De l’assistance qui humilie et de celle qui honore

Francisco Javier Fernández ChentoArticles de Frédéric OzanamLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Frédéric Ozanam · Année de la première publication : 1848 · La source : Œuvres complètes T. 7 (ed 1855-1865).
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Nous n’aimons pas à croire les peuples ingrats : nous croyons seulement à l’impuissance dos mots pour faire le salut des sociétés, s’ils ne sont com­mentés par les inslitutions. Nous croyons à deux sortes d’assistance, dont l’une humilie les assistés et l’autre les honore. Ce n’est pas le gouverne­ment seul, ce sont tous les honnêtes gens voués par la religion ou par humanité au service des pauvres en des temps si difficiles, qui doivent choisir entre ces deux manières de secourir les hommes.

Oui, l’assistance humilie, quand elle prend l’homme par en bas, par les besoins terrestres seu­lement, quand elle ne prend garde qu’aux souf­frances de la chair, au cri de la faim et du froid, à ce qui fait pitié, à ce qu’on assiste jusque chez les bêtes : car les Indiens ont des hôpitaux pour les chiens, et la loi anglaise ne permet pas de maltrai­ter impunément les chevaux. L’assistance humilie, si elle n’a rien de réciproque, si vous ne portez à vos frères qu’un morceau de pain, un vêtement, une poignée de paille que vous n’aurez probable­ment jamais à lui demander, si vous le mettez dans la nécessité douloureuse pour un cœur bien fait de recevoir sans rendre; si, en nourrissant ceux qui souffrent, vous ne semblez occupé que d’étouffer des plaintes qui attristent le séjour d’une grande ville, ou de conj urer les périls qui en menacent le repos.

Mais l’assistance honore quand elle prend l’homme par en haut, quand elle s’occupe, premièrement de son âme, de son éducation religieuse, morale, politique, de tout ce qui l’affranchit de ses passions et d’une partie de ses besoins, de tout cc qui le rend libre, et de tout ce qui peut le rendre grand. L’as­sistance honore quand elle joint au pain qui nourrit la visite qui console, le conseil qui éclaire, le ser­rement de main qui relève le courage abattu ; quand elle traite le pauvre avec respect, non-seule­ment comme un égal, mais comme un supérieur, puisqu’il souffre ce que peut-être nous ne souffri­rions pas, puisqu’il est parmi nous comme un en­voyé de Dieu pour éprouver notre justice et noire charité, et nous sauver par nos œuvres.

Alors l’assistance devient honorable parce qu’elle peut devenir mutuelle, parce que tout homme qui donne une parole, un avis, une consolation aujour­d’hui, peut avoir besoin d’une parole, d’un avis, d’une consolation demain, parce que la main que vous serrez serre la vôtre à son tour, parce que cette famille indigente que vous aurez aimée vous aimera, et qu’elle se sera plus qu’acquittée quand ce vieillard, cette pieuse mère de famille, ces petits enfants, auront prié pour vous.

Voilà pourquoi le Christianisme place les œuvres spirituelles de miséricorde au-dessus des tempo­relles, et demande que les premières accompagnent les secondes. Voilà pourquoi lorsque le vendredi saint le pape va, à l’hôpital des Pèlerins, laver les pieds des pauvres cl les servir à table, après qu’il a versé Peau sur le pied de quelque misérable paysan devant lequel il s’agenouille, il le baise avec vénération, apprenant par cet exemple au riche que son or est bien froid, s’il n’y joint l’aumône des lèvres et du cœur; au pauvre, qu’il n’est pas de condition plus honorable que la sienne, puisque la religion met à ses pieds celui qui est le vicaire de Dieu et le chef spirituel de l’humanité.

Voilà pourquoi enfin l’Eglise avait donné à l’as­sistance telle qu’elle la voulait cc doux nom de charité, qu’il ne faut plus repousser comme on l’a trop fait, qui exprimait plus que ce nom même si populaire de fraternité : car tous les frères ne s’aiment pas, et charité signifie amour.

Qu’on nous permette l’application de ces prin­cipes à quelques exemples. Dans plusieurs arron­dissements de Paris, la distribution des secours aux ouvriers sans travail se fait par des porteurs sala­riés ; à peu près comme ces personnes opulentes qui distribuent leurs aumônes par les mains de leurs laquais. Comment les familles assistées se­raient-elles émues d’un bienfait qui a toute l’exac­titude, mais aussi toute la sécheresse d’une mesure de police? A-t-on jamais vu les gens reconnaissants et touchés jusqu’aux larmes de la régularité avec laquelle les bornes-fontaines s’ouvrent chaque matin et les rues s’éclairent chaque soir?

Le gouvernement a sauvé de la misère douze mille citoyens en leur assignant des terres en Algé­rie. Il a pourvu avec un soin qu’on ne saurait trop louer à la solennité du départ, à la commodité du transport, aux besoins matériels du premier établissement. Qu’a-t-il lait pour les besoins de l’esprit? Le jour marqué pour le départ est ordi­nairement le dimanche ; pourquoi la messe célé­brée au lieu même de l’embarquement ne répan­drait-elle pas les consolations de la foi sur ces familles voyageuses dont les cœurs troublés demandent une protection plus puissante que celle des hommes? où sont les aumôniers qui accompagneront la nou­velle colonie sur ce terrain dangereux, sous ce ciel de feu dont les ardeurs sont peut-être moins brû­lantes que les passions? où sont.les asiles, les écoles, où est l’enseignement qui formera non- seulement les enfants, mais les adultes à une con­dition si nouvelle, aux leçons de l’hygiène qui sau­vera leur vie, de l’agriculture qui en fera l’emploi?

Yous allez ouvrir au peuple de Paris un certain nombre de chauffoirs publics. C’est une mesure bienfaisante. Mais avez-vous songé à l’emploi de ces longues soirées? Livrerez-vous les loisirs de ces nombreux travailleurs à la propagande du vice, de rémeute? ou bien profiterez-vous de ce privilège qui vous est donné d’assembler les hommes pour les occuper honorablement, pour les instruire, pour les renvoyer sous leur toit plus éclairés et meil­leurs?

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