Le but de cette étude n’est pas de faire un parallèle entre les deux saints, et encore moins de résoudre la délicate question de la dépendance de la spiritualité salésienne par rapport á la spiritualité vincentienne. Nous voulons seulement mettre en relief les ressemblances existant dans les vies de nos deux saints et dans leur spiritualité, en nous basant sur ce travail de Don Bosco. Il y révélé le critère qui a guidé son choix dans les thèmes traités et dans la coloration et l’esprit qu’il leur a donnés. Pour rendre plus facile l’établissement d’un tel parallèle, nous partirons du texte de Don Bosco: en décrivant St. Vincent, il se décrit lui-même. Cette présentation suppose évidemment que le lecteur connait la vie et l’esprit de Don Bosco et qu’il sait remarquer lui-même les coïncidentes lorsque Don Bosco parle de St. Vincent.
«Sa taille était médiocre mais il était bien proportionné, avait la tété grosse, le front large, les yeux vifs, le regard très doux, la démarche grave, et la nature lui avait donné un air d’affabilité que la vertu avait embelli. Dans ses manières et sa tenue se manifestait une simplicité naturelle, signe de la paix et de la droiture de son cœur. Son tempérament était bilieux et sanguin et sa complexion était très robuste”.
«Il avait le cœur noble, généreux, tendre, libéral, plein de compassion, plein de constante dans les événements imprévus. Il était sans peur quand il s’agissait de remplir son devoir, toujours en garde contre la séduction des honneurs, toujours prêt á écouter la voix des pauvres, pour qui il ne montra jamais ni froideur ni mauvaise humeur: on aurait dit qu’il ne vivait que pour le soulagement des malheureux et le secours des affligés. Cette bonté d’âme lui valut de profondes amitiés avec tous ceux qui aimaient la vertu solide. Cela ne l’empêchait pas d’avoir un empire quasi absolu sur ses passions, il laissait á peine apercevoir qu’il en avait. Il était un Père plein de bonté et de tendresse á l’égard de tous ses fils dans la Congrégation et dans son immense famille, il n’y eut jamais rien qui pût donner lieu pour des frères á un mouvement de jalousie. On peut affirmer sans se tromper qu’il n’a pas existé de longtemps un homme engagé comme lui dans une telle quantité d’affaires de toutes sortes. Obligé de traiter avec un nombre infini de personnes de tout genre, de toute condition, il était exposé aux occasions les plus délicates et les plus dangereuses, mais sa vie n’a jamais fait l’objet du moindre soupçon, il était au contraire entouré d’une estime universelle».
«Il avait l’esprit très grand, circonspect, porté aux grandes choses, il était difficile á surprendre. Quand il s’appliquait sérieusement á une affaire, il en pénétrait toutes les imbrications, il en découvrait toutes les circonstances petites ou grandes, il en prévoyait les inconvénients et les conséquences, mais il évitait autant que possible de manifester sur le moment son sentiment. Avant de donner son avis, il pesait les raisons pour et contre, consultait Dieu dans la prière, il en conférait avec ceux qui étaient en mesure de lui communiquer leurs lumières. Ce caractère absolument opposé á tout ce qui peut avoir un air de précipitation, lui permettait d’éviter tout faux pas, ce qui lui permit de faire un grand bien. Il ne s’effrayait ni ne s’inquiétait de la multitude ni de la difficulté des affaires, mais il les suivait avec une force d’esprit capable de surmonter tout obstacle; il s’y appliquait avec une lumineuse sagacité, il en portait le poids, les soucis, la lenteur, avec une tranquillité dont seules les grandes âmes sont capables. Lorsqu’il avait á traiter de quelque matière importante, il écoutait avec grande attention ceux qui parlaient, sans jamais les interrompre, et si quelqu’un lui coupait á lui-même la parole, il se basait sur ce principe d’humilité et de politesse, qui consiste á se taire quand un autre parle, et s’arrêtait tout aussitôt et gardait le silence jusqu’á ce que l’autre ait cessé de parler, et alors seulement il reprenait le fil de son discours avec une patience d’esprit admirable. Ses raisonnements étaient justes, précis et pleins de vigueur. Il s’exprimait avec une certaine éloquence naturelle propre á émouvoir et á attirer á lui ceux qui I ‘écoutaient, surtout quand il s’agissait de les entrainer au bien. Il exposait les questions les plus difficiles avec un tel ordre et une telle clarté, particulièrement en matière de spiritualité ou de sciences ecclésiastiques, que les plus experts s’en émerveillaient. Il était consommé dans l’art de s’accommoder á tous les caractères et de se mettre á la portée de toutes les capacités: aussi notre Vincent balbutiait avec les petits enfants, et il tenait les raisonnements les plus sublimes avec les parfaits. Dans les discussions peu importantes, l’homme médiocre pouvait se croire á son niveau alors mémé qu’il était question des plus grandes affaires, mais les plus beaux génies de son siècle ne l’ont jamais trouvé inférieur á eux».
« II était ennemi des manières de parler peu franches ou ambigües, il disait les choses comme il les pensait, mais chez lui la sincérité ne heurtait jamais la prudence.
«II savait se taire quand il pensait qu’il était inutile de parler. II ne lui échappait aucune parole qui pût sentir l’âpreté ou la mésestime ou le manque de charité pour quelque personne que ce fût. En général son caractère était éloigné de la singularité, des imitations de la mode ou des nouveautés. II avait pour principe que quand les choses vont bien, il n’est pas nécessaire de les changer facilement sous prétexte de les améliorer, suivait les manières de faire et les sentiments du commun surtout en matière de religion. « L’esprit humain, disait-il, est prompt et inquiet, et les esprits les plus vifs et les plus éclairés ne sont pas toujours les meilleurs, s’ils ne sont pas des plus circonspects: on chemine en sécurité quand on suit le gros des sages».
II ne s’arrêtait pas á l’extérieur des choses, mais il en examinait la nature, la fin et les conséquences, et par le bon sens supérieur qui dominait en lui, il distinguait parfaitement le vrai du faux, le bon du mauvais, le meilleur du moins bon, même quand on les lui présentait sous les mémés formes et apparences. De là venait qu’il avait un singulier talent de discernement des esprits, et une grande pénétration pour saisir les qualités bonnes ou mauvaises de ceux dont il avait á rendre compte».
«Il disait qu’un procès est un morceau dur á digérer, et que le meilleur ne valait pas un accommodement. « Nous n’engageons des procès que le moins que nous pouvons, écrivait-il á l’un des siens qui s’était enferré de lui-même dans une affaire qui avait mal tourné, et quand nous sommes contraints á le faire, cela n’arrive qu’après avoir pris conseil á l’intérieur et á l’extérieur, car nous aimons mieux perdre du notre que de scandaliser le prochain».
«Il s’était proposé Jésus-Christ comme modelé: l’Evangile était toute sa morale, toute sa politique, tout son comportement, et ceux qui l’ont le plus fréquenté regardaient comme étant pour lui une véritable devise, ces paroles qu’un excès d’amour lui avait fait prononcer un jour: « Rien ne me plait qu’en Jésus-Christ».
«Une attitude pieuse de toute la personne, et la modération dans les paroles sont les deux bases sur lesquelles nous pouvons nous former un caractère chrétien et religieux, faisant en sorte que paroles et actions soient toujours gouvernées par les maximes de l’Evangile».
«St. Vincent est persuadé que le disciple n’est pas parfait si, quand il veut ressembler á son maitre, il ne s’impose pas de l’avoir continuellement devant les yeux. Il l’exprimait dans ses paroles, dans ses actions et il suivait autant qu’il est permis á un mortel de le faire, les chemins difficiles que nous a enseignés le Sauveur. Il l’exprimait dans les conseils qu’il était obligé de donner, s’efforçant de n’en donner aucun que le Fils de Dieu aurait pu désapprouver. Il l’exprimait avec fermeté, foulant aux pieds l’amour propre et la crainte de voir sa conduite blâmée par ceux qui préfèrent la gloire venant des hommes á la gloire de Dieu. Avec soumission il recevait le bien et le mal dans une parfaite indifférence. Avec son zélé pour le salut des âmes, résolu á courir et faire courir á la recherche de la brebis perdue jusqu’aux portes de l’enfer, il pouvait espérer la ramener».
«Il disait bien haut la bassesse de sa naissance, il se qualifiait d’ignorant, et il détestait les paroles pompeuses et le faste de l’éloquence mondaine».
«II y avait dans ses paroles je ne sais quelle onction de l’Esprit-Saint qui remuait les cœurs de tous ceux qui l’écoutaient. Certains d’entre eux disaient aux missionnaires: « Que vous étés heureux de voir et d’entendre tous les jours un homme si rempli de l’amour de Dieu!».
«Les enfants eux-mêmes qui s’ennuient facilement á écouter des raisonnements sérieux, avaient plaisir á l’entendre».
Probatio dilectionis exhibitio est operis. C’est pour cela que le saint prêtre exhortait ses confrères á aimer Doeu á la force de leurs bras et á la sueur de leur visage».
Totum opus nostrum in operatione consistit. L’apôtre enseigne que les bonnes actions sont les seules qui nous accompagneront dans l’autre vie. Réfléchissons bien á ceci, d’autant plus que de nos jours il y en a beaucoup qui paraissent vertueux et qui le sont en fait, mais qui sont toutefois inclinés á une vie douce et molle au lieu de s’adonner á une dévotion solide et laborieuse ”.
II conjurait les siens par les entrailles de la charité de Jésus-Christ de respecter les ordres établis dans l’Eglise, de bannir de leur cœur l’envie, la jalousie et autres passions semblables, qui ne s’accordent pas avec l’humilité. Ni avec la charité que nous devons au prochain. D’où ces belles paroles qu’il répétait souvent: « J’aimerais mieux perdre cent établissements que d’empêcher un seul établissement d’une autre communauté».
«Celui á qui des personnes sont confiées doit leur procurer l’enseignement des vérités de la foi, et là où il démotiver de la négligence, qu’il s’arme d’un saint zélé pour combattre cette ignorance des vérités de la religion, de façon á faire disparaitre aussi les désordres du péché.
« On n’a jamais vu une altération sur son visage, ni de l’âpreté dans ses paroles, ni quelque signe d’ennui dans son extérieur. On l’a vu interrompre un entretien avec des personnes de qualité pour redire jusqu’à cinq fois la même chose á quelqu’un qui ne comprenait pas, et á la dernière reprise, c’était avec autant de sérénité qu’á la première. On l’a vu, sans l’ombre d’une impatience, écouter de pauvres personnes qui s’exprimaient mal et n’en finissaient pas, et donner lui-même á leurs paroles le peu de bon sens qu’on pouvait y trouver. On l’a vu se laisser déranger jusqu’à trente fois dans la même journée par des scrupuleux venus lui répéter toujours la même chose en des termes différents, et les écouter jusqu’á la fin avec une inaltérable patience, leur écrire alors parfois de sa propre main ce qu’il leur avait dit, et le leur expliquer plus longuement, s’ils ne l’avaient pas bien compris; finalement il lui arrivait d’interrompre son office ou de prendre sur son sommeil pour ne pas manquer cette occasion de faire un sacrifice qui devait coûter assez á un homme occupé á tant d’affaires. C’est avec les hérétiques que la douceur lui semblait la plus nécessaire. Il disait que dans les controverses, celui contre qui on dispute est persuadé de la vérité de ce qu’il avance, et s’il se rend compte que l’on cherche á prévaloir sur lui au lieu d’entrer dans son esprit, il ferme ordinairement la porte de son cœur, au lieu que la douceur et l’affabilité l’auraient ouverte: l’exemple de St. Frarwois de Sales était une preuve palpable de cette vérité, car ce prélat, bien qu’il fût très habile dans la controverse, avait ramené plus d’hérétiques par sa douceur que par le moyen de sa science; á ce propos le cardinal du Perron disait que pour lui, se sentait capable de convaincre les novateurs, mais pour les convertir, il n’y avait que Monseigneur de Genéve. Finalement disait St. Vincent, je n’ai jamais vu ni entendu dire qu’aucun hérétique se soit converti par la force de la discussion ou la subtilité des arguments, mais par la douceur, car telle est la force de cette vertu pour gagner les hommes á Dieu
«On peut dire qu’à la sainte messe il servait de modèle aux prêtres les plus exacts. Il prononçait toutes les paroles d’une manière si distincte et avec tant d’affection qu’on se rendait bien compte que son cœur était en accord avec ses lèvres. Sa modestie, le ton avec lequel il prononçait les paroles qui rappellent au prêtre ses propres fautes mais aussi sa dignité, la sérénité de son visage quand il se tournait vers le peuple pour lui annoncer la paix ou la bénédiction du Seigneur, en un mot son extérieur faisait impression sur les esprits les moins ouverts aux choses spirituelles; on croyait voir un ange á l’autel».
Notre saint était ennemi de la précipitation: il avait l’habitude de dire que la rapidité dans les délibérations amenait á faire des faux pas, mais lorsqu’il avait décidé quelque chose, il était aussi prompt á exécuter qu’il avait manifesté de lenteur et de circonspection pour l’examiner
« Il était l’ennemi implacable de la sensualité qu’il combattait jusque dans ses apparences. « Ti ne se trouve pas de vice, disait-il á ses fils, plus opposé á l’esprit qui doit vous animer, et qui soit plus capable de vous faire perdre l’amour de votre vocation. Un missionnaire doit vivre comme s’il n’avait point de corps, il ne doit craindre ni la chaleur, ni le froid, ni les maladies, ni la faim, ni les autres misères de l’existence. Il doit s’estimer heureux de souffrir quelque chose pour Jésus-Christ, et s’il fuit les travaux, la fatigue et les incommodités, il est indigne du nom qu’il porte et ne peut plus servir á rien. Un petit nombre de prêtres qui auront renoncé á leur corps et á leurs satisfactions feront un bien incomparablement plus grand que n’en feraient une foule d’autres qui n’auraient comme préoccupation que celle de leur santé. Ceux-ci se croient sages, mais leur sagesse est charnelle, ce sont des esprits de chair. Malheur á celui qui fuit les croix, parte qu’il en rencontrera de si pesantes qu’elles I ‘écraseront ».
«Vincent qui se considérait comme un serviteur inutile, était si occupé du matin au soir que sa vie n’était qu’une longue suite de bonnes oeuvres. Un autre homme que lui, tout aussi laborieux mais moins soutenu par la grâce aurait succombé sous le poids d’une telle multitude d’affaires. On ne peut pas s’imaginer comment un homme, perclus d’infirmités, a pu s’adonner á tant d’occupations si diverses, sans jamais laisser de côté ses exercices de piété, mener á bien un si grand nombre d’affaires sans rapport entre elles, répondre á une quantité prodigieuse de lettres qu’il recevait de partout, et enfin suivre avec attention les compagnies qu’il avait fondées. Ses occupations étaient parfois traversées de contretemps, mais il savait admirablement remettre toutes choses en ordre. Il saisissait l’occasion de quel qu’autre bien, sans toutefois perdre de vue celui dont il avait formé le projet ».
« II ne nous reste qu’une petite partie des lettres qu’il a écrites á destination de la France, l’Italie, la Barbarie et pour des pays encore plus lointains, mais elles sont pourtant déjà en si grand nombre, que nous sommes effrayés de leur quantité et de la variété des sujets sur lesquels il avait á donner une réponse».
«Dans le tracas de ses occupations et au milieu de I ‘importunité d’une foule de personnes de toutes conditions qui l’assiégeaient, apparaissait toujours l’homme qui savait donner la paix et les paroles de consolation».
«Il est prudent le chrétien qui tient bien en ordre les affaires de son âme. Il sera également prudent celui qui sait se conduire et donner des conseils selon les maximes de la religion, mais malheur á celui qui n’est prudent que pour les choses du monde et néglige celles de l’âme, ou qui adopte comme réglé de son action son bon plaisir ou le caprice des hommes. En voilà qui seront bien désillusionnés au moment de la mort».
«Pour garder la pureté, il avait adopté comme réglé de ne faire visite á aucune femme, fût-elle une des dames de son assemblée, á moins que la gloire de Dieu ne l’ait exigé ».
«Il s’était imposé d’être bref dans les entretienne qu’il pouvait avoir avec des personnes du sexe, et il était extrêmement modeste. Ses regards ne se fixaient jamais sur elles et ne dénotaient en lui aucune légèreté, il tenait les yeux baissés sans effort et sans affectation, et il ressemblait alors á un ange plutôt qu’á un homme».
«Toutefois il devait assez souvent traiter avec des personnes qui avaient besoin de consolation, il ne se servait pas de ces expressions affectueuses qui auraient pu produire un mal en voulant en guérir un autre. « Je veux bien croire-disait-il en parlant d’une lettre trop tendre sur laquelle on l’avait consulté – je veux bien croire que la personne qui vous a écrit en des termes aussi remplis de tendresse ne pensait pas á mal, mais je dois bien avouer que cette lettre est capable d’émouvoir un cœur qui y serait disposé et qui serait moins fort que le vôtre. Daigne le Seigneur nous préserver de l’influence d’une personne qui pourrait provoquer quelque altération de notre esprit».
«Le terme même de Chasteté ne lui paraissait pas suffisamment expressif, il le remplaçait par celui de Pureté qui a sens plus étendu. Il entreprenait parfois de freiner les désordres de ces victimes du libertinage qui se perdent en causant avec la leur, la perte de tant d’autres. Il n’en parlait qu’en les appelant « ces pauvres créatures » et il ne parlait de leur inconduite qu’en I’appelant un malheur ou une faiblesse».
«Ne vous aventurez jamais á toucher une jeune fille ou une femme sous quelque prétexte que ce soit».
«Notre Saint exigeait que l’on s’abstint non seulement des actions permises mais même qui toutes bonnes et saintes qu’elles fussent pouvaient au jugement des supérieurs donner lieu á des soupçons. En effet, parmi tous les soupçons justes ou injustes qui peuvent s’attaquer á la réputation d’un prêtre, á ses talents, á ses emplois, il n’en est pas de plus funeste que celui qui répand des doutes sur la pureté de ses mœurs».
«Celui qui veut garder cette précieuse vertu de pureté doit s’abstenir de manière très rigoureuse de traiter avec des personnes d’un autre sexe de maniéré familière. Il doit aussi s’abstenir de toute parole qui pourrait être mal interprétée dans le domaine dont il est question».
«Un enfant qui lui avait indiqué la route, un frère qui lui avait allumé la lampe ou qui lui avait rendu quelque service encore moindre pouvait être sûr d’en recevoir des remerciements. Quelque fût le profit qu’on avait eu á s’entretenir avec lui, il était reconaissant á ceux qui venaient le retrouver. « Je vous remercie disait-il á certains- de ne pas mépriser la viellesse,-et á d’autres-d’ avoir eu la patience de me supporter et de m’écouter».
«Les sentiments de gratitude qui le dominaient étaient la seule chose qui pût lui faire oublier l’austérité des règles qu’il s’était prescrites ».
«Vincent aimait et honorait l’état ecclésiastique dans tous ses degrés. Il respectait Jésus-Christ dans la personne du premier des Pasteurs qui le représente sur la terre.
«Relativement aux évêques, c’était pour lui chose inconcevable de ne pas leur obéir. Il s’était habitué á honorer en leur personne, la majesté de Celui dont ils tiennent la place, et il ne voyait en eux, que ce qui pouvait les rendre á ses yeux dignes de respect».
«Il avait pour maxime de faire du bien á tous et de ne faire du mal á personne, mais quand il s’agissait des ministres de Dieu, il donnait á cette maxime une application la plus étendue possible».
«Gardons nous bien d’être de ceux qui, employant leur existence á toute autre affaire qu’aux choses d’Eglise, se permettent de censurer les dits et les faits de l’autorité de l’Eglise, blasphémant ainsi sur des matières auxquelles leur ignorance ne comprend rien. Gardez vous – dit le Seigneur – gardez vouz d’attaquer mes ministres en parole ou en acte: nolite tangere christos meos, parce ce que vous dites ou faites contre eux, c’est le faire pareillement contre moi. Qui vos spernit, me spernit».
«Proposons nous cette année de prendre un temps de retraite pour faire les exercices spirituels, et autant que nos occupations nous le permettront, employons au moins une journée pour mettre ordre aux affaires de notre conscience, de façon á nous mettre en l’état où nous désirerions être au moment de notre mort ».
«La simplicité dans les instructions que l’on donne au peuple, était un point sur lequel il insistait souvent. On ne peut lire ses lettres ou ses conférences sans se rendre compte qu’il craignait que ses fils n’aient le malheur de s’éloigner de cette simplicité pour se faire un nom, en débitant des discours pompeux, comme faisaient beaucoup de prédicateurs. Il recommande aux siens de bannir autant que possible de leurs sermons, tout ce qui peut sentir l’esprit mondain, l’affectation, la vanité. Parmi les nombreuses raisons qu’il leur donne il dit que les beautés naturelles ont beaucoup plus d’attrait que les beautés artificielles, soulignées de couleurs empruntées, de même les sermons simples et communs sont beaucoup mieux accueillis que ceux qui sont pleins d’afféteries et d’artifices ». »Appliquez vous – disait-il – á prêcher comme Jésus-Christ. Ce divin Sauveur, qui était le Verbe et la Sagesse du Père éternel, aurait pu s’il l’avait voulu parler des plus sublimes mystères de notre foi, en des termes adaptés á cette sublimité. Mais nous savons qu’il a parlé simplement et humblement pour s’adapter au peuple, et nous laisser un modèle de la maniéré dont sa sainte parole doit être donnée. Ce grand Maitre, au moment d’envoyer ses apôtres prêcher l’Evagile leur recommande la simplicité de la colombe, comme une des vertus dont ils auront le plus besoin, tant pour attirer les grâces du ciel, que pour disposer les hommes á les écouter et á les croire».
«II existe un proverbe qui dit qu’il est bon de s’aider soi-même, aussi quelqu’un lui écrivait que, s’il voulait que la Congrégation ait de bons sujets, il fallait l’établir dans les grandes villes. Le Saint rejeta une telle proposition en disant: « Nous ne devons faire aucune avance pour nous établir en un lieu, si nous voulons nous en tenir aux voies de Dieu et aux usages de la Compagnie. Jusqu’á présent, c’est la Providence qui nous a appelés dans tous les lieux où nous sommes, sans que l’ayons recherché ni directement ni indirectement».
«Vincent n’entreprenait rien sans recourir á Dieu par de ferventes prières, il écoutait volontiers et suivait l’avis des autres, il consultait ses inférieurs quand ce qu’il avait á faire pouvait leur être communiqué. Cette loi qu’il s’était imposée de délibérer, de consulter, de soupeser pendant un temps assez long le pour et le contre, le rendait parfois lent á se décider. Mais quand une décision était prise, il n’y avait pas moyen de l’en faire changer, il regardait comme une tentation toute pensée d’abandonner un projet qui avait été sagement concert ».
«Sa fermeté ne le rendait ni désagréable, ni autoritaire. Sévère pour lui-même, il était toute bonté pour les autres, il s’efforçait de leur donner satisfaction en tout ce qu’ils pouvaient raisonnablement attendre de lui. S’il refusait quelque chose, il en avait toujours de la peine, et il le faisait non pas parce qu’il était le supérieur, mais parce qu’il ne pouvait pas l’accorder.I1 expliquait les raisons de son refus, et quand ces raisons venaient á disparaitre il se ressouvenait de la demande qui lui avait été faite. « Il employait toujours, – dit l’un des siens – des paroles fort obligeantes, sans jamais utiliser un ton de commandement, ni des propos qui auraient fait sentir son pouvoir ou son autorité, mais il aimait plutôt prier quelqu’un: Je vous en prie Monsieur, voudriez-vous faire ceci ou cela. Quand il m’arrivait de partir pour quelque voyage ou d’en revenir, je me retrouvais comme tout embaumé de ses embrassements et de l’accueil cordial qu’il me réservait. Ses paroles toutes pleines d’onction spirituelle, étaient si douces et en même temps si efficaces, qu’elles m’amenaient á faire sans aucune résistance tout ce qu’il voulait».
«Le Brand catéchisme qui se fait dans les Missions est destiné á l’instruction des personnes d’un certain âge, aussi il s’en fait pour profiter, on leur parle d’une maniéré adaptée á leur intelligence, on les encourage par des prix qui sont la récompense de leur sagesse et de leur assiduité. Cet exercice important se termine par des cantiques: la dévotion y gagne doublement car la doctrine se retient de maniéré agréable et d’autre part, cela fait oublier les mauvaises chansons».
«Il y a un lien nécessaire entre zélé pour la gloire de Dieu et le zélé du salut des âmes. “Qui devrait se regarder comme un homme dévoré du zélé de la gloire de Dieu – demande S. Augustin – C’est celui, – dit le même docteur – qui désire ardemment empêcher que Dieu soit offensé, qui procure réparation des offenses qu’il n’a pu empêcher, et quand il ne peut les faire pleurer par ceux qui les ont commises, il pleure et gémit de voir l’honneur de Dieu atteint ». En nous appuyant sur ce principe, il nous faut convenir que St. Vincent avait á un très haut léger ce double zélé dont nous parlons».
Ses plus proches parents ne reçurent jamais rien de lui. Il fut souvent sollicité d’intervenir en faveur de ses neveux, il répondit toujours qui’il aimait mieux les voir bécher la terre que de les voir profiter d’un bénéfice».
«Pensons á diminuer quelque chose de notre dépense domestique pour en faire profiter les pauvres, particulièrement en ces temps où tant de personnes de tout âge et de toute condition sont dans le besoin».
«Il faut nous persuader qu’au moment de notre mort nous recueillerons le fruit du bien accompli durant notre vie: celui qui aura fait le bien peut s’attendre á une sainte mort, prélude d’une éternité bienheureuse, mais malheur á qui ne s’y prépare pas:
Quae seminaverit homo haec et metet».
On le voyait s’abaisser aux plus humbles tâches du service des pauvres, il exhortait les mourants avec cette éloquence douce, insinuante, persuasive, et qui animée de charité, était récompensée par le succès».
«Faisons du bien pendant qu’il en est temps, car l’oisiveté est la source funeste de toutes sortes de maux: omnem malitiam docet otiositas; ainsi la fuite de l’oisiveté, le fait de s’occuper á des choses agréables á Dieu, conduit á la vertu et au ciel. Ainsi soit-il ».
Nous avons ainsi terminé ce portrait de St Vincent de Paul, qui sous la plume de Don Bosco est devenu á son insu son propre portrait.
CONCLUSION
Que le lecteur ne croie pas qu’il nous a été difficile de trouver des points de ressemblance entre les deux saints. Si nous avons eu quelque peine á le faire cela a été dans le choix proprement dit, car c’est presque á chaque page que nous trouvions des passages qui méritaient d’être relevés. Le motif en est clair: c’est que le biographe d’un personnage connu est porté á choisir dans le personnage en question, les traits caractéristiques correspondant á son propre génie. C’est ainsi qu’a fait Don Bosco en retraçant la vie, les vertus et les œuvres de St Vincent de Paul. De sorte que celui qui voudrait approfondir et compléter le parallèle devrait Tire et méditer tout le livre de Don Bosco.
Il nous est agréable de terminer ces pages, qui ne veulent que signaler un filon précieux parmi les sources de la spiritualité de Don Bosco, par deux synthèses de l’abbé Lemoyne extraites du chapitre mentionné ci-dessus.
Il écrit:
«Don Bosco veut non seulement traiter de la vie de St. Vincent, mais il en étudie une á une les vertus théologiques et cardinales pour en faire une sorte de rappel pour sa propre conduite. De fait, en tenant compte des différences de siècle, et des besoins nouveaux et divers ainsi que de sa vocation spéciale, il reproduit tellement St. Vincent en lui, qu’en parcourant de nombreuses pages de ce livre, un lecteur qui a connu Don Bosco, est porté á mettre son nom á la place de celui de St. Vincent, tellement la ressemblance est parfaite. Ce sont les mémés objets de la plus tendre dévotion, un égal zélé pour la gloire de Dieu, un plein abandon á la divine Providence, le même amour pour les Ordres et Congrégations religieuses, la même charité á l’égard des malheureux, pour instruire les prisonniers, se mettre au service des contagieux, s’adonner á la conversion des hérétiques».
«Don Bosco, comme St. Vincent, se rend á Rome pour présenter ses hommages au Souverain Pontife, pour vénérer la tombe du Prince des Apôtres, et pour visiter les célèbres sanctuaires de la capitale du monde catholique. Comme St. Vincent il prêche non seulement dans les villes mais dans un très grand nombre de villages. Comme lui il a le souci de la formation d’un clergé zélé, il supplée au manque de séminaires et développe de maniéré merveilleuse, les vocations á l’état ecclésiastique et religieux. Comme St. Vincent, il donne audience á une foule de personnes de toute espèce et de toute condition qui recourent á lui pour lui demander conseil, et il écrit tant de lettres qu’il faudrait la vie entière d’un homme pour y arriver. Comme lui, traite avec les souverains et les grands du siècle et se fait admirer par son attitude, et par la franchise avec laquelle il ne cache jamais la vérité.
«Si St. Vincent fait refleurir dans de nombreux monastères l’observance primitive, Don Bosco cherche avec un courage inspiré par la foi, á en sauver des centaines de la suppression dont ils sont menacés par la loi, et il réussit á en préserver un certain nombre. St. Vincent institue la Congrégation des Lazaristes et celle des Filles de la Charité, Don Bosco fonde la Pieuse Société de St. François de Sales et l’Institut des Filles de Marie Auxiliatrice. Si St. Vincent a répandu des trésors considérables pour secourir et soulager les misères extrêmes de provinces entières, le pauvre Don Bosco a trouvé des millions pour les orphelins recueillis en si grand nombre dans ses Asiles et ses Oratoires. Vincent a établi des Confréries et des Assemblées de dames nobles qui devaient l’aider dans ses œuvres de charité, Don Bosco pour la même fin, organise des Coopérateurs et des Coopératrices salésiens. St. Vincent eut par ses sages conseils une influence sur la nomination de saints évêques á la tété des diocèses de France, grâce á Don Bosco, plus de cinquante diocèses en Italie eurent un pasteur tel qu’ils n’en avaient pas eu depuis longtemps. Si Louis XIII voulut être réconforté par St. Vincent au moment de sa mort, le Grand Duc de Toscane Léopold II fut assisté par Don Bosco dans son agonie. Si St. Vincent fut en France l’apôtre de l’infaillibilité du Souverain pontife, Don Bosco s’est rendu tout exprès á Rome pour vaincre les préjugés de certains prélats qui soutenaient que la définition dogmatique de l’infaillibilité était inopportune.
Si St. Vincent, animé par la passion de propager l’Evangile, envoie ses fils en Barbarie, en Ecosse, en Irlande, en Angleterre, á Madagascar et aux Indes, Don Bosco expédie ses salésiens en Angleterre, parmi les primitifs de Patagonie et d’autres régions d’Amérique. Tous deux pendant quarante ans eurent á supporter les mémés maladies douloureuses: la fièvre et l’enflure des jambes.
C’est á cause de ces rapprochements aussi évidents que dans les Congrès catholiques, la France a reconnu et salué Don Bosco comme le nouveau Vincent de Paul du XIXème siècle et que les Conférences, sous le patronage de ce saint, ont appelé Don Bosco et l’ont aidé á ouvrir les hospices de St. Pier d’Arena, de Nice, de Buenos Aires, de Montevideo et d’autres villes encore».