Il encourage Materne à choisir la carrière d’avocat. Force de l’amitié chrétienne.
Lyon, 14 juin 1830.
Mon cher Materne,
J’ai reçu ta dernière lettre et tes raisons en faveur du commerce m’ont paru, sinon convaincantes, du moins très fortes. Je suis néanmoins toujours du même avis. Ton petit plaidoyer prouve que tu serais un excellent avocat. Et puis quel plaisir, quel bonheur de faire tous deux ensemble les mêmes études, d’aller ici chez un avoué l’an prochain ensemble, d’aller faire notre droit ensemble, d’avocasser enfin ensemble, de plaider quelques bonnes fois l’un contre l’autre et puis d’en rire ensemble. Ne crains pas pour ta timidité, tout le monde m’assure que cela passe bien vite.
Pour la santé, c’est une autre affaire. Il s’agit de la poitrine, c’est à toi de consulter là-dessus ton médecin et tes forces. D’ailleurs, je ne veux plus insister là-dessus. Mon cher ami, puisses-tu être heureux! Puisses-tu choisir pour ton bonheur! J’ai eu hier le bonheur de communier et je t’assure que j’ai bien prié dans toute [la] ferveur dont je suis capable. J’ai bien prié le Dieu très bon de t’éclairer, de mettre un terme à ta pénible incertitude.
Je l’ai prié de bénir l’amitié que nous venons de former, pour que de là date une nouvelle, une meilleure vie, je l’ai prié de faire de nous deux bons amis, deux bons Français, deux bons chrétiens.
Ne crois pas, mon ami, parce que je suis décidé dans le choix d’un état, ne crois pas que la résolution soit une de mes qualités. Malheureusement, au contraire, l’hésitation est un de mes grands défauts, un défaut qui se manifeste bien souvent, qui me fait souvent bien souffrir.
A présent, mon ami, tu me connais tout entier, accepte-moi tel que je suis, aide-moi à corriger mes défauts. Prie, surtout, prie pour moi ce Dieu qui aime tant le spectacle de deux amis qui s’unissent pour tendre ensemble vers le bien, pour accomplir ensemble le grand œuvre de perfectionnement, seule voie pour parvenir au bonheur.
Je réserve pour une autre fois tous les détails de mon éducation, des peines, des sacrifices de mes parents, des bienfaits que j’en ai reçus et que j’en reçois tous les jours malgré mon indocilité, ou plutôt nous en parlerons ensemble dans nos promenades, car quel sujet de conversation plus doux et plus agréable?
Adieu, mon cher Materne. Je t’envoie l’Abeille. Cette lettre est bien mal écrite; mais je me suis pressé parce que le tems me manquait.
Adieu, ton ami qui veut te servir de frère.
A.-F. OZANAM.
Lyon, 14 juin 1830.
Original : Archives Laporte.