Critique d’une ode latine adressée à Ozanam par Materne.
Lyon, 1830 (?).
Pulchre! Bene! Recte! Ainsi dit le Flatteur dans Horace; ainsi dit aussi Ozanam à Materne. Mais Ozanam n’est pas flatteur, mais Ozanam est sincère, mais Ozanam parle comme un ami à son ami. Il sera donc censor amicus. Cependant avant tout il est obligé de dire que ton ode lui a fait beaucoup de plaisir.
1re strophe. 1° Je n’aime pas beaucoup [ces] Nigrescat, mal placés, l’un à la fin d’un vers, l’autre à la césure : cette consonnance me déplaît. Je ne sais pas si elle ne te déplairait pas aussi : lis les deux vers à haute voix, je m’en rapporte à ton oreille délicate. 2° Je vois que dans les deux derniers vers on ne voit pas le sujet de la phrase. Il est absent à l’appel du grammairien. Je crois donc qu’au lieu de Eheu (exclamation peut-être un peu trop forte) tu devrais mettre campi.
2e strophe. 1° Spissa et languet ne font pas antithèse, il faudrait rarescit. 2° Je n’aime pas la rime ingratum, esculentum. 3° l’élision1… esculentum quoique admissible, rendrait à la strophe un grand service en disparaissant : le vers serait bien plus harmonieux. 4° J’ignore si esculentum est bien poétique. Je ne le condamne pas : je doute. 5° Les deux derniers vers me paraissent bien obscurs, l’hyperbole un peu outrée.
3e strophe. tondus, inclusus, etc. Ces deux us de suite me déplaisent quelque peu. Je n’aime pas non plus Boatu rejeté à la fin du second vers, où on ne l’attend plus. Cependant on pourrait l’y laisser parce qu’il fait image. Les deux derniers vers sont fort jolis.
4e strophe. La vérité doit régner jusque dans la poésie. Or cette strophe flatteuse en a menti. Ergo … Mais passons au mérite littéraire. Je ne condamnerai pas le quæso qui paraît un peu cheville, le reste est parfait. La petite phrase incidente est d’une grande délicatesse. Tu t’entends bien en flatterie.
5e strophe. On ne voit pas de suite ce que signifie timore flaccum et maronem. Je te reprocherai aussi les deux élisions de second vers, surtout celle de la césure, quoique admissible à la rigueur. Il vaudrait peut-être mieux qu’elles n’y fussent pas; du reste cette strophe est toute horatienne.
6e strophe. Vel au 3e vers est mal placé. Anne moreris a l’air cheville. Le petit vers adonique dans mes idées doit être le couronnement de la phrase. J’admire ici ton adresse à rendre les choses les plus communes.
Même remarque sur la 7e. Seulement aut est mal placé après vitis.
8e strophe. Je chicanerai sur le Pareas qui cheville ton vers. Pourquoi Pareas? Je ne veux pas te tuer, ce terme est trop fort. J’aime assez ton frustum vituli tenellum et ton ceres alba.
9e strophe. Je n’aime pas les élisions. Je voudrais neu au lieu de non. Je crois que ce serait plus latin.
Je crois du reste que ton ode sera excellente avec quelques petits changements; elle est bien horatienne. D’ailleurs mes conseils n’emportent pas avec eux l’obligation de les suivre. Chacun a son jugement propre. La critique est un secours et pas une entrave, on en profite sans s’y astreindre. Ce serait bien mal fait à moi de me piquer de ce que tu ne te soumettrais pas à mes décisions : sententia Ozanami non est motivum infallibile judicandi. Adieu.
Ton condisciple et ami,
A.-F. OZANAM.
P. S. — Si je t’ai fait si longtems attendre cette lettre, c’est pour une raison que tu sauras ce soir ou demain. J’aurai quelque chose à te remettre. Je voulais tout donner à la fois.
Au dos : Pour M. Auguste Louis Materne; l’Illustrissime seigneur.
Original: Archives Laporte.