XVII. Vaines prétentions de gens sortis de la Compagnie
Divers particuliers sortis de la Compagnie non seulement engageaient leur conscience et exposaient leur salut, comme nous venons de voir, mais encore voulurent faire de peine à la Congrégation en s’adressant au roi pour en obtenir une pension viagère ; sur quoi, le Conseil d’État de S[a] M[ajesté] rendit un arrêt solennel qui les débouta de leurs prétentions. M. Alméras en envoya une copie à chaque maison avec une lettre datée du 21 février 1670 où il dit : Dieu qui sait tirer le bien du mal et arrive souvent à ses fins par les moyens qui lui paraissent les plus opposés, avait permis que la Congrégation ait depuis peu souffert une vexation nouvelle et jusqu’ici inouïe de la part de quelques-uns qui étaient sortis, c’était surtout quelques frères brouillons, qui avaient eu la hardiesse de recourir au roi, il a enfin arrêté leur mauvais dessein par un arrêt du Conseil d’État, et a mis ainsi la Compagnie à couvert non seulement de leurs prétentions injustes mais de tout autre qui aurait pu dans la suite troubler sa tranquillité. Comme la chose a été connue dans cette maison et dehors par un grand nombre de gens, regardant d’ailleurs toute la Compagnie, en sorte qu’il est convenable d’en rendre tous grâces à Dieu, nous avons jugé à propos d’en donner connaissance aux maisons, en leur communiquant l’arrêt où se trouve le véritable récit du fait dont il est question qui confirme la Compagnie dans une paisible possession d’un pouvoir légitime qui lui appartenait. Ces frères, qu’on avait été contraint de mettre dehors à raison de leur incorrigibilité alléguaient au Conseil qu’ils avaient travaillé longues années dans la Congrégation.
La Compagnie, continue M. Alméras, dès le commencement de son érection, a eu le pouvoir de renvoyer les incorrigibles et scandaleux, afin de se conserver dans sa vigueur et pureté, ceux qui sont ainsi renvoyés n’ont aucun sujet de s’en plaindre attendu qu’elle a toujours été dans cet usage. M. Vincent en divers temps a renvoyé des prêtres des clercs et des frères, lorsqu’il y a été obligé par leur dérèglement ; nous avons été contraints de faire quelquefois de même en pareilles occasions. Toutefois, chacun sait qu’on ne renvoie jamais personne pour cause de vieillesse ou infirmité, et qu’il n’y a que des mauvais déportements qui puissent être la cause de ce renvoi ; et ce non pour des fautes légères, mais pour celles qui seraient beaucoup préjudiciables au bien de la Congrégation, et même, en ces cas, le général ne renvoie pas de son seul mouvement, mais il doit pour cela avoir assemblé ses consulteurs et demandé leur avis, pesant mûrement les raisons pour et contre, et ne concluant au renvoi qu’a la pluralité des voix. Cela est nécessaire pour remédier aux désordres, et il faut retrancher un membre gangrené qui que soit, prêtre, clerc ou frère, crainte d’infecter les autres. Cet usage, dit encore M. Alméras, est fondé en bonnes raisons et justice. Quand la Congrégation reçoit quelqu’un, elle lui fait part de ses biens spirituels et temporels, elle le fait entrer en participation particulière des bonnes œuvres et des suffrages de tout le corps durant sa vie et après sa mort. Elle prend un soin spécial de son salut et de sa perfection par le moyen des règles, exhortations, conférences et autres secours spirituels qu’elle donne à un chacun pour son avancement en la vertu. Elle lui fournit tous les besoins du corps en santé et en maladie, et dans le temps de la caducité, pour la nourriture, vêtements, &c., en un mot elle le traite et le considère comme son enfant, ou plutôt comme un membre de son corps ; elle communique tous ces avantages aux siens avec grande fidélité, mais, avant que d’admettre quelqu’un à la participation de tous ces biens, elle lui propose certaines conditions auxquelles il s’engage volontairement, après y avoir bien pensé devant Dieu, dans l’épreuve de deux ans, et dans plusieurs retraites faites pour ce sujet.
Toutes ces conditions se réduisent à l’observance des règles qui renferment la pratique des vertus propres à l’institut, la fidélité au travail et aux emplois de sa vocation, et l’obéissance aux supérieurs de laquelle on fait un vœu particulier. On n’admettrait jamais dans la Compagnie celui qui témoignerait n’être pas disposé à s’acquitter de quelques-unes de ces choses et par conséquent, si dans la suite quelqu’un vient tellement à se relâcher, ou qu’il ne veuille plus accomplir quelqu’une des susdites conditions, n’est-il pas évident que la Congrégation n’est plus obligée de lui faire part de ses biens ni de le retenir au nombre de ses enfants au préjudice de toute la famille, n’étant pas juste qu’elle soit tenue de retenir celui qui ne travaille qu’à la détruire ; il serait étrange qu’un tel homme ainsi renvoyé prétendît contre toutes sortes de raisons obtenir pour récompense de sa mauvaise conduite des salaires ou une pension viagère, tandis que la Congrégation aurait droit de lui demander par toutes sortes de raisons la réparation des dommages spirituels et même temporels qu’il lui aurait causé.
Nous n’avions pas pensé, dit encore M. Alméras, à faire confirmer ce droit si clair de la Compagnie par une autorité souveraine, mais la Providence de Dieu nous a donné à cette occasion ce que nous ne cherchions pas, se servant de ceux-là mêmes qui ont voulu sans aucune raison lui contester ce pouvoir pour l’affermir d’avantage. Nous vous prions au reste de croire que notre intention n’est pas de prendre occasion de cet arrêt, pour changer en aucune façon de conduite sur ce point ; et vous pouvez être assuré que comme nous n’avons renvoyé personne par le passé que quand la nécessité nous y a forcé, nous ne le ferons jamais autrement à l’avenir, et cela avec les précautions ci-dessus marquées. Il est aisé avec la grâce de Dieu d’éviter les fautes pour lesquelles seulement on renvoie, ainsi il dépend d’un chacun de persévérer toute sa vie dans la Congrégation sans crainte d’être renvoyé ; de là vient que les bons qui ont une droite intention de servir Dieu en s’acquittant des devoirs de leur état vivent sans aucune inquiétude et dorment en repos, sachant bien qu’on ne renvoie personne qui soit dans cette disposition, et au contraire les déréglés ressentent de la peine sur ce sujet, &c. Je conclue par ces paroles de l’Apôtre : Satagite ut per bona opera, &c.1
Tous les raisonnements que M. Alméras développe sur cette question sont très solides et prouvent évidemment la justice du pouvoir que prétend la Congrégation à cet égard, et on n’a pas vu depuis que personne se soit adressé aux tribunaux séculiers pour infirmer en quelque façon son droit sur cet article, il n’en a pas été tout à fait de même du droit que les particuliers retiennent sur les biens de leur patrimoine, l’hoirie de leurs parents, &c., comme on compte assez ordinairement dans les familles que ceux qui entrent dans la Congrégation sont morts au monde de mesure que les religieux quoique cela ne soit pas, les vœux simples qu’on y fait laissant à un chacun la propriété des biens, et il est arrivé de fois à autre que plusieurs missionnaires ont voulu répéter de leurs frères et de leurs autres parents les biens qui leur revenaient du décès de leurs ancêtres ; les parlements ne sont pas favorables à de telles prétentions qui troublent les familles, comme on a vu par l’exemple des Pères Jésuites qui après un certain temps de séjour dans leur Compagnie ont étés déclarés inhabiles à toutes successions des parents morts ; les magistrats de Paris ont conseillé à ce qu’on a ouï dire aux supérieurs de faire en sorte que ces particuliers se désistassent de leur poursuite, qu’autrement la cour pourrait rendre quelque arrêt qui ne s’accommoderait pas avec la nature de nos vœux, c’est ce que la Compagnie a continu de conseiller à tous les sujets à qui elle permet de prendre ce que leur offrent leurs parents de gré à gré en s’accommodant avec eux, pour s’en servir conformément à la bulle de l’érection de la Congrégation, et au bref d’Alexandre VII ci-dessus mentionné, et elle ne voit pas même de fort bon œil qu’on s’inquiète trop des biens du monde, lesquels attirent toujours des affaires et des embarras, ce qui porte à aller en sa patrie, et engage à perdre beaucoup de temps comme aussi à négliger les emploies de sa vocation.







