LXXVIII. Temps fâcheux de peste &c.
Telle fut la fin de l’assemblée sexennale et les maisons continuèrent de travailler chacune dans leurs emplois. Toutes les provinces de France, disait M. Bonnet, sont utilement et saintement occupées partout, et chaque famille tâche de s’acquitter avec soin des devoirs de leur fondation. La paix règne partout, malgré les temps fâcheux et critiques auxquels Dieu nous a réservés. On nous drape quelquefois contre la vérité sans sujet dans des Nouvelles publiques ; mais comme ce sont gens inconnus et sans aveu qui débitent ces calomnies, nous tâchons de les supporter chrétiennement et sagement, c’est-à-dire de ne pas nous en plaindre et de les mépriser comme elles sont en effet méprisées de toutes les personnes de bon sens. Ceci regarde visiblement ce qui se lisait dans le supplément des gazettes de Hollande, débité chaque mois en ce temps-ci. On y voyait souvent certains faits annoncés mêmes sur lecompte du général, un des principaux et celui du supérieur de Marseille, à qui innocemment et sans songer à rien, on avait adressé de Paris une commission de payer à l’acquit d’une personne qui était en Pologne, une certaine somme à un sien frère, restant chez Mgr l’évêque de Senez1 un des quatre premiers prélats appelants, aussitôt on débita dans ces nouvelles, que ce supérieur était le caissier général pour faire tenir des remises notables aux appelants, dans toute la Provence pour soutenir le parti. La seule vérité écrit M. Bonnet, du 26 Xbre 1719, doit faire impression et le mensonge est toujours confondu.
L’année suivante, on fut frappé d’un autre fléau de Dieu, chacun sait que la contagion se déclara avec violence à Marseille, au mois de juillet, ayant été apportée, dit-on, du Levant, par un vaisseau qui revenait de Sidon, chargé de coton, et qu’on voulut dépêcher de débarquer sans faire une exactequarantaine, pour profiter de la foire de Beaucaire, qui devait se tenir incessamment. Elle fit des ravages incroyables dans cette grande ville : plusieurs centaines de personnes mouraient par jour ; on ne pouvait suffire à enterrer les cadavres. De là, elle s’est répandue dans les autres villes et bourgs de la Provence et même dans le Gévaudan, où il est encore, sans savoir si Dieu épargnera les voisins, lesquels sont dans une continuelle alarme, avec une grande partie de l’Europe. À Marseille, on est chargé du soin de l’hôpital des forçats ; ainsi on se vit d’abord exposé à la fureur de la contagion : quatre prêtres y périrent, entre autres les deux qui servaient dans l’hôpital pour les Bretons et les Allemands ; un cinquième, plus jeune, fut attaqué, mais il en guérit ; trois frères moururent de même en servant ces messieurs. M. Bonnet en donna avis à la Compagnie pour leur procurer les suffrages accoutumés, mais en représentantleur mort comme glorieuse et plus digne d’envie que de compassion, ayant travaillé avec zèle au soulagement des pestiférés jusqu’au jour de leur maladie ou plutôt de leur accablement, et étant morts dans une sainte confiance. Ce mal terrible, jetant l’épouvante partout, obligea de faire des gardes exactes qui ne laissaient d’autre commerce libre que celui des lettres, encore les ouvrait-on en plusieurs endroits pour les parfumer.
M. Bonnet, dans sa lettre du 1er janvier 1721, parlait de ces heureux défunts : Nous avons perdu, disait-il, un nombre de bons ouvriers cette année, mais, par la grâce de Dieu, leur sainte vie a été couronnée par une mort précieuse aux yeux du Seigneur, surtout par celle des sept de Marseille, qui s’est trouvée jointe au plus grand acte de charité chrétienne. La mort qui affligea plus sensiblement le général fut celle de M. Maurice Faure2, ci-devantvicaire général de la Compagnie, puis premier assistant de M. Pierron, et encore 1er assistant et admoniteur de M. Bonnet. Il décéda d’une paralysie et léthargie, le 1er août 1720, à St.-Charles, où il était directeur en chef du Séminaire de rénovation. Ce cher défunt, disait le général, écrivant aux maisons, a vécu 42 ans dans la Compagnie, avec beaucoup de paix, de douceur, d’humilité, de régularité et d’édification. Mgr Jean d’Aranthon d’Alex, son évêque, ne le vit qu’avec regret quitter sa cure pour se faire missionnaire, ayant pour lui beaucoup d’estime et une affection toute paternelle. Dans les différents emplois qu’il a eus dans la Compagnie, il a été toujours le même, parfaitement séparé du monde, plein de l’esprit de la Mission, bien uni à Dieu par l’oraison, l’exercice de sa sainte présence et une vie solidement vertueuse ; humble etmortifié en tout ; fort estimé, aimé et honoré de tous ses confrères, parce qu’il les aimait et honorait tous lui-même parfaitement. En mon particulier, je perds, en ce cher défunt, beaucoup de bons conseils, de bons exemples et de vrais offices de charité chrétienne, tant dans son office d’admoniteur que dans celui d’assistant, et je crois lui rendre justice en vous assurant que je ne l’ai jamais vu agir d’une façon humaine, par caprice, ni par humeur, ni dans l’un, ni dans l’autre. Mon affliction est profonde ; je ne sais comment je puis vous en tant dire, mon cœur est fort serré, sans pouvoir se décharger par des larmes. Ces expressions si vives montrent combien M. Bonnet était touché de cette mort. Il retira de la supériorité de Beauvais M. de Bigots, pour venir remplir la place vacante d’assistant à St.-Lazare.
Fin