De la devotion a l’analyse historique

Francisco Javier Fernández ChentoFormation VincentienneLeave a Comment

CRÉDITS
Auteur: Jean Morin, C.M. · Année de la première publication : 1984 · La source : Vincentiana 1984.
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Cette causerie est programmée en fin de première semaine, la semaine consacrée à la méthodologie. Je me trouve donc en situa­tion de transition et cela — je l’avoue — me sécurise un peu.

Je ne suis pas, en effet, un spécialiste du niveau de ceux qui m’ont précédé et — de ce fait — je n’avais pas ma place dans cette partie du mois vincentien d’un caractère plutôt technique. Le fait de me trouver en situation de transition et — qui plus est — en début de « week-end »… atténue mes complexes et m’autorise peut-être à quelques libertés dans la manière d’aborder le sujet.

Je vous propose donc une série de réflexions personnelles qui pourrait s’intituler: « de la dévotion à l’analyse historique » ou, si vous voulez, « de l’image d’Abelly à l’étude de Coste ».

Je vous al dit que je n’étais pas un spécialiste (et ne voyez là aucune modestie… ni vraie ni fausse!) je suis un lecteur assidu et passionné de St Vincent, un lecteur qui a eu le temps et les moyens de satisfaire son « vice ». Le temps, car depuis quelques 22 ans, je me trouve dans des situations qui m’ont permis de lire et de relire… les moyens, ne serait-ce que celui de pouvoir aborden St Vincent dans sa langue et croyez que je mesure le mérite de celles et ceux qui n’ont pas cette facilité au départ.

« De la dévotion à l’analyse historique »: cela résume assez bien mon parcours dans la connaissance de St Vincent. Si j’ose aborder le sujet d’une façon aussi personnelle et dans le ton du témoignage, c’est parce que je crois que ce « parcours » fut celui de la très grande majorité des prêtres et frères de la Mission, du moins les francophones de ma génération et au-dessus!

Et l’on sait bien que l’image que nous nous faisions de St Vin­cent était largement diffusée et proposée aux Filles de la Charité… une image — on va le voir — souvent incomplète et même grave­ment déformée.

Les étapes de ce  » parcours-type » du Lazariste moyen peuvent se ramener à cinq:

  1. La période « Abelly »
  2. L’image d’Abelly rectifiée par les entretiens aux Missionnai­res (XI-XII)
  3. La période du tome XIV ou « l’exploitation de la table analytique.
  4. La lecture « systématique », de Coste
  5. L’analyse historique

I. La période de la « dévotion » selon Abelly

Quand je suis entré au Séminaire Interne, en 1940, j’ai trouvé sur ma table, comme tous mes condisciples, 9 livres et un carnet noir: la Bible, I ‘Imitation de Jésus-Christ, les 4 volumes de Rodríguez (que l’on lisait déjà au réfectoire de St Lazare en 1658: XII, 12) et les 3 tomes d’Abelly: « La vie du Vénérable serviteur de Dieu, Vincent de Paul ». Quant au carnet noir, il s’agissait des Règles du Séminaire copiées — l’année précédente — par les séminaristes de 2′ année et que l’on recopiait… en respectant les fautes et — sans doute — en y ajoutant quelques autres de notre cru. Tel était le menu de la 1ére année de Séminaire et je me souviens qu’il était mal noté de souhaiter ajouter quelque « extra » à ce programme de lectures. Selon nos maitres et la tradition, ces ouvrages devaient suffire à notre formation et ali­mentation pour l’année.

C’est donc ainsi qu’a commencé le parcours. J’avais 17 ans quand j’ouvris mon ter livre sur St Vincent… et c’était Abelly. Exté­rieurement, les livres n’avaient rien d’appétissant: reliés en noir, avec une typographie détestable, sans la moindre illustration… mises à part les réflexions et commentaires que les générations précédentes avaient eu l’audace de griffonner dans les marges. Je ne parle pas des pages déchirées, des taches d’encre et des empreintes digitales de nos glorieux anciens. Bref, tout ce qu’il fallait pour entrainer un jeune de 17 ans dans l’étude sérieuse de St Vincent. Quant à la méthode imposée, elle était des plus scolaires. Il fallait lire et résumer chapi­tre par chapitre et cela dans les délais prescrits. C’est ainsi qu’il y avait une sorte de compétition entre nous: ce serait à qui termine­rait le premier!

J’ai évoqué le « contenant » et la méthode et je ne m’attarde pas sur le « contenu » puisque le sujet a déjà été très sérieusement traité, en début de semaine. Je fais simplement remarquer qu’á 17 ans et sans initiation, il nous était bien difficile d’apprécier la valeur du tra­vail d’Abelly et d’en imaginer les limites.

Curieusement, je me suis aperçu (car j’ai Bardé des notes de l’époque!) que très rares — au cours de l’année — étaient les confé­rences sur St Vincent. On expliquait Règles et Règlements, avec de-ci de-là quelques citations ou quelques allusions. On parlait beaucoup des vertus et peu de l’histoire. Quant à Coste, ce fut le Brand absent et l’illustre inconnu de mon Séminaire Interne, mise à part la lecture publique de telle ou telle conférence, de temps à autre.

Je pense n’avoir ni caricaturé, ni mémé exagéré et je n’en veux pas le moins du monde ‘á mes formateurs de l’époque… d’autant que nous étions alors en période de guerre et donc dans une situation particulière et difficile.

Ce qu’il y a de plus grave, c’est que — sortis de cette lère année de Séminaire Interne — aucune étude sérieuse sur St Vincent n’était programmée jusqu’á l’ordination sacerdotale et le premier placement. Quelques rarissimes et courageux originaux mis à part, on pouvait ainsi parcourir le reste de sa « formation » sans avoir rencontré un volume de Coste et sans avoir lu ne serait-ce qu’une lettre de St Vin­cent.

On entretenait en nous la dévotion sans vraiment nous inciter à la lecture et à l’étude de St Vincent. On insistait plus sur les venus que sur l’histoire. Bref, nous vénérions le saint sans avoir pu rencon­trer l’homme.

Sans l’avoir sérieusement étudié, Abelly exerçait une influence considérable et mémé unique et c’est son « image » de St Vincent qui s’est imposée à nous tout au long de notre formation, comme depuis 1664 dans la Congrégation. Très rares ont été les occasions de rectifier ou d’améliorer cette image. Cette « image », il est inutile de la rappeler ici puisque l’étude en a été faite. Je me contente de confirmer qu’au terme de ma formation, nous en étions tous prati­quement restés là.

II. L’image d’Abelly rectifiee par les entretiens aux missionnaires (XI-XII)

Cette deuxième étape du « parcours » a été heureusement un progrès… mais un progrès bien limité et comportant mémé quelque danger. En ce qui me concerne, ce fut à l’occasion de ma nomina­tion de sous-directeur de Séminaire Interne. Quelques 16 ans après, je retrouvais le Séminaire pratiquement comme je l’avais quitté… avec toujours les 9 livres et le carnet noir. Ayant quelques loisirs, je me suis astreint à la lecture et à l’étude (sommaire… on va le voir) des tomes XI et XII de Coste.

Lecture consciencieuse, je crois, mais sans initiation ni vérita­ble méthode. Où les aurai-je trouvées à cette époque?… n’ayant pas encore rencontré un certain M. Dodin.

Cependant, je me souviens avoir découvert alors un St Vincent un peu plus « humain » et vivant surtout dans les répétitions d’orai­son et quelques conférences, celle « sur la méthode à suivre dans les prédications » (XI, 257-287) par exemple ou celle du 6 décembre 1658 sur « la fin de la Congrégation de la Mission » (XII, 73-94). Mais j’étais davantage impressionné par le St Vincent, supérieur de commu­nauté, soucieux de régularité, de silence, d’uniformité, de pauvreté, d’obéissance… autant de vertus qu’il convenait — me disait-on — de rappeler constamment aux jeunes dont nous avions la charge. Bref, et curieusement, le St Vincent découvert dans les tomes XI et XII et surtout le tome XII semblait se superposer relativement bien à « 1′ image d’Abelly ». Et c’est pourquoi j’ai qualifié cette 2éme étape du parcours comme celle « d’une image d’Abelly « rectifiée »… et je pense: « á peine rectifiée ». En fait, ma moisson — dans les tomes XI et XII — n’était qu’une sorte d’arsenal de citations et références pour illustrer « l’image d’Abelly ».

Je ne me souviens pas — qu’á l’époque — quiconque ait attiré mon attention sur 2 évidences, à savoir:

  • le probléme des dates
  • l’importance du genre littéraire

La démarche proposée et encouragée était toute autre: nous en restions à la dévotion… même si cette dévotion commençait timide­ment à s’alimenter d’une nourriture un peu plus substantielle.

Mais j’en reviens aux problèmes tout simples des dates et du genre littéraire qui — sans remettre en cause évidemment la valeur inappréciable de ces 2 tomes de Coste — auraient dû nous amener à relativiser un peu la « découverte » de cette deuxième étape.

Il aurait suffi — par exemple — de constater que sur les quel­ques 890 pages de ces 2 tomes, 720 environ (c’est-á-dire 70%) se situent entre les 75 et 80 ans de St Vincent (100 pages étant — de par ailleurs — non datées et empruntées pour la plupart à Abelly). aurait suffi de remarquer que le tome XII commence par la fameuse conférence du 17 mai 1658, St Vincent étant dans sa 78éme année. Je ne prétends pas en déduire — vous le comprendrez bien — que le St Vincent âgé est tout autre et moins « authentique » que le St Vincent plus jeune. Pour dépasser cette tentation il suffirait de relire la conférence du 6 décembre 1658 et — entr’autres — ce morceau de bravoure: « Mais qui sera-ce qui nous détournera de ces biens commencés? ce seront des esprits libertins, libertins, libertins, qui ne demandent qu’à se diver­tir, et, pourvu qu’il y ait à diner, ne se mettent en peine d’autre chose. Qui encare? ce seront… Il vaut mieux que je ne le dise pas. Ce seront des gens mitonnés disait cela en mettant les mains sous ses aisselles, contrefaisant les pares­seux), des gens qui n’ont qu’une petite périphérie, qui bornent leur vue et leurs desseins à certaine circonférence oú ils s’enferment comme en un point; ils ne veulent sortir de là; et si on leur montre quelque chose au delà et qu’ils s’en approchent pour la considérer, aussitôt ils retournent en leur centre, comme les limaçons en leur coquille. (Notons qu’en disant cela il faisait de cer­tains gestes de mains et des mouvements de te’ te, et avec une certaine inflexion de voix dédaigneuse, en sorte que cela exprimait mieux ce qu’il voulait dire que ce qu’il disait). (XII, 92-93)

Tel était M. Vincent dans sa 78éme année! Mais quoi qu’il en soit, il est honnête et nécessaire de tenir grand compte des dates, de l’âge, comme il est normal de reconnaitre que la sainteté ne dispense pas totalement du poids des ans et des préoccupations habituelles au grand âge. Il semble bien, en effet, que malgré cette audace mis­sionnaire que nous venons d’évoquer, tout normalement St Vincent se montre — depuis quelques années déjà — plus soucieux de struc­turer, d’organiser et de sauvegarder ce qu’il a conçu et fondé. Qui pourrait le lui reprocher?

Autre remarque concernant les dates des documents: il convient de se souvenir que les textes que nous avons ne sont qu’une partie infime des Entretiens que St Vincent a animés entre 1625 et 1660. Ils ne peuvent donc nous donner qu’une idée partielle, incomplète de la pensée de St Vincent. Cette remarque s’applique surtout à la période antérieure au 15 août 1657. Le mémoire du Frère Ducourneau donne des éclaircissements sur ce point en XII, 445-450.

Et venos-en au genre littéraire et cette observation s’applique sur­tout au tome XII, celui qui — incontestablement — fut le plus « exploité » dans cette deuxième étape du parcours.

Le genre littéraire… on en parlait depuis quelques années… même en exégèse! Mais — curieusement — l’hagiographie semblait plus inaccessible à ce genre d’approche. Quoi de plus simple et évi­dent, cependant que de remarquer et souligner que — dans sa majeure partie — le tome XII est une explication des Règles Commu­nes et donc ce qu’on appelle à juste titre un « genre littéraire » qui a ses lois, ses usages, ses richesses et ses limites.

Ce genre littéraire de l’explication des Règles n’est pas toujours — et j’en al fait l’expérience! — celui qui est le plus apte à révéler une personnalité dans sa vérité et sa spontanéité. C’est une presta­tion souvent préparée, avec un ler point, un 2eme point, un 3éme point… et il est d’ailleurs remarquable que St Vincent ait pu — mal­gré tout — y révéler souvent le meilleur de lui-même et le plus clair de son projet. Il savait, de temps à autre, se libérer du genre litté­raire et de ses contraintes (voir par ex. XII, 325-340 sur la récitation de l’office divin…). Mais il est — je crois — important de se souve­nir que des générations de pi-ares de la Mission francophones se sont représentés St Vincent et l’ont présenté (en particulier aux Filles de la Charité), à partir de « l’image pleine de dévotion d’Abelly » corrigée par l’image du St Vincent de 1658-1660 expliquant les Règles communes.

Car, j’ai souvent eu l’occasion de le constater, pendant longtemps bon nombre de confrères en sont restés à cette deuxième étape: Abelly plus les Entretiens aux Missionnaires… n’ayant d’ailleurs ni le temps ni les instruments pour aller plus avant. Et pour beaucoup, l’image d’Abelly n’a été que peu rectifiée par les « Entretiens » et, peut-être même que les Entretiens ont accentué, parfois, l’image d’un St Vincent plutôt rigoureux et exigeant, plutôt austère et autoritaire, du fait, sans doute et entr’actes, du genre littéraire. C ‘est dans ce sens que j’ai osé dire que — pour moi tout au moins — cette deuxième étape du parcours a été un progrès, mais un progrès limité et com­portant même quelque danger.

III. L’exploitaition du tome XIV

A ce stade du parcours, je remarque que je n’avais guère encore rencontré l’homme M. Vincent! Et malgré cela, je fus nommé direc­teur du Séminaire Interne. Bien conscient de mes limites — et c’était la moindre des choses — je fis appel aussitôt à M. Dodin et je me souviens de ces sessions régulières dont je fus le grand bénéficiaire. Je n’en dirai pas plus (par discrétion) si ce n’est que les séminaristes se sont enfin vus proposer une initiation sérieuse à l’étude de St Vin­cent, une méthode de travail… et Coste rejoignit enfin Abelly sur les vieilles tables du Séminaire!

Cette rencontre fut déterminante même si — pour le moment — je n’avais pas encore la possibilité et le temps de me lancer dans la lecture méthodique de Coste. Je savais du moins — désormais — que je ne connaitrais vraiment St Vincent que par cette voie et à cette condition.

Ne pouvant donc lire systématiquement tout Coste, tome après tome, je me souviens avoir beaucoup utilisé à l’époque le tome XIV, la table analytique. Et il convient sans doute de nous arrêter un peu, dans notre parcours, à cette étape qui — elle aussi — concerne bon nombre de confrères de ma génération. Cette étape était un incontestable progrès puisque elle ouvrait en quelque sorte la porte à tous les documents rassemblés par Coste: correspondance, confé­rences aux Filles de la Charité, Entretiens aux Missionnaires et le tome XIII mais il s’agissait là encore d’un progrès limité et même comportant quelques dangers tant du fait de la table elle-même que du fait de la méthode « économique » qu’elle favorisait.

— 1/ La table analytique elle-même, tout d’abord. Il suffit de l’avoir utilisée un peu pour se faire une idée du travail considérable et remar­quable de Coste. Dans l’introduction de ce tome XIV, il précise lui-même son objectif: « Pour rendre cet ouvrage vraiment pratique et utile, il importe de dégager des 13 volumes dont il se componé ce qui intéresse chaque personnage, chaque collectivité, chaque localité, chaque événement, chacun des enseignements dogmatiques, dis­ciplinaires et moraux de St Vincent et de grouper les matières sujet par sujet dans l’ordre le plus commode pour les recherches, celui de l ‘ alphabet ».

Pour ce qui concerne les personnages, collectivités, localités, ce travail demeure un excellent instrument je crois. Par contre, on aura remarqué le vocabulaire même qu’emploie Coste concernant les enseignements dogmatiques, disciplinaires et moraux de St Vincent. Et c’est bien dans ces perspectives-là que semble avoir été conçue cette table analytique et même avec une préférence pour les « enseigne­ments » disciplinaires et moraux de St Vincent sur les enseignements dogmatiques.

La lecture, plume à la main et page par page, de ce tome XIV est très révélatrice. Je n’en donnerai ici que quelques exemples qui dénonceront les dangers de cette 3éme étape du parcours que nous avons intitulée: « l’exploitation du tome XIV ».

Concernant cette « prédilection » pour les enseignements disci­plinaires et moraux de St Vincent: on remarquera, par exemple qu’á la rubrique « PAUVRES », nous avons une demi-page, et à la rubri­que PAUVRETE (vertu) 4 pages de références, à la rubrique DIEU, 3 pages et à la rubrique SUPERIEURS, 4 pages 1/2, au mot CHA­RITE, 1 page et au mot REGLES, 4 pages 1/2 plus des renvois aux rubriques Filles de la Charité, Congrégation de la Mission, Confré­ries, etc…

La F01: 9 références seulement la plupart concernant les tenta­tions contre la foi. Par contre, la mortification a droit à 1 page; la sainte indifférence à 1 page; l’obéissance à 2 pages; uniformité et la singularité à 1 page…

« Pour notre récréation… » comme disait parfois St Vincent quand — par une anecdote — il essayait de détendre son auditoire… j’ai remarqué — au passage — que le mot  » JESUITES » bénéfi­ciait d’un peu plus de 2 pages et le mot suivant « JESUS-CHRIST » d’une seule page!!

J’ai remarqué — également — qu’au mot « GAIETE », la table renvoie à la rubrique « Melle. LEGRAS »!!!

Mais trêve de plaisanterie! Chacun comprend bien que l’on peut faire chanter et même chanter faux une table analytique. Il n’en est pas moins vrai que ces quelques exemples montrent bien le danger qu’il y a de s’en remettre plus ou moins aveuglément à une table pour rencontrer la pensée de St Vincent et illustrer sa présentation. Et pourtant, avouons-le… et je l’avoue, à ce stade de notre parcours vers « 1′ analyse historique », après l’image « dévotionneuse » d’Abelly… à peine rectifiée par la lecture du tome XII, beaucoup d’entre-nous ont considéré comme un réel progrès l’utilisation et sou- vent « l’exploitation » de ce fameux tome XIV de Coste.

Quelques rapides remarques encore sur cette table analytique. D’abord au niveau du vocabulaire. Qui pourrait reprocher à Coste de ne pas employer celui de Vatican II? Vous allez au mot « Eglise » et vous ates déçus de n’y trouver que 12 lignes et des références le plus souvent orientées sur la responsabilité du clergé et le danger des hérétiques. Vous vous reportez sur le mot « Monde » et vous ne trou­vez que des références sur « l’esprit du monde » opposé aux « maxi­mes évangéliques ». Nous voilà loin de « Gaudium et Spes »… alors que l’esprit inventif de St Vincent en est souvent si près!

Vous cherchez le mot COMMUNAUTE et… surprise… n’existe qu’au pluriel « communautés religieuses » et l’on pourrait mul­tiplier les exemples. Il est évident que ce que nous cherchons se trouve bien dans la table de Coste, du moins le plus souvent, mais sous d’au­tres rubriques, dans un autre langage, une autre mentalité! Ce qui — une fois encore — attire notre attention sur les limites et les dan­gers de l’exploitation du fameux tome XIV.

Je m’empresse de redire que — lorsqu’on sait s’en servir — cette table demeure aujourd’hui des plus précieuses. Pour les noms propres d’abord (personnages, localités, fondations), pour étudier — par exem­ple — la relation de St Vincent avec ses confrères, avec Ste Louise, avec les Filles de la Charité… etc… Précieuse également pour ses rubriques: Vincent de Paul (9 pages); Melle. Legras (9 pages); Congréga­tion de la Mission (10 pages); Filles de la Charité (11 pages); St Lazare (9 pages et demie)… Précieuse enfin pour l’histoire des fondations et l’on remarquera — entr’actes mais sans étonnement — que la fon­dation qui — dans la table — apparait de beaucoup la plus impor­tante est celle de Madagascar (7 pages).

Précieuse donc… mais dangereuse aussi puisque Coste avoue lui-même dans l’introduction son projet et ses perspectives, son insis­tance sur les « enseignements disciplinaires et moraux ». Si l’on n’y prend garde, l’utilisation de la table peut donc rejoindre et enrichir « l’image d’Abelly à peine rectifiée par le M. Vincent de 1658-1660 expli­quant les Règles Communes ».

— 2/ Outre les limites de la table elle-1111111e, ii convient de sou­ligner également les dangers de la méthode « économique » qu’elle peut favoriser. Ce mot « économique » est équivalemment employé par Coste lui-même dans son introduction qu’il termine ainsi (XIVé, VIII): « La table plus vaste qui remplit ce XIVé volume témoignera mieux encore de notre désir de faciliter les recherches des érudits à travers les 8000 pages de la collection. Puissions-nous n’avoir rien oublié de ce qui peut ECONOMISER leur temps et SIMPLIFIER leur tâche ». – Economiser, simplifier… là est bien l’avantage d’une table et aussi son danger… le danger de penser — par exemple — pouvoir en arriver à une synthèse avant d’avoir parcouru l’analyse. Cela peut sembler si simple, si j’ai une conférence à préparer sur l’humilité, de me reporter à la rubrique dans la table et de me faire une idée à partir des références que j’y trouve. C’est évidemment, comme le souhaitait M. Coste, économiser du temps… mais c’est aussi, comme il le pressentait, « simplifier » et courir le risque de dénaturer. Toutes ces références ont en effet un contexte et se situent le plus souvent dans un « genre littéraire » et le danger est grand alors d’absolutiser ce qui n’est que relatif.

Permettez un exemple: la fameuse phrase « ne pas enjamber sur la Providence » qui est devenue comme un trait caractéristique de la personnalité et de la spiritualité de St Vincent. Il y a effective­ment dans la table de Coste 21 références, mais si l’on se soucie un peu du contexte de chacune d’entelles, on s’aperçoit que 7, donc le tiers, s’adressent à un certain M. Bernard Codoing… tellement impulsif, au dire de St Vincent, qu’il demandait les permissions après les avoir prises… et que 14, donc les 2/3, sont en rapport avec Rome dont St Vincent disait (justement à Bernard Codoing): « L’esprit de, ce pays-là est réservé, temporisant et considérant, aime et estime les personnes qui vont PIANO, PIANO et se garde extrêmement de cel­les qui vont vite »… (II, 263)… Et c’est ainsi qu’un conseil manifes­tement très CIRCONSTANCIE devient une maxime fondamentale d’une spiritualité et infléchit l’image que l’on se fait de St Vincent en accentuant sa tendance à temporiser et sa prudence jusqu’á l’at­tentisme! Alors que tant de textes et de faits prouvent qu’il savait Itre entreprenant et parfois téméraire (cf. l’épopée de Madagascar!)

C’est ainsi que l’utilisation du tome XIV peut devenir une sorte « d’exploitation » et qu’économisant le temps, elle peut nous ame­ner à simplifier au point de trahir. Ceci dit, il est évidemment bien vrai que St Vincent avait le culte de la Providence et qu’il aimait en attendre les signes.

Mais reprenons le parcours et — si vous le permettez — mon témoignage de « lazariste-moyen »…

IV. La lecture systematique de Coste

Il y a quelques 22 ans, un ennui de santé me fit passer brutale­ment de l’emploi de directeur du Séminaire Interne à la condition de chômeur et cela durant plus de 2 années. Compte tenu des 3 éta­pes précédentes, on comprend que je me sois alors lancé dans la lec­ture « systématique » et « désintéressée » des 13 tomes de Coste puis du « Grand Saint du grand siècle ».

Je dis lecture systématique parce que — naïvement — j’ai suivi l’ordre de la collection: tome 1, 2, 3… etc… (et je ne le regrette pas!) et je dis lecture désintéressée par opposition à ce que nous venons d’évoquer: « l’utilisation — exploitation » de la table analytique. Cette fois, j’avais l’occasion de lire la totalité de Coste et sans autre objet que de rencontrer, connaitre St Vincent… sans le moindre souci de préparer conférences ou sessions!

Mame si j’étais loin encore de « l’analyse historique » (et d’ail­leurs, y suis-je jamais parvenu??) je conserve de cette lecture le sou­venir (et les notes!) d’une véritable découverte. Enfin, je rencontrais l’homme M. Vincent, l’homme qui évolue, qui expérimente, qui se trompe et rectifie, qui hésite et qui regrette, qui s’inquiété et sur- monte difficultés et désillusions sinon échecs… Bref, un homme et un homme plus impressionnant peut-être et plus attachant en tous cas que le saint que — trop vite et depuis quelques 20 ans — on avait proposé et imposé à notre dévotion… ce saint à l’image d’Abelly, rectifiée par les tomes XI et XII et trop simplement « exploitée » avec la fameuse table analytique et les enseignements disciplinaires et moraux.

Je me souviens entr’actes (était-ce parce que je me trouvais moi-même en difficulté sur ce point?) avoir été très étonné de décou­vrir — dès le tome I — un St Vincent tellement préoccupé de sa chanté et s’entretenant sans respect humain avec Melle. Legras de ses fièvres, de ses rhumes, de ses maux de jambes, etc… Certes, beau­coup de ces références se trouvent dans le tome XIV (634-635) mais la rubrique m’avait échappé et d’ailleurs seule la lecture, lettre après lettre, met en relief ce type d’observations.

Et c’est ainsi que, tome après tome, j’ai cheminé avec St Vin­cent. Remarquez que ce ne fut pas toujours facile et passionnant de la première à la dernière page. Toute étude comporte son ascèse et même la lecture de St Vincent. Pour la correspondance, par exem­ple, il convient de situer le mieux possible chacun des destinataires et des personnages mentionnés et de reconstituer un peu le contexte. Or, selon une table intéressante de Coste que l’on trouve en VIII, 557-594, ces correspondants sont au moins au nombre de 560, allant du pape à la mère de St Vincent, de Mazarin au frère Jean Parré, de Bossuet à Ste Chantal et de Pologne à Madagascar! Heureuse­ment, M. Coste vient une fois de plus à notre secours et multiplie les notes en bas de papes et même prend soin d’établir des notices biographiques. Ainsi, peu à peu, tout un monde se construit autour de St Vincent, de l’homme M. Vincent et, sans qu’il s’agisse encore de véritable analyse historique, on se surprend à ne plus tant recher­cher « les enseignements » mais à poursuivre et approfondir une rencontre. Et c’est certainement là — du moins pour moi — le grand profit et progrès dans cette étape du parcours.

Il serait trop long et peut-être sans grand intérêt pour vous de vouloir établir une sorte de bilan. Quelques exemples simplement:

concernant la correspondance: 3 aspects — entr’actes — m’ont alors retenu:

1 — D’abord, la qualité de la relation de St Vincent et tout spé­cialement de sa relation aux confrères de la Mission. Elle m’est appa­rue, très vite, bien différente de l’idée que je m’en faisais après la lecture des Entretiens aux Missionnaires. On rencontre, dans les let­tres, un supérieur qui sait être ferme mais surtout un homme atten­tif, délicat et même chaleureux, très soucieux des personnes, et beaucoup plus indulgent et libéral qu’on le croit! La correspondance, par exem­ple, avec Lambert aux Couteaux et Jean Martin, a de quoi rectifier bien des idées reçues et dénoncer bien des préjugés. C’est le moins que l’on puisse dire!

2 — La lecture continue de la correspondance donne également une idée saisissante de la progression du projet de St Vincent, de l’exten­sion de ses relations et responsabilités. On peut parler d’une véritable « luxuriance » que St Vincent a parfois quelque mal à maitriser et

contrairement à ce que l’on pourrait croire — il en est le moins épouvanté. Certes, il rappelle souvent que nous avons « pour maxime… de ne nous introduire jamais en un lieu, si nous n’y som­mes appelés » (V, 164), mais si l’Eglise — par le pape ou l’évêque

manifeste son appel, St Vincent accepte courageusement la poly­valence et la dispersion de son troupeau… polyvalence à la condition cependant que la fin de l’Institut soit respectée (I, 249-254) (VIII, 237-240… etc). L’audace que St Vincent révélé dans la fameuse con­férence du 6 décembre 1658 au sujet des engagements de la Compa­gnie (XII, 85-93) est amplement confirmée tout au long de la cor­respondance.

3 — Dans la ligne de ce qui précédé, la correspondance nous permet de repérer progressivement ce que l’on pourrait appeler les points ou niveaux de fermeté et la zone importante de la souplesse et de l’adap­tation. Tant pour la Congrégation de la Mission que pour la Compa­gnie des Filles de la Charité, St Vincent précise et délimite assez rapi­dement ce qu’il considéré comme essentiel et ce sur quoi on pourra composer. On connait la lettre à François du Coudray à Rome dans laquelle il définit cinq points qu’il juge « fondamentaux », ajoutant: « Baste pour les paroles! mais pour la substance, il faut qu’elle demeure entière… » (I, 116).

Il y aurait bien d’autres aspects à évoquer et souligner.

concernant les tomes IX et X, ils ont été — je crois — long­temps mal connus et peu appréciés par nous et… curieusement… par les Filles de la Charité. Il est vrai que jusqu’á ces 20 dernières années, celles-ci n’utilisaient ces 2 tomes qu’en morceaux choisis et choisis pour l’explication et la justification du règlement. Un peu comme nous pour le tome XII. Alors qu’il y a, là encore, de riches découvertes à faire dans une lecture continue et complète.

Remarquons d’abord que Ste Louise s’est montrée plus habile que nous, obtenant très vite l’autorisation de prendre des notes durant les conférences et amenant même St Vincent à collaborer (II, 358; III, 23). Nous avons ainsi quelques 500 pages du tome IX se situant entre 1640 et 1650 et même une conférence du 31 juillet 1634.

Ces conférences aux Filles de la Charité révèlent un St Vincent certainement plus simple, plus vivant, plus spontané. Il savait merveil­leusement s’adapter à son auditoire. Il y a même comme une sorte de connivence ici que l’on ne retrouve pas dans les tomes XI et XII, comme si St Vincent retrouvait un peu ses origines et son milieu natu­rel (IX, 79-94) au milieu des premières Filles de la Charité.

Il faudrait également parler de son talent d’animateur de groupe, de son souci du partage et de la communication. Mais ce qui m’a sans doute le plus impressionné — au cours de cette première lec­ture continue — c’est justement la continuité dans le projet, dans la définition de la Fille de la Charité, dans l’établissement de la hiérarchie des valeurs et des priorités. Depuis la conférence du 31 juillet 1634 et particulièrement ce passage des pages 5-6 du tome IX où tout l’es­sentiel est déjà dit… jusqu’ aux 2 conférences sur les vertus de Ste Louise des 3 et 24 juillet 1660 (X, 709-736), on peut suivre comme une « catéchèse » de la Fille de la Charité où — évidemment — bien des points d’ordre « réglementaire » sont abordés mais toujours resitués par rap­port à l’essentiel.

Reste le tome XIII, une véritable mine! On est étonné de la concision de l’introduction de Coste tout en notant la remarque aussi « caustique que justifiée »: « Ce recueil permettra aux futurs biogra­phes de St Vincent d’éviter facilement les erreurs de dates ou autres dans lesquelles sont trop souvent tombés leurs devanciers ».

Mais on y trouve beaucoup plus que des repères chronologiques et je me souviens avoir surtout apprécié, en 1ére lecture, les docu­ments relatifs aux Confréries et les comptes-rendus des Conseils de Filles de la Charité présidés par St Vincent.

Les documents relatifs aux Confréries (XIII, 417-539) parce que nous avons très peu d’autres références sur la période concernée surtout entre 1617 et 1627 et qu’il s’agit là d’une étape importante dans le cheminement de St Vincent.

Les comptes-rendus des Conseils (XIII, 589-761) parce que j’ai cru rencontrer là St Vincent dans l’exercice concret d’une responsabilité « col­légiale », et il est captivant de le surprendre tant dans l’écoute des autres que dans le moment de la décision.

Il serait trop long de développer davantage d’autant que ce tome XIII, l’un des plus riches peut-être, rassemble beaucoup d’autres pages inestimables pour la connaissance de St Vincent: la déposi­tion pour le procès de béatification de St François de Sales, l’inter­rogatoire au sujet de St-Cyran, le journal des derniers jours de M. Vincent, le contrat de fondation de la Congrégation, l’histoire de St Lazare, le bref « Ex commissa nobis »… etc…

Mon propos, ici, n’est que d’essayer de vous faire sentir tout ce qu’a pu m’apporter cette lecture « systématique et désintéressée » des 13 tomes de Coste et je n’ai pas le temps de parler du « Grand Saint du grand siècle »!

Imaginez quelqu’un qui, à 17 ans, a résumé scolairement Abelly puis a perdu pratiquement la trace de St Vincent, vivant de ce mai­gre acquis tout en conservant « la dévotion ». Dix sept ans plus tard, il ne lit que les tomes XI et XII, surtout en cherchant, comme le suggéré Coste, « les enseignements dogmatiques, disciplinaires et moraux », puis il exploite plus qu’il n’utilise la table analytique pour la préparation de conférences et sessions… Imaginez ce que peut apporter la lecture même systématique et providentiellement désintéressée de tous les textes de Coste! C’est tout simplement ce que j’ai essayé de vous transmettre.

V. L’analyse historique

Resterait en effet à développer cette 5éme étape du parcours d’un « lazariste-moyen » dans la connaissance de St Vincent. Soyez ras­surés, je serai ici très court… parce que c’est la « partie spécialisée » du parcours et que je ne suis pas un spécialiste! Je puis vous dire simplement que — depuis — j’ai relu une deuxième fois Coste mais — cette fois — en respectant le plus scrupuleusement possible la chro­nologie, ce qui m’a amené, surtout à partir des années 1640-1645 à jouer de tous les tomes à la fois, passant de quelques lettres à une conférence de la même époque puis à tel document du tome XIII. Là, j’ai eu — pour résumer — l’impression d’une lecture en relief et même la jouissance de me souvenir de quantité de faits pouvant avoir un rapport avec ce que je lisais et c’est d’ailleurs cette jouissance-là qui pimente encore aujourd’hui… au jour le jour… ma lecture et mon étude.

« L’ analyse historique », c’est peut-être cela, vécu et appuyé sur tout ce qui vous a été dit cette semaine, concernant l’approche tech­nique des documents, les biographies et les études depuis 1664 et notre cher Abelly…, cela, situé dans le contexte historico-politique, économique et ecclésial qui a été remarquablement présenté.

Quoi qu’il en soit, je puis vous avouer qu’au point on j’en suis du parcours, ma dévotion à St Vincent ne cesse de croitre. Mon dic­tionnaire donne 2 synonymes au mot dévotion: respect et attache­ment. En donnant au mot attachement tout son contenu « affectif… sans le moindre respect humain, je puis rectifier le titre que j’avais donné à cet entretien… et l’intituler plutôt:

« d’une certaine dévotion à la dévotion ».

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