Frédéric Ozanam, Lettre 0019. A Ernest Falconnet

Francisco Javier Fernández ChentoLettres de Frédéric OzanamLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Frédéric Ozanam · Année de la première publication : 1961 · La source : Lettres de Frédéric Ozanam. Lettres de jeunesse (1819-1840).
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Conseils à Falconnet pour sa santé, ses études et leurs recherches historiques communes.

Lyon, 28 juillet 1830.

Mon cher Falconnet1,

J’ai reçu ta lettre qui m’a fait beaucoup de plaisir; seulement je suis fâché que ta santé n’ait pas éprouvé une amélioration décisive. Je me garderai donc bien de prier ton papa de te faire composer pour les prix, d’autant mieux que c’est une chose absolument inutile. Je sais bien qu’il en coûte à la petite vanité humaine, mais un grand jeune homme raison­nable, et qui se prépare à faire sa philosophie l’année prochaine, doit être bien convaincu qu’une chose n’est utile qu’autant qu’elle peut servir au perfectionnement esthétique, intellectuel et moral. Or, je te demande si une composition de prix pourra ajouter quelque chose à ton goût littéraire, à tes connaissances, à ta vertu? Point du tout. Seulement la récompense obtenue pourrait te servir de stimulant, pourrait te procurer un instant de plaisir. Sont-ce là des avantages comparables au rétablis­sement d’une santé absolument nécessaire au développement des facultés de l’âme, sans laquelle il te deviendrait impossible de consommer le grand ouvrage de l’éducation et l’œuvre plus importante encore de toute la vie? Songe que, de toutes tes classes, la Philosophie est la plus importante, celle à laquelle il faut apporter le plus d’assiduité, par conséquent le plus de santé. Fais-en donc une bonne provision : otiare, quo melius labores. Toutefois, les recherches historiques relatives à notre grand ouvrage étant assez amusantes, je t’engage à t’en occuper toujours avec ardeur. Je suis bien aise que tu aies trouvé l’Histoire des Celtes, de Pelloutier2. Lis avec ardeur, mais avec précaution, défais-toi d’un paresseux esprit de système. Tous les auteurs qui ont approfondi l’histoire d’un seul peuple exclusivement, qui ont fait de ce peuple le point central de leurs recherches, en font aussi le point central de toutes leurs connaissances : ils veulent faire rentrer tout ce qu’ils savent dans le petit cadre qu’il leur a plu de tracer. Quand tu liras l’histoire des Syriens, tu trouveras tout ramené à la Syrie. Si tu jetais les yeux sur l’histoire des Basques d’un certain monsieur, tu y verrais que la langue basque est la langue primitive, la langue mère. Ne te mets donc pas en peine du système de Pelloutier, car les jeunes gens ne doivent pas s’occuper à systématiser, mais à acquérir une bonne quantité de faits qu’ils digéreront quand ils auront trente ans.

Néanmoins, il convient que tu lises même les systèmes que tu trouveras dans tous les livres d’Histoire, parce qu’on peut y découvrir quelquefois des aperçus utiles; sois bien convaincu que jamais un système même n’est entièrement faux, mais garde-toi bien d’adopter tout, et même d’adopter quoi que ce soit trop exclusivement. Je te le répète : occupe-toi surtout des faits, note le volume, la page, le chapitre, l’édition, etc., mets le tout sur un cahier, que tu joindras ensuite au mien, qui déjà se fait gros. Courage. Je crois notre œuvre bonne, elle triomphera. J’ai pris connaissance de beaucoup de nouveaux faits, tous en notre faveur : l’histoire de Caïn et d’Abel dans la, mythologie de la Mer du Sud, la Trinité dans les traditions scandinaves, etc. etc. Tu as dû voir même quelques faits très curieux dans le dernier numéro de l’Abeille3. Le prochain contiendra plus de considérations générales et moins de faits particuliers, à cause de la multitude des matériaux. Vraiment c’est immense : j’ai noté plus de 300 ouvrages, tous prouvant beaucoup pour nous. L’embarras sera de tout lire, mais … Labor omnia vincit. Nous ferons, je crois, un travail fort intéressant qui se vendra bien et surtout qui sera fort utile à la religion. L’âme est inondée de preuves et le cœur surabonde de joie; les sentiments ne manqueront point; ils vivifieront notre œuvre. Ce sera une œuvre grande, belle et utile, non par notre faible génie, mais par la grandeur du sujet. Ton papa pense te faire venir ici quelques jours pour consulter mon père. Tu verras en même temps M. Noirot, qui te donnera des excellents conseils pour les vacances. Tu verras ton camarade qui t’aime.

A.-F. OZANAM.

Ton papa veut que je te dise que tes lettres sont trop négligées et qu’il est impoli d’adresser des lettres non fermées. Je dis ce qu’il veut et suis et serai toujours ton ami. OZANAM.

Copie : Société de Saint-Vincent de Paul.

  1. Ernest Falconnet (1815-1891), parent d’Ozanam, entra dans la magistrature et termina sa carrière comme conseiller à la Cour de cassation. Il a écrit plusieurs ouvrages et édité les œuvres de d’Aguesseau.
  2. Simon Pelloutier, ministre protestant exilé (1694-1757), fit paraître en 1741, une Histoire des Celtes des Gaulois et des Germains jusqu’à la prise de Rome.
  3. L’Abeille française publia, à partir de juin 1830, un travail d’Ozanam sur La Vérité de la Religion chrétienne, prouvée par la conformité de toutes les croyances. Il occupe cinq numéros (Galopin, n° 34). Ozanam parle ici des deux premiers.

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