Accueillir l’Esprit d’Amour
Louise de Marillac semble avoir découvert tardivement le rôle de l’Esprit Saint, l’ardeur de son Amour, sa puissance d’action dans les âmes et dans l’Eglise. Sa retraite de 1657 laisse percevoir cette prise de conscience et sa relation à l’Esprit en tant que troisième personne de la Sainte Trinité.
Louise de Marillac, il est vrai, a toujours eu une « affection toute particulière pour la fête de la Pentecôte »1, car, cette fête lui rappelle les événements importants qui se sont passés en ce jour et « les grâces signalées que Dieu lui a faites en son particulier »2.
Le dimanche de Pentecôte 1623, Dieu est venu illuminer la nuit obscure dans laquelle elle se trouvait depuis de longs mois. Cette Lumière subite l’a éblouie. Dans le compte-rendu qu’elle a rédigé quelques années plus tard, Louise ne parle que de Dieu : »C’était Dieu qui m’enseignait »3. L’Esprit Saint n’est pas mentionné. A cette époque, Louise est marquée par une spiritualité abstraite, Dieu est un être lointain : elle parle plus de sa justice que de son amour4.
La fête de la Pentecôte est aussi liée à un autre événement survenu en juin 1642. La chute d’un plancher de la maison Mère des Filles de la Charité est perçu par Louise comme un nouvel appel de Dieu. Là encore, le compte-rendu ne fait nulle mention de l’Esprit Saint, mais parle de Dieu et de sa Providence. « Le jour et le temps que notre bon Dieu a permis de reconnaître sa divine Providence, par des événements si remarquables, en la chute de notre plancher, m’a remis devant les yeux le grand renversement intérieur que j’eus, lorsque sa bonté me donna lumière et éclaircissement sur grandes inquiétudes et difficultés que j’avais »5. Depuis plusieurs mois, Louise ressentait comme une sorte de lassitude, des difficultés de relation étaient apparues entre elle et Monsieur Vincent surchargé de travail. Elle s’interrogeait sur l’avenir de la Compagnie dont elle assumait la responsabilité. Cet événement est pour Louise, « grâce de Dieu… (qui)…demandait par là quelque chose aux uns et aux autres »6. La chute du plancher agit comme un révélateur. Vincent de Paul et Louise de Marillac comprennent que l’œuvre commencée est bien voulue par Dieu, et qu’ils ont à la poursuivre ensemble pour le soulagement de tous les pauvres.
Dans les lettres qu’elle écrit aux environs de la fête de la Pentecôte, Louise mentionne l’Esprit Saint, mais il est davantage présenté comme l’Esprit de Jésus-Christ : »Priez pour nous, mes chères Sœurs, à ce qu’il plaise à Notre-Seigneur Jésus-Christ nous donner son Esprit à cette sainte fête, à ce que nous en soyons si pleines, que nous ne puissions rien dire ni faire que pour sa gloire et son saint Amour « 7.
Louise de Marillac a aussi l’habitude de faire sa retraite spirituelle entre l’Ascension et la Pentecôte. Elle souhaite se tenir dans les mêmes « dispositions (que) les Saints Apôtres pour recevoir le Saint-Esprit, principalement de leur tranquillité à l’attendre »8 Cependant sa réflexion au cours de ces retraites s’oriente davantage vers la recherche et l’adhésion à la volonté de Dieu qu’à la compréhension du rôle de l’Esprit. Elle note tout simplement à la fin de sa retraite de 1632 : « Je dois persévérer en l’attente de Saint Esprit, bien que je ne sache point le temps de sa venue »9. Louise croit en l’Esprit Saint, mais ses méditations, ses prières sont orientées vers le Fils de Dieu et sa sainte humanité.
Il faut attendre 1657 pour voir une retraite totalement consacrée à la réflexion sur l’Esprit Saint : comment se disposer à le recevoir, quelques moyens prendre pour avoir part à sa venue, comment reconnaître que l’on a reçu l’Esprit. Louise, après chacune de se oraisons, en fait fidèlement le compte-rendu. Il est donc possible de suivre son cheminement, sa découverte progressive.
L’Esprit Saint, note-t-elle après la deuxième oraison, vient donner effet, puissance aux dons reçus au Baptême. Mais les âmes peuvent refuser ce don de l’Esprit, et comme Jésus l’explique dans la parabole des talents, tout leur sera ôté. Alors, elles seront conduites uniquement par leurs sens et passions. Agissant ainsi, elles se mettent hors du Dessein de Dieu. « Oh combien de fois ai-je été en cet état, et ainsi me suis-je tirée de l’ordre des desseins de Dieu qui sont grands sur les âmes leur envoyant le Saint Esprit, ce qui m’a fait voir que tous les désordres de la vie sont manque de s’être bien donné à Dieu pour la réception du Saint Esprit »10.
Elle regarde alors les Apôtres attendant la venue de l’Esprit. Elle constate que Notre Seigneur leur a enseigné « le détachement de la tendresse de sa présence »11. Elle comprend la nécessité de faire le vide en soi, de renoncer au péché, à toutes ses mauvaises habitudes, afin de laisser toute place à l’Esprit. « Pour être en état de non résistance, il faut être comme les Apôtres dans l’obéissance, dans un véritable aveu d’impuissance et entièrement détaché de toute créature, et de Dieu même quant aux sens, puisque le Fils de Dieu même, qui les a disposés à la réception du Saint-Esprit, les a mis en cet état, les privant de sa sainte et divine présence par son Ascension »12. Elle comprend qu’il lui faut « travailler tout de bon à ôter de son âme tous les empêchements (à la venue de l’Esprit), et agir ou plutôt laisser agir pleinement la grâce que l’Esprit Saint veut répandre dans toutes les puissances de notre être »13. Cela ne peut se faire que si elle accepte de détruire en ce qu’elle nomme « mauvaises habitudes ». Désireuse de ne pas mettre obstacle à la venue de l’Esprit, mais connaissant son impuissance, sa pauvreté, Louise s’adresse au Dieu de toute Lumière, de toute Humilité, de tout Amour :
« Ôtez mon aveuglement, Lumière éternelle ;
simplifiez mon esprit, Unité parfaite ;
humiliez mon cœur pour fondement à vos grâces.
Que la puissance d’aimer que vous avez mise en mon âme,
ne s’arrête plus au dérèglement de ma propre suffisance
qui n’est, en effet, qu’impuissance et empêchement au pur Amour
que je dois avoir par l’infusion du Saint Esprit. »14
Dès le deuxième jour, Louise se laisse emporter de joie par la découverte de la splendeur du don de Dieu, qui la fait vivre de la vie même de Dieu. « Y a-t-il rien de plus excellent au Ciel et en la terre que ce trésor. Comment vivre en homme déraisonnable après s’être toute donnée pour disposer à ce bien infini ! Ne devrais-je pas désirer mourir, ô mon Dieu, le recevant ! Vivre tant qu’il vous plaira, mais de votre vie qui est toute d’amour. Que ne me puis-je écouler dès ce monde dans l’océan de votre être divin ! Au moins si je suis si heureuse de recevoir Esprit Saint, oh combien je le dois désirer, et de tout mon cœur « 15 Elle souhaite que l’Esprit de Dieu, ce feu ardent, vienne détruire tout ce qu’il y a de mauvais en elle, et qu’il rétablisse, fortifie, développe les grâces reçues au Baptême. Dans un élan vibrant d’amour, Louise s’adresse à la Trinité, sûre d’être mieux entendue : » Père Éternel, je vous demande cette miséricorde par le dessein que vous avez eu de toute éternité de l’Incarnation de votre Fils, et par ses mérites. Mon Sauveur, accordez-moi cette grâce par l’amour que vous portez à la Sainte Vierge. Très Saint Esprit, obtenez-moi cette merveille en ce sujet indigne par l’union amoureuse que vous avez de toute éternité avec le Père et le Fils. »16
Si Louise de Marillac découvre toute la splendeur du don de l’Esprit, elle ne veut pas en jouir égoïstement. Ce don est en vue de la gloire du Fils de Dieu. « Nous ne devons rien prétendre dans la réception de ses grâces plus particulières, que la gloire de son Fils, puisque Notre-Seigneur nous l’a enseigné en la personne de ses Apôtres auxquels promettant son Saint-Esprit, il les assure que, par lui, il sera glorifié »17. Après la Pentecôte, les Apôtres ont proclamé hautement la Bonne Nouvelle apportée par Jésus et ont affirmé sa Résurrection. Louise comprend que toute sa vie doit être louange au Dieu Trinité, au Christ Vivant, à l’Esprit d’Amour, tant par ses paroles que par ses actions.
Au cours de sa troisième journée de retraite, Louise réfléchit aux « marques » qui permettent de reconnaître que l’on « a participé à la réception de l’Esprit »18. Considérant « qu’un des effets du Saint Esprit en Dieu est l’union »19, Louise tourne son regard vers la Trinité. La personne du Saint Esprit est en l’essence divine et Louise contemple la parfaite union des trois personnes de la Sainte Trinité.
Se souvenant que Dieu a créé l’homme à son image et ressemblance, lui donnant l’intelligence, la volonté et la raison, Louise de Marillac pense que l’Esprit Saint est aussi, pour l’être humain, facteur d’unité. « Le Saint Esprit, par sa puissance unitive, donne à la volonté la facilité d’unir parfaitement en sorte qu’il n’y ait en l’âme aucun dérèglement, ce qui la rend toujours dans l’excellence de son premier état en la création, participante de cette première gloire qui honore la gloire éternelle de Dieu, après la copieuse Rédemption pour le péché ».20 L’homme retrouve l’excellence de son être, voulu par Dieu en la Création, rétabli par l’Incarnation et manifesté encore par l’effusion de l’Esprit.
Alors Louise souhaite que tout homme puisse parvenir à la plénitude de son humanité. Elle ne craint pas de penser que le Christ, même si Adam n’avait pas péché, serait venu sur terre, pour dire cette splendeur de l’homme. « Le dessein de la Sainte Trinité était que le Verbe s’incarnerait dès la création de l’homme, pour le faire parvenir à l’excellence de l’être que Dieu lui voulait donner par l’union éternelle qu’il voulait avoir avec Lui, comme état le plus admirable de ses opérations extérieures. »21
Un autre effet de la présence de l’Esprit en l’âme est « l’ardeur de l’amour » qui donne la possibilité de témoigner de « celui de qui l’ignominieuse mort a rempli d’étonnement tout le monde »22. L’Esprit donne la force d’agir et de parler même lorsque les moyens humains semblent manquer. L’Eglise, qui a pris naissance au jour de la Pentecôte, lors de l’effusion de l’Esprit, est le lieu de soutien pour la foi des chrétiens. « Qu’est-ce donc de plus en cette venue de l’Esprit Consolateur que le Père enverra par vous ? O secret profond et inscrutable ! Trinité parfaite en puissance, sagesse et amour, vous acheviez l’œuvre de l’établissement de la Sainte Eglise que vous vouliez rendre Mère des croyants, « 23. L’Esprit vient confirmer aux chrétiens que le Christ est tout à la fois Dieu et Homme, il leur donne la force nécessaire pour vivre en véritables croyants. De plus, il les entraîne dans un témoignage de vie, pour la plus grande gloire de Dieu. Tout ce que l’Esprit enseigne doit être révélé au grand jour, par la parole et surtout « par les actions parfaites de véritables chrétiens »24. Louise affirme que c’est un honneur et un bonheur d’être ainsi appelées à témoigner du Christ mort et ressuscité.
L’engagement de vie de Louise et des Filles de la Charité est bien présent à toute sa réflexion théologique. Sa Foi éclaire, oriente, dynamise sa pratique quotidienne, son action caritative. « En toutes nos actions, honorons Notre-Seigneur par le témoignage qu’il veut que nous rendions de lui, faisant les actions qu’il a faites sur la terre, auxquelles il appliquera le mérite des siennes par son amour, voulant par ce moyen que les Chrétiens aient dès cette vie l’union avec Dieu qu’il nous a méritée. »25
Louise apprend aux Filles de la Charité à se préparer très simplement à la venue de l’Esprit Saint. « Les âmes vraiment pauvres et désireuses de servir Dieu doivent avoir une grande confiance que le Saint-Esprit venant en elles et n’y trouvant point de résistance, les mettra en disposition convenable pour faire la très sainte volonté de Dieu qui doit être leur seul désir »26. Louise assure aux Sœurs, car elle en est convaincue, que l’Esprit, venant en elles, leur communiquera toute l’ardeur de son amour, détruira en elles tout ce qui s’oppose à l’action de Dieu, » y établira les lois de la sainte charité, et donnera force d’agir par dessus la puissance humaine »27. Louise a une perception très forte et tout intérieure de l’Amour divin, c’est pour elle une source vive d’énergie : » Je supplie la bonté de Notre-Seigneur disposer nos âmes à la réception du Saint Esprit, à ce que, brûlantes du feu de son saint amour, vous soyez consommées dans la perfection de cet amour, qui vous fera aimer la très sainte volonté de Dieu. »28 Comme les écrivains bibliques, Louise reconnaît que « Dieu est un feu dévorant »29.
Dans le quotidien de leur vie, les Sœurs sont invitées à laisser ce feu divin envahir leur être, à accueillir la plénitude de l’amour que l’Esprit vient répandre dans leur cœur. C’est dans cette relation qu’elles trouveront force, énergie, initiative, créativité pour accomplir leur service d’Amour auprès de ceux qui souffrent de la pauvreté sous toutes ses formes anciennes et nouvelles.
- E. 338 – A Monsieur Vincent – sans date
- E. 125 – A Monsieur Vincent – 25 mai 1645
- E. 3 – A. 1 – Lumière
- cf. E. 690 – A. 13 – Sur une peine intérieure
- E. 760 – A. 75 – Sur la conduite de la divine Providence
- E. 761 – ibid.
- E. 349 – A Jeanne Lepintre – 19 mai 1651
- E. 701 – A. 10 – Occupation de l’âme de l’Ascension à la Pentecôte
- E. 713 – A. 5 – retraite – 1632
- E. 807 – A. 26 – Raisons de se donner à Dieu pour recevoir le Saint Esprit – 2 éme oraiosn
- ibid. – 3 éme oraiosn
- E. 793 – A. 25 – Pureté d’amour nécessaire à la reception du Saint Esprit
- E. 807 – A. 26 – Raisons de se donner à Dieu pour recevoir le Saint Esprit – 3 ème oraison
- ibid.
- E. 808 – ibid. – 4 éme oraison
- ibid.
- E. 793 – A. 25 – Pureté d’amour nécessaire à la réception du Saint Esprit
- E. 808 – A. 26 – Raisons de se donner à Dieu pour recevoir le Saint Esprit – 3 éme journée
- ibid.
- E. 809 – ibid. – 5 éme oraison
- ibid.
- E. 793 – A. 25 – Pureté d’amour nécessaire à la réception du Saint Esprit
- E. 809 – A. 26 – Raisons de se donner à Dieu pour recevoir le Saint Esprit – 6 éme oraison
- E. 810 – ibid.
- ibid.
- E. 793 – A. 25 – Pureté d’amour nécessaire pour la réception de l’Esprit Saint
- ibid.
- E. 351 – A Anne Hardemont – mai 1651
- Heb. 12, 26