LXIII. Mort de Mr. Watel. M. Bonnet général
Il ne manqua pas de maladies en France. La guerre désolait ce royaume depuis plusieurs années, et cette couronne avait eu du dessous. En quelques occasions remarquables, une espèce de famine suivit encore le rude hiver qui se fit sentir en 1709 par trois différentes reprises, ayant fait périr une bonne partie de grainsen terre, et toutes les provinces de France eurent à souffrir de terribles extrémités. On voit se suivre de près des fièvres très malignes qui firent mourir une partie des meilleurs sujets de la Congrégation, et des plus robustes.
La maison de St.-Lazare n’en fut pas exempte ; la fièvre avait déjà enlevé du monde au mois d’août 1708, M. Gabriel Bessière, second assistant du général et son Admoniteur, lequel conduisait la Communauté avec bénédiction, étant aimé et en même temps craint de la jeunesse. C’était un merveilleux soulagement pour M. Watel, qui sentit vivement cette perte, et en parla ainsi en l’annonçant à la Congrégation : La Compagnie vient de faire une perte considérable, en la personne de M. Bessière, et j’y perds en particulier plus que je ne puis vous dire, de bon conseil, de secours et de consolation.
Trois ans auparavant M. Watel lui avait fait faire la visite à Lyon, tout comme il avait envoyé M. Bonnet au Mans, visiter la maison de M. Himbert, visiteur de la province de Poitou. Je vous recommande, continue-t-il, l’âme de ce cher défunt et aussi de prier Dieu qu’il nous éclaire pour choisir un sujet agréable à ses yeux, capable de remplir sa place et de continuer dans la Compagnie les bons services qu’il lui a rendus. Le général jeta les yeux sur M. Chèvremont, chargé pour lors du soin des Filles de la Charité à Paris, qui avait été ci-devant visiteur dans les trois provinces de Poitou, de Champagne et de Guyenne, de quoi il donna avis à la Congrégation selon la coutume.
La Congrégation perdit aussi un de ses meilleurs amis, et M. Watel en écrivit aux maisons : Messire Claude-Charles de Rochechouart, abbé de Moutier-Saint-Jean, avait affectionné la Compagnie dès le temps de M. Vincent, avec M. l’abbé de Tournus son frère, et comme on a rapporté dans la Vie de M. Vincent, on a cru devoir parler en cet ouvrage du décès de son très digne frère, arrivé au printemps de 1710. Nousvenons, dit M. Watel, d’apprendre avec beaucoup de douleur, la mort de M. l’abbé de Moutier-St.-Jean, un des meilleurs et des plus fidèles amis de M. Vincent et de toute notre Congrégation, qu’il a honorée de son amitié et beaucoup édifiée toutes les fois qu’il nous a fait l’honneur de demeurer parmi nous, selon le privilège tout particulier que N[otre] vén[érable] Père lui avait accordé, aussi bien qu’à M. l’abbé de Tournus, son frère. Il est mort comme il a vécu, c’est-à-dire très saintement, dans la pratique des vertus chrétiennes. Je vous prie de lui rendre autant que vous pourrez les mêmes suffrages qu’on rend aux défunts de notre Congrégation, quoi qu’il n’en ait été que de cœur et d’affection, et par toutes les marques et les bons effets d’une bienveillance toute paternelle.
M. Watel donnait l’espérance d’une longue vie, et la Congrégation espérait que Dieu l’aurait conservé plus longtempssur la terre. Mais la fièvre maligne jointe à la léthargie le fit mourir en très peu de jours, dans le temps qu’il avait commencé sa retraite, incontinent après l’ordination du mois de 7bre. Il en fit, les premiers jours, les fonctions avec beaucoup de ferveur, et, le 4e, après avoir fait la méditation du Paradis, étant à l’examen particulier, il se vit saisi d’un frisson qui l’obligea à se mettre au lit. Bientôt il fut attaqué d’une léthargie dont on ne put le faire revenir, et il mourut le second jour d’octobre 1710. Incontinent après son trépas, on alla ouvrir la cassette, pour savoir qui il avait nommé pour gouverner la Congrégation durant la vacance, et on trouva qu’il avait choisi pour cela M. Bonnet, son 3ème assistant dès sa première retraite après son élévation au généralat, quoique celui-ci fut encore assez jeune et le moins âgé de tous ceux qui étaient dans cet emploi.
Aussitôt après le Vicaire généralinforma les maisons de la Compagnie de cette triste mort demandant à l’ordinaire le secours des prières pour remplir bien sa charge et obtenir de Dieu les grâces nécessaires pour l’élection future. L’hiver était trop proche pour indiquer l’assemblée générale avant le printemps suivant, et d’ailleurs il aurait fallu interrompre dans les maisons la plupart des fonctions pour tenir les assemblées domestiques et provinciales ; il la fixa au commencement de mai, vers la fête de l’Ascension. Les assemblées furent convoquées dans les provinces. Les passages d’Italie étant encore bouchés à raison des guerres qui continuaient. M. Figari, qui avait quitté la supériorité de Rome pour venir conduire la maison de Gênes, sa patrie, et était là, vice-visiteur, tint son assemblée provinciale, et vint par mer à Paris, avec le supérieur de Turin et un autre missionnaire de cette dernière maison ; mais personne ne se mit en chemin de la province Romaine. Les Polonais avaient à leur tête M. Kownacki1, successeur de M. Tarlo, dans l’office de visiteur de Pologne, vint avec beaucoup de peine avec ses députés. Et n’étant pas arrivés assez tôt, il fallut différer de quelques jours l’assemblée générale. Les visiteurs et Députés des six provinces de France, s’y trouvèrent. Et dans la séance destinée pour l’élection du général, M. Jean Bonnet fut élu dès le premier scrutin avant 9 heures du matin ; toute la maison de St.-Lazare en témoigna une grande joie. Quelques particuliers étaient venus dans cette maison, et même sans ordre, des provinces éloignées, dans l’espérance de pouvoir transférer celle élection, mais ils ne purent y réussir. L’assemblée lui donna à l’ordinaire trois assistants français, savoir, M. Maurice Faure, qui l’avait déjà été de M. Pierron et qui fut aussi nommé admoniteur de M. Bonnet ; M. Pierre Himbert et M. Jean Couty. M. Figari fut choisi comme assistant italien ; mais il obtint de repasser en Italie, pour mettre ordre à quelques affaires, et il vint ensuite en France. Cette élection se fit le 11 de mai 1711.
Le nouveau général était né à Fontainebleau, au mois d’avril 1664 ; ainsi il n’avait alors que 47 ans. Il entra assez jeune dans la Congrégation, et, après les années d’études, il enseigna à St.-Lazare, puis dans le Séminaire de Châlons en Champagne, d’où M. Jolly le tira pour le faire supérieur de la maison d’Auxerre ; n’ayant encore guère que 30 ans. Et quand M. Pierron fut élu général, il crut ne pouvoir donner un meilleur supérieur ayant à Mgr l’Évêque de Chartres pour conduire en sa place son séminaire, que M. Bonnet. Il y contenta fort ce savant prélat, qui prenait un plaisir singulier d’entendre les conférences spirituelles et ecclésiastiques qu’il faisait aux prêtres de son diocèse. Tout le monde a reconnu en lui un talent excellent pour ces sortes d’entretiens ; il était extrêmement goûté du cardinal de Noailles quand il parlait dans les retraites nombreuses que Son Ém[inen]ce faisait faire à St.-Lazare. Et outre cela il faisait aisément les affaires, sans trop s’en embarrasser, trouvant des expédients à tout. Le secrétairede l’assemblée fut M. Julien Barbé2, excellent théologien et supérieur du séminaire des Bons-Enfants ; et fort estimé pour sa capacité de Mgr le cardinal de Noailles. Mais l’assemblée eut la douleur de le voir mourir en très peu de jours, ainsi que le général en a avertit les maisons de la Compagnie en ces termes. Du 20 mai 1711 : Notre assemblée nous a donné beaucoup de consolation, tout s’y étant fait avec paix et union. Mais il a plu à Dieu de tempérer cette joie, toute juste quelle est, par la douleur que nous ressentons de la mort de M. Barbé, secrétaire de l’assemblée, qui a été emporté en quatre ou cinq jours, par une pleurésie avec rhumatisme sur la poitrine à quoi on n’a pu remédier ; c’est une grande perte pour la Compagnie. Il est fort regretté au de dans et au dehors de la maison. Il était singulièrement recommandable pour être toujours disposé à faire plaisir à un chacun. Quelques-uns l’ont cru être très attaché au Cardinal de Noailles dans les contestations qu’il a eues avec les Pères Jésuites et on a ditque le Père Le Tellier n’aurait pas manqué de le faire sortir de son poste s’il avait vécu plus longtemps. On a imprimé sous son nom, après sa mort, deux volumes en douze de prières affectives pour les principales fêtes de l’année.