INTRODUCTION
Lorsque, réalisant un pèlerinage souvent rêvé, on est allé visiter Rome, et qu’on a monté, avec le frémissement d’une curiosité pieuse, le grand escalier du Vatican ; après avoir parcouru les merveilles de tous les âges et de tous les pays du monde réunies dans l’hospitalité de cette magnifique demeure, on arrive en un lieu qui peut être appelé le sanctuaire de l’art chrétien : ce sont les chambres de Raphaël. Le peintre y retraça, dans une série de fresques historiques et symboliques, les illustrations et les bienfaits du catholicisme. Parmi ces fresques, il en est une où l’oeil se suspend avec plus d’amour, soit à cause de la beauté parfaite du sujet, soit à cause du bonheur de l’exécution.
Le saint sacrement y est représenté sur un autel, élevé entre le ciel et la terre ; le ciel, qui s’ouvre et laisse voir dans ses splendeurs la trinité divine, les anges et les saints ; la terre, qui se couronne d’une nombreuse assemblée de pontifes et de docteurs de l’église. Au milieu de l’un des groupes dont l’assemblée se compose, on distingue une figure remarquable par l’étrangeté de son caractère, la tête ceinte, non d’une tiare ou d’une mitre, mais d’une guirlande de laurier, noble et austère toutefois, et nullement indigne d’une telle compagnie.
Et si l’on recueille ses souvenirs, on reconnaît Dante Alighieri.
Alors, on se demande de quel droit l’image d’un tel homme a été introduite, parmi celles des vénérables témoins de la foi, par un peintre accoutumé à l’observation scrupuleuse des traditions liturgiques, sous l’oeil des papes, au sein de la citadelle même de l’orthodoxie.
La réponse à cette question se laisse pressentir à la vue des honneurs presque religieux que l’Italie entière a rendus à la mémoire de cet homme, et qui annoncent en lui plus qu’un poète. Les pâtres des environs d’Aquilée montrent encore aujourd’hui, au bord du Tolmino, un rocher qu’ils appellent le siége de Dante, où souvent il vint méditer les pensées de l’exil.
Les habitants de Vérone aiment à faire voir l’église sainte-Hélène, où, voyageur, il s’arrêta pour soutenir une thèse publique. à l’ombre des sauvages montagnes de Gubbio, dans un monastère de Camaldules, son buste fidèlement conservé rappelle qu’il y trouva quelques mois de solitude et de repos. Ravenne saintement jalouse garde ses cendres. Mais surtout Florence a entouré d’un culte expiatoire tout ce qui reste de lui, le toit qui abritait sa tête, la pierre même où il avait coutume de s’asseoir. Elle lui a décerné une sorte d’apothéose en le faisant représenter, par la main de Giotto, vêtu d’une robe triomphale, et le front couronné, sous l’un des portiques de l’église métropolitaine, et presque entre les saints patrons de la cité.
Des monuments d’un autre genre rendent un témoignage plus intelligible encore. Ce sont les chaires publiques fondées, dès le xive siècle, à Florence, à Pise, à Plaisance, à Venise, à Bologne, pour l’interprétation de la divine comédie . Ce sont les commentaires de ce poème dont s’occupèrent les plus graves personnages : comme l’archevêque de Milan, Visconti, qui réunit pour ce travail deux citoyens florentins, deux théologiens et deux philosophes ; comme l’évêque Jean De Serravalle, qui y consacra ses loisirs durant le concile de Constance. Les plus beaux génies italiens s’inclinent devant ce génie fraternel et leur aîné : Boccace, Villani, Marsile Ficin, Paul Jove, Varchi, Gravina, Tiraboschi ont salué Dante du nom de philosophe.
Et l’opinion unanime, se formulant en un vers devenu proverbial, l’a proclamé tout ensemble le docteur des vérités divines, et le savant à qui rien n’échappa des choses humaines : (…).
Ces voix amies avaient trouvé des échos de l’autre côté des Alpes. L’un des premiers traducteurs français de la divine comédie s’en exprimait ainsi, dans sa dédicace à Henri Iv : » sire, je ne craindrai point d’affirmer que ce poème sublime ne doit aucunement être au nombre de plusieurs compositions que le divin Platon comparoit avec les parterres et jardins du bel Adonis, qui, tout à-coup et en un jour venus en lumière, se sèchent et meurent incontinent. En ce noble poème, il se découvre un poète excellent, un philosophe profond, et un théologien judicieux. » la critique allemande a prononcé de même.
Brucker reconnaît Dante comme » le premier d’entre les modernes, auprès duquel les muses platoniciennes, depuis sept cents ans exilées, aient trouvé un asile ; un penseur égal aux plus renommés de ses contemporains ; un sage qui méritait d’être compté au nombre des réformateurs de la philosophie. » mais, telle est parmi nous, passagères créatures que nous sommes, l’impuissance des souvenirs et la courte portée de la gloire, qu’à peine, de ceux qui honorèrent le plus l’humanité, nous parvient-il, au bout de quelques siècles, autre chose que le nom. Ces noms vont ordinairement à l’immortalité, portés par une admiration traditionnelle et ignorante, comparable au dauphin de la fable, qui, sans le savoir, portait à travers les mers tantôt un animal moqueur, et tantôt un poète aux accents divins. Si ces complaisances paresseuses de la postérité profitent quelquefois à des personnages peu dignes, plus souvent elles font tort aux grands hommes. Il semble que justice suffisante leur ait été rendue, parce qu’on leur paie en l’occasion un tribut de vulgaires louanges, tandis que leurs titres les plus précieux restent ensevelis dans la poussière. En sorte que, s’ils pouvaient tout à coup soulever les pierres de leurs tombes, on ne sait quel sentiment les agiterait davantage, ou l’indignation de se voir ainsi méconnus, ou l’orgueil d’être entourés de tant d’hommages alors même qu’on les connaît si peu.
Dante a fait l’expérience de ces singulières destinées de la gloire humaine. L’oeuvre de tant de veilles et de tant de prédilection, à laquelle il sacrifia sa vie et par laquelle il vainquit la mort, la divine comédie, ne nous est arrivée, après six cents ans, qu’en perdant pour nous sa valeur philosophique, c’est-à-dire, peut-être sa valeur principale. Parmi ceux qu’on appelle les gens instruits, beaucoup ne connaissent du poème entier que l’enfer, et, de l’enfer, que l’inscription de la porte et la mort d’Ugolin. Et le chantre des douleurs résignées du purgatoire, celui qui raconta les radieuses visions du paradis, leur apparaît comme une figure sinistre, comme un épouvantail de plus dans ces ténèbres fabuleuses du XIIIe siècle déjà peuplées de tant de fantômes. D’autres, plus éclairés, n’ont pas voulu être plus justes. Ainsi Voltaire ne voit, dans la divine comédie, » qu’un ouvrage bizarre, mais brillant de beautés naturelles, où l’auteur s’élève dans les détails au dessus du mauvais goût de son siècle et de son sujet. » si les critiques de nos jours en ont abordé la lecture avec des dispositions plus sérieuses, quelques-uns n’y ont découvert qu’une inspiration pieusement érotique, d’autres un manifeste politique écrit sous la dictée de la vengeance. Pour les uns et pour les autres, les fréquents passages dogmatiques qui s’y rencontrent ne sont guère que la végétation parasite d’un esprit trop fécond, et comme la mauvaise herbe de la science contemporaine qui jetait partout ses racines.
Enfin, les historiens de la philosophie, tout en revendiquant ce qui lui appartient dans cette vaste composition, se sont contentés de poser la thèse sans entrer dans la controverse, laissant croire qu’ils appréciaient mal l’importance du résultat. Et pourtant, c’était à eux, c’était aux intelligences méditatives, exemptes de la contagion de l’erreur, qu’il en appelait, le vieux poète, lorsque, interrompant ses récits commencés, il songeait avec tristesse à ceux qui ne le comprendraient pas, et s’écriait d’une voix noblement suppliante : » ô vous qui avez l’entendement sain, soyez attentifs à la doctrine qui se cache sous le voile de ces vers étranges : (…). » ainsi, en nous proposant de mettre en lumière la philosophie de Dante, nous ne prétendons pas signaler un fait inaperçu, mais insister sur un fait négligé. L’ambition des découvertes n’est point la nôtre. Nous avons estimé que ce serait faire beaucoup pour nos forces, et peut-être aussi quelque chose pour la science, que de nous emparer d’une donnée fournie par des autorités respectables, et de la suivre dans ses développements qui peuvent offrir plus d’un genre d’intérêt.
Et d’abord, de toutes les choses du moyen âge, la plus calomniée, celle dont la réhabilitation s’est fait le plus attendre, c’est sa philosophie.
Contre elle l’ignorance a suscité le dédain, et le dédain à son tour a encouragé l’ignorance.
On nous l’a représentée parlant un langage barbare, pédantesque dans ses habitudes, monacale dans ses tendances. Sous ces dehors défavorables, nous l’avons facilement crue absorbée dans des préoccupations toutes théologiques, alternativement livrée à des spéculations sans profit, ou à des disputes qui n’ont pas de fin. Il nous paraissait que Leibnitz avait traité l’école avec une souveraine indulgence, en assurant qu’on trouverait de l’or dans son fumier. -or, voici une philosophie qui s’exprime dans la langue la plus mélodieuse de l’Europe, dans un idiome vulgaire que les femmes et les enfants comprennent. Ses leçons sont des chants, que les princes se font réciter pour charmer leurs loisirs, et que répètent les artisans pour se délasser de leurs travaux. La voici dégagée du cortège de l’école et de la servitude du cloître, aimant à se mêler aux plus doux mystères du coeur, aux plus bruyantes luttes de la place publique : elle est familière, laïque, et tout à fait populaire. Si l’on essaie de la suivre dans le cours de ses explorations, on la voit, partie de l’étude profonde de la nature humaine, s’avancer, étendant ses conjectures sur la création tout entière, pour s’aller perdre à la fin, mais à la fin seulement, dans la contemplation de la divinité. On la trouve partout ennemie des subtilités dialectiques, n’usant d’abstractions que sobrement, et comme de formules nécessaires pour coordonner des connaissances positives ; peu rêveuse, et moins empressée à la réforme des opinions qu’au redressement des moeurs. Puis, si l’on s’enquiert de son origine, on apprend qu’elle naquit à l’ombre de la chaire des docteurs scolastiques, qu’elle se donne pour leur interprète, qu’elle en fait preuve, et qu’elle en fait gloire. -il y a là, sans doute, un phénomène remarquable en soi. Mais, peut-être, il y aura plus. On se laissera réconcilier par l’élève avec ses maîtres ; on ira s’asseoir à leurs pieds. Les préventions accumulées se dissiperont, et laisseront reconnaître une vaste lacune dans l’histoire de la science. Une lacune reconnue est bien près d’être remplie.
Il existe des préventions d’une autre sorte, qu’il n’importe pas moins de repousser. Le nombre est grand aujourd’hui de ceux qui n’attribuent à la poésie qu’un mérite purement esthétique, et n’y voient qu’une beauté résultant de la triple harmonie des pensées, des pensées avec les paroles, des paroles entre elles. Du reste, ces esprits étroits ne tinrent jamais compte ni de la valeur logique de la pensée, ni de la portée morale de la parole. Pour eux, l’art n’est qu’une jouissance sans but ultérieur, parce que la vie est un spectacle sans signification sérieuse ; ils demeurent captifs dans le monde visible, dont le sensualisme et le scepticisme leur ferment les issues. Leurs traditions sont celles de quelques poètes de l’antiquité et des temps modernes, qui ne célèbrent que des sensations et des passions, et dont le triomphe était de produire dans ceux qui les écoutaient la terreur et la pitié, c’est-à-dire deux affections stériles. De là, cette indifférence qui accueille aujourd’hui beaucoup de tentatives poétiques : de là, ces colères des auteurs délaissés, et, si l’on peut dire ainsi, cette impénétrabilité réciproque de la littérature et de la société, qui les empêche de s’unir pour se vivifier mutuellement. Or, voici un poète qui parut dans un siècle tumultueux, qui marcha comme enveloppé d’orages.
Cependant, derrière les ombres mouvantes de la vie, il a pressenti des réalités immuables. Alors, conduit par la raison et par la foi, il devance le temps, il pénètre dans le monde invisible ; il s’en met en possession ; il s’y établit comme dans sa patrie, lui qui n’a plus de patrie ici-bas.
De ces hauteurs, s’il laisse encore tomber ses regards sur les choses humaines, il en découvre à la fois le principe et la fin ; par conséquent, il les mesure et il les juge. Ses discours sont des enseignemens qui subjuguent les convictions et qui inclinent les consciences, en même temps que, par le rhythme, ils se fixent dans les mémoires. C’est comme une prédication qui se fait parmi les multitudes, ne se taisant jamais ; qui les captive, en s’emparant de ce qu’il y a de plus fort en elles, l’intelligence et l’amour. C’est donc une poésie qui, aux trois harmonies d’où la beauté résulte, en joint deux autres : l’harmonie de la pensée avec ce qui est, c’est-à-dire, la vérité ; l’harmonie de la parole avec ce qui doit être, c’est-à-dire, la moralité.
Ainsi, elle porte en soi une double valeur logique et morale, par où elle répond aux besoins les plus chers du plus grand nombre des hommes : elle se fait comprendre de ceux qu’elle a compris ; elle est nécessairement sociale. -il y a encore là un phénomène qui mérite sans contredit une place dans l’histoire de l’art. C’est plus qu’un phénomène ; c’est un exemple.
Et l’exemple, quand il est excellent, entraîne après soi la réfutation des théories contraires.
Enfin, l’union de deux choses si rares, une philosophie poétique et populaire, une poésie philosophique et vraiment sociale, constitue un événement mémorable qui indique un des plus hauts degrés de puissance où l’esprit humain soit jamais parvenu. Que si toute puissance a sa raison d’être dans les circonstances contemporaines, l’événement que nous signalons nous donnera lieu d’apprécier la culture intellectuelle de l’époque où il se rencontra.
Comme nous nous arrêtons avec respect devant la maison qui vit naître un homme illustre, encore que les murs en soient noircis par la vétusté, et que nous n’en comprenions pas l’ordonnance intérieure, nous apprendrons aussi à respecter la civilisation au sein de laquelle il vécut, bien qu’elle nous apparaisse confuse dans l’ombre des temps. Alors il faudra modifier quelques-unes de nos habitudes historiques : nous pourrons être contraints d’avancer, de deux siècles et plus, cette date généralement admise de la renaissance, qui suppose d’une manière calomnieuse l’abrutissement de dix générations antérieures. Il faudra confesser qu’on savait déjà l’art de penser et de dire, alors qu’on savait encore croire et prier. Nous rendrons hommage à cet âge catholique, à cette belle adolescence de l’humanité chrétienne, vers laquelle, en ces jours où nous sommes de virilité orageuse, nous avons besoin de reporter quelquefois nos regards. Ces aveux tardifs ne manquent pas maintenant. Et néanmoins, s’il nous est permis d’attacher quelque espérance à ce travail, ce sera l’espérance de les multiplier encore.
C’est surtout un intérêt de piété filiale qui nous a dominé pendant que nous avons recueilli les faits et les idées qu’on va lire : c’étaient pour nous quelques fleurs de plus à répandre sur les tombes de nos pères, qui furent bons et grands ; quelques grains d’encens de plus à offrir sur les autels de celui, qui les fit bons et grands pour ses desseins.
Ces motifs, qui ont déterminé le choix du point de vue philosophique où nous nous sommes placé, ne nous feront pas oublier les bornes de l’horizon qu’il embrasse. Nous ne chercherons pas à embrasser le cadre immense, à découvrir tous les mystérieux labyrinthes, de la divine comédie . Nous savons que les souvenirs du passé, et les scènes du présent ; les passions politiques, et d’autres passions plus tendres ; les traditions nationales, et les croyances religieuses ; et le ciel et la terre, ont pris part à cette admirable création : (…).
Nous y reconnaissons des éléments épique, élégiaque, satirique, didactique, rassemblés dans une combinaison savante. L’élément didactique, à son tour, nous paraît divisible en deux autres : le premier, purement théologique ; le second, véritablement philosophique. Mais la divine comédie ressemble à ces vastes héritages tombés entre les mains d’une postérité débile et appauvrie, qui les morcelle pour les cultiver.
Nous avons pris la portion la plus inculte, mais peut-être une des plus fécondes. Nous ne saurions la défricher sans mettre d’abord le pied hors de ses limites.
Toute chose en effet doit être étudiée dans son milieu. Alors même qu’on s’efforce d’en isoler quelqu’une pour mieux s’en rendre maître, on ne saurait la soustraire entièrement aux influences du dehors. Dans toute abstraction il reste un peu de réalité, comme, dans le vide artificiel, il reste toujours un peu d’air. Un système philosophique n’est point un fait solitaire ; il est le produit du concours de toutes les facultés de l’âme : ces facultés obéissent à une éducation antérieurement reçue, à des impulsions extérieures. Il est donc utile, en commençant, d’étudier l’aspect général de l’époque de Dante, les phases de la scholastique contemporaine, les caractères spéciaux de l’école italienne à laquelle il appartint, les études et les vicissitudes qui remplirent sa vie, et l’action que ces causes réunies durent exercer sur ses doctrines. Telle sera la première partie de cet essai.
C’est assurément dans la divine comédie que s’est formulé le génie de son auteur. Mais le génie ne saurait se contenir tout entier dans une formule, si vaste qu’elle soit. Il faut qu’il la déborde, et que, soit en préludant à son oeuvre préférée, soit en la suspendant quelquefois, il laisse échapper ailleurs ce qu’il y a d’exubérant dans ses inspirations. Aussi, la même main qui traça la divine comédie, jeta, comme en se jouant, d’autres écrits qui en sont le commentaire et le complément naturel. De tous ces documents rapprochés entre eux, mais en nous attachant surtout aux conceptions qui se rencontrent dans le poème, en nous astreignant même à la méthode que nous croyons y reconnaître, nous tenterons de faire ressortir une complète analyse de la philosophie du poète : deuxième et principal objet de nos investigations.
Enfin, après avoir ébauché tous les traits de cette philosophie, nous aurons à en caractériser l’ensemble. Nous nous transporterons dans les divers ordres d’idées anciennes, intermédiaires, et modernes, au centre desquelles elle nous paraît placée. Nous examinerons par quels points elle tient aux unes ou aux autres ; comment elle touche aux souvenirs de l’académie ou du lycée, aux disputes des réalistes et des nominaux, aux débats récents du sensualisme et du spiritualisme. Ainsi, trop pénétré de notre faiblesse pour juger nous-même la philosophie de Dante, nous la traduirons au tribunal de l’histoire, où elle aura pour juges Aristote et Platon, saint Thomas et saint Bonaventure, Bacon et Leibnitz. Puis, nous nous élèverons avec elle au-dessus des systèmes qui passent ; nous la suivrons au pied d’un tribunal immuable, celui de la religion. Et, nous prêtant à d’anciennes controverses renouvelées naguère, nous verrons s’il faut reléguer le poète italien parmi la foule tumultueuse des esprits hétérodoxes, ou l’admettre au nombre des plus nobles disciples de l’éternelle orthodoxie. Ce sera la troisième partie, et le terme du travail que nous entreprenons.
Parvenus à ce terme, si nous regardons derrière nous, nous ne saurons nous dissimuler l’insuffisance de nos investigations. La divine comédie est, en quelque sorte, le résultat composé de toutes les conceptions du moyen âge, chacune desquelles à son tour résulte d’une lente élaboration poursuivie à travers les écoles chrétiennes, arabes, alexandrines, latines, grecques, et commencé dans les sanctuaires de l’Orient. Il importerait de redire cette longue généalogie. Il importerait de savoir combien il faut de siècles et de générations ; combien de veilles ignorées, de pensées péniblement obtenues, abandonnées, reprises, transformées, pour faire possible un tel ouvrage : ce qu’il coûte, et, par conséquent, ce qu’il vaut. Mais des études de ce genre n’auraient pas de fin. Si Bernardin De Saint-Pierre découvrit un monde d’insectes sur un fraisier, et, après vingt jours de méditation, se retira confondu devant les merveilles de l’humble plante, est-il étonnant qu’un grand homme, un seul livre de ce grand homme, un seul aspect de ce livre suffise au labeur de plusieurs années ? Mais des années consumées de la sorte seraient-elles sans regret ? …
comme notre poète, pèlerin dans les régions sans bornes de l’histoire, entouré de toutes les figures du passé, il ne nous est permis qu’un court entretien avec chacune d’elles, sous peine de ne pouvoir aborder les autres.
à nous comme à lui, il semble qu’une voix crie : » que le temps nous est mesuré, et que des choses inattendues nous restent à voir. «