Histoire générale de la Congrégation de la Mission (67)

Francisco Javier Fernández ChentoHistoire de la Congrégation de la MissionLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Claude-Joseph Lacour cm · Année de la première publication : 1897.
Estimated Reading Time:

LXVII. Lettre dogmatique de M. Bonnet.

logocmOn a pu observer dans les demandes faites par l’assemblée générale et les réponses du supérieur général qu’on souhaitait pour préserver les jeunes gens élevés dans les études internes de toute nouveauté, dont les esprits paraissent si susceptibles en ce temps-ci, que le général écrivît une lettre circulaire sur ce sujet. M. Bonnet étant non seulement doué du talent de bien mettre par écrit et de bien énoncer, mais sachant encore fort bien sa théologie, en composa donc une longue, ayant pris pour cela quelques jours pour se retirer à Pantin. 15 Il envoya cette lettre aux maisons, et elle est datée de Pantin, du 20 juin 1711. Il s’y propose deux choses à expliquer : savoir les raisonsqu’a la Congrégation de s’éloigner absolument de toute sorte de nouveautés, et quelles sont les principales choses sur lesquelles on doit se tenir en garde pour en éviter jusqu’aux moindres soupçons.

Les motifs sont l’Écriture, qui ordonne d’interroger ses pères et les anciens, pour apprendre d’eux la vérité, et défend d’écouter les novateurs, quoiqu’ils se disent inspirés de Dieu, fissent-ils des miracles si cela était possible pour le prouver ; ce que les Pères ont expliqué non seulement de l’idolâtrie, mais aussi de toute erreur contraire à la pureté de la foi, et cela après saint Paul qui y comprend un ange du ciel, s’il se pouvait faire, qui prêchât un autre évangile. Il faut garder le dépôt, en évitant les nouveautés profanes des paroles et regarder comme explique Vincent de Lérins, contre les voleurs, et les ennemis qui ne manqueront pas en trouvant les gardes endormis, de sursemer l’ivraie. Tertullien dansson livre des prescriptions, a réfuté toutes les hérésies déjà nées et à naître à l’avenir par ce seul principe, quelles ont été nouvelles, donnant ainsi lieu à leurs auteurs, de leur demander quand ils ont parus, et d’où ils sont sortis. St. Cyprien et quelques autres évêques entendant mal une tradition de la validité du baptême conféré par les hérétiques, furent redressés du pape St. Étienne, par cette importante maxime, qu’on ne doit rien innover dans l’église.

Le même St. Augustin a réfuté les manichéens, en leur montrant que l’amour de la nouveauté, loin de les rendre plus saints, et plus sages que les autres, les a au contraire jeté dans des embarras, dont ils n’ont pu sortir. Le général observe pareillement que quand les anciens conciles se sont assemblés pour condamner les premiers hérésiarques, comme Arius à Nicée, Nestorius à Ephèse, Eutiches à Calcédoine, ces saintes assembléesconduites par le St. Esprit, s’appuie toujours sur la foi des anciens pour régler la créance des fidèles, sans jamais proposer de nouveaux dogmes, ce que généralement toutes les contestations survenues dans l’église en fait de religion, ont été ainsi terminées, en s’attachant à l’antiquité pour conserver par ce moyen les usages des pères, sans jamais donner à la postérité aucune invention propre ; semblablement les papes, quand des questions ont été portées à leur tribunal, comme Cyril, Célestin, &c. À quoi le général ajoute que la Congrégation, une des moindres et plus chétive partie de ce grand corps mystique de l’église, a toujours été animée du même esprit. Ne s’attachant qu’à l’antiquité, rejetant toutes nouveautés, notamment celles qui ont fait tant de bruit dans le dernier siècle, M. Vincent en a laissé une règle expresse C. 12, s. 7. Il a pris tous les soins possibles pour en guérir certaines personnes, et pour en préserver la Congrégationainsi qu’on remarque dans les deux éditions de sa vie, il a pour cela défendu de dicter des écrits dans les séminaires, et obligé d’expliquer ceux des docteurs communément approuvés. Les généraux ses successeurs, ont marché fidèlement sur ses traces. M. Jolly, quand les erreurs des Quiétistes firent du bruit à Rome, et à Paris, craignant que cette gangrène ne se jetât dans la Compagnie, défendit vigoureusement même avant la condamnation du St. Siège, cette nouvelle manière d’oraison. Et l’assemblée de 1685 trouva sa lettre sur ce sujet si belle qu’elle en fit un décret particulier, en la confirmant, il envoya de lus à toutes les maisons en 1687. La lettre du cardinal Cibo aux évêques d’Italie contre les dernières erreurs, et peu après le décret de condamnation de Molinos, et de Malaval, auxquels il joignit des lettres particulières, ilappréhenda non seulement le péril évident de corruption de la foi, et des mœurs, mais encore le moindre soupçon de nouveauté, ou de trop de liberté dans la critique, et quand M. Dupin auteur de la Bibliothèque des Pères se fut retraité, il envoya cette pièce aux maisons de la Congrégation, ordonnant de mettre les livres de ce docteur avec les autres défendus. M. Pierron en fit autant ; il envoya aux maisons la condamnation du livre des Maximes des Saints et du fameux Cas de conscience, conduite qui fut approuvée par l’assemblée générale de 1703. M. Bonnet conclut en observant que jusqu’ici, on n’a rien négligé pour préserver la Congrégation des maux infinis que lui attirerait l’amour de la nouveauté ; l’assemblée où il avait été élu lui ayant donné ordre d’écrire cette lettre pour témoigner qu’elle est aujourd’hui, à cet égard, dans les mêmes dispositions où Dieu l’a mise dès son Berceau.

Il ajoute pour raison que toute affectation de nouveauté n’a que ces autres sources que la curiosité, la légèreté et l’orgueil de l’esprit gâté par le péché, que quand on l’approfondit on y trouve plus de faux brillants que de vérité solide, n’étant fondé pour l’ordinaire que sur la témérité, et l’obstination, variant à tout bout de champ selon le caprice ou l’intérêt de ses sectateurs, et ses effets ayant toujours été très pernicieux, tels que sont une démangeaison insatiable de savoir, une hardiesse émouvante pour ébranler les fondamentaux de la science humaine et divine, les scandales, les hérésies, et schismes dans l’église, les meurtres, carnages, guerres intestines, et révolution dans l’état, si on ne prend soin de réprimer de bonne heure ces funestes principes, d’ailleurs, la Congrégation a des raisons particulières de craindre toute nouveauté, pour se conserver par ce moyen dans la puretéde la foi et des mœurs et dans l’exactitude de la discipline pour s’acquitter avec fruit de ses deux principales fonctions des missions et des séminaires, étant autrement en danger d’empoisonner les pures sources de la doctrine catholique dans les séminaires, et de corrompre la pureté des mœurs dans les missions, et pour être enfin toujours de bonne édification, comme elle l’a été jusqu’à présent auprès des gens de bien.

En venant dans le détail que le général s’est proposé pour second objet dans cette lettre, il commence à déplorer le malheur de bien des gens de ce siècle, qui se font un mérite apparent de donner dans les nouveautés, au lieu que s’en a été toujours un très grand, de s’y opposer selon son pouvoir, en l’état ou l’on se trouve, défendant la foi ancienne par l’autorité de l’écriture, au lieu que les hérétiques s’en sont servis à leur fantaisie. Les dogmes de l’église sont immuablessans y pouvoir ajouter ou changer ou peu seulement les expliquer, et tout de même la morale comme étant fondée sur la loi naturelle, et divine, hors d’atteinte du caprice des hommes, sans qu’il soit permis à la cupidité humaine, d’en changer les maximes, et d’en corrompre le sens. Autrement tout serait bientôt livré à la licence et à l’erreur. La discipline au contraire dépend du génie, et du goût des hommes, différents selon les différents lieux où ils naissent et habitent, ainsi elle est sujette au changement, comme on voit que les cérémonies, et l’administration des sacrements ont varié en différents temps, et divers lieux, à moins qu’une coutume louable ne soit déjà bien établie par un long usage, et pour lors elle ne peut guère se changer sans trouble, selon la remarque de St. Augustin dans sa lettre à Janvier.

Ces principes doivent servir de [p 620] fondement pour régler les études en s’appliquant plus volontiers à des sciences solides, utiles et nécessaires à son état, où il faut songer à bien entendre l’écriture et pour cela se servir des pères, ne pouvant guère réussir autrement, dans l’intelligence des livres saints, et faisant de bonnes études de théologie. Pour ne pas se tromper dans le sens de l’écriture, et le choix des traditions, s’appliquer surtout à la théologie morale, tant pour sa propre conduite, que pour celle des autres. Dans les séminaires et les missions, il y faut suivre les royales lois de la charité établies dans l’Évangile, expliquées par les Apôtres et les saints Pères ; et, si on n’a pas le loisir de les lire, choisir au moins ceux d’entre les casuistes qui ont mieux appuyé leur décision sur l’Écriture et les Pères. Éviter avec soin et le relâchement pernicieux qui corrompt les mœurs des fidèles et la sévérité outrée qui désespèreles pécheurs et les éloigne du bon usage des sacrements. S’abstenir des sciences curieuses qui sont en vogue, et ont coutume de donner quelque réputation dans le monde à ceux qui y sont intelligents. Pour ceux qui sont en mission, qui est la plus noble fonction de l’institut, ils doivent diriger toutes leurs études, tant à prêcher solidement, simplement, pathétiquement, et à la portée du pauvre peuple, selon la méthode laissée à la Compagnie par M. Vincent, qu’à entendre les confessions en sûreté pour leur propre conscience et utilité, pour les pénitents qui s’adressent à eux. Les régents et directeurs de séminaires, s’étudieront à former les jeunes clercs pour la vie intérieure, et spirituelle, afin qu’ils deviennent hommes d’oraison et bien mortifiés, comme aussi à les instruire de toutes les sciences nécessaires pour bien s’acquitter des fonctions attachées au ministère pastoral. Toute autre étudequi ne tend pas en quelque sorte à l’une de ces deux fins, ne convient pas à un prêtre de la Mission, qui en s’y appliquant contre l’ordre de Dieu, perdrait son temps et en rendrait compte un jour.

Pour prévenir le mauvais goût de la nouveauté et la démangeaison de tout savoir, M. Bonnet veut que dans les commencements des études de philosophie on s’en tienne aux sentiments communs de la philosophie d’Aristôte plus proportionnée à la manière dont les docteurs des écoles chrétiennes ont traité la théologie, et que l’on continue d’enseigner dans les études internes de la Congrégation la philosophie de Barbay, comme la plus propre de toutes celles qui ont été imprimées jusqu’à présent et la théologie de Grandin, fameux professeur de Sorbonne, très éloigné de toutes les nouveautés modernes, dont la Scolastique était déjà imprimée et la Morale le fut bientôt après. Et quant aux séminaires externes, s’en rapporter aux évêques qui sont les juges naturels de la doctrinede leur diocèse, auxquels on doit obéir pour tout ce qui concerne les fonctions du ministère ecclésiastique, à moins qu’ils n’abusassent visiblement de leur autorité, voulant faire enseigner des livres évidemment mauvais ou condamnés par le St.-Siège, ce qui n’arrive pas ; et convenir avec eux de quelque auteur imprimé qui ne soit suspect ni de jansénisme ou autre erreur pour le dogme, ni de relâchements pour la morale ; par-dessus tout être prudent et sage dans les paroles que l’on dit, les explications que l’on fait en classe, les conversations familières, &c. ; jamais rien dire qui puisse nuire à personne, beaucoup moins parler désavantageusement des Communautés qui servent utilement l’Église, les taxant ou d’erreur dans la foi, ou de relâchement dans la morale, et se mettant ainsi en danger d’exciter la jalousie, le refroidissement et peut-être même le ressentiment de ceux dont on aurait mal parlé, qui ensuite font passer pour JansénistesN’user pas moins de circonspection dans la conduite en lisant des livres, ou liant société avec des gens suspectes de jansénisme, avançant des propositions qui peuvent tendre à ces sortes d’erreurs, ou n’ayant pas assez de conformité avec les décisions du St. Siège, ainsi du reste ainsi que marquaient les actes d’une assemblée provinciale de la Comp[agn]ie que M. Bonnet inséra dans sa lettre suivant le désir de l’assemblée. Il finit ensuite en priant qu’on fasse attention à toutes ces choses, et qu’on avertisse si quelqu’un venait à donner quelque sujet de plainte en cette matière.

Il faut convenir qu’il y a de l’érudition dans cette lettre, qu’elle est bien composée et qu’on y entre fort bien dans le détail des choses qu’un missionnaire doit observer selon l’esprit de la Compagnie. Les contestations firent plus d’éclat que jamais dans la suite, quand la bulle de N[otre] S[aint] P[ère] le Pape Clément XI, qui condamne cent et une propositions du père Quesnel vint à paraître en 1713.

Tout le monde sait les bruits étranges que cette Constitution a excités dans l’Église et comment il y eut des prélats en France qui refusèrent de l’accepter. M. Bonnet ne jugea pas à propos d’imiter ses prédécesseurs, et d’envoyer cette bulle aux maisons avec une lettre circulaire pour en instruire toute la Congrégation ; il ne pouvait prudemment faire cette démarche, se trouvant dans le diocèse de Paris, où Monseigneur le cardinal avait fait un mandement de ne point accepter cette bulle, sous peine de censure ; et c’est tout à fait mal à propos, que les auteurs du Supplément de la Gazette de la Hollande, alléguant de certains faits ou douteux, ou tout au moins exagérés, ont voulu faire passer ce supérieur général pour un homme qui s’accordait avec les appelants et eut quelque doctrine suspecte en matière d’obéissance et de soumissiondue à l’Église, comme si la seule politique et surtout l’affaire de la béatification de M. Vincent, actuellement pendante à la cour de Rome, l’avait empêché de se déclarer.

M. Bonnet, non content d’avoir ainsi instruit la Congrégation par cette longue lettre, voulut encore pourvoir à maintenir l’ancienne simplicité qu’on avait gardée dans les sermons de mission, sans permettre de se servir d’autre méthode de prêcher. Voici ce qu’il en mande dans sa lettre du 1er janvier 1712 : Notre dernière assemblée s’étant plainte que des jeunes prêtres prêchent quelquefois en mission des pièces peu proportionnées à la capacité des pauvres gens des champs et fort éloignées de la simplicité et de la méthode introduite dans la Comp[agn]ie par M. Vincent, nous nous sommes appliqués près de trois mois, avec nos assistants et des Missionnairesdes plus anciens qui ont été longtemps en mission, à revoir et abréger une cinquantaine de pièces de mission, selon la méthode et le style propre de la Congrégation ; nous espérons les faire mettre incessamment au net, et puis les faire envoyer aux maisons, où les jeunes prêtres pourront suivre ce modèle et même les prêcher, pour travailler utilement, s’ils ne sont pas en état de composer d’eux-mêmes. Cet ouvrage ne sera pas, sans doute, dans sa dernière perfection, toutefois il sera solide et proportionné à la fin qu’on se propose. M. Bonnet ne tarda pas d’envoyer ces pièces. On voit qu’il embrassa d’abord bien des choses et plus que les autres Généraux n’avaient entrepris. Quelques-uns ont cru qu’il y avait dans ces sermons bien des endroits spéculatifs, et ils ne sentent pas tousvenu de gens qui aient longtemps travaillé en mission dans la campagne.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *