Histoire générale de la Congrégation de la Mission (38)

Francisco Javier Fernández ChentoHistoire de la Congrégation de la MissionLeave a Comment

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Author: Claude-Joseph Lacour cm · Year of first publication: 1897.
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XXXVIII. Soins de la Compagnie pour éloigner le quiétisme

logocmIl envoya quelque temps après une lettre circulaire aux maisons, pour les prémunir contre les quiétistes qui troublaient pour lors l’Église, en introduisant une nouvelle manière de faire l’oraison mentale ; cette lettre est datée du 18 8bre 1684. Il y est dit qu’ayant appris de quelques Missionnaires que certains particuliers s’affectionnaient à cette méthode d’oraison qui n’est du tout point conforme à celle qu’a enseignée M. Vincent, et qui est même opposée à quelques-uns de nos exercices, comme à la répétition d’oraison ; à quoi on ajoute bien d’autres inconvénients. M’étant informé, et reconnu la vérité de ce fait, que plusieurs personnes, entre autres des jeunes gens, s’y sont appliquées, sans avoir les dispositions nécessaires, de quoi ayant délibéré avec les assistants, on avait résolu de donner les avis suivants à toute la Compagnie : savoir que quoiqu’il faille reconnaître avec les saints et les maîtres de la vie spirituelle une oraison sublime, bonne, et un très grand don de Dieu quand il vient de lui, toutefois elle peut être à bien des gens un sujet d’illusion, dès qu’on veut s’y introduire soi-même, sans s’être auparavant exercé dans la mortification de ses passions et de sa propre volonté. Les saints disent communément que c’est se tromper que de croire pouvoir arriver à cette oraison sublime par ses propres forces et son industrie. Ecclesia, (dit saint Bernard), non est scrutatrix majestatis, sed voluntatis, et si aliquando per excessum rapi in illam contingat, digitus Dei est dignantis levare hominem, non temeritas hominis insolentis Dei alta pervadens ; cum enim Apostolus raptum se commemoret, ut ausum excusat, quisnam alter præsumat huic se et divinæ majestatis horrendo scrutinio propriis intricare conatibus.

Ce n’est donc pas une oraison où il faille s’ingérer de soi-même, et sur laquelle il soit aisé de donner des règles. Dieu s’étant réservé de la communiquer à qui bon lui semble et d’être le maître de ceux qu’il conduit par cette voie, ceux-ci, selon les saints sont en fort petit nombre, et l’expérience fait voir, ainsi que nous l’a dit bien des fois notre vén[érable] Père en parlant de l’oraison que plusieurs avaient été séduits en aspirant d’eux-mêmes à cette oraison sublime et s’étaient trouvés dépourvus des vertus chrétiennes qui est pourtant ce que nous devons chercher et à quoi l’oraison nous doit servir. Elle est bonne à proportion qu’elle nous fait vivre dans la pratique de l’humilité de l’obéissance et des autres vertus, chose bien expliquée dans la Vie de M. Vincent, au chap[itre] de son oraison.

D’ailleurs, poursuit M. Jolly, nos règles nous prescrivent de garder en toutes choses l’uniformité, surtout dans la manière de diriger, enseigner, gouverner et à l’égard des pratiques spirituelles, éviter la singularité comme la racine de l’envie et de la division. Il ne faut pas introduire dans la Compagnie une nouvelle manière d’oraison, mais s’en tenir à celle qu’a enseignée M. Vincent, par laquelle il s’est sanctifié et [a] fait par la grâce de Dieu les grands biens que l’on admire encore. Il l’a apprise des saints et du Saint des saints, Notre-Seigneur, avec qui il a eu toujours tant de communications ; elle est sûre, hors de crainte, et d’illusion. Elle est conforme à nos usages, elle nous porte à la pratique des véritables vertus, et mettra ceux qui la pratiquent fidèlement en état d’être élevés plus haut quand il plaira à Dieu. Je crois qu’on fera bien, à l’exemple du même M. Vincent, de s’asseoir, ici comme partout ailleurs, à la dernière place, attendant que celui qui a invité dise lui-même : Montez plus haut. On ne veut pas blâmer la contemplation, mais seulement recommander qu’on évite de s’ingérer de soi même là où on doit être appelé de Dieu immédiatement et qu’on n’introduise pas dans la Compagnie une singularité qui pourrait lui être préjudiciable.

M. Jolly ordonne de lire cette lettre à tous les prêtres et clercs des maisons, pour qu’ils sachent quelle est en ceci l’intention de la Compagnie, laquelle ne désire pas qu’aucun de ses sujets enseigne d’autre méthode d’oraison que celle qui y est pratiquée, et qui lui a été inspirée par son vénérable Instituteur, conforme à la simplicité et uniformité dont elle fait profession ; et si quelqu’un pense à être appelé de Dieu à une oraison plus sublime, qu’il se contente d’en parler à son directeur dans la communication.

Cette lettre est belle et bien solide, et c’est la première lettre dogmatique que les Généraux ont écrite à la Compagnie. C’était le nouveau livre de M. Malaval, fameux aveugle et contemplatif de Marseille qui avait donné lieu à cette méthode d’oraison. Le général ne veut pas qu’on permette aux jeunes prêtres et encore moins aux clercs de le lire.

Deux ou trois ans après, un prêtre espagnol, nommé Michel Molinos, qui passait pour un très homme de bien, fit encore plus de bruit à Rome. Mgr le cardinal Cibo1, préfet de l’Inquisition générale, en écrivit dès le commencement de l’année 1687 à tous les évêques d’Italie, en conséquence de l’avis qu’avait eu de toutes parts la Congrégation du Saint-Office, qu’on érigeait certaines assemblées, soit d’hommes, soit de femmes, sous le nom d’école de compagnie de confrérie, par lesquelles peut être même par malice, sous prétexte d’élever les âmes à une oraison de quiétude, certains directeurs spirituels insinuent insensiblement dans l’esprit des simples des erreurs pernicieuses, ou du moins par défaut d’expérience, de la véritable voie spirituelle frayée par les saints. Bien qu’ils semblent au commencement débiter des maximes d’une haute perfection, mais par de certains principes mal entendus ou appliqués encore plus mal, lesquelles erreurs se terminent ensuite à des hérésies manifestes, ou à des crimes honteux. Aussi les cardinaux du St.-Office avaient jugé à propos de charger les évêques de veiller sur les assemblées nouvelles, de les abolir entièrement s’ils en trouvaient de telles et recommander aux directeurs de marcher par la voie battue de la perfection chrétienne sans affecter aucune singularité, et d’empêcher qui que ce soit, suspect de ces nouveautés, de s’ingérer chez des religieuses.

Le Saint-Office, par un décret fait en présence de N[otre] S[aint] P[ère] le Pape, Innocent XI, le jeudi 28 août 1687, où Molinos est appelé fils de perdition, condamna, pour obvier à ces dangereuses erreurs, soixante-huit propositions de cet auteur, toutes tendantes à un être purement passif, sans se mettre en peine d’actes de vertu et d’obéissance à la loi, de résistance à la convoitise ; ainsi du reste. Molinos abjura en public toutes ces erreurs, le 3 7bre, comme les ayant enseignées de bouche et par écrit.

Le décret ayant été envoyé en France, M. Jolly l’adressa à toute la Compagnie avec une lettre datée du 7 8bre 1687, où il dit : Ceci nous apprend combien il nous importe de nous garder de toute nouveauté, quoiqu’elle se présente sous de belles apparences, si elle n’a été soigneusement auparavant examinée et approuvée par ceux que Dieu a établis pour empêcher qu’aucune doctrine ne soit présentée aux fidèles, qui ne soit pure et entièrement conforme au sentiment et à l’usage de l’Église. On a traduit en français ces propositions, afin que tous les puissent entendre et se garder de l’erreur, du scandale et de la témérité qu’elles contiennent, comme le porte le décret, et qu’on évite de les croire, enseigner et réduire en pratique, ce qui est expressément défendu sous peine d’excommunication. Ces erreurs, quoique grossières et si justement censurées par le St.-Siège, ne laissèrent pas de se renouveler dans la suite en France, par le moyen du Père Lacombe et de Madame Guyon, soutenues même par Mgr l’Archevêque de Cambrai. Et le pape Innocent XII fit un second décret touchant ces erreurs duquel on parlera en son lieu.

  1. Camillo Cibo (Cybò), † 1743.

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