les moments, des instructions pour s’humilier quand elle est véritablement en cet état simple et pauvre, sachant et reconnaissant qu’elle n’a rien et que, même, elle n’a pas la connaissance de sa propre pauvreté et, ainsi pauvre, demeure mendiante devant Dieu qui seul lui est tout. Il l’avertit et la conscience la réveille de tout le bien et le mal qu’il faut faire et fuir. Et plus elle se dépouillera de son soin et activité, plus elle verra clair en ce qu’il faut faire et laisser »7.

Malgré les conseils et encouragements du dévot Michel de Marillac, Louise demeure dans « un grand abattement d’esprit »8. Le jour de la Pentecôte 1623, Dieu lui fait vivre une expérience particulière, expérience mystique qui peut se comparer à celle de Saint Paul sur le chemin de Damas. Une lumière vient éclairer ses ténèbres. Elle est subite et violente : « Tout en un instant, mon esprit fut éclairci de ses doutes »9. Fortifiée « par l’assurance que je sentis en mon esprit que c’était Dieu qui m’enseignait »10, Louise de Marillac sent tous ses doutes disparaître. Au cours de cette Lumière de Pentecôte, elle a entrevu qu’un jour elle serait en une petite communauté pour servir les pauvres et qu’elle pourrait se consacrer à Dieu par les vœux de religion. Mais, pour le moment, elle ne comprend pas comment cela pourra se réaliser. Elle reprend sa place près de son mari : celui meurt le 21 décembre 1625.

Ses méditations, écrites au jour le jour, montrent que demeure au très fond d’elle-même un ardent désir de connaître la volonté de Dieu pour s’y conformer. Elle a lu et médité les paroles de François de Sales dans le Traité de l’Amour de Dieu : « Dieu désirant que nous suivions sa volonté signifiée, il nous sollicite, exhorte, incite, inspire, aide et secourt ».11 Mais Il laisse chacun libre de répondre à cet appel ou de résister. C’est pourquoi elle supplie Dieu de mettre en elle un véritable attrait pour sa volonté. Le jour de Saint Sébastien, elle écrit : « Je me sentis pressée du désir de me donner à Dieu pour faire toute ma vie sa très sainte volonté »12. Et le samedi suivant, elle complète : » Je demandai instamment à Dieu qu’il lui plût manifester ce que sa bonté désirait de moi. »13 Méditant, un peu plus tard sur l’Évangile du Semeur, elle ne reconnaît « aucune bonne terre » en elle et désire « semer au cœur de Jésus toutes les productions de mon âme et les actions de mon cœur afin que tout eût croissance de ses mérites, n’existant que par Lui et en Lui… »14

Voulant manifester son profond attachement à Dieu, Louise suit le conseils de François de Sales et rédige son acte de protestation en s’inspirant de celui proposé dans le livre l’Introduction à la vie dévote15. Elle s’engage à vivre la grâce de son baptême qui l’a faite enfant de Dieu et à se donner entièrement à Dieu pour l’aimer et le servir avec plus de fidélité. « Au jour de mon sacré baptême, je fus vouée et dédiée à mon Dieu pour être sa fille… Me confiant en l’infinie miséricorde de mon Dieu, je… renouvelle la sacrée profession faite de ma part à mon Dieu, en mon baptême, et me résous irrévocablement de le servir et aimer avec plus de fidélité, me donnant toute à Lui ;… protestant aussi de ne jamais plus offenser Dieu d’aucune partie de mon être, et de m’abandonner entièrement au dessein de sa sainte Providence pour l’accomplissement de sa volonté en moi, à laquelle je me dédie et sacrifie pour toujours, la choisissant pour ma souveraine consolation… »16 Louise confie à la miséricorde de Dieu « toutes les iniquités de sa vie passée », sa « résistance » à la grâce de Dieu. Elle a appris, par ses nombreuses lectures que la véritable connaissance de soi-même est nécessaire à celui qui veut se rapprocher du Dieu de Lumière et de la Vérité incréée. Elle souhaite se dépouiller d’elle-même pour être totalement disponible à Dieu, pour qu’Il puisse envahir tout son être. Si Louise de Marillac recopie plusieurs passages des écrits de François de Sales, son acte de protestation laisse percevoir une recherche plus précise de la volonté de Dieu. Sa conclusion rejoint presque textuellement celle de l’Introduction à la vie dévote :  » Qu’il vous plaise, ô mon Dieu, confirmer ces saintes résolutions et consécrations, et les accepter en odeur de suavité ; et comme il vous a plu m’inspirer de les faire, donnez-moi la grâce de les parfaire, ô mon Dieu ; vous êtes mon Dieu et mon tout, ainsi je vous reconnais et adore seul et vrai Dieu en trois personnes, maintenant et éternellement. Vive votre Amour et de Jésus crucifié. » 17

Pour ses retraites annuelles, Louise se sert aussi du plan proposé par François de Sales en l’Introduction à la vie dévote. La première méditation de la retraite de 1628 est consacrée à la réflexion sur la Création. Louise renouvelle son désir d’être totalement à Dieu, lui demandant de devenir le souverain possesseur de son cœur : »Puisque Dieu n’a eu d’autre dessein, en créant nos âmes si relevées par-dessus toutes créatures, que d’en être l’unique et entier possesseur, je veux moyennant sa sainte grâce, me rendre encore volontairement toute sienne, et éviter toutes occasions qui m’en pourraient empêcher »18. Les jours suivants sont consacrés à la méditation sur le péché, la mort et le jugement. Au cinquième jour, Louise s’arrête longuement sur l’Incarnation, ce qui lui donne conscience de l’Amour de Jésus pour les pécheurs. C’est pour elle un réconfort, la source d’une » grande confiance et assurance de sa bonté, qu’enfin il me donnera son saint amour, mais il faut que je travaille et l’écoute. » 19 La volonté de Dieu n’apparaît plus à Louise comme quelque chose d’abstrait, elle comprend que Dieu désire que chacun puisse découvrir, rencontrer son amour au delà de ses imperfections, de son péché.

Dans cette recherche de la volonté de Dieu, Louise se situe bien dans son époque. Non seulement François de Sales et Vincent de Paul, mais aussi Benoît de Canfields, Bérulle, Jean Eudes insistent sur la conformité à la volonté de Dieu et décrivent les méthodes de discernement de cette volonté divine. Louise compose une prière qu’elle aime dire matin et soir, et que plus tard elle enseignera aux Filles de la Charité : « Je vous adore, Très Sainte Trinité, un seul Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et vous remercie de toutes les grâces que j’ai reçues de votre bonté. Je vous donne mon cœur et tout ce qui m’appartient, pour faire à jamais votre sainte volonté. »20

A partir de 1625, Vincent de Paul devient le directeur de Louise de Marillac car Jean-Pierre Camus, devenu Évêque de Belley, réside le plus souvent dans son diocèse. Vincent de Paul, qui découvre chez sa nouvelle dirigée une certaine inquiétude face à l’avenir, l’aide à attendre « avec patience, l’évidence de la sainte et adorable volonté de Dieu »21, à se tenir « bien gaie, dans la disposition de vouloir tout ce que Dieu veut »22.

  1. E. 688 – A.1 – Réglement de vie dans le monde
  2. ibid.
  3. E. 687 – ibid.
  4. ibid.
  5. Epousant un simple bourgeois, elle portera désormais le nom de Mademoiselle Le Gras, le titre de Madame étant réservé aux femmes de la noblesse.
  6. Doc. 978 – de Michel de Marillac – 6 mars 1620
  7. Doc. 979 – de Michel de Marillac – 12 août 1621
  8. E. 3 – A.2 – Lumière
  9. ibid.
  10. ibid.
  11. FRANCOIS DE SALES – Traité de l’Amour de Dieu – livre VIII, chapitre III.
  12. E. 690 A. 15 bis – Sur le désir de se donner à Dieu
  13. ibid.
  14. E. 691 – ibid.
  15. FRANCOIS DE SALES – Introduction à la vie dévote – Première partie, chapitre 20
  16. E. 691 A.3 – Acte de protestation
  17. E. 692 – ibid.
  18. E. 696 – A. 7 – Pensées de retraite vers 1628 – 1ére journée
  19. E. 698 – ibid.
  20. E. 762 – A. 49 bis – Oraison pour dire le matin et le soir
  21. Doc. 14 – de Monsieur Vincent – 30 octobre 1626
  22. Doc. 18 – de Monsieur Vincent – 9 février 1628

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